Clément Méric reçoit Olivier Falorni, député Modem de Charente-Maritime et rapporteur général du projet de loi "fin de vie"
Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.
Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.
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00:00 C'est un débat qui dépasse les clivages politiques traditionnels.
00:04 Il concerne à la fois l'intime et l'universel,
00:06 l'individu et la civilisation.
00:08 Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
00:11 Dans le cadre du débat sur la loi Fin de vie,
00:13 nous recevons les députés qui ont décidé de monter en 1re ligne
00:17 sur ce sujet. Aujourd'hui, Olivier Falorni,
00:19 député MoDem et rapporteur général de ce projet de loi.
00:23 Générique
00:25 ...
00:38 -Bonjour, Olivier Falorni. -Bonjour.
00:40 -Avant de voir comment vous avez forgé votre opinion,
00:43 on va parler de ce projet de loi proposé par le gouvernement.
00:47 C'est un texte qui autorise l'aide à mourir
00:49 sous deux formes différentes.
00:51 Il y a ce qu'on peut appeler le suicide assisté,
00:53 c'est-à-dire que le patient va s'inoculer lui-même
00:56 un produit létal prescrit par un médecin.
00:59 Il y a aussi l'euthanasie.
01:00 Quand le patient n'est pas en mesure de s'inoculer le produit,
01:04 il va demander à un proche, un médecin ou un infirmier
01:08 de le faire à sa place.
01:09 Je ne vais pas vous demander si vous êtes favorable à ce texte.
01:13 C'est un combat que vous portez depuis des années.
01:16 Vous êtes le rapporteur général de ce projet de loi.
01:19 Les mots "euthanasie" et "suicide assisté"
01:21 sont absents de ce texte.
01:23 -Parce que ce sont des mots qui créent la confusion,
01:26 qui ne sont pas forcément identifiés par nos concitoyens,
01:29 qui peuvent faire peur,
01:30 parce qu'euthanasie est aussi connotée historiquement.
01:34 -Il y a la volonté d'atténuer la violence d'un acte ?
01:37 -Non, de clarifier.
01:38 Dans ma proposition de loi, en 2021,
01:40 je parlais d'aide médicale à mourir.
01:42 "Euthanasie", c'est un mot qui peut faire peur.
01:45 "Suicide assisté", ça peut créer de la confusion,
01:48 mais il ne s'agit pas de parler de suicide,
01:50 il s'agit de parler...
01:51 Parler de la fin de vie, c'est quoi ?
01:53 Ca n'est pas parler de la vieillesse,
01:55 ça n'est pas encourager au suicide,
01:58 c'est d'aborder avec humanité la fin de vie
02:00 de personnes qui sont gravement malades,
02:02 qui sont atteintes de maladies graves et incurables.
02:05 Le terme "aide à mourir" me semble être le plus précis,
02:08 le plus humain.
02:10 Les mots ont un sens dans l'accompagnement
02:12 de la fin de vie.
02:13 "Accompagnement", justement, plutôt peut-être que palliatif,
02:17 "aide à mourir", plutôt que "euthanasie"
02:19 ou "suicide assisté", qui sont des mots
02:22 qui peuvent agresser, alors que c'est un processus
02:24 profondément humaniste.
02:26 -Cette question de l'aide à mourir
02:28 s'est déjà invitée plusieurs fois dans le débat parlementaire.
02:32 Je vous propose de remonter à 1978,
02:34 avec la proposition de loi du sénateur Henri Caillavé.
02:37 C'était un homme politique qui a beaucoup compté pour vous
02:40 et il défendait à l'époque le droit de vivre sa mort.
02:43 On va voir comment le sujet était évoqué à la télévision en 1978.
02:48 -Madame, Mlle, M., bonsoir.
02:49 Une loi peut-elle organiser la mort d'un être humain ?
02:52 Depuis hier après-midi,
02:54 depuis que le sénateur Caillavé a déposé son projet de loi
02:57 visant à la légalisation, sinon de l'euthanasie,
03:00 au moins d'un certain droit à la mort,
03:02 la controverse s'est ouverte.
