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Culte du Moi et exaltation de la terre et des morts, enracinement lorrain et songerie orientale, vie politique parlementaire et méditation solitaire sur "la colline inspirée" de Sion-Vaudémont, Maurice Barrès (1862-1923) fut un magnifique écrivain et un ardent patriote. A l’occasion du centième anniversaire de sa disparition et de la parution d’un numéro spécial de la revue Nouvelle École qui lui est consacré, "Les Idées à l’endroit" reviennent sur cette haute figure de la littérature française, à laquelle Drieu la Rochelle, Mauriac, Malraux, Montherlant ou Aragon doivent tant.
Avec Sarah Vajda, écrivain, romancière (Les jeux sont faits, Le Cherche Midi, 2024), essayiste, biographe (Maurice Barrès, Flammarion, 2000),
Axel Tisserand, essayiste, spécialiste de Charles Maurras (co-direction du Cahier de l’Herne Charles Maurras, L’Herne, 2010) et de Pierre Boutang,
Jeremy Baneton, essayiste (Maurice Barrès, le prince de la jeunesse, La Nouvelle Librairie, 2023), fondateur de la plateforme IdeoChoc,
Jean-Luc Gagneux, journaliste, écrivain (co-auteur de Les Hôtes illustres de Solesmes, Saint-Léger Éditions, 2017), préfacier de Maurice Barrès, Dans le cloaque, Dualpha, 2024.
Transcription
00:00 (musique)
00:25 Bienvenue dans cette nouvelle émission des idées à l'endroit. Le culte du moi, l'exaltation de la terre et des morts,
00:33 l'individu et la communauté, l'enracinement lorrain et la songerie orientale, la vie politique parlementaire parisienne
00:42 et la méditation au plus haut des cimes, celle de la colline de Sion-Vaudémont, Maurice Barès,
00:49 dont nous avons célébré il y a un an, en 2023, donc le centième anniversaire de la disparition,
00:55 apparaît comme un homme a priori, en tout cas très extérieurement, un homme de paradoxe, un homme de contradiction.
01:03 Est-ce vraiment le cas ? La parution d'un nouveau numéro de l'excellente revue "Nouvelle École"
01:11 que je montre à l'antenne consacrée à Maurice Barès est l'occasion de revenir sur cette grande œuvre,
01:17 œuvre d'un écrivain, certes, œuvre d'un homme politique, donc d'un homme d'action,
01:23 œuvre aussi, sans doute, tout autant d'un poète, y compris d'un poète de l'action.
01:29 Pour en parler, un certain nombre de collaborateurs de ce numéro de "Nouvelle École", mais pas seulement,
01:36 à commencer par vous, Sarah Vajda, vous êtes écrivain, romancière, vous avez publié de nombreux ouvrages.
01:42 Parmi vos romans, je citerai "Amnésie", "Contamination", aux éditions du Rocher.
01:48 Vous venez d'en faire paraître un autre, très récemment, "Les Jeux sont faits",
01:52 c'est aux éditions du Cherche Midi, un très beau roman qui n'est pas finalement si éloigné que cela de Barès,
01:57 peut-être par le biais de Mistral, je ne sais pas, on en parlera peut-être.
02:00 Vous êtes également biographe, vous avez consacré une biographie à Jean-Édernalier, en particulier,
02:05 mais aussi et surtout, et c'est aussi l'une des raisons qu'il y avait de vous convier à cette émission,
02:12 vous avez fait paraître en 2000, aux éditions Flammarion, cette très belle biographie de Maurice Barès.
02:19 Biographie, certes érudite, mais biographie d'écrivain, parce que c'est un écrivain,
02:24 mais quand un écrivain se saisit d'un auteur, lui-même, par le style qui est le sien, contribue à le magnifier,
02:31 et c'est le cas de ce que vous avez fait dans cette très belle biographie.
02:37 Et donc, je vous l'ai dit, vous avez collaboré à ce numéro de Nouvelle École.
02:40 A également collaboré à ce nouveau numéro de Nouvelle École, Axel Tisserand.
02:45 Axel Tisserand, vous êtes agrégé de lettres classiques, vous êtes spécialiste de Boës,
02:50 vous êtes spécialiste de Pierre Boutan, à qui vous avez consacré un "Qui suis-je" dans la collection "Qui suis-je" aux éditions Pardes,
02:57 mais vous êtes aussi et surtout un spécialiste de Charles Maurras.
03:00 Alors là, je ne vais pas énumérer votre bibliographie maurrasienne, elle est très importante,
03:05 je rappellerai simplement que vous avez codirigé le cahier de l'Erne consacré à Charles Maurras,
03:09 et je rappellerai, pour l'anecdote, que vous êtes celui qui nous a procuré l'édition des lettres des Jeux Olympiques de Charles Maurras,
03:17 c'est en pleine actualité, aux éditions Garnier-Flamarion, c'était en 2004, je crois.
03:23 Avec nous également, Jérémie Banneton. Jérémie Banneton, vous avez fait des études de philosophie à l'Université libre de Bruxelles,
03:31 où vous êtes diplômé. Vous êtes également le fondateur de l'excellente plateforme idéo-choc, plateforme électronique, donc sur Internet,
03:39 qui présente dans des séries de podcasts et de textes très brefs, des podcasts de 25 minutes, un certain nombre d'œuvres, d'auteurs,
03:48 de manière synthétique, de façon à pouvoir, à partir de ces podcasts, retenir en quelque sorte la substance d'une pensée.
03:56 Et vous êtes vous-même barésien, puisque vous avez publié votre premier essai, votre premier livre, consacré donc à Maurice Barès.
04:04 Je vous le montre également à l'écran. Maurice Barès, le prince de la jeunesse, c'est aux éditions de la Nouvelle Librairie,
04:10 dans la collection de l'Institut Iliade. Et enfin, avec nous, Jean-Luc Gagneux. Jean-Luc Gagneux, vous êtes journaliste.
04:21 Vous avez fait toute votre carrière au Courrier de l'Ouest. – Je suis retraité. – Oui, mais journaliste dans l'âme, peut-être encore.
04:28 Vous avez fait toute votre carrière au Courrier de l'Ouest et aux Mennes Libres. Vous avez coécrit un ouvrage sur les hommes illustres de Solème,
04:36 de l'abbaye de Solème, évidemment. C'est aux éditions Saint-Léger. Et vous venez de préfacer une réédition d'une série de textes de Maurice Barès
04:47 qui s'intitule « Dans le cloac. » Note d'un membre de la commission d'enquête sur l'affaire Rochette. Je le montre également à l'écran.
04:56 C'est aux éditions du Alpha. Et va paraître dans quelques semaines une nouvelle édition. – D'ici la fin du mois.
05:04 – D'ici la fin du mois de mai. – Tout à fait. – Une nouvelle édition, donc une réédition de Maurice Barès que vous avez préfacée, qui est le titre...
05:11 – « Les Maîtres ». – « Les Maîtres ». – Alors ce n'est pas un titre dû à Maurice Barès, mais c'est un titre dû à son fils Philippe.
05:19 Donc très peu de temps après la mort de Maurice Barès, Philippe Barès a réuni un certain nombre de textes, qu'il s'agisse de conférences données par son père,
05:31 d'articles sur des hommes illustres, un petit peu, si vous voulez, dans la lignée de... comme les héros de Carelaïl, par exemple.
05:43 – Oui. – D'ailleurs, il y en a certains qui se recoupent, comme Dante au Rousseau.
05:48 – D'accord, qui sont aussi peut-être des intercesseurs, comme disait Barès, des maîtres, à certains égards.
05:53 Alors on va revenir, bien sûr, sur cette formation barésienne. Alors je le disais dans cette très brève présentation,
06:01 Sarah Majda, Barès est présenté de manière souvent assez contradictoire. On met en valeur un premier Barès, un second Barès,
06:08 le Barès du culte du mois, le Barès de la terre et des morts. Bon, c'est une présentation qui a le mérite d'une certaine simplicité,
06:15 avec les démérites de la simplicité. Néanmoins, on peut commencer par là. Lorsque le jeune Barès écrit le culte du mois, donc trois textes principaux,
06:28 que peut-on dire de ce jeune Barès, de l'individualiste qu'il est ? Je veux dire par là, est-ce que ce culte du mois,
06:35 cette profession de foi égotiste, est-elle, d'abord, est-ce que vous êtes d'accord avec ces termes ou pas, et si oui, est-elle le fait d'un dandy ?
06:46 Est-ce pur esthétisme de sa part ? Ou bien faut-il y voir autre chose ? Que dire de ce premier Barès, en quelque sorte ?
06:54 Je crois que tout est vrai dans ce que vous venez de dire, à l'exception d'une chose, c'est qu'en réalité, Barès se cherche.
