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00:00 Bonjour Serge Klersfeld.
00:01 Bonjour.
00:02 Vous êtes historien, c'est vrai, vous êtes avocat, c'est vrai, vous êtes écrivain,
00:06 ça aussi c'est vrai.
00:07 Et surtout vous êtes un être à part, un rescapé de la Shoah, organisé avec détermination
00:12 et inhumanité par les nazis, un miraculé du programme d'extermination des juifs.
00:17 Vivre en tant que rescapé, elle parcourt infini du combattant, d'autant plus qu'avec
00:22 votre épouse, vous n'avez jamais cessé de combattre.
00:24 Vous êtes ce défenseur unique, président depuis 1979 de l'association des fils et
00:30 filles de déportés juifs en France.
00:31 Pendant le génocide en 43, vous n'étiez qu'un enfant, vous aussi, caché par votre
00:36 père dans une penderie, derrière un double fond en carton, juste avant qu'il ne suive
00:40 la Gestapo, venu chercher votre famille.
00:43 C'était le 5 octobre 1943.
00:45 Il fut interné à Drancy sous le matricule 5989, puis déporté de la gare de Bobigny
00:52 par le convoi n°61 vers Auschwitz-Birkenau, le 28 octobre 1943.
00:56 Vous racontez cette histoire, vous lui rendez hommage à ce père, on pensait qu'il allait
01:02 revenir chez Flammarion.
01:03 Ce livre, c'était un hommage qui était nécessaire pour vous, Serge Karsfeld ?
01:08 Ce n'était pas nécessaire, mais c'était un interview, il y a une vingtaine d'années,
01:17 un peu plus, qui a été fait par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et par l'Institut
01:26 national de l'audiovisuel.
01:28 Et c'est Flammarion qui a jugé que c'était peut-être un texte nécessaire qui venait
01:38 à la suite du témoignage de George Kiezman et de Marceline Loridan, et d'autres, le
01:48 fait que je rende hommage à mon père et que, comme mon fils a pris la relève, eh bien,
02:04 c'est quand même frappant que le père s'est sacrifié pour moi, mon père, et mon fils
02:12 se sacrifie pour nous à cause de la pression qui vient de son grand-père, de son père,
02:22 de sa mère.
02:23 Et c'est comme ça que la mémoire se transmet, que l'exemple se transmet dans la famille.
02:31 Comme d'autres sont bijoutiers de père en fils, nous, on est un peu historien, un peu
02:44 homme d'action.
02:45 Ce jour-là, quand ils viennent chercher la famille, votre père a l'esprit de se dire
02:53 "il faut que je les protège, ils vous cachent derrière une ponderie", et il se livre aux
03:00 Allemands, enfin, il dit que vous êtes partis à la campagne, et il vous sauve la vie.
03:05 Eh oui, les Allemands nous ont cherchés dans l'appartement, ils sont entrés dans le placard,
03:12 ils ont rabattu les vêtements, enfin, l'un d'entre eux a rabattu les vêtements qui étaient
03:18 placés devant la fausse cloison, mais il n'a pas touché la cloison et il ne s'est
03:24 pas rendu compte qu'il y avait une cachette derrière.
03:29 Beaucoup de parents juifs ont également caché à travers l'Europe leurs enfants, mais souvent
03:37 ils ont été arrêtés, comme Anne Frank.
03:40 – Comment vous réagissez à ce moment-là, Serge ? Parce que vous êtes petit encore.
03:44 Est-ce que vous comprenez que votre père ne reviendra pas, qu'il y a un risque qu'il
03:48 ne revienne pas ? Qu'est-ce que vous savez de ce qui se passe finalement ? À cette époque-là,
03:51 personne ne sait grand-chose.
03:52 – On n'était pas très inquiets parce que mon père s'était évadé de la captivité,
04:01 qu'il était fort, qu'il était débrouillard, et on pensait qu'il reviendrait du camp.
04:09 Et il nous avait dit quelques jours avant la rafle, il nous avait dit "si les Allemands
04:17 nous arrêtent, moi je survivrai parce que je suis fort, et vous, vous ne survivrez pas".