03:04 L'euthanasie, c'est le sujet tabou,
03:06 c'est le débat qui oppose certains malades incurables
03:09 à leurs médecins, qui oppose les médecins entre eux
03:12 et qui est condamné par 20 siècles de religion chrétienne.
03:15 -La proposition de loi n'était pas question d'euthanasie.
03:18 C'était un texte qui visait juste à empêcher
03:21 ce qu'on appelle l'acharnement thérapeutique.
03:24 Or, on voit que la question provoquait d'importants remous.
03:27 Comment l'expliquez-vous ?
03:28 -D'abord, c'était en 1978,
03:30 c'était quatre ans après le vote de la loi Veil.
03:33 Je pense qu'à l'époque, la société n'était pas arrivée
03:36 à la même maturation qu'aujourd'hui.
03:38 Néanmoins, le sénateur Caillavé, comme souvent,
03:41 puisqu'il avait été rapporteur quatre ans avant de la loi Veil,
03:45 voulait mettre sur la table un grand sujet de société.
03:51 Et vous savez, mon engagement sur ce sujet,
03:53 il est dû en grande partie à ce monsieur.
03:56 -Peut-être qu'on peut rappeler qui il était,
03:59 figure du Parti radical de gauche,
04:01 combattant des libertés individuelles,
04:03 qui s'est battue pour le droit à l'IVG,
04:06 mais aussi pour le droit des couples homosexuels
04:08 à se marier, pour la reconnaissance du changement de genre
04:12 des personnes transsexuelles.
04:14 -Un homme pour qui j'avais beaucoup d'admiration.
04:17 Mon engagement sur le sujet est le fruit d'une éducation
04:20 et d'une rencontre. La rencontre, c'est avec Enrique Caillavé.
04:23 L'éducation, c'est celle de mon grand-père,
04:26 instituteur, USAR de la République,
04:28 et qui m'a donné... Recevoir une éducation,
04:30 c'est recevoir une boussole. Ma boussole est républicaine.
04:34 Les quatre points cardinaux, c'est liberté, égalité,
04:37 fraternité, laïcité. Quand on regarde le sujet
04:40 de la fin de vie, on peut estimer
04:42 que sur ces quatre grands points cardinaux,
04:44 il y a beaucoup, beaucoup à faire.
04:46 -Est-ce que la liberté vient pas heurter
04:49 le principe de fraternité, qui veut aussi
04:51 que dans la société, on prenne soin de l'autre
04:54 et pas forcément en donnant la mort ?
04:56 -Alors, d'abord, c'est la maladie grave et incurable
05:01 qui va tuer le malade.
05:02 Donc, on n'est pas dans donner la mort
05:05 sans condition, puisque la loi...
05:07 -Les adversaires de l'aide à mourir
05:09 invoquent la fraternité, justement,
05:11 pour refuser cet acte-là.
05:13 -Mais chacun met derrière les mots
05:16 sa propre conception philosophique ou religieuse.
05:19 Certains parlent de fraternité, d'autres de charité,
05:22 d'autres de solidarité.
05:23 Chacun a sa propre conception. C'est la noblesse du débat.
05:27 Je pense que c'est tout l'intérêt d'un sujet comme celui-là.
05:30 Mais j'entends des médecins.
05:33 Certains disent, certains disent, ne l'oublions pas,
05:36 que l'aide à mourir peut être un acte de soin,
05:40 l'ultime acte de soin.
05:41 -Certains médecins disent cela.
05:43 D'autres disent aussi qu'ils n'ont pas choisi
05:46 de faire ce métier pour donner la mort.
05:48 Qu'est-ce que vous leur répondez ?
05:50 -Ils auront une clause de conscience.
05:53 Comme pour la loi Veil, un médecin, un infirmier
05:55 ne sera pas tenu de faire ce geste
05:58 s'il ne le souhaite pas.
06:00 C'est une loi de liberté qui n'impose rien à personne
06:03 et qui ne retire aucun droit à quiconque.
06:05 -Vous évoquiez le fait religieux.
06:07 Les trois grandes religions monothéistes
06:09 s'opposent à l'aide à mourir, à l'euthanasie en soi.
06:13 Vous répétez souvent que dans notre République,
06:16 la foi ne fait pas la loi, c'est vrai,
06:18 mais l'interdit de tuer, il n'est pas seulement religieux,
06:22 il fonde aussi notre civilisation.