07:03 Et se cherchant, il trouve les morts, déjà. Donc déjà, dans le culte du mois, il y a le « nous ». Il y a déjà cette idée qu'il est un instant
07:12 d'une épigénèse, de ce qu'on appelle aujourd'hui une épigénèse. Et je crois qu'en fait, c'est ça qui m'a tellement frappé quand j'avais 17 ans
07:19 et que j'ai lu Barès. C'est-à-dire l'idée que nous n'existions pas par nous-mêmes complètement, et qu'en nous, d'autres parlaient.
07:26 Parce qu'à l'époque, moi, je le voyais comme un roman freudien, dans ma génération. C'est-à-dire que pour moi, je ne connaissais pas Barès,
07:33 je n'ai pas du tout pensé une seconde que c'était un écrivain nationaliste que j'étais en train de lire. Pour moi, je lisais un écrivain quasiment freudien.
07:39 Les morts, en moi, parlaient.
07:42 C'est aussi peut-être le côté inconscient que va incarner ce barélisme.
07:46 Et voilà, il n'y a que moi qui s'est pensé une première. Alors cette chose-là fait l'unité de Barès.
07:50 Parce que ça, ça va devenir l'homme du jeu qui passe au-delà de nous.
07:54 Bien sûr, une posture de dandy, une posture de jeune homme qui veut réussir, évidemment, l'écrivain de tâche d'encre, avec le l'homme sandwich, etc.
08:02 Barès n'est pas un saint, sinon il n'aura aucun intérêt. On n'est pas à Solème, on n'est pas sur la pierre blanche devant la croix quand on lit Barès.
08:13 Donc tout ça est vrai. En réalité, la véritable union de Barès, la véritable unité de la voix barésienne,
08:19 c'est cette recherche de soi qui va le mener à la recherche à la fois des ancêtres et de ce que ces ancêtres peuvent devenir.
08:27 C'est-à-dire cette espèce de fragment sur la flèche du temps.
08:30 Et je crois que c'est ça qui est très, très beau. C'est qu'avec Barès, le temps du roman est un temps réellement très, très long.
08:39 En fait, on est dans son temps de solitude. Donc pour moi, Barès, quand je l'ai lu quand j'avais 17 ans, c'était un véritable contemporain.
08:46 Et qui n'a pas été ma surprise. J'ai un peu oublié Barès. J'ai fait du théâtre, j'ai fait plein de choses, j'ai monté plein d'autres pièces,
08:51 j'ai monté des ensembles de théâtre, j'ai commencé à écrire pour le théâtre, j'ai oublié Barès.
08:56 Et je l'ai relu quand j'ai fait ma thèse sur Monterlant. Il est impossible de parler de Monterlant sans avoir relu l'œuvre de Barès à crayon à la main.
09:02 - Bien sûr. - Parce qu'à 50%, Monterlant répond à Barès.
09:05 - Bien sûr. - Clairement, sur l'Espagne, les voyages, etc.
09:09 - Le tout dit écrit, Barès s'éloigne. - Oui, mais même de toutes les manières.
09:14 La manière dont il se pose, dont il dit qu'il ne veut pas faire de politique, parce que Barès a eu ce tisse d'en faire,
09:19 et qu'il se fait condamner, lui, parce qu'il a écrit le seul site de joint qui est tout sauf un livre politique.
09:23 Vraiment, on ne peut pas comprendre l'œuvre de Monterlant si on n'a pas lu Barès.
09:29 Il y a plein d'œuvres du XXe siècle qu'on ne peut pas comprendre si on n'a pas lu Barès.
09:31 - On parlera des héritiers de Barès. - On parlera des héritiers après.
09:34 À ce moment où j'ouvre le dossier et qu'après je décide d'écrire une biographie de Barès,
09:40 là je tombe raide, parce que je découvre qu'en fait Barès passe pour le parangon de la droite française.
09:47 Alors évidemment, je découvre des textes qui sont un peu plus litigieux et difficiles que d'autres.
09:53 Mais en réalité, ce qui fait l'essence de l'écrivain, donc la première question que vous m'avez posée,
09:57 à savoir, quelle est l'unité de l'homme ? L'unité de l'homme, c'est d'être un instant sur la flèche du temps.
10:03 De vie antérieure et qui vont devenir des vie posthume.
10:09 D'où ce chagrin énorme sans doute, enfin qui m'a saisi moi quand j'ai ouvert le livre, quand j'ai commencé à l'écrire,
10:16 c'est le fait que Barès n'est plus d'héritier. Selon la chair, il n'aura que des héritiers selon l'esprit.
10:21 - Très bien. Il n'empêche, Sarah Vachda, je pose la question à mes autres invités,
10:25 naturellement peut-être à vous Jérémy Banneton, le prince de la jeunesse, on reste dans ce registre-là.
10:30 Il n'empêche qu'il y a le "moi", il y a le "nous" et la distinction, bien entendu, est largement superficielle,
10:37 il n'empêche qu'il y a les barbares. Quand on parle de Barès, il y a les barbares.
10:41 Qui sont-ils les barbares, Jérémy Banneton ?
10:44 - C'est une bonne question. Je repartirai peut-être de la jeunesse d'abord de Barès.
10:49 On sait que c'était un enfant qui a beaucoup souffert. On l'appelait le corbeau, il a été assez maltraité par ses camarades de classe.
10:55 Et cette atmosphère parfois de dépression, de nihilisme qu'on peut lire, en tout cas chez Barès.
11:03 - Peut-être un côté fin de siècle chez lui, un côté para-décadent ?
11:06 - Exactement, para-décadent. Je crois que pour lui, le barbare, c'était d'abord ses camarades de classe qui le maltraitaient,
11:11 c'était tous ceux qui étaient contre lui. Par la suite, ça devient aussi tous ceux qui ont un autre rêve que le "moi".
11:17 - Et ceux qui veulent le fondre en série ?
11:20 - Oui, c'est le barbare, donc c'est ceux qui ont un autre rêve que le "moi", c'est d'abord tous les autres, tout simplement.
11:26 Puis c'est tous ceux qui ont un régiment des esprits, c'est tous ceux qui sont du camp de la matière, face au "moi" qui lui veut être du camp de l'esprit.
11:33 Et pour reprendre et rebondir sur ce que Sarvajeda disait, il est important de voir la réception que Barès a eue quand il a commencé à écrire,
11:40 et par sa jeune génération, on l'a pris comme étant, de gauche comme de droite d'ailleurs, dans chacun des parties,
11:45 on l'a pris comme étant celui qui annonçait une sensibilité nouvelle qui permettait à l'homme de se restructurer.
11:49 Et surtout aux jeunes de se restructurer.
11:51 Donc Barès est peut-être un des rares écrivains qui a pris la question de la jeunesse à bras le corps, ce qui fait que tous les jeunes s'y retrouvent.
11:56 Et le barbare, c'est justement... Et le "moi" discute l'un avec l'autre, le "moi" se demande comment se structurer lui-même,
12:03 et étudie sa tradition, il découvre le "nous" dans sa tradition, et donc face à sa tradition, face au "moi" qui découvre le "nous" en lui,
12:11 qui découvre le "ça" qu'il pense en lui, il y a évidemment les barbares, il y a tout un raisonnement qui naît à partir de là,
12:17 des oppositions de rêve, d'abord d'enthousiasme, d'énergie, de volonté différente,
12:20 et Barès compose un paysage d'abord, je veux dire, spirituel, métaphysique, en faisant dialoguer le "moi" et les barbares,
12:27 et petit à petit ça devient une question seulement politique.
12:30 Mais je crois, et on le disait d'ailleurs un petit peu hors caméra, quand on comprend cette question de barbare, aujourd'hui on la politise directement,
12:36 on voit tout de suite, barbare, on met des visages dessus, qu'importe les visages, mais au début pour Barès c'est différent,
12:42 c'est d'abord une question de rêve et d'enthousiasme, le barbare c'est celui qui a un tempérament physique fort, qui n'écoute plus,
12:46 les questionnements logiques, qui n'écoutent plus, la philosophie qui ne s'y retrouve plus, qui est plus forte et qui écrase l'homme civilisé,
12:52 et donc tout l'intérêt de ce concept et de cette polarisation entre "moi" et "barbare",
12:57 c'est pour le "moi" de retrouver justement un caractère, un tempérament, une énergie,
13:00 qui est le mot peut-être le plus important dans l'œuvre de Barès, l'enthousiasme, l'énergie, donc le "moi" doit se composer...
13:06 - Le roman de l'énergie nationale... - Exactement, mais déjà dans le culte du "moi",
13:10 le culte du "moi" c'est la culture du "moi", la culture aristocratique du "moi".
