• il y a 7 mois
Thibault Hénocque reçoit Patrick Hetzel, député "Les Républicains" du Bas-Rhin sur le projet de loi "fin de vie".

Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.

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Transcription
00:00 Quand la politique se penche sur des questions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ?
00:08 Dans le cadre des débats sur la fin de vie et l'instauration d'une aide à mourir, nous recevons les députés en première ligne sur ce sujet.
00:15 Aujourd'hui, Patrick Edzel, député Les Républicains du Barin.
00:20 (Générique)
00:34 Bonjour Patrick Edzel.
00:35 Bonjour.
00:36 Nous allons tenter de comprendre votre position politique sur ce sujet.
00:39 Vous êtes opposé à l'aide à mourir, disons-le d'emblée, à la fois le suicide assisté et l'euthanasie.
00:45 Vous êtes en revanche pour un développement massif des soins palliatifs. Sur ces questions de société, vous revendiquez d'être conservateur.
00:53 Alors, qu'est-ce que ça veut dire être conservateur sur la fin de vie ? Au fond, qu'est-ce que vous voulez conserver ?
00:58 En fait, je pense que c'est aussi une forme de rapport à l'autre.
01:03 Et il est vrai que je considère aujourd'hui que l'enjeu majeur, c'est vraiment celui des soins palliatifs.
01:08 Et d'ailleurs, la dernière loi qui a été adoptée il y a quelques années déjà, qu'on appelle Claes Leonetti,
01:15 eh bien cette loi n'est pas pleinement appliquée.
01:18 D'ailleurs, il y a 20 départements en France pour lesquels il n'y a toujours pas d'unité de soins palliatifs.
01:24 Et donc, aujourd'hui, il y a en France, chaque jour, entre 400 et 500 de nos concitoyens
01:30 qui devraient pouvoir accéder à des unités de soins palliatifs et qui ne peuvent pas y accéder.
01:35 Donc je crois que c'est vraiment là qu'il faut mettre l'accent et c'est aussi l'objet de ce combat.
01:41 Et derrière cette loi, qu'est-ce qu'il faut conserver ? C'est un rapport à la mort ?
01:45 Un certain rapport à la mort et aussi, évidemment, à la vie, parce que je crois que nous devons...
01:53 Pour faire société, eh bien, il y a aussi à prendre en considération le collectif.
01:59 Et on utilise beaucoup le terme de fraternité, mais la fraternité, ça veut dire aussi l'altérité.
02:04 Et donc, s'intéresser à l'autre et être à son écoute.
02:08 Ce terme de fraternité, il est utilisé par vous, on l'entend, mais aussi par ceux qui défendent l'aide à mourir.
02:15 Le président de la République, par exemple, a dit que c'était une loi de fraternité.
02:18 Qu'est-ce qui vous oppose sur ce terme ? Qu'est-ce que c'est, la fraternité face à la mort, pour vous ?
02:23 Pour moi, la fraternité, c'est véritablement accompagner et entourer.
02:28 Et d'une certaine manière, nous évoquions il y a quelques instants la loi Claes-Leonetti.
02:32 Elle dit trois choses fondamentales et ce triptyque, aujourd'hui, que l'on retrouve dans la loi Claes-Leonetti,
02:37 n'est pas suffisamment appliqué. Parce que, que dit-il, personne ne doit mourir dans l'isolement,
02:43 personne ne doit subir d'acharnement thérapeutique, et puis, de la même manière, personne ne doit souffrir.
02:51 Ce triptyque, aujourd'hui, dans un certain nombre de cas, il n'est pas réalisé.
02:56 Et c'est pour cela, je crois, que la fraternité, c'est s'assurer que ce triptyque puisse être mis en oeuvre pour chacun d'entre nous.
03:04 Alors, vous évoquez la loi Leonetti, on comprend que, de votre point de vue, son application pourrait suffire.
03:09 Pourtant, à l'époque, vous ne l'aviez pas votée, cette loi, notamment opposée à sa mesure fin,
03:15 la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès, qui était une des solutions de fin de vie proposées.
03:21 Vous avez évolué sur ce point ?
03:23 Oui, c'est un point sur lequel, il faut bien dire, je m'étais opposé à cette question de la sédation profonde,
03:29 parce que je voyais bien qu'à travers la sédation profonde, pour les deux auteurs de la loi, il y avait une vision qui était assez différente.
03:40 Pour Jean Leonetti, c'était une manière, en quelque sorte, de clore le débat,
03:45 et de faire en sorte qu'on arrive à un point qui ne serait plus franchi au-delà.
03:52 Et puis, on voyait bien que, pour Alain Kless, il en allait différemment.
03:57 C'était un premier pas dans la porte pour, dans un second temps, pouvoir évoluer vers du suicide assisté, voire de l'euthanasie.
04:05 Et preuve en est que nous y arrivons.