06:24 Est-ce qu'on n'attaque pas un peu
06:26 ce principe fondamental de notre civilisation
06:28 en autorisant l'aide à mourir ?
06:31 -Non, je ne pense pas.
06:33 Vous savez, la loi, elle est faite pour définir un cadre.
06:36 Quand toutes les solutions ont été proposées,
06:40 et notamment les soins palliatifs,
06:42 qui sont la réponse principale, primordiale...
06:45 -Et qui sont présentes dans ce projet de loi.
06:47 -Je suis un militant des soins palliatifs.
06:50 Je me suis battu pour qu'on ait une unité de soins palliatifs.
06:53 Les soins palliatifs sont la réponse principale,
06:56 mais il y a certaines circonstances.
06:58 Quand la vie n'est devenue qu'une agonie insupportable,
07:02 eh bien, il faut savoir, je pense,
07:05 avoir ce geste de fraternité
07:08 de proposer une aide à mourir,
07:11 qui ne dépendra que de la seule volonté du malade.
07:14 -En 2013, lors d'une séance de questions au gouvernement,
07:17 vous avez choisi de briser l'omerta d'une douleur intime,
07:20 ce sont les mots que vous avez employés dans l'hémicycle.
07:24 Vous avez évoqué le combat de votre mère contre le cancer,
07:27 sa fin de vie douloureuse, pour plaider pour la légalisation
07:30 de la mort de votre mère.
07:32 Est-ce que la mort de votre mère vous a fait évoluer
07:35 sur cette question-là ?
07:37 -Non. Ca n'a fait que conforter ce que je pensais,
07:40 mais ça n'est pas le décès de ma mère
07:43 qui m'a amené à défendre cette cause.
07:46 Pas du tout. -Vous prenez souvent les devants
07:49 en disant que ce n'est pas un combat personnel.
07:51 -Je vais vous dire, je défends des convictions,
07:54 mais je n'ai aucune certitude. Je n'ai pas la vérité.
07:57 Aucun collègue dans l'hémicycle n'a la vérité.
08:00 -Vous avez évolué sur vos positions.
08:02 En rencontrant les uns et les autres,
08:04 vous avez fait un gros travail en tant que parlementaire
08:07 pour évaluer les lois Claes Leonetti.
08:09 -Oui, j'ai évolué, parce que c'est vrai que quand j'étais jeune,
08:13 et vraiment, je me suis intéressé jeune au sujet,
08:15 j'étais dans l'idée d'une forme d'absolu,
08:19 c'est-à-dire on doit disposer de son corps,
08:22 on doit pouvoir disposer de sa mort,
08:25 et quelque part, j'estimais que c'était,
08:29 finalement, un droit sans conditions.
08:32 Et puis, quand vous réfléchissez, quand vous travaillez,
08:35 quand vous rencontrez les gens,
08:37 quand vous pensez contre vous-même,
08:39 pensez contre soi-même,
08:40 ça, je crois que c'est important sur un sujet pareil.
08:43 Et évidemment, j'en suis arrivé à dire
08:48 que certes, il faut une aide à mourir,
08:50 c'est ma conviction profonde,
08:52 je respecte ceux qui pensent l'inverse,
08:54 mais qu'il faut définir des conditions strictes,
08:57 et c'est l'objet de cette loi,
08:58 et notamment la question des maladies psychiatriques.
09:01 Je considère, c'était dans ma proposition de loi,
09:04 qu'elles ne peuvent pas être intégrées
09:07 dans ces possibilités d'accéder à l'aide à mourir.
09:11 -On va évoquer cette proposition de loi
09:13 que vous avez défendue en 2021,
09:16 donnant le droit à une fin de vie libre et choisie.
09:19 Une majorité de députés étaient prêts à voter votre texte,
09:23 sauf que c'était sans compter
09:25 pour l'obstruction de quelques adversaires.
09:28 -Aujourd'hui, le visage de l'Assemblée nationale,
09:32 il est là, devant moi.
09:35 Ce sont ces 4 000 amendements, ces feuilles,
09:40 elles n'ont qu'un but,
09:42 d'empêcher les représentants de la nation,
09:46 d'empêcher les députés de voter ici,
09:51 souverainement !
