Les débatteurs du jour sont : Jérôme Jaffré x Marc Lazar. Thème du jour : "Les Européennes en débat(s)". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mardi-14-mai-2024-7539460
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00:00Débat sur les débats, ce matin, à moins d'un mois des élections européennes.
00:05Le 5 mai dernier, les sept principales têtes de liste se sont affrontées sur RTL, le 23
00:12mai prochain, ce sera au tour de Gabriel Attal et de Jordane Bardella.
00:17Dans la presse ce week-end, on apprenait enfin qu'Emmanuel Macron n'excluait pas de débattre
00:23avec Marine Le Pen, hypothèse qu'elle a acceptée pour le mois de septembre, avant
00:29de préciser ce matin qu'elle était prête à un débat avec Emmanuel Macron, avant les
00:35élections européennes, pour finir.
00:39Alors qu'un Français sur deux seulement se dit intéressé par cette élection, selon
00:44le baromètre via Voice pour Radio France et France Télé du mois de mai, les débats
00:48peuvent-ils nourrir le débat européen, l'enrichir, avoir des effets sur la mobilisation
00:54et le vote ? Eh bien, on en débat, avec Jérôme Jaffray, politologue, chercheur associé
00:59au Cevipof, et avec Marc Lazare, historien et sociologue, professeur d'histoire et de
01:05sociologie politique à Sciences Po, bonjour messieurs, et merci d'être là, le débat
01:10des sept premières têtes de liste, le 5 mai dernier, a marqué par sa cacophonie,
01:16on a eu du mal à entendre les arguments des uns et des autres, qu'attendez-vous,
01:20Jérôme Jaffray, de celui qui se profile maintenant entre Gabriel Attal et Jordane
01:25Bardella ?
01:26J'attends beaucoup, bien sûr, comme tous les Français qui s'intéressent quand même
01:30aux élections, davantage qu'on ne le croit en fait, cela dit, c'est une campagne inexistante
01:36la campagne des européennes pour les Français, très largement, elle se réduit très assez
01:41largement à la publication des sondages d'opinion et aux variations infimes que l'on peut
01:46constater d'une enquête à l'autre, et avec l'idée ancrée évidemment que le
01:51Rassemblement National l'emportera largement, et l'incertitude de la situation de la liste
01:56macroniste, la liste renaissance.
01:58Cela dit, on est un peu gênés quand même, on est un peu gênés qu'on concentre le
02:05débat, que le débat, si vous voulez, des européennes, c'est un scrutin à la proportionnelle,
02:10où il y a plusieurs listes qui sont évaluées dans les enquêtes d'opinion ou par les élections
02:16précédentes, sont à des niveaux où elles peuvent légitimement avoir des élus, et
02:21la concentration du débat sur deux candidats, deux camps seulement, cette fausse bipolarisation
02:27que l'on introduit dans les européennes, et qui s'est accrue avec l'hypothèse du
02:32débat Macron-Le Pen pour rajouter effectivement dans ce resserrement, ça me gêne beaucoup
02:39sur le plan de l'égalité démocratique.
02:42Et vous, Marc Lazare, ça vous gêne ?
02:44Oui, moi aussi, bien sûr, parce que Jérôme Jaffray l'a rappelé, c'est une élection
02:48à la proportionnelle, en même temps on voit bien ce qui est en jeu, d'abord il y a une
02:52grande surprise, c'est que normalement ça devrait être Jordan Bardella contre Valéry
02:56Ayé, ça serait logique puisqu'ils sont tous les deux tête de liste, là on fait
03:00appel au Premier Ministre, on voit bien qu'il faut sauver le soldat Ayé.
03:04Qui était l'arme anti-Bardella, comme s'était dit au moment de sa nomination.
03:08Dont on sait très bien aussi qu'il ne voulait pas rentrer dans cette campagne, pour ne s'épargner
03:12en quelque sorte, et là il est obligé de monter au front et donc d'évincer la tête
03:17de liste de la majorité relative, actuellement au Parlement.
03:21En même temps on voit bien l'objectif, il s'agit justement de mobiliser l'électorat
03:26pour la liste que conduit Valéry Ayé, pour Bardella je crois qu'il y a aussi un autre
03:31objectif, c'est qu'on sait qu'il y a des intentions de vote assez élevées, aux
03:34alentours de 32, 31, 32%, mais qu'il y a une crainte du côté du RN que cet électorat
03:40n'aille pas voter.
03:41Et donc effectivement il ne s'agit pas de convaincre l'un contre l'autre, mais de
03:45mobiliser.
03:46Ou de réveiller.
03:47Est-ce que ce sera un véritable débat sur l'Europe ? Ce sera intéressant, évidemment
03:50on sait quelle sera la stratégie de Jordan Bardella, ça va être l'anti-Macron, la
03:54politique nationale, en même temps on va voir si justement Gabriel Attal est capable
03:59de défendre une vision européenne.