04:23 Donc nous savions que c'était notre vie qui était en jeu, et nous pensions que notre
04:30 père allait survivre, et on l'a attendu, mais malheureusement, comme il est arrivé
04:38 à Auschwitz et qu'il était impulsif, un capot l'a frappé et il a riposté, et il
04:48 a été envoyé dans un commando de représailles, et il a tenu très longtemps, mais au bout
04:56 de neuf mois, il est mort.
04:58 – Il n'a pas survécu.
04:59 Vous démarrez ce livre sur le discours historique de Jacques Chirac, au Vélodrome d'hiver,
05:05 le 16 juillet 1995, un moment effectivement historique.
05:09 – Jacques Chirac iront avec le général de Gaulle, iront avec François Mitterrand,
05:16 et il dit cette phrase qui est si importante, "ce jour-là, la France accomplissait l'irréparable",
05:24 il ne dit pas seulement l'État français, il dit la France.
05:28 – Ce qui est incroyable d'ailleurs, Serge Karsfeld, et ça deviendra d'ailleurs l'un
05:32 des plus grands combats que vous allez mener avec votre épouse, c'est la chasse aux nazis.
05:36 C'est-à-dire qu'après la seconde guerre mondiale, on retrouve des nazis encore à
05:40 la limite d'intégrer le pouvoir, le nouveau pouvoir qui venait d'être mis en place,
05:45 et qui se sont retrouvés un peu partout dans le monde, et vous êtes allé les chercher.
05:48 – Oui, surtout en Allemagne, parce que c'était les Allemands qui voulaient tuer les Juifs,
05:56 ce n'était pas Vichy qui voulait tuer les Juifs.
05:58 Donc il fallait faire juger les Allemands, les criminels qui avaient organisé la solution
06:05 finale en France, on les a fait juger, ça nous a pris 10 ans, et puis ensuite on a fait
06:11 juger les complices français qui représentaient le gouvernement, comme Bousquet ou Le Guet,
06:19 comme Papon, comme Thouvier, et puis Klaus Barbie, on l'a retrouvé en Bolivie,
06:28 il a fallu aller en Bolivie plusieurs fois, il a fallu aller pour Brunner en Syrie,
06:35 Proche-Orient, etc.
06:37 Mais enfin, c'était une vie qui a changé beaucoup pour nous, une vie pleine de péripéties,
06:47 Beate se battait pour réhabiliter l'Allemagne, et moi pour la mémoire des Juifs.
06:53 – Ce qui est incroyable d'ailleurs, c'est que Beate, ses parents, son père était un soldat allemand,
06:58 et vous montrez des photos d'ailleurs dans cet ouvrage, il y a des photos qui sont extraordinaires,
07:04 elle va limite combattre sa propre famille, elle va faire comprendre à sa propre famille
07:09 que ce n'est pas possible, que l'Allemagne a commis l'irréparable.
07:14 – Oui, elle a eu des problèmes avec sa mère, mais son père est mort assez avant qu'elle n'entreprenne
07:23 son action, mais finalement sa mère a vu que Beate était reconnue un peu partout,
07:33 et c'est vrai qu'après la gifle qu'elle avait administrée au chancelier allemand,
07:39 qui avait été un grand propagandiste hitlérien, – Qui aurait pu lui coûter la vie.
07:44 – Elle avait été condamnée à un an de prison, et en 2012, elle était candidate
07:51 pour être présidente de l'Allemagne, donc il y a eu un changement profond.
08:00 – Est-ce que vous êtes fier de tout ce que vous avez pu réussir à faire déjà jusqu'à aujourd'hui, Serge Kersfeld ?
08:08 – Je ne suis pas fier, je suis heureux de l'avoir fait.
08:11 – D'avoir pu redonner des noms, des photos à des enfants décédés.
08:15 – Fier, fier, oui, Beate est née à Berlin, elle est maintenant grande officier de la Légion d'honneur,
08:24 moi je suis né à Bucarest, et je suis grand croix de la Légion d'honneur,
08:29 et donc ça c'est la récompense véritable, c'est-à-dire la République nous a remerciés
08:38 pour ce qu'on a fait pour la France et pour les droits de l'homme, finalement.
08:44 Donc finalement, quand je vais mourir, j'aurai le sentiment quand même d'avoir accompli une mission
08:56 que peut-être mon père m'a confiée et que je transmets à mon fils.