13:15 - Axel Visserand, ces considérations autour de la barbarie, autour du "moi", autour de l'intelligence, autour aussi d'une certaine irrationnalité,
13:29 est-ce que c'est déjà le vecteur par lequel Maurice Barès va accéder au "nous", mais au "nous" populaire, au "nous" du peuple ?
13:41 Est-ce que c'est une façon pour lui d'accéder à cette part du "hors-moi" ou du "non-moi" disons simplement,
13:49 qui ne soit pas le barbare, mais qui soit une incarnation possible du peuple, des réflexes du peuple, de l'instinct populaire ?
13:59 Est-ce qu'on peut associer Barès à ce mouvement-là, d'après vous ?
14:04 - En tout cas c'est comme ça qu'il a été perçu, bon je ne suis pas un éminent barasien comme les personnes à côté de moi,
14:10 moi je suis plus dans les relations entre Montmorency et Barès.
14:14 - Bien sûr, et on va y venir, naturellement on va y venir.
14:16 - Barès pour lui-même évidemment.
14:17 Et effectivement il a été perçu ainsi, c'est-à-dire que, comme vous avez dit, Montmorency n'a pas eu besoin de se renier pour précisément ensuite passer de ce "je" à ce "nous",
14:26 passer de ce culte du "moi" mais aristocratique du "moi" à évacuer le barbare en lui, évacuer le barbare en soi justement, pour passer au "nous" et retrouver le "nous".
14:36 Il n'a pas eu besoin de se contredire ou de se renier pour cela.
14:39 Donc effectivement il n'y a pas de contradiction du culte du "moi" au nationalisme de Barès.
14:44 Il n'y a pas de contradiction du tout entre les deux.
14:47 Le nationalisme a ensuite été peut-être, sa faute peut-être aussi parfois un peu figé, mais il a également été un peu calomnié aussi.
14:55 - La part de la sensibilité quand on évoque Barès, la part voire du sentiment,
15:02 parce qu'il y a cette relative méfiance à l'endroit de la raison résonante et rationnelle,
15:09 on a commencé par parler de votre lecture freudienne de Barès à Rabajda,
15:16 cette part du sentiment de l'inconscient...
15:20 - Ses ennemis l'appelaient "Mademoiselle Barès" comme vous savez.
15:22 - Et de l'instinct, oui, on a beaucoup dit, le fameux l'un de Barès, le fameux l'autre.
15:28 Cette part donc de l'instinct, mais qu'il va retrouver aussi dans le peuple français,
15:33 et dans le peuple lorrain au premier chef, c'est quelque chose de déterminant.
15:38 Vous savez, c'est la fameuse phrase de l'intelligence, cette petite chose de la phrase "nous-mêmes".
15:42 C'est le poète Barès, cela aussi, est-ce que cela va contribuer à définir une politique barisienne
15:53 qui en cela, vous nous le direz Axel Tisseron, est à certains égards très différente de celle de Maurras,
15:57 mais l'association des deux mérite d'être faite puisqu'il s'agit de deux grands penseurs du nationalisme français,
16:02 qui ont entretenu des liens d'amitié et qui sont en même temps très différents.
16:06 La question est difficile, et c'est toujours difficile de répondre sur Barès, on ne peut jamais être certain.
16:13 Revenons à la scène fondatrice, le moment du "nous", comment on est le "nous".
16:17 Lui, il choisit de nous raconter, sachant que les écrivains ont le droit de mentir,
16:23 qu'on a le droit de les croire, le devoir de les admirer, mais pas forcément toujours d'admettre.
16:30 Il vient de Venise, à Venise il y a eu un grand moment, Venise est la ville vraiment de la décadence,
16:37 la ville de la mort, de la fin des choses, on m'en parle à Venise, etc.
16:41 Il est amoureux, la jeune femme n'a pas répondu à ses avances comme devrait, il est au bord de la dépression.
16:48 On est là. Il va à Roué, je ne sais pas si vous êtes passé à Roué, dans un endroit extrêmement glamour,
16:55 une nuit en Lorraine, à Roué, après un repas sans doute un petit peu lourd,
17:01 il a une insomnie et il en fait son vitesse hectaboritaire, il en fait la nuit de Descartes.
17:06 Tout d'un coup il décide pour lutter contre ce sentiment de mort, le sentiment de mort de Venise,
17:13 ce sentiment qui assaille beaucoup plus violemment, curieusement, les jeunes gens que les vieillards.
17:18 Les jeunes gens ont beaucoup plus peur de mourir que les vieillards.
17:20 La nature doit être bien faite et il décide d'enfourcher le cheval de Boulanger.
17:26 C'est comme ça que je vais nous le raconter.
17:30 Et je crois que là on doit le croire, parce que je ne sais pas s'il est vraiment boulangiste.
17:36 Ce que je sais c'est qu'il monte sur ce cheval et qu'il abandonne Venise.
17:40 Il ferme la porte à ce désespoir, à cette tentation du narcissisme,
17:45 cette tentation que j'appellerais, au reste, tout le monde va m'en vouloir, un peu proustienne.
17:51 Il ne va pas écrire la prisonnière, il ne va pas écrire le drame de la jalousie,
17:56 il ne va pas se retourner sur les vertiges de la psychologie des profondeurs.
18:00 Alors maintenant, est-ce que ça, ça rejoint l'âme du peuple ?
18:04 Sans doute, le peuple est enfant, à chaque fois qu'il voit un dictateur sur un cheval,
18:08 il est enfant et femme, il est content, il voit des uniformes, des boutons, ça brille.
18:13 Là, de ce point de vue là, mais c'est pas sérieux.
18:16 Parce qu'en fait, le barbare, c'est aussi le fasciste.
18:20 C'est-à-dire le type qui est là, sans penser, avec ses gros muscles,
18:24 et qui va vous mettre un coup sur la figure, vous n'êtes pas d'accord avec lui,
18:26 ça peut être aussi le fasciste.
18:28 Ça peut être le gros commerçant qui vend de la bière.
18:30 Mais on ne sait pas qui c'est le barbare.
18:32 En tout cas, Barès n'est pas l'homme du coup de poing.
18:35 Quand Sternet passe son temps à nous expliquer que le pré-fascisme français
18:39 ne doit pas tellement de lien entre Barès et Dorio quand même,
18:42 on en a eu un joli, ça va être Dorio.
18:44 Là, franchement, mettre Barès et Dorio dans le même sac,
18:47 ça me paraît très problématique.
18:49 En revanche, cet enfant ou cette femme qui regarde à l'appareil
18:52 passer quelqu'un avec des boutons dorés et qui se dit que là,
18:55 on va vivre une grande aventure, c'est Mlle Barès,
18:58 c'est Mme Bovary et ses rêves de cavalerie.
19:00 Or, ce qui est plus intéressant après,
19:03 c'est comment Barès va le transformer en intelligence.
19:06 Alors, sur l'intelligence, cette petite chose à la surface de vous-même,
19:08 alors ça c'est vraiment très intéressant,
19:10 c'est-à-dire qu'il est contre la sécheresse.
19:12 L'homme qui est trop intelligent et qui est trop intellectuel,
19:16 - Le logicien de l'absolu. - Le logicien de l'absolu.
19:18 Va finir par tout disséquer et va revenir du côté de la mort.
19:22 C'est le refus de la mort chez Barès.
19:24 Il y a cette espèce de tentation morbide, ce que vous avez dit,
19:27 cette enfance douloureuse, cette enfance difficile,
19:29 cette enfance d'enfant bolossé.
19:32 Sa mère est dépressive, son père meurt relativement rapidement dans sa biographie.
19:37 Barès a une véritable tentation de mélancolie,
19:40 une véritable tentation de mystérie,
19:42 et il va vouloir la convertir en pulsion de vie.
19:45 Et je crois que c'est peut-être aussi ça
19:47 que la jeune fille que j'ai été et que la femme que je suis devenue
19:51 a le plus aimé dans Barès.
19:53 C'est ce désir de transformer ça en pulsion de vie rationnelle.
19:57 Or, l'intelligence, elle dessèche tout.
20:00 Elle dissèche, on brûle le diamant pour savoir que c'est du vert,
20:02 il n'y a plus rien.
20:03 Mais qui n'est pas la raison ratiocinante
20:05 et la raison calculante ?
20:08 Ce n'est pas ça.
20:09 Non, mais même l'intelligence seule.
20:12 Parce qu'en plus, c'est drôle,
20:14 tous les gens qui sont confrontés à l'intelligence sont souvent très très intelligents.
20:17 Barès était démoniaquement intelligent.
20:19 Il est d'une subtilité et d'une intelligence.
20:22 Donc il fait cadeau de l'intelligence au sceau.
20:24 Vous voyez ce que je veux dire ?
20:26 C'est-à-dire qu'en fait, il ne va pas se servir que de ça.
20:28 Il va essayer de se servir de d'autres harmoniques.
