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Clément Méric reçoit Julie Laernoes, députée écologiste de Loire-Atlantique sur le projet de loi "fin de vie".

Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.

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Transcription
00:00 C'est un débat qui dépasse les clivages politiques traditionnels.
00:04 Il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation.
00:09 Faut-il légaliser l'aide à mourir ?
00:12 Dans le cadre du débat sur la loi fin de vie, nous recevons les députés qui ont décidé de défendre leurs convictions pendant ce débat parlementaire.
00:18 Aujourd'hui, nous recevons Julie Lahernus, députée du groupe écologiste à l'Assemblée.
00:23 Générique
00:25 ...
00:37 -Bonjour, Julie Lahernus. -Bonjour.
00:39 -Alors, chacun, chaque député a son processus personnel, intime, pour se forger son opinion sur cette question de l'aide à mourir.
00:47 Vous êtes favorable à l'aide à mourir.
00:49 Et vous, ce processus, il s'est fait à travers des films et puis à travers des lectures, et à travers la lecture d'un livre en particulier.
00:57 -En fait, je pense que la question de la mort, on en parle peu, on n'en parle pas assez, et pourtant on sait que dans notre condition humaine, on naît et on a une certitude, c'est qu'on va mourir.
01:11 Et je trouve effectivement que ce sujet-là, il faut le mettre devant la table.
01:16 La mort s'est progressivement éloignée aussi de notre société, on a cru pouvoir l'éloigner à travers la médecine, et les gens meurent plus à la maison, meurent plus tardivement, et meurent de manière un peu cachée.
01:27 Et donc, oui, il y a un certain nombre d'éléments qui font que je pense que ce débat, il est important au-delà du droit même qui est primordial.
01:36 Et donc, pour parler de lecture, j'ai été extrêmement touchée dans les ouvrages, notamment autour de l'écologie politique, mais de la lettre à D qu'a écrite André Gorce pour expliquer son geste avec sa femme.
01:50 Et je trouve que c'est, au-delà d'une magnifique histoire d'amour, aussi, de montrer, de raconter comment on finit aussi sa vie en accord, quelque part, aussi, avec les pensées philosophiques qui les entourent.
02:02 Donc André Gorce, philosophe, journaliste. On va revoir un extrait du journal télévisé, le jour de sa mort, le jour de leur mort, de ce couple-là. On va revoir ça en image.
02:15 Elle était atteinte d'un mal irréversible. Il l'a accompagnée dans la mort. Dernier geste d'amour en accord avec leur vie d'intellectuel militant.
02:23 Je guette ton souffle, ma main tes fleurs. Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l'autre.
02:30 Ils préparaient leur suicide depuis quelques jours. Sur la porte de leur maison dans l'aube, un message. Prévenir la gendarmerie. Des lettres attendent.
02:38 Dernier mot, dernier livre pour sceller un amour absolu.
02:42 Alors on est forcément émus par un tel témoignage d'amour, mais est-ce que c'est pas dangereux, justement, d'aborder les questions éthiques que soulève l'aide à mourir à travers ce biais des émotions ?
02:54 Après, les émotions, c'est aussi l'intime. Je pense que dans le débat politique, on est toutes et tous des individus dans une société, mais on fait aussi société ensemble.
03:04 Je pense qu'on ne peut pas rationaliser l'ensemble des choix. Il faut poser les débats.
03:09 Les émotions font partie de l'être constitutif qu'est l'humain. Je pense que la mort, de manière générale, provoque des émotions à soi-même, des émotions à ses proches, des émotions dans la société.
03:21 Je pense qu'au contraire, il est nécessaire de pouvoir les regarder en face et justement de parler des choses dont habituellement on ne parle pas.
03:29 Vous êtes franco-néerlandaise, vous avez effectué une partie de vos études aux Pays-Bas. Là-bas, l'euthanasie a été légalisée dès 2002.
03:37 Est-ce que votre double culture franco-néerlandaise vous donne un regard différent sur cette question-là de l'aide à mourir ?
03:44 J'ai été vraiment élevée aux Pays-Bas. Je suis arrivée en France pour finir mes études supérieures.
03:50 C'est vrai qu'en 2002-2001, quand il y a eu le débat parlementaire, j'avais 20 ans.
03:59 Il y a eu de plus en plus de littérature, de livres, de films qui ont été faits sur des personnes qui pratiquaient l'euthanasie, qu'on ne peut pas lire sans émotions non plus,
04:11 mais qui ont influé sur la société et fait en sorte que ce sujet de la mort, de choisir sa fin de vie, est arrivé aussi et a provoqué un changement ou une perspective différente de la manière d'aborder les choses.
04:28 Ça a forcément influé sur la manière dont j'ai vu ou regardé les choses et c'est aussi ça que je voulais apporter dans le débat en France.
04:36 - Avec ce regard franco-néerlandais, comment expliquez-vous que les Pays-Bas aient été les premiers pays au monde à légaliser l'euthanasie ?