04:08 Et donc, moi, ce que je crains dans un certain nombre de cas, quand on est sur des lois sociétales,
04:12 c'est que nous avons affaire à un effet cliquet, c'est-à-dire on ne revient jamais en arrière,
04:16 mais aussi un effet domino, c'est-à-dire qu'au fur et à mesure, il y a de nouvelles lignes rouges qui sont franchies.
04:23 Alors, ce combat contre l'aide à mourir, il n'est pas nouveau chez vous.
04:27 Vous avez déjà mené une rude bataille sur le sujet, il y a quelques années,
04:33 c'était en 2021, lors d'une précédente proposition de loi, en l'occurrence pour légaliser l'aide à mourir.
04:39 Je vous propose qu'on vous écoute à ce moment-là, en avril 2021.
04:42 Ce débat, effectivement, il pose un certain nombre de questions.
04:46 Il pose des questions éthiques fondamentales.
04:49 Quelques collègues viennent de l'indiquer.
04:50 Il y a des questions qui touchent à la vulnérabilité,
04:53 d'autres qui touchent effectivement à la manière dont on conçoit la question de la dignité.
04:57 Nous sommes un certain nombre, effectivement, à avoir joué le rôle de lanceur d'alerte.
05:02 Et si nous jouons ce rôle de lanceur d'alerte, c'est que, est-ce que, à travers la loi,
05:07 nous pouvons considérer qu'à un moment donné, l'ultime thérapeutique serait celle de donner la mort ?
05:14 Ce qui est intéressant, c'est ce terme que vous employez de "lanceur d'alerte".
05:17 C'est ainsi que vous vous concevez ?
05:19 Oui, parce que lors de ce débat, il y avait une volonté, évidemment,
05:26 d'inscrire un tel texte dans une niche parlementaire.
05:29 Ça n'était pas adapté.
05:32 Mais dans ce contexte-là, il s'agissait aussi d'insister sur un fait, d'ailleurs,
05:39 qui aujourd'hui revient dans le débat.
05:41 Peut-on considérer que donner la mort serait un soin ?
05:45 Et là, il y a, je pense, une rupture anthropologique,
05:49 parce que, évidemment, lorsque vous êtes personnel soignant,
05:55 lorsque, a fortiori, vous êtes engagé dans les soins palliatifs,
06:00 en réalité, ce que vous cherchez à faire, c'est bien soigner et soulager.
06:05 Mais il ne s'agit à aucun moment de donner la mort.
06:09 Et là, il y a un vrai débat autour de cette question.
06:14 Évidemment, par rapport à la sédation profonde que nous évoquions
06:19 il y a quelques instants, il y a aussi la question des souffrances réfractaires.
06:24 Mais quand on discute avec les professionnels qui sont en première ligne
06:30 et qui sont concernés, en fait, ils apportent un certain nombre de témoignages
06:36 qui montrent que si, notamment, la loi Claes Leonetti,
06:40 aujourd'hui, était pleinement mise en oeuvre,
06:43 la question des souffrances ne se poserait pas.
06:46 -Pour en revenir à cette première bataille que vous avez menée sur le sujet,
06:50 à l'époque, c'était une véritable guérilla parlementaire.
06:52 Vous avez multiplié les prises de parole, les amendements,
06:54 à l'époque de cette proposition de loi, pour ralentir les débats,
06:58 éviter que la loi ne puisse être adoptée dans les temps impartis.
07:00 Vous aviez notamment déposé beaucoup d'amendements,
07:03 le rapporteur Olivier Falorni avait montré cette pile d'amendements.
07:06 Ca avait été beaucoup reproché, vous l'assumez ?
07:10 -En fait, si vous voulez,
07:13 Olivier Falorni était dans une opération de communication politique.
07:19 Et en fait, la vraie question, c'est que sur des sujets aussi importants que ceux-là,
07:24 il faut savoir aller au-delà de la communication.
07:27 Il y a un vrai sujet qui, pour moi, est de nature éthique.
07:29 Et à un moment donné, quand on est sur un sujet éthique,
07:32 il faut parler vrai.
07:34 Et quand on parle vrai, on ne peut pas faire des effets de manche.
07:39 Ca a été, je l'assume, parce que quand je regarde la manière
07:43 dont les débats ont été conduits à ce moment-là,
07:45 je me souviens de la manière dont certains ont été extrêmement agressifs
07:52 à notre égard, alors que nous alertions en disant "attention,
07:56 "c'est pas un sujet qui peut être traité à marche forcée,
07:59 "il faut laisser du temps au débat".
08:01 Je dois saluer le fait qu'aujourd'hui,
08:04 nous ne sommes pas en temps programmé.
08:06 Au moment où Olivier Falorni avait déposé ce texte
08:11 et où il avait été inscrit dans une niche,
08:13 on était dans un temps ultra-programmé.
08:15 Et on savait pertinemment, lui-même savait qu'on ne pourrait pas
08:18 aller au bout de ce débat.
08:22 Et donc, il y avait là, comment dire,
08:24 oui, c'était une opération de communication politique.
08:27 Et je pense que des sujets comme ceux-là méritent un autre traitement,
08:30 à la fois éthique et politique.