20:31 Les harmoniques du sensible,
20:32 qui lui paraissent des harmoniques qui vont aller vers la nuance.
20:37 Vous savez bien que le vieux Barès,
20:39 ce que nous comprendrons ni de Rieu et la Rochelle,
20:41 ni Aragon quand ils viendront,
20:43 va dire, charmant Jean-Jean,
20:46 je ne fais que du bleu.
20:48 Et ce n'est pas de la provocation.
20:50 En fait, c'est une vie entière à oublier tout ce qui était la raison,
20:57 pas seulement la raison raisonnante,
20:59 mais ces intelligences pour devenir une plaque sensible.
21:02 Et devenir cette plaque sensible, une feuille au vent,
21:05 c'est Whitman, c'est la définition de la poésie.
21:07 Il n'y a pas une personne qui travaille la langue
21:13 pour arriver au degré de pureté du jardin sur le Ronte.
21:18 Il faut devenir une plaque sensible.
21:20 Donc là, c'est en fait le job du poète.
21:23 Parce que vous savez bien que tout ce que pense quelqu'un
21:26 à faire une œuvre, ne le pense pas seulement par rapport au monde,
21:30 il le pense aussi par rapport à l'œuvre à venir.
21:34 Et il est responsable de cette œuvre
21:36 et de l'écart de langue entre le premier et le dernier Barès.
21:41 C'est ça qu'il faut regarder.
21:43 Il n'y a pas deux Barès,
21:45 mais l'homme qui va écrire dans le mystère en pleine lumière sur Poussin,
21:49 cette volonté d'aller vers la lumière
21:51 et de refuser la pardon de Venise,
21:53 intellectuellement c'est le même,
21:55 mais au niveau de l'écriture,
21:57 ce n'est pas du tout le même.
21:59 Il y a un progrès phénoménal.
22:01 Il devient, comme ce peintre qui dit "je ne fais que du bleu",
22:04 il devient le vieux Matisse.
22:06 Et ce n'est pas par hasard quand même
22:08 qu'Aragon va consacrer 30 ans de sa vie à écrire sur Matisse.
22:12 Henri Matisse Romand.
22:14 Qui est un des plus beaux livres d'Aragon.
22:16 C'est vrai.
22:17 Jean-Luc Haddieu, vous qui avez été journaliste de métier, de profession,
22:21 Barès a beaucoup écrit.
22:23 Alors bien entendu il y a l'image,
22:25 la finale de Barès, "Rosignol du carnage",
22:29 l'image Romain Roland.
22:31 D'un point de vue stylistique justement,
22:34 Sarah Vachda en parlait,
22:36 du point de vue de l'œil en quelque sorte,
22:38 et de la plume barésienne,
22:40 le journaliste que vous avez été,
22:42 comment avez-vous lu vous personnellement,
22:45 Maurice Barès ?
22:47 Est-ce le styliste qui vous a emporté ?
22:50 Est-ce que c'est le peintre ?
22:52 Est-ce que la différence d'ailleurs entre les deux a-t-elle quelque valeur pour soi ?
22:56 Alors, en l'occurrence,
22:58 c'est pas tellement de la littérature,
23:02 j'ai préfacé la réédition du Cloac.
23:06 Alors là c'est le Barès député.
23:09 C'est le Barès membre de la commission d'enquête parlementaire,
23:13 nommée en 1910 par Jean Jaurès.
23:16 Alors on n'est pas dans les littératures,
23:19 on est dans la politique.
23:20 Et ce sont des textes, je dirais,
23:23 des textes qu'il a donnés par la suite à l'écho de Paris,
23:26 ce sont des textes un petit peu écrits à la volée.
23:30 C'est-à-dire ce sont les impressions d'un parlementaire,
23:34 alors là il n'y a pas de littérature, très peu,
23:37 enfin ça reste Maurice Barès.
23:40 Mais, donc...
23:46 Il y a chez Barès une veine polémique,
23:50 il y a chez lui du combattant,
23:54 l'homme qui va ferrailler, le breteur, le breteur au fond.
23:58 Complètement, oui, certainement.
24:01 Donc une forme de violence en quelque sorte,
24:04 on a pu le voir dans certains épisodes politiques.
24:07 Alors l'affaire Rochette, pour mémoire,
24:10 c'est un banquier assez peu scrupuleux,
24:15 parce qu'il s'était rendu coupable
24:21 de ce qu'on appelle toujours une chaîne ou une pyramide de Ponzi.
24:26 C'est-à-dire...
24:27 C'est indémodable.
24:28 C'est-à-dire, oui,
24:31 c'est-à-dire qu'il prend l'argent des souscripteurs
24:35 pour rembourser les souscripteurs précédents,
24:39 mais en fait il n'y a pas d'argent.
24:41 Et il s'est avéré que ça...
24:46 Il y en avait quand même pour, je crois,
24:48 120 millions de francs de l'époque.
24:52 Donc il est incarcéré en 1908.
25:01 Barès donc est redevenu député en 1906,
25:04 député de Paris, député des Halles.
25:08 Mais alors ce qui est très intéressant aussi,
25:11 c'est qu'en filigrane de l'affaire Rochette,
25:15 il y a l'affaire Joseph Caillot.
25:17 Personnage considérable de l'époque.
25:20 Alors moi, comme j'ai travaillé très longtemps,
25:22 pendant plus de 20 ans dans la Sarthe,
25:25 Joseph Caillot on connaît bien,
25:27 puisqu'il était originaire du Mans.
25:29 Il a été plusieurs fois réélu député de Mamers.
25:35 Et l'affaire Joseph Caillot,
25:38 c'est aussi l'affaire d'Henriette Caillot.
25:40 Puisque tout le monde sait,
25:43 tout le monde se rappelle que le 16 mars 1914,
25:49 elle se fait annoncer à Joseph Calmet,
25:54 le directeur du Figaro,
25:56 qu'elle attend une heure en antichambre.
25:59 Il finit par la recevoir.
26:00 Il est en compagnie de Paul Bourget.
26:02 Et à peine arrivé dans le bureau,
26:05 elle tire 6 balles du pistolet
26:08 qu'elle avait caché dans son manchon,
26:10 qu'elle avait acheté chez un armurier
26:11 quelques heures avant.
26:13 Et elle vit très mal.
26:15 Il y a 4 balles qui se fichent dans les murs,
26:18 dans les bibliothèques.
26:19 Mais malheureusement, il y a 2 balles
26:21 qui touchent Joseph Calmet,
26:23 dont une mortelle.
26:24 Et Joseph Calmet meurt à la clinique
26:26 ou à l'hôpital, quelques heures après.
26:30 Alors, pourquoi ce meurtre ?
26:35 Parce que Joseph Calmet avait la prétention
26:39 de faire paraître la correspondance
26:43 de Joseph Cailliau et d'Henriette Renoir,
26:47 qui n'était pas encore la femme de Cailliau,
26:50 qui n'était que sa maîtresse.
26:53 Donc Henriette Cailliau ne l'a pas supportée.
26:56 Elle a préféré tuer Joseph Calmet.
26:58 Mais alors, on voit que c'était une époque,
27:01 évidemment, qui était assez intense,
27:03 assez passionnelle.
27:04 En l'occurrence, c'était aussi l'époque des duels.
27:06 C'était l'époque où on pouvait régler
27:08 au fil de l'épée un certain nombre de difficultés
27:11 et d'affaires d'honneur.
27:14 Donc le barresse, acceptissant,
27:19 le barresse nationaliste,
27:21 nationaliste républicain,
27:23 celui dont on a évoqué Boulanger,
27:27 celui de la terre et des morts,
27:30 a entretenu des relations intenses avec Charles Maurras.
27:36 Il y a eu publication d'une correspondance
27:40 entre les deux.
27:41 - Annulérablement préfacée par Guy Dupré.
27:43 - Préfacée par Guy Dupré, à qui on rend hommage,
27:46 qui est décédé il y a quelques années,
27:48 qui est un admirable écrivain français.
27:50 Axel Tisserand, que pouvez-vous nous dire,
27:53 de manière bien sûr synthétique,
27:55 sur cette relation entre les deux hommes
27:58 et sur ce qui les a opposés, peut-être,
28:02 aussi dans un commun patriotisme français ?
28:05 - C'est une relation que je présente d'abord comme inégale.
28:08 Inégale parce que Maurras voit dans Barresse son grand frère,
28:12 un grand frère qu'il n'a jamais eu.
28:14 Il a eu un grand frère, mais qui est mort au bout de deux ans.
28:16 Donc un grand frère qu'il n'a jamais eu.
28:18 Et dans ce grand frère, justement,
28:20 ça va être un goût de fou, la découverte de Barresse pour Maurras,
28:24 et il voit dans ce grand frère, celui qui, comme lui,
28:27 a partagé l'inéalisme, qui, comme lui, a connu l'enfer du nihilisme,
28:31 et il lui donne une voie de sortie,
28:33 qu'il est possible de dépasser par le haut ce nihilisme.