04:41 - Je pense qu'il y a un point de vue qui était assez pragmatique, c'est-à-dire que comment est arrivée la loi ?
04:47 D'une part parce qu'il y a eu plusieurs cas qui ont été apportés devant la justice de médecins qui avaient pratiqué des euthanasies et donc il y a eu un processus, j'ai envie de dire, juridique.
04:59 Les juridictions, cas après cas, ont plutôt condamné mais en n'apportant pas de peine ou en expliquant qu'il y avait un cas de force majeure et que donc le médecin, s'il n'était pas formellement autorisé, il reconnaissait qu'il y avait des cas ou des exceptions qui pouvaient mener le médecin par humanité aussi à pratiquer ce geste.
05:21 Et donc c'est important pour sécuriser les médecins dans l'exercice de cela, des cas qui se faisaient déjà, qu'on puisse dépénaliser quelque part pour le médecin la pratique de l'euthanasie.
05:32 - Mais est-ce que vous pensez qu'il y a un rapport à la mort et peut-être aussi à la souffrance qui est différent dans la culture néerlandaise ?
05:39 C'est un pays qui est majoritairement protestant. Est-ce que vous pensez que c'est des choses qui peuvent aussi influer sur la culture du pays ?
05:46 - On dit peut-être plus facilement les choses. En même temps, il y a des choses qui sont très différentes en France et aux Pays-Bas.
05:53 Ce qui me frappe dans ce débat, c'est le poids aussi des religions dans quelque part l'éthique derrière le geste, que ce soit le suicide assisté ou l'euthanasie.
06:04 - Vous voulez dire le poids en France par rapport aux Pays-Bas ?
06:07 - En fait, il existe dans chaque pays, mais les Pays-Bas ne sont pas un pays laïque, contrairement à la France.
06:14 Or, quand la loi a été adoptée, le gouvernement a été formé, et c'était un peu une anomalie, avec le Parti Socialiste, les Républicains et les Démocrates.
06:23 Il n'y avait pas le CDA, le parti comme la CDU en Allemagne. Les catholiques ou les chrétiens ne faisaient pas partie du gouvernement.
06:31 C'est à ce moment-là qu'ils ont passé la loi. C'était le même cas en Belgique, en réalité.
06:36 Donc on voit qu'il y a quand même un poids de la religion sur ce débat, qui est logique, parce que c'est aussi l'origine de nos cultures.
06:44 C'est ça qui me frappe aussi dans un pays français qui est une république laïque. Le poids des religions est quand même très fort, quand on parle notamment de l'euthanasie.
06:54 - On a aujourd'hui plus de 20 ans de recul sur l'application de la loi néerlandaise. Est-ce que cette loi constitue pour vous un modèle dont la France doit s'inspirer ?
07:03 - Je pense que chaque société est différente, mais oui, il y a un certain nombre de choses. Il y a plusieurs pays où il y a différentes formes de législation qui ont été apportées.
07:14 Mais la manière dont ça se pratique en Belgique, par exemple, les Pays-Bas ont une loi qui autorise l'euthanasie uniquement pour les patients de nationalité néerlandaise.
07:24 Je pense que la manière dont les choses sont abordées en Belgique sont plus ouvertes sur ce sujet-là.
07:32 - Si on passe un peu en revue les différents cas de figure, le modèle néerlandais a évolué au fil du temps.
07:37 Les personnes qui souffrent de maladies psychiatriques ont maintenant accès à l'euthanasie, alors qu'en France, le gouvernement a choisi d'exclure formellement cette possibilité.
07:46 Comment vous vous positionnez sur ce sujet ?
07:49 - Moi, personnellement, je me positionne sur le fait qu'il faudrait donner accès à un panel beaucoup plus large que ce qui est prévu dans le projet de loi qui est sur la table et qui va être débattu.
08:01 Après, je pense que la société française n'est peut-être pas prête à aller aussi loin d'un coup.
08:08 On voit d'ailleurs que c'est une évolution qui se fait de manière progressive.
08:11 Je pense que ce qui est important à préserver, c'est que ce droit à l'euthanasie, à choisir sa fin de vie, soit inscrit enfin dans notre corpus législatif français.
08:21 - Pour vous, les personnes souffrant de maladies psychiatriques, le cas des enfants aussi...
08:28 - Le cas des enfants, le débat a été progressif.
08:32 Ce qui existait dans la loi au Pays-Bas, c'est que les enfants de plus de 12 ans...
08:37 On partait du principe qu'à partir de 12 ans, on pouvait émettre un jugement et avoir un consentement ou un avis éclairé sur cette question-là.
08:44 Donc à partir de 12 ans, c'était possible de pratiquer une euthanasie sur un enfant, avec bien sûr l'accord des parents.
08:51 Et de 16 à 18 ans, les parents participaient à les discussions, mais c'était l'enfant lui-même qui décidait.