08:32 -On va essayer de comprendre comment vous vous êtes forgé
08:34 vos convictions sur ce sujet en préparant cet entretien.
08:37 Quand je vous ai demandé votre figure tutélaire,
08:38 vous m'avez cité Albert Schweitzer.
08:40 Alors, il s'agit d'un médecin qui, au tournant du XXe siècle,
08:43 a théorisé la notion de respect de la vie.
08:47 Pour le dire simplement, il s'agit de l'idée que la vie
08:49 est un principe sacré à laquelle il ne peut être porté atteint
08:51 d'aucune manière.
08:52 C'est cette conception quasi absolue de la vie
08:54 qui vous guide dans vos réflexions.
08:57 -Vous faites référence au docteur Schweitzer.
08:59 Je trouve que, pour moi, oui, ça a été et c'est toujours
09:04 une source très inspirante.
09:06 D'abord parce que ça a été un pasteur et médecin,
09:11 comme vous l'indiquez à l'instant, c'est-à-dire aussi un homme d'action.
09:14 Il a souhaité s'investir vraiment au service de son prochain
09:19 et en considérant que, évidemment, la question du respect de la vie
09:26 est quelque chose de fondamental et qui, d'ailleurs,
09:29 nous transcende les uns et les autres.
09:32 Et donc, ce combat a été un combat extrêmement fort pour lui
09:36 et je dois dire que ça m'a toujours inspiré.
09:39 L'autre source d'inspiration, étant alsacien,
09:42 évidemment, c'est aussi tout le courant dont lui-même a été inspiré,
09:46 qui est le courant de l'humanisme rénan,
09:48 qui a été un tournant entre le XVe et le XVIe siècle,
09:52 là aussi avec la manière dont on s'intéresse à l'autre
09:58 et dont on construit notre manière de vivre ensemble.
10:02 - Vous l'avez dit, Albert Scheerzer était pasteur, théologien protestant.
10:06 Vous-même, Patrick Heysel, vous êtes chrétien pratiquant,
10:09 protestant luthérien, pour être précis, je me permets de le dire,
10:12 car vous ne vous en cachez pas.
10:14 Quel rôle a cette dimension religieuse dans votre réflexion
10:17 sur ces sujets de fin de vie ?
10:19 - Alors, évidemment, à un moment donné,
10:21 lorsque l'on a des convictions,
10:23 eh bien, ces convictions, elles viennent aussi de notre éducation,
10:27 elles viennent de la manière dont nous nous sommes construits.
10:31 Et c'est vrai que c'est quelque chose...
10:34 On ne peut pas faire abstraction, évidemment,
10:37 de son éducation et de ses convictions.
10:40 Je pense que sur des sujets comme ceux-là,
10:43 je crois que c'est important de pouvoir les exprimer.
10:46 Lorsque l'on est législateur, il faut se rendre compte
10:49 que l'on s'exprime au nom de l'ensemble de nos concitoyens,
10:53 et donc la question de l'intérêt général
10:56 doit plus que jamais être posée.
10:58 Donc, évidemment, ce sont là des éléments à prendre en considération.
11:02 Et j'ai surtout envie de dire que ce qui est très frappant,
11:06 c'est qu'aujourd'hui, nous sommes un certain nombre
11:10 à alerter sur le fait que la manière
11:14 dont on construit la fraternité
11:18 pourrait mettre en péril la manière dont nous vivons,
11:22 parce qu'on ne prend pas suffisamment en compte
11:25 la vulnérabilité, la fragilité,
11:28 le fait que, eh bien, lorsque l'on fait évoluer les choses
11:32 à travers un texte de loi, eh bien, à un moment donné,
11:36 on risque de créer des effets pervers
11:39 qui ne sont pas toujours mentionnés,
11:42 mais qui sont celui aussi de la protection du plus faible.
11:45 -C'est ça que vous craignez, au fond,
11:47 que les valeurs collectives abdiquent
11:49 devant des revendications individuelles ?
11:51 -Oui, ça peut être paradoxal,
11:53 parce que, par ailleurs, dans le domaine économique,
11:56 je me définis plutôt comme libéral,
11:58 mais je considère qu'à un moment donné,
12:01 il faut là aussi se rendre compte que, eh bien,
12:05 cette question de...
12:08 permettre, à travers la loi,
12:11 de donner la mort,
12:14 eh bien, est quelque chose qui, en tout cas,
12:17 doit être mûrement réfléchi
12:20 et doit comporter des gardes fous certains,
12:23 notamment autour du rôle qui doit être joué
12:27 par l'entourage,
12:31 par les professionnels de santé,
12:34 et puis aussi le fait qu'il faut s'assurer
12:37 qu'il n'y ait pas d'abus de faiblesse
12:41 de la part de l'entourage
12:44 auprès de nos concitoyens.
12:46 -Merci, Patrick Hedzel, d'avoir été avec nous.
12:49 -Je vous en prie.
12:50 ...
13:16 [SILENCE]

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