04:00Puis on peut s'interroger quand même sur le fait que, comment dire, est-ce qu'on
04:04va avoir des commentaires qui vont porter sur le fond du débat, ou comme c'est très
04:09souvent le cas dans ce type d'émissions, sur la performance de l'un et de l'autre.
04:15Et ça évidemment ça ne faciliterait pas et ça n'encouragerait pas le débat.
04:19Avec des notes artistiques et des notes techniques.
04:21Mais bien sûr.
04:22Jérôme Jaffray.
04:23Oui, le fait que ce soit un débat Gabriel Attal-Jordan Bardella déplace le curseur.
04:28C'est une sorte de match des premiers ministres.
04:31C'est-à-dire, il y a le premier ministre en place et le premier ministre quasiment
04:36proclamé d'un rassemblement national persuadé de sa victoire en 2027 et où Marine Le Pen,
04:41pour se protéger de l'ascension possible de Jordan Bardella, lui distribue déjà le
04:46poste de premier ministre.
04:48Donc on a cette situation d'un premier ministre réel et d'un premier ministre virtuel qui
04:53fait qu'effectivement il y a une tentation que les européennes passent un peu à l'as.
04:58L'enjeu des européennes passe un peu à l'as.
05:00Et puis l'autre chose, s'il y a débat, c'est que les deux parties pensent y gagner,
05:06pensent y trouver avantage.
05:07Parce que vous ne faites un débat que si vous espérez « quel est l'objectif du
05:10rassemblement national et de Bardella ? ». Au fond, montrer une crédibilité, une capacité
05:16à maîtriser les dossiers, montrer une envergure que certains encore s'interrogent sur Bardella.
05:22Et pour Gabriel Attal, c'est une sorte de stature présidentielle à l'avance qu'il
05:27essaye de se constituer.
05:28Qui sera le candidat du Bloc central en 2027 ? Emmanuel Macron ne peut pas se représenter,
05:36il y a une course.
05:37Donc chacun peut espérer y gagner.
05:38Et enfin, la victime possible, c'est Raphaël Glucksmann.
05:42C'est-à-dire que si les deux débattent ensemble, c'est probablement pour que de
05:47ce côté-là, Glucksmann soit relégué à la troisième place.
05:51Il est intervenu dans le débat, si j'ose dire, en déclarant dimanche « trouvez-vous
05:55normal qu'une liste qui est à touche-touche dans les sondages avec la liste des macronistes
06:00soit exclue de ce débat ? ». Il parlait de sa propre liste.
06:04« Réinstaller en permanence ce faux duel entre le gouvernement et l'extrême-droite,
06:09entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, entre M.
06:12Attal et M.
06:13Bardella, c'est extrêmement dangereux », dit donc Raphaël Glucksmann.
06:17Qu'en pensez-vous de Marc Lazare ? Est-ce que, de fait, le débat dont on parle là
06:25Bardella-Attal ne reproduit pas l'opposition progressiste, nationaliste qui structure la
06:37vie politique française depuis Emmanuel Macron ?
06:40C'est clair, c'est à la fois un débat sur les européennes de 2024 et c'est déjà
06:44la préfiguration de ce que pourrait être le scénario de 2027.
06:47En tout cas, c'est l'intention des uns et des autres, c'est-à-dire de s'ériger
06:51en adversaires principaux et d'essayer d'écarter tous les autres protagonistes.
06:55Je comprends de ce point de vue-là la protestation de Raphaël Glucksmann et je pense que tous
06:59les autres candidats vont, à juste raison, protester.
07:02Maintenant, il paraît qu'il y aurait l'hypothèse d'organiser d'autres duos, d'autres
07:06tandems avec d'autres candidats.
07:07Ce qui me frappe, Nicolas Demorand, c'est qu'on a quasiment la même chose en Italie.
07:12Le même jour, le 23 mai à 20h30, il va y avoir un débat entre la présidente du conseil
07:18qui est tête de liste aux élections européennes pour essayer, en bénéficiant de la popularité
07:23dont elle joue actuellement, de pousser encore plus sa liste et d'obtenir plus de 30 députés
07:28pour son parti au Parlement de Strasbourg et de Bruxelles, dans lequel elle ne s'y
07:33agira pas.
07:34Et ce sera avec son opposante, enfin, elle a désigné son opposante, qui a immédiatement
07:38accepté, c'est-à-dire Mme Elisch Lein, qui est la dirigeante du Parti démocrate.
07:42Alors ça, c'est très intéressant cette comparaison.
07:45Alors qu'il y a des candidats dans trois régions, parce qu'on vote par des collèges,
07:49et donc elle voulait être candidate dans toutes les régions, et son parti l'a refusé,
07:53parce qu'elle a des tas d'opposants.
07:55D'ailleurs, Giorgia Meloni a ironisé en disant « moi, je n'ai pas de problème
07:57avec mon parti, je peux être tête de liste partout ».