28:35 Et c'est à cela que Maurras sera toujours reconnaissant à Barresse.
28:38 C'est de lui montrer que, effectivement, le choix de la vie est possible.
28:42 Et effectivement, Maurras sera jusqu'à la fin de sa vie,
28:45 à lui, Maurras, puisque Barresse, c'est le nom qu'il cite le plus,
28:49 le plus sous sa plume dans l'action française, après 1923.
28:52 Ils ont des relations auparavant épistélaires permanentes.
28:55 - Voilà.
28:56 - Alors, une relation donc affective, très forte, de Maurras pour Barresse,
28:59 c'est pour ça que je parle de coup de foudre.
29:01 - Oui.
29:02 - Une relation, c'est à dire aussi affective, de Barresse pour Maurras,
29:04 mais elle est plus intellectuelle.
29:06 Elle est plus intellectuelle.
29:08 Barresse voit en Maurras une jeune intelligence très prometteuse,
29:13 une plume excellente.
29:15 Il lui demande même souvent, on parlait tout à l'heure, hors micro,
29:18 on parlait de relations avec Verlaine,
29:20 on parlait du célèbre discours de Barresse à la mort de Verlaine sur son tombeau.
29:23 Barresse quitte aussitôt Paris et il demande à Maurras de,
29:27 pas de réécrire, mais comme il n'y a pas eu de copie sur etc.,
29:31 il demande à Maurras de rendre à la presse une version définitive de son discours.
29:40 Et il dit, vous rajoutez ce qu'il faut rajouter, vous corrigez ce qu'il faut corriger.
29:43 Donc il y a une très grande influence,
29:45 il y a une très grande confiance intellectuelle de Barresse en Maurras.
29:48 - Oui.
29:49 - Ensuite, ce qu'on note également, c'est que Maurras et Barresse partagent
29:53 une même volonté décentralisatriste ou fédéraliste.
29:56 - C'est très important, le thème fédéraliste.
29:58 - C'est la cocarde 1814.
30:00 Ils partagent cette même volonté décentralisatriste,
30:05 avec bien sûr du côté de Barresse,
30:09 cet individualisme que Maurras observe,
30:11 qui est toujours au fond de lui.
30:13 Bon, effectivement, c'est sa seule chose qui un peu les oppose.
30:17 - Qui grippe un peu entre les deux.
30:18 - Voilà, qui grippe un peu entre les deux.
30:20 Si bien que, je crois que c'est là cette force,
30:22 ce sentiment dont vous parliez,
30:24 dont Tharabachda vous parlait tout à l'heure.
30:26 Ce sentiment, c'est évidemment ce qui va peut-être opposer
30:29 et empêcher Barresse et Maurras,
30:31 opposer Barresse à devenir royalistes.
30:33 Le grand scandale de Maurras, c'est que Barresse ne devienne pas royaliste.
30:35 - Oui, oui.
30:36 - Précisément parce que les forces du sentiment pour Maurras dominent chez Barresse.
30:39 - Voilà.
30:40 - Donc c'est ça vraiment qui va les opposer.
30:42 Les démonstrations maurrasiennes à la supérieure de la monarchie...
30:44 - C'est un peu le Barresse romantique, hein,
30:46 qui ne devient pas...
30:48 - Le Barresse romantique qui fait passer le sentiment d'abord.
30:50 Mais ça ne va jamais, comment dire, les opposer d'une façon personnelle.
30:54 Et ça ne va jamais non plus entamer l'admiration que Maurras aura pour Barresse.
30:57 Jamais.
30:58 - Oui, ben, là on va citer les grands moments de la correspondance.
31:03 Il y a quand même Bonaparte.
31:05 - Oui, Bonaparte.
31:06 - Bon, le grand moment, le grand moment,
31:08 quand Barresse dit,
31:10 comme il a eu cette phrase merveilleuse quand Plinquy n'a pas été anarchiste à 20 ans,
31:13 donc quand même, le grand moment,
31:15 vous comprenez quand même comment moi à 17 ans,
31:17 pour moi Barresse, c'est un homme qui a dit,
31:19 je pleure qu'il n'a pas été anarchiste à 20 ans,
31:21 et je trouve ça admirable.
31:22 - Qui n'a pas été un anonyme des lois.
31:24 - Voilà, qui n'a pas été d'anonyme des lois.
31:26 Et de la même manière,
31:28 vous ne comprenez pas comment on ne pleurait pas à la geste de l'empereur.
31:31 Voilà, cet enfant qui a été bolossé lui aussi,
31:34 à Brienne, la bataille de Bouledanège,
31:36 pour terminer,
31:38 pour passer par le cap de l'empereur et des victoires,
31:41 et terminer seul à l'île de Sainte-Hélène,
31:43 oublier tout, c'est extraordinaire.
31:45 Donc pour lui, c'est vraiment ce parcours romantique,
31:47 c'est du Bayron.
31:48 Il faut savoir quand même,
31:49 que Barresse, contrairement à Maurras,
31:51 est un grand lecteur de Bayron,
31:53 est un grand lecteur d'Israëli,
31:55 est un grand lecteur de Brøning.
31:57 Il est vraiment empli d'un romantisme
31:59 qui n'est pas le romantisme allemand,
32:01 parce qu'on a parlé des marches allemandes,
32:03 mais il y a aussi un très très fort courant
32:05 de ce romantisme anglais,
32:07 qui est extrêmement important dans l'œuvre de Barresse,
32:09 bon il y a ça,
32:10 alors pareil, quand il ose dire à Maurras
32:12 que Marie-Antoinette est beaucoup plus coupable
32:15 des crimes de la Révolution que Robespierre,
32:17 ça met littéralement Maurras hors de lui,
32:20 de la même manière...
32:21 - Une traite de Robespierreux.
32:22 - Oui, une traite de Robespierreux,
32:24 et en plus, il va préfacer
32:26 le très intéressant livre de Marie-Hélène Heru
32:28 sur Saint-Just,
32:30 il va ajouter comme scandale,
32:32 que la plus grande plume du 18ème siècle,
32:34 c'est Saint-Just.
32:35 Or comme nous savons qu'il y a quand même eu Laclos,
32:37 et un certain nombre d'autres génies au 18ème siècle,
32:39 ce que signifie cette phrase,
32:41 d'ailleurs c'est vrai que Saint-Just est écrit comme un dieu,
32:43 mais justement là on revient à ce que disait Jérémy,
32:46 le rapport à la jeunesse,
32:48 le rapport à cette espèce de foule inouïe,
32:50 et Maurras va essayer d'incarner un homme d'ordre,
32:54 de faire des choses,
32:56 de construire une France pour demain,
32:58 ce qui n'est pas le projet barésien.
33:00 Le projet politique barésien,
33:02 c'est quand même encore un projet,
33:04 excusez-moi un peu de potache,
33:05 vous voyez ce que je veux dire,
33:07 de déstabilisateur,
33:09 je plains qu'il n'a pas été anarchiste à 20 ans,
33:11 et après, quand il passe à droite,
33:14 il a ce mot extraordinaire,
33:17 cantonnier de la droite française,
33:19 il en faut pour réparer nos routes, pas.
33:22 Extraordinaire.
33:24 Or, en plus Maurras le notera tout le temps,
33:27 Barès avec sa silhouette,
33:28 aura toujours l'air de loin d'être un jeune homme,
33:31 il a un visage ridé bien sûr,
33:34 il meurt à 62 ans,
33:35 mais c'est quand même le mot,
33:38 le mot qu'il a donné de Proust,
33:40 c'est Barès, notre éternel jeune homme,
33:42 c'est qui ?
33:43 C'est Barès, beaucoup plus que Proust.
33:45 L'éternel prince de la jeunesse.
33:46 C'est l'éternel prince de la jeunesse,
33:47 Jérémy a raison,
33:48 c'est quand même une leçon d'insolence,
33:50 une leçon de ne jamais se prendre non plus au sérieux,
33:53 il y a quand même un humour terrible chez Barès,
33:56 il se prend très très rarement au sérieux, franchement.
33:59 Et c'est une très grande musique bien entendu.
34:02 Mais là on parlait de politique,
34:03 vous êtes d'accord avec moi que c'est le question ?
34:06 Tout à fait d'accord.
34:08 Et on va continuer à parler de la question politique,
34:10 c'est important, Jérémy Balton,
34:11 donc Barès, la terre et les morts,
34:13 cette question du fédéralisme qu'a soulevé Axel Tisserand,
34:17 c'était évidemment très important,
34:19 donc le Barès-Lorrain,
34:21 le Barès qui choisit en quelque sorte cet enracinement Lorrain,
34:24 et pas Auvergnat, il aurait pu,
34:26 son nom Barès c'est la région paternelle du Roergue et de l'Auvergne,
34:31 du confins,
34:32 c'est quoi la terre et les morts et l'enracinement,
34:34 comment les conçoit-il Maurice Barès ?