09:53 Voilà ce que c'est ! Voilà l'image !
09:56 Voilà l'image que vous donnez !
09:58 Voilà ! Voilà l'image !
10:01 Applaudissements
10:03 -Cette séance a été particulièrement tendue,
10:05 avec l'obstruction menée par quelques députés du groupe LR,
10:09 mais aussi, on le voit sur ces images,
10:11 des députés du groupe LR se lever pour vous applaudir.
10:14 Quel souvenir vous gardez de cette journée-là ?
10:17 -C'était une journée inoubliable,
10:19 et c'est là où on a pu mesurer
10:22 toute la force du sujet.
10:24 On a pu mesurer aussi que c'était un thème transpartisan.
10:29 Finalement, les questions d'étiquette politique
10:32 ne jouent pas.
10:34 C'est un débat de conscience,
10:36 et ça a été une journée très forte,
10:38 et il y avait certains collègues très chevronnés
10:41 qui étaient présents ce jour-là,
10:43 et qui m'ont dit, lorsque nous nous sommes arrêtés,
10:46 qu'ils avaient vécu probablement le plus grand moment
10:49 de leur parcours parlementaire.
10:52 Alors que nous n'avions même pas pu voter ce texte,
10:54 même si, vous l'avez signalé, nous avions voté l'article 1
10:58 qui fondait le droit à l'aide à mourir,
11:00 avec les conditions de manière précise.
11:02 -Vous avez dit qu'on a arrêté l'examen à minuit,
11:05 car c'était examiné dans une niche parlementaire.
11:08 Vous n'aviez qu'une journée de séance
11:10 pour débattre de ce sujet.
11:12 Pensez-vous pouvoir légiférer sur un sujet aussi sensible,
11:15 aussi complexe, en aussi peu de temps ?
11:18 -Non, bien sûr.
11:19 Ce que je voulais absolument, et vous avez suivi,
11:22 c'était l'enjeu de voter cet article 1,
11:24 car voter l'article 1, c'était voter le droit à l'aide à mourir.
11:28 Quand 83 % des députés ont voté cet article 1...
11:30 -Il y avait un signal politique.
11:32 -Nous y sommes arrivés, malgré l'obstruction.
11:35 C'était un signal politique qui enclenchait, évidemment,
11:38 la campagne présidentielle et la volonté du président
11:41 de la République de demander une convention citoyenne,
11:44 et à partir de cette convention citoyenne,
11:47 d'avoir ce projet de loi.
11:48 -Vous attendiez cette loi sur la fin de vie depuis longtemps.
11:52 Est-ce que ça marque l'aboutissement
11:54 de votre combat, pour vous ?
11:56 -Ah non, c'est un commencement.
11:57 C'est un commencement. -C'est-à-dire ?
11:59 -C'est un commencement, parce que cette loi,
12:02 qui va prendre du temps,
12:04 il y a la première lecture à l'Assemblée nationale,
12:07 mais il y aura la navette parlementaire.
12:09 Le Sénat est beaucoup plus rétif à ce texte
12:13 que l'Assemblée nationale, je le pense.
12:15 Donc...
12:18 C'est un commencement de cette dernière étape,
12:21 quelque part.
12:22 Et quand cette loi sera votée, comme je l'espère,
12:27 il faudra aussi faire en sorte qu'elle soit appliquée.
12:30 J'ai toujours dit qu'il y avait deux impératifs sur ce texte,
12:35 l'impératif d'égalité et l'impératif d'effectivité.
12:39 Quand ce texte sera voté comme je le souhaite,
12:42 il faudra veiller à ce que ce droit soit effectif et appliqué.
12:46 Parce que si nous nous battons,
12:47 c'est un peu pour nous tous,
12:51 parce que c'est un droit qui concernera
12:53 éventuellement tout le monde, même si très peu l'utiliseront,
12:56 mais c'est en pensant aujourd'hui aux malades,
12:59 aux malades qui attendent.
13:01 -Merci, Olivier Falorni, d'être venu dans cette émission.
13:04 -Merci beaucoup.
13:05 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
13:07 Générique
13:10 ...
13:30 Merci.