07:59Mais ce qui est intéressant, je crois qu'au-delà de ces deux épisodes, c'est l'épisode
08:03Jordan Bardella contre Gabriel Attal et Elisch Lein contre Giorgia Meloni, c'est ce processus
08:09que l'on connaît bien en sciences politiques, qui a été identifié en 2005 en particulier
08:14dans un livre en anglais, qui a été dirigé par deux collègues, Thomas Pogong et Paul
08:19Webb, qui avaient parlé de la présidentialisation de la politique, et qui montrait très bien
08:23qu'on a à la fois des processus de personnalisation, de médiatisation et de présidentialisation
08:29de la politique.
08:30Et même sur les élections européennes, qui encore une fois sont des élections à
08:34la proportionnelle où il peut y avoir plusieurs sensibilités, là tout se concentre effectivement
08:39sur la personne, la médiatisation, la télévision en l'occurrence, et en plus pour la France,
08:45la perspective de la présidentielle.
08:47Jérôme Jaffray
08:48Et ça nous renvoie à ce débat qui n'aura probablement pas lieu entre Emmanuel Macron
08:52et Marine Le Pen.
08:53C'est quand même drôlissime cette situation.
08:55Voilà Emmanuel Macron qui a l'air de piaffer tellement qu'il ne peut pas être candidat
08:59en 2027 et qu'il voudrait bien affronter à nouveau Marine Le Pen, car ça ne lui rappelle
09:04que des bons souvenirs, et quant à Marine Le Pen, qui ne sait pas très bien comment
09:08gérer, mais qui veut surtout montrer qu'elle n'a pas peur.
09:11Et donc, si elle n'a pas peur, causons, mais alors causons immigration, causons insécurité,
09:17causons déficit, causons dette, et surtout ne causons pas des problèmes de fonds concernant
09:21l'Europe et l'avenir de l'Europe.
09:23Mais dans cette situation, si vous voulez, nous avons le risque pour le Bloc central
09:30et pour les démocrates qui ne souhaitent pas l'arrivée du Rassemblement national
09:34au pouvoir, de renforcer totalement le Rassemblement national.
09:38De l'installer comme seule force d'alternance dans le pays, et c'est là où le jeu de
09:42présidentialisation dont parlait à l'instant Marc Lazare peut se retourner.
09:47La frénésie des débats et des duos dans un scrutin à la proportionnelle est totalement
09:52inadaptée à la donne politique, et je considère que là, il y a un risque de fousser l'élection
09:57européenne et de placer le Rassemblement national sur orbite à l'élection présidentielle.
10:02Vous partagez cette analyse, Marc Lazare ? Mission orbite, légitimation, notabilisation,
10:08renforcée ?
10:09C'est clairement l'objectif de Gabriel Attal et d'Emmanuel Macron, puisqu'on sait
10:13manifestement que le Président de la République a demandé à son Premier ministre de mouiller
10:16sa chemise comme à tous ses ministres, et pour le moment, le résultat n'est pas là
10:20semble-t-il, parce que ça ne bouge pas dans les intentions de vote, on verra ce qui se
10:24passera évidemment le 9 juin.
10:26Je crois que c'est effectivement un jeu dangereux, et que le Rassemblement national reprend le
10:31gant, si j'ose dire, immédiatement, parce que c'est tout son intérêt, comme ça a
10:34été rappelé par Jérôme Jaffray, de montrer à la fois sa crédibilité.
10:37La seule question qu'on peut peut-être se poser, elle est double d'ailleurs, c'est
10:41est-ce que justement à l'issue de ce débat et en fonction du résultat des élections,
10:46l'un et l'autre, Bardella et Attal, auront marqué des points par rapport justement à
10:502027, avec peut-être des tensions internes au sein du Rassemblement national, surtout
10:55qu'on sent qu'il y a deux stratégies qui sont en train de s'esquisser.
10:58Jordan Bardella est très influencé par ce qui se passe en Italie, par l'idée d'union
11:02des droites dont ne veut pas entendre parler Marine Le Pen, on sent qu'il y a des petites
11:05nuances ici, et si Gabriel Attal, par hasard, ou peut-être pas par hasard, grâce à ses
11:10qualités, arrive à sortir vainqueur de ce débat le 23 mai, d'écraser la concurrence
11:17au sein de ce que Jérôme Jaffray appelle le bloc central.
11:20Évidemment, il va y avoir des ripostes immédiates de ceux qui pensent se présenter.
11:26Tout ça, je trouve, est très loin de deux préoccupations.
11:28Les préoccupations des Français par rapport à leur vie quotidienne, et puis des préoccupations
11:32des Français, c'est quand même fondamental.
11:34Par rapport à l'Europe, c'est quand même une élection fondamentale, on le sait, pour
11:38le devenir de l'Europe.
11:39L'Europe est en guerre avec l'Ukraine, l'Europe est confrontée à d'énormes problèmes économiques
11:43et sociaux, les questions environnementales, le fait que les politiques climatiques sont
11:48rejetées par une partie des populations, il y a des défis absolument importants, et
11:52c'est quand même un peu dommage que, justement, ça se réduit à un débat entre deux personnalités
11:57qui jouent aussi leur carte pour dans trois ans.