34:38 C'est le sujet de la question,
34:41 c'est une question compliquée,
34:43 et en même temps je trouve à la fois très simple,
34:45 on se posait la question de comment structurer la jeunesse justement,
34:48 et donc Barès c'est l'ennemi des lois mais c'est pas l'ennemi des morts.
34:51 Les morts font les lois du développement de la jeunesse,
34:55 mais en même temps ne brident jamais la jeunesse.
34:57 Et le but de sa démarche quand il s'intéresse au culte des morts,
35:00 ce n'est pas tant de brider des enthousiasmes des enthousiasmes,
35:04 nouveaux, originaux,
35:06 plutôt que d'en créer des neufs à partir d'une certaine inspiration des anciens.
35:10 Vous avez raison de le souligner,
35:13 mais Barès a choisi la Lorraine,
35:14 il aurait pu choisir autre chose.
35:16 Ce qui est intéressant c'est de voir qu'on choisit ses morts,
35:18 comme on accepte le déterminisme des morts,
35:20 et donc il y a une vraie liberté dans ce rapport entre le moi qui choisit,
35:25 et le passé.
35:26 On dit souvent, et on caricature Barès en disant
35:28 "c'est un nationalisme très traditionnel",
35:30 en fait il y a un déterminisme total,
35:32 et au fond le moi n'a pas de choix.
35:34 En fait le moi a un choix, le moi il construit.
35:36 Et c'est pour ça que le mot aristocratique que j'employais tantôt
35:39 me semble important,
35:40 parce que c'est tout un processus de composition,
35:42 où il s'agit de retrouver en soi l'élan vital,
35:45 l'élan créateur, autour duquel on parle beaucoup.
35:48 Et la question du fédéralisme se noue à cette question de l'élan vital et de l'énergie.
35:53 Barès, quand il est jeune, quand il est enfant,
35:55 à 8 ans il vit la guerre, la défaite de Soudan, la débâcle, etc.
36:01 C'est l'avènement de l'Empire allemand,
36:03 et toute sa vie, en tout cas politiquement,
36:05 il se demande pourquoi la France est aussi désunie,
36:07 pourquoi elle est si faible par rapport à une Allemagne si forte.
36:09 Et Barès aura à cœur d'être un peu sophiste français.
36:13 Lui-même le dirait, il fera un parallèle sur les dates de naissance et de mort.
36:18 C'est assez intéressant de se pencher sur cette question.
36:20 Et donc, fédéraliste, parce que pour lui la question du fédéralisme
36:24 c'est la question qui permettra aussi de régénérer la France
36:26 et de lui redonner son élan vital.
36:28 C'est une question organique.
36:29 C'est une question organique.
36:30 C'est aussi le vieux clivage de l'organique et le mécanique.
36:32 Tout à fait, tout à fait.
36:33 Sa vitalité et son vitalisme reposent sur cet organicisme provincial.
36:37 Exactement. En fait, on n'aura pas un pays fort et paradoxalement uni,
36:40 c'est-à-dire qui avance dans une même direction
36:42 si on n'a pas des régions également fortes et vivantes.
36:45 Et donc, des régions fortes et vivantes parce que des individus,
36:47 qui la peuple, sont eux-mêmes forts et vivants.
36:49 Et donc, il y a un enchassement entre ces différentes questions
36:52 que sont le moi, la région, le nous, l'nationale.
36:55 Et ça montre à quel point, on parlait de Maurras
36:57 et de la relation qu'ils ont eue ensemble,
36:59 ça montre à quel point aussi Baress est quelqu'un de très pluraliste,
37:02 qui colle à la vie, qui colle aussi aux multiples dimensions de la vie.
37:05 La vie est un perpétuel composé très hétérogène
37:09 au fond de tout un tas de dimensions qu'on ne peut jamais vraiment rassembler,
37:12 unifier sous un seul principe.
37:14 Et Baress prend le parti avec cette question du fédéralisme
37:17 de justement composer, de composer entre la région, la nation, le moi, le nous.
37:21 Il le dirait lui-même dans une toute petite brochure
37:23 qui a un titre assez amusant de Hegel aux cantines du Nord,
37:25 que son objectif c'est de composer entre la sensibilité rousseauiste,
37:29 le je, et le collectivisme hégélien.
37:33 Et qu'en fait, au milieu de ça, on trouve le fédéralisme de Proudhon,
37:36 le socialisme français, du coup un socialisme beaucoup plus organique,
37:40 qui épouse l'histoire du pays, qui épouse le fait social tel qu'on en a hérité.
37:46 D'où aussi cette opposition avec Maurras,
37:48 parce que Maurras ne dit pas "la révolution a eu lieu",
37:50 elle a eu lieu, et on a juste à composer avec elle,
37:52 à essayer de régénérer le pays à partir du fait tel que l'on a.
37:56 Au fond, Baress a quelque chose du renard,
38:01 qui arrive à se nourrir de différents éléments dans sa vie,
38:03 et à trouver sa politique, et trouver son axe vital à partir de tout un tas de choses.
38:08 - Axel, tu te rends, je vous en prie.
38:11 - Je crois également en fait, quelque chose chez Baress,
38:14 l'objectif de Baress et de Maurras est certainement commun,
38:18 au sens du pays de la France, et de la pérennité de la France.
38:21 Néanmoins, Baress ne voyait pas dans la politique le même moyen primordial que Maurras
38:28 pour parvenir à ce salut de la France.
38:30 Ce qui est intéressant, c'est quand vous avez parlé de Boulanger,
38:33 cette volonté de devenir boulangiste, peut-être comme choix de la vie,
38:38 mais il était très lucide, Baress, sur Boulanger déjà,
38:42 mais également sur l'absence de doctrine qui avait nuit totalement au boulangisme.
38:49 Et quand Maurras propose une doctrine, là, Baress s'effouffille.
38:54 Baress ne veut pas cette doctrine parce qu'il considère que c'est quelque chose
38:57 qui finalement reste abstrait, quelque chose de laboratoire.
38:59 - C'est ce que vous exagérez, par rapport à la vie.
39:01 - Par rapport à la vie, mais justement, dans quelle mesure,
39:04 il n'a pas non plus l'air d'une impasse de Baress.
39:06 - Mais par exemple, pour la Lorraine, j'aime bien,
39:08 vous dites qu'il a choisi la Lorraine, il n'a pas choisi l'Auvergne.
39:11 Ce qui est très drôle, vous savez ce qu'il a quand même dit sur la Lorraine.
39:14 Il a dit quand même que de faire l'éloge de la Lorraine,
39:16 c'était faire une symphonie sur un piston.
39:19 Et il a parlé du visage sans âme de sa chère Lorraine.
39:23 Donc c'est aussi, pour un écrivain, prendre le point le plus difficile.
39:28 D'accord ? Parce que faire l'éloge des monts d'Auvergne,
39:32 de la splendeur, c'est magnifique, les paysages sont extraordinaires,
39:35 la pierre noire, les vierges noires, alors vas-y, là, là, là, on y va.
39:39 Là, la Lorraine, c'était plus difficile.
39:42 Et je crois que quand même là, toujours...
39:44 - Il y a Rosmerta, il y a les Celtes, il y a la colonne inspirée.
39:47 - Je crois, mais... - Et qui va très profond.
39:49 - Ça c'est... - Il y a la chapelle et la prairie, ça, à Basta.
39:52 - Mais ça, on aurait presque pu la faire ailleurs qu'en Lorraine.
39:55 Il n'y a rien de profondément lorrain là-dedans.
39:57 La chapelle et la prairie, il y a des chapelles et des prairies à peu près partout.
40:00 Ça, je crois qu'il y a aussi l'influence de Stanislas de Gaïta dans ce grand roman.
40:05 - Un article, d'ailleurs, une étude de Marie-Françoise Palacios est concentrée...
40:08 - Très intéressant. - ...dans le numéro de la Lécoque.
40:10 - Parce que je crois que c'est quelque chose de très...
40:12 - L'amitié entre Maurice Barret et Stéphane Lachaud est très marquée.
40:14 - Mais il y en a encore. Il fait l'éloge de dissidents qui ont raté.
40:18 Il y a un bout d'échec politique chez vous.
40:20 - Oui, je crois. - Hein ? C'est ce que vous étiez.
40:22 - Oui, je crois. - Vous avez un bout de...
40:24 - Une crainte que la réussite n'emprisonne finalement...
40:26 - La réussite n'emprisonne dans une forme morte.