08:57 Ensuite, le débat s'est porté sur le fait de pourquoi les enfants qui ne peuvent pas exprimer librement leur avis éclairé sont obligés, eux, de subir les souffrances alors que leur maladie est incurable et que c'est autorisé pour une catégorie d'enfants au-delà.
09:14 Et donc, ça faisait un trou dans la loi qui, aujourd'hui, vient juste d'être complétée.
09:20 -Aux Pays-Bas, on est passé d'environ 2 000 euthanasies en 2002 à plus de 9 000 en 2023.
09:25 Ça représente environ 5 % des décès dans le pays.
09:29 Ça a été multiplié par 4,5 en 23 ans.
09:33 C'est justement ce que craignent les adversaires de l'aide à mourir en France, c'est-à-dire une sorte d'effet de cliquet et une pente sur laquelle on engagerait le pays.
09:44 -Je vois pas la pente.
09:46 -C'est 9 000 personnes qui ont eu recours à l'euthanasie.
09:51 90 % d'entre elles étaient atteintes de maladies incurables type cancer généralisé et ont choisi d'abréger leur souffrance.
10:02 -Mais le pays a choisi d'élargir progressivement les personnes éligibles à ce dispositif sur les maladies psychiatriques, sur les enfants...
10:12 -Les maladies psychiatriques, c'est 10 %, en fait, c'est 9 000 cas, donc c'est encore un nombre restreint.
10:19 Il y a beaucoup de garde-fous aussi, y compris sur les maladies d'Alzheimer, qui ne sont pas pris en compte aujourd'hui en France dans le projet de loi,
10:28 mais il faut pouvoir donner son avis éclairé à tout moment, en fait, la prise de décision.
10:33 Et sur les enfants de 0 à 12 ans, ça représenterait 5 à 10 cas par an, ce qui est beaucoup.
10:40 Mais il faut relativiser, c'est pas pour ça que les chiffres exploseraient. En fait, personne, en vrai, ne veut mourir.
10:47 -Mais ça crée un débat dans le pays. Je vois le professeur d'éthique de la santé néerlandais, Théo Bourg, qui a longtemps défendu la légalisation de l'euthanasie,
10:56 qui a même contrôlé la bonne application de la loi dans le pays pendant longtemps, a désormais un regard critique.
11:01 Il dit que l'offre crée une certaine demande, l'euthanasie commence à devenir une mort normale.
11:06 Est-ce qu'il n'y a pas une forme de dérive de ce modèle néerlandais ?
11:10 -Moi, quand les gens peuvent choisir d'abréger leur souffrance, de le faire entouré de leurs proches,
11:17 parce que c'est ça aussi un des bénéfices de l'euthanasie, et ce qui est relaté dans les ouvrages autour de ça,
11:23 c'est que quand on a choisi et qu'on a prévu la date de sa mort, on peut en discuter avec ses proches,
11:29 ça soulage aussi psychologiquement la personne qui s'engage dans ce processus,
11:33 et pour le processus de deuil, ensuite, ça peut aussi avoir des bienfaits quand c'est expliqué, accompagné tel que c'est le cas.
11:42 Je ne vois pas de dérive ou de pente glissante, on ne va pas... Tout est encadré par la loi,
11:47 il y a des conditions et des garde-fous, il y a une commission d'éthique a posteriori
11:51 qui vérifie que les cas sont bien pratiqués, en bonne et due forme,
11:54 et en fait, c'est des personnes qui ont, pour la grande majorité des personnes, des affections extrêmement douloureuses,
12:02 ils sont en grande souffrance, y compris physique, et psychologiquement aussi,
12:07 parce que c'est compliqué d'affronter aussi sa propre mort.
12:10 Personne n'a envie de mourir, en réalité, c'est simplement qu'on soulage,
12:15 et comme le dit le médecin belge Yves Leloche, c'est le dernier soin qu'on peut prodiguer au patient,
12:20 et je trouve que c'est beau aussi de dire qu'on peut libérer, choisir,
12:25 c'est un acte d'humanisme aussi, la question de l'euthanasie,
12:29 et donc la pente glissante, ça laisse à penser, et c'est le mot "euthanasie" lui-même qui laisse à penser ça,
12:36 puisque c'est un mot qui a été utilisé pendant la Deuxième Guerre mondiale par les nazis,
12:40 où ce n'était pas un choix de fin de vie, on euthanasiait les indésirables.
12:46 Aujourd'hui, dans nos sociétés, c'est absolument pas ni la philosophie, ni l'éthique qu'il y a derrière ce droit qu'on voudrait ouvrir,
12:54 c'est simplement un acte d'humanisme, et qui est quand même assez plébiscité par la population, y compris française.
13:01 Merci beaucoup Gélila Hernouss d'être venue dans cette émission spéciale de La Politique est moi.
13:05 Merci à vous.
13:06 (Générique)

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