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Transcription
00:00 - Bonjour, merci d'être avec nous. Vous êtes directeur du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage
00:05 et professeur de littérature francophone à la Sorbonne.
00:09 Déjà une question, est-ce que ces commémorations sont importantes et seraient-elles même essentielles et pourquoi ?
00:17 - Elles sont importantes depuis que le Parlement français a voté en 2001 la loi d'Itto Bira
00:22 qui considère que l'esclavage est un crime contre l'humanité
00:26 et qui, derrière cette reconnaissance, demande que la République puisse mettre tout en œuvre
00:32 pour que cette histoire de l'esclavage devienne une histoire des mémoires françaises.
00:37 Et c'est la raison pour laquelle la Fondation pour la mémoire de l'esclavage a été justement créée
00:41 pour mettre en œuvre cette loi dite Itto Bira de 2001.
00:45 - Le thème cette année, c'est celui des résistances.
00:48 Quelles sont les résistances que l'on commémore exactement ?
00:50 - Ce sont les résistances justement à l'esclavage
00:53 qui ont commencé, comme vous le savez sans doute, avec Haïti
00:57 qui, dès le début du 19e siècle, 1803-1804, a résisté complètement à la présence de l'esclavage outre-mer.
01:06 Mais ces résistances-là ne sont pas que des résistances des descendants d'esclaves,
01:11 ce sont aussi des résistances intellectuelles.
01:14 L'esclavage n'est pas un mouvement qui a été accepté en France assez rapidement,
01:18 non, pas du tout, ni même en Europe.
01:20 Il y a des mouvements qui sont des mouvements anti-esclavagistes
01:22 qui ont commencé en Europe et qui ont débouché sur les résistances
01:25 qui sont des résistances des Noirs des îles.
01:28 - Une sculpture en bronze en hommage à Clarisse, une nourrice esclave
01:32 libérée par le Conseil général de la commune de La Rochelle en 1793
01:36 et réalisée par l'artiste haïtien, Philippot, a été dévoilée.
01:40 Pouvez-vous nous dire qui était Clarisse ?
01:41 - C'était un personnage qui était un personnage important pour l'histoire de l'île d'Haïti
01:46 parce qu'il s'agit d'une nourrice qui en fait s'est occupée
01:49 comme vous le savez sans doute à ces époques-là,
01:52 des enfants leur apportant du lait.
01:55 Et donc je pense que c'est en ce sens-là que la figure de Clarisse est une figure importante.
01:59 - Une figure importante. La France a aboli l'esclavage deux fois,
02:03 en 1794 puis en 1848.
02:07 Vous qui êtes un grand spécialiste de ce sujet, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
02:10 - Il faudrait d'abord rappeler que la France a rétabli l'esclavage en 1802
02:14 avant de l'abolir une seconde fois en 1848.
02:19 Oui, la première abolition de l'esclavage est liée à l'histoire de la Révolution française.
02:23 Et si l'on peut faire un parallèle historique,
02:26 il faudrait sans doute dire que la France a créé les idéaux
02:29 qui sont des idéaux de liberté, égalité, fraternité au moment de la Révolution de 1789,
02:34 mais que ces idéaux n'ont jamais été véritablement appliqués,
02:37 sauf en Haïti, par les révolutionnaires haïtiens.
02:40 Donc cette abolition de l'esclavage de 1794 n'a pas véritablement été appliquée
02:45 pour qu'elle soit dédiée à ceux, à savoir les descendants d'esclaves et les esclaves eux-mêmes.
02:50 Puisque Napoléon l'a rétabli en 1802, il faudrait attendre 46 ans plus tard, 1848,
02:54 pour que cette abolition soit définitivement adoptée par la seconde République française.
02:59 - Et effective ?
03:01 - Oui, elle est effective à partir de 1848. Effective dans les textes, pas effective dans les faits.
03:05 - On imagine que ça a pris du temps dans les faits.