40:28 - Ou s'édicipe aussi les jeunes âmes qu'il peut influencer.
40:31 - C'est ça. Et ça, c'est ce que je trouve très...
40:33 - Il ne veut pas être un maître. Il dit que c'est vraiment un barrage.
40:35 - Voilà. Et ça, c'est très beau par rapport...
40:37 - Et ça, c'est quelque chose de... - ...à deux livres extraordinaires quand même
40:39 d'un auteur que je n'aime pas par ailleurs, mais qui a écrit deux chefs-d'oeuvre.
40:42 Il y a "Le disciple" de Paul Bourget quand même.
40:44 "Les leçons de néonylisme contemporain".
40:46 Voilà. Et je crois que là, il y a le refus vraiment d'être un maître
40:51 qui met la main, qui ouint et qui fige les choses,
40:54 qui est quand même une des caractéristiques les plus sympathiques de Barret.
40:58 - Jérémy Banneton, vous vouliez ajouter quelque chose
41:00 lorsqu'on a évoqué la question politique ?
41:02 - Ça a plus ou moins été évoqué. - D'accord.
41:04 - Notamment à travers cette question du maître,
41:06 parce qu'en fait, je trouve que ça correspond assez bien à la conception de Barret,
41:09 ce qui est de laisser la vie aussi parler et s'exprimer.
41:11 Quand on parlait du "nous", on a peut-être oublié de mentionner
41:14 ce très beau livre, pourtant, qui est "Le jardin de Bérénice",
41:17 où il parle justement du "nous". - Bien sûr.
41:19 - Et en fait, où le "nous" est incarné par une jeune femme.
41:22 C'est un esprit féminin. C'est donc aussi l'esprit de l'inconscient.
41:24 - Bien sûr. - Et c'est cette fluidité de la vie
41:26 qui, quelque part, refuse des formes figées.
41:28 C'est aussi une manière, évidemment, on ne peut pas ne pas en dire un mot,
41:31 dans le roman de l'énergie nationale et des racines et en particulier
41:34 le fameux épisode "Un burdeau bouteillé"
41:36 et l'hostilité à l'abstraction kantienne. - Exactement.
41:40 - Reprenons d'ailleurs Péguy, les kantiens ont les mains propres,
41:42 mais pas de main. - Oui, pas de main.
41:44 - Bon, c'est aussi très barésien, me semble-t-il.
41:46 - Excessivement barésien. À Brest, on moque beaucoup des kantiens
41:48 qui parlent sans cesse du devoir et trompent sans cesse.
41:51 L'histoire du bouteillé, c'est la calamité du kantisme.
41:54 Parce qu'on arrive à un bouteillé qui parle sans cesse de Kant,
41:56 qui parle sans cesse du devoir moral et qui finit dans les scandales du Panama.
41:59 - Voilà, c'est un peu la rédication de la pyrotechnie.
42:01 - Exactement. Chez Brest, c'est un petit peu plus gris, quelque part,
42:03 dans sa politique, ce qui fait qu'il ne prend jamais totalement parti.
42:07 Même pour Boulanger, on a toujours l'impression qu'il est un peu en retrait.
42:09 Ou il s'en sort en disant qu'il y a deux boulangismes à ses yeux.
42:12 C'est assez amusant. - Il y a le contre-factuel et il y a le réel.
42:16 Sur le point de vue là, il est kantien, mais ça, c'est autre chose.
42:18 Non, mais c'est vrai. Parce qu'en fait, en réalité,
42:20 parce que l'anti-kantisme de Barès, c'est un anti-cousinisme.
42:26 Parce qu'à l'époque, les professeurs de philosophie en classe de terminale,
42:31 c'est du Victor Cousin. C'est absolument pas du Kant.
42:33 - Comme un peu plus tard, ce sera l'Inde.
42:35 - En réalité, chez Kant, il y a quand même une idée extraordinaire
42:37 qui est l'idée contre-factuelle. Et franchement, l'idée contre-factuelle,
42:39 elle est tout le temps, tout le temps au travail, vous qui êtes philosophe,
42:42 dans l'œuvre de Barès. On va laisser parler monsieur,
42:45 on n'a pas arrêté de monopoliser la parole.
42:47 - Jean-Luc Gagneux, je vous en prie.
42:49 - Non, il me venait, je reviens deux minutes en arrière,
42:52 il me revenait un petit mot de Jean Cocteau,
42:56 amusant, comme souvent, c'est les fers Jean Cocteau.
42:59 - Et profond.
43:01 - Il disait, Barès, quel collégien que ce maître !
43:07 Et donc, on revient sur Barès, l'idée maître, pas maître,
43:12 et je trouve que c'est finalement...
43:14 - Il était un trop mauvais élève pour être un bon maître.
43:16 - Sous un dehors cocasse, c'est assez pertinent.
43:21 - Oui, c'est vrai.
43:23 Alors, il y a un autre aspect, évidemment, on ne sera jamais exhaustif,
43:27 et ça n'a aucun sens de l'être, mais que l'on ne peut pas ne pas évoquer,
43:30 et qui est très important, vous avez évoqué, Sarvajda, l'épisode vénitien.
43:35 Il y a le Barès voyageur, il y a le Barès de ce que j'ai appelé,
43:43 aujourd'hui, l'émission de la songerie orientale, le Barès de l'Oronte,
43:47 le Barès d'Astiné-Arravian dans "L'Ile racinée", le Barès de la Danoïe,
43:52 il faut en parler, il y a ce Barès oriental, je précise également
43:56 que dans le numéro de "Nouvelle École", il y a un très bel article
43:58 de François Angelier, en quelque sorte, sur le voyage en Orient,
44:02 entre guillemets, de Maurice Barès.
44:04 Que peut-on dire de ce Barès espagnol, de ce Barès tolédan,
44:09 de ce Barès du Gréco, et puis de ce Barès oriental de l'Oronte ?
44:16 - Votre Barès était un oriental, aurait dit le général de Gaulle.
44:20 Il y a une tentation, mais d'abord, tout le XIXe siècle est traversé par ça.
44:26 On commence par dire que ce n'est pas une originalité barésienne.
44:29 En revanche, la manière dont il va, lui, la travailler,
44:33 il ne va pas aller se convertir comme Nerval, il ne va pas devenir Mahometan,
44:38 il n'a pas la faillition des peintures comme Flaubert.
44:42 C'est très très beau.
44:44 Alors d'abord, il y a des poètes, tout a rapport à la poésie orientale.
44:50 Il n'arrête pas de citer les poèmes qui chantent les roses, etc.
44:54 - La Fise, bien sûr, comme le Liwan oriental occidental, le Göte.
44:59 - C'est ça. Alors là, en ça, il est complètement gueté.
45:04 C'est cet orient-là, c'est cet orient du XVIIIe plus que l'orient du XIXe.
45:08 Il y a l'exemple de Bayron, l'histoire de l'Arménie, avec son ami arménien,
45:13 où il voudrait revivre ce qui s'est passé à Missolonghi,
45:17 avec les Grecs, il y a vraiment toutes les rêveries romantiques qui sont là,
45:23 et il y a la figure quand même, il a rêvé à Stiné, il rencontre Anna.
45:28 Il rencontre Anna, alors Anna de Noailles, tout le monde a oublié qui c'était.
45:32 - À tort, parce que c'est une grande poétesse.
45:34 - Elle était considérée à l'époque, oui, enfin, Malarmé est venue,
45:37 donc toute la poésie qui a précédé. Je suis malarmé, elle aussi,
45:40 mais je considère qu'en fait, on peut tenir les deux bouts.
45:43 - Évidemment. - Voilà, on peut tenir les deux bouts.
45:45 Anna était là, minuscule, oiseau de paradis, voilà.
45:50 La poétesse d'Île-de-France, mais née quand même au rive du Bosphore.
45:56 Et là, tout d'un coup, la baresse devient un véritable Pierre Loti, lui-même.
46:01 Embarquant sur le fleuve Anna.
46:04 L'histoire du fleuve Anna est toute une histoire.
46:07 Il a quand même dit qu'il aimerait que sa prose traduise les vers d'Anna.
46:11 C'est-à-dire que tout l'effort littéraire qui va aboutir au jardin sur le Ronde,
46:16 c'est quand même quelque chose qui a à voir avec l'œuvre même d'Anna de Noailles,
46:20 qui est aussi un rapport à la mort, parce qu'elle est hantée par le rapport à la mort,
46:26 et hantée par le vitalisme.
46:28 Et cette espèce de duel qu'il y a dans la poésie d'Anna,
46:32 entre la volonté de vivre et la nécessité de mourir,
46:37 qui est quand même le cœur vraiment battant de cette œuvre-là,
46:41 qui n'est pas le langage, etc.,
46:43 va évidemment travailler baresse.
46:46 Ce qui ne va pas l'empêcher de joindre toujours l'utile à l'agréable.
46:51 C'est-à-dire que quand il va en Espagne et qu'il crie sur les cigartières,
46:54 il fait du Anna.
46:56 Il crie sur les filles qui vont mourir demain, qui sont éphémères, etc.
46:59 Quand il va au Liban, c'est autre chose.
47:01 Et quand il écrit "Le voyage de Sparte",
47:04 c'est une troisième affaire et qui est extrêmement intéressante.
47:07 Parce que quoi qu'ils mettent, qu'ils transforment Anna en Minerve,
47:11 et qu'ils fassent la vivante grecque,
47:13 ce qui défend à Sparte, c'est l'énergie.
47:16 Et il ne va pas défendre Athènes comme Maurras.
47:19 - C'est-à-dire... - Thinéal, près de Sparte.
47:21 - Voilà, le tralala de l'été grec qui va devenir celui-là.
47:24 Là, vraiment, c'est Sparte, comme le roman de l'énergie.
47:27 Et c'est alors là qu'évidemment, ils vont tous les tomber dessus,
47:30 comme fascistes, sauf que Rousseau n'est pas considéré comme fasciste
47:33 avec les mêmes idées.
47:34 D'ailleurs, vous savez bien qu'à propos de Rousseau,
47:36 Blum a eu la phrase définitive en disant
47:38 qu'aucun esprit aussi singulier n'était né en France depuis Rousseau
47:41 en parlant de Barès.
47:42 Or, il y a effectivement beaucoup de liens entre Rousseau et Barès.
47:46 Rousseau qui a refusé des hommages nationals...
47:49 Barès qui a refusé des hommages nationaux à Rousseau
47:51 sous prétexte qu'il allait tourner la tête des jeunes gens.
47:53 Enfin bref, on n'est pas...
47:55 C'est là qu'il y a du potage, c'est là qu'il y a du pas sérieux.
47:57 On est vraiment dans une espèce de flux vivant
48:01 où ça fait aussi tourner le moulin à livres.
48:05 Vous savez ce que disait Monterland
48:07 quand il disait que l'écrivain écrit comme le pommier,
48:10 dame des pommes.
48:11 Que tout ce qui arrive fait tourner le moulin à livres.
48:14 Or, je crois qu'à la fin du boulangisme,
48:17 au début de la fadre et fousse,
48:18 l'autre, on ne va pas parler s'il vous plaît...
48:20 - On n'en parle pas.
48:22 - On n'en parle pas.
48:23 Quand il rencontre Anna,
48:25 qui est fervente de Dreyfusard,
48:27 passionnariat de Dreyfus,
48:29 chez madame de Montevélo,
48:31 quelque chose se noue qui va aussi faire tourner
48:34 autrement le moulin à livres.
48:37 Le pommier va donner des nouvelles pommes.
48:40 Le pommier Barès est quand même tout d'un coup
48:42 régénéré par la rencontre avec cette jeune femme,
48:45 avec cette poétesse.
48:46 Et tout d'un coup, il y a un autre souffle qui va naître
48:49 et qui est évidemment beaucoup moins lorrain.
48:52 - Alors, un dernier mot,
48:54 parce que le temps file, évidemment,
48:56 mais il me paraît important d'en parler.
48:57 J'ai mentionné "La Colline inspirée"
48:59 qui est à mes yeux un très grand livre.
49:01 Jérémie Banton, "La religion de Barès".
49:04 Quelle est-elle ?
49:05 Comment peut-on la définir ?
49:07 Quels sont ses tropismes ?
49:08 Quelles sont ses attirances ?
49:10 Quelles sont ses fidélités ?
49:12 C'est la Sibyle, c'est le Christ,
49:14 c'est Rosmertha, c'est la Vierge Marie.
49:18 Que peut-on dire de ce pressentiment barésien
49:24 du sacré et du divin ?
49:26 Est-ce qu'on peut le définir ?
49:27 - Alors, c'est peut-être la question la plus complexe.
49:29 - Ah, on termine.
49:30 - On termine sur la question la plus complexe.
49:32 - Et on a très peu de temps en plus,
49:33 mais on peut en dire quelques mots.
49:34 - Oui.
49:35 Il y a beaucoup d'hésitation d'abord,
49:36 et beaucoup de doute dans cette religion.
49:38 Il y a un rapport au sacré, évidemment,
49:39 par rapport au culte de la terre et des morts.
49:42 Ils ne les vénèrent pas non plus comme des divinités,
49:44 mais il y a quelque chose qui, en tout cas,
49:45 moi, me rappelle toujours un peu le culte
49:47 de l'or et des pénates, d'une certaine manière, de Rome.
49:49 C'est-à-dire qu'il y a un goût pour le foyer natal
49:51 qui structure les individus, et puis en même temps,
49:53 il y a des hésitations perpétuelles
49:54 entre l'Église et la Prairie.
49:56 - Oui, la Prairie, bien sûr.
49:58 - Evidemment.
49:59 - Mais qui dialoguent.
50:00 - Qui dialoguent, justement.
50:01 Et c'est ce qui est intéressant,
50:02 parce qu'en fait, là, je crois que Barès ne ment pas,
50:04 et il met sur papier son drame existentiel
50:06 en disant, mais d'un côté, en fait, il y a la vie,
50:08 et d'un côté, il y a l'ordre.
50:09 Quelque part, c'est la grande question
50:11 qui parcourt sa politique, son esthétique,
50:13 tout, la lumière, la nuit, la Prairie,
50:15 c'est les forces vitales, les forces octogoniennes
50:18 de la terre qui pourraient envahir l'individu.
50:21 Alors, c'est le drame des frères Bayard
50:22 dans "La Colline inspirée", qui, par souci d'abord
50:25 de régénérer leur paroisse, bien, s'intéressent
50:27 à une forme de secte catholique,
50:29 et puis dérivent complètement dans la folie.
50:34 Et puis, de l'autre côté, il y a l'Église
50:35 qui peut être trop du côté de l'ordre
50:37 et trop du côté du principe
50:39 et de la compréhension intellectuelle des choses.
50:41 - Et donc, stérilisatrice.
50:42 - Et stérilisatrice.
50:43 Et je crois que Barès, en fait, s'assied
50:45 au milieu des contradictions et attend,
50:47 d'une certaine manière, que les choses
50:48 discutent les unes avec les autres.
50:50 - Le dernier mot de "La Chapelle à la Prairie",
50:51 enfin, de "L'Église inspirée",
50:52 c'est pas "pour nous en sauver".
50:54 - Oui, tout à fait.
50:55 - Donc, il n'y a quand même pas...
50:58 - Il n'y a pas de stricte égalité.
50:59 - Il n'y a pas de stricte égalité, quand même.
51:00 - Non, il n'y a pas de stricte égalité, quand même.
51:01 - Il n'y a pas, hein. "Pour nous en sauver", c'est...
51:03 "Vous nous sauvez de la prairie".
51:04 - "Vous nous sauvez de la prairie", quand même.
51:05 Comme il appelle Nietzsche la musique du perdition, quand même.
51:07 Attention, vraiment, c'est...
51:09 Au début, il aime Wagner,
51:11 et tout d'un coup, ça devient
51:12 la musique du perdition.
51:14 Et, en fait, il est catholique sans espoir d'un après.
51:17 Ça, c'est certain.
51:18 Il veut rester un catholique de tradition.
51:21 C'est-à-dire qu'en fait, on ne se convertit pas.
51:23 La conversion serait justement
51:25 un crime contre l'épigénèse.
51:27 - C'est Saint-Paul qui ouvre ce dernier chapitre.
51:29 - Oui, c'est ça.
51:30 - Oui. - C'est sympa, lui.
51:32 - Bien, nous arrivons au terme de cette émission.
51:34 J'espère que nous vous aurons donné envie
51:36 de découvrir avec profusion
51:39 l'œuvre de Maurice Barès.
51:41 Bon, peut-être entre Apollon et Dionysos,
51:44 avec une réserve peut-être pour le domaine dionysiaque.
51:48 Mais en tout cas, j'espère que l'on aura fait sentir
51:52 à quel point Barès peut-être,
51:54 autant que Châteaubriand,
51:56 étant des très rares enchanteurs
51:59 de la prose française,
52:01 est évidemment un très très grand esprit.
52:03 Merci beaucoup, Sarah Vajda,
52:05 Jérémy Balouton, - Merci.
52:07 - Axel Tisserand, Jean-Luc Gagneux.
52:09 Merci de votre participation.
52:11 A très bientôt dans "Les idées à l'endroit"
52:13 pour un nouveau numéro
52:15 sur TV Liberté.
52:17 Merci beaucoup.
52:20 Sous-titrage Société Radio-Canada
52:24 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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