03:07 - Pas effective dans les faits, parce qu'il faut attendre au moins un siècle
03:09 pour que l'abolition de l'esclavage puisse être mise en route avec l'application,
03:15 le décret de départementalisation des territoires dits aujourd'hui d'outre-mer,
03:20 c'est-à-dire la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion.
03:23 Mais on voit encore aujourd'hui les effets qui sont ceux de l'esclavage
03:27 dans les relations que ces territoires entretiennent avec la métropole,
03:31 dans les différentes manifestations qui sont celles des populations de ces régions,
03:37 mais aussi, on le voit très bien, dans le rapport que la France métropolitaine
03:41 entretient avec sa propre histoire, qui est l'histoire de l'esclavage,
03:43 qui a été, elle aussi, méconnue, niée, et dont on n'a pas mesuré les effets de boomerang
03:49 que cela pouvait avoir sur le fonctionnement de la société française contemporaine.
03:51 - Et j'aimerais justement qu'on parle de cela.
03:54 Le Premier ministre, Français Gabriel Attal, a déclaré tout à l'heure
03:57 "Trop longtemps, un voile a été jeté sur ce passé".
04:00 Est-ce que vous, aujourd'hui, vous pensez que la France prend ses responsabilités, assume ce passé ?
04:06 - Que la France commence à les assumer.
04:08 Et la création de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage est un pas qui va dans le bon sens.
04:13 Mais cela prendra aussi le temps qu'il faudra pour que la France, d'aujourd'hui,
04:18 accepte de façon unanime que la question de l'esclavage soit une question nationale française,
04:25 soit une question républicaine française, parce que, contrairement à ce que l'on a pu penser,
04:29 c'est bien la République qui abolit l'esclavage,
04:31 mais c'est aussi la République qui refuse, en fait, de l'appliquer à un certain moment donné dans son histoire.
04:35 Ce qui est, en fait, la contradiction nationale française sur nos mémoires,
04:39 sur nos mémoires historiques, ce qui est vrai pour l'esclavage, est aussi un peu vrai pour la colonisation.
04:43 - Et comment, on voit bien le parallèle entre les deux, comment vous expliquez que cela prenne autant de temps ?
04:48 On l'a aboli, donc, vous le disiez, en 1848, on est en 2024, c'est un sentiment de honte, de gêne ?
04:56 Qu'est-ce que vous faites ? On embrasse pas ce passé en disant "Bon, c'est ce qu'on a fait",
04:59 et avec de vraies excuses et de... Voilà.
05:03 - Je pense qu'un certain nombre de discours français contemporains expliquent un peu la difficulté que la France a de reconnaître, en fait,
05:13 cette histoire qui est une histoire du passé.
05:15 Souvenez-vous de tous ceux qui, en fait, dans leur discours public, refusent, en fait, de reconnaître que la France a été,
05:23 d'une certaine façon, responsable de ce qui s'est passé au cours de l'esclavage et au cours de la colonisation.
05:29 Je pense que la véritable raison vient de la culpabilité républicaine.
05:32 C'est ainsi que je juge, en fait, cette difficulté que la France a de regarder son histoire en face,
05:39 mais parce qu'il n'est pas facile de regarder en face des crimes que l'on a commis.
05:43 Il n'est pas facile de le faire. Et je pense qu'il y a là une position qui est justement liée à la culpabilité,
05:49 qui est la culpabilité française d'avoir bien voulu inventer les idéaux, liberté, égalité, fraternité,
05:55 mais de ne les avoir jamais véritablement appliqués.
05:58 Donc il y a là, effectivement, une difficulté, mais une difficulté qui peut se résorber dès lors qu'on finit par accepter
06:05 que la France n'est plus, comme au XVIIIe siècle, le rayon de lumière qui devait justement éclairer le pays des esclaves, le monde entier.
06:15 Non, il faudrait reconnaître que la France fait partie d'un monde global et qu'il n'y a pas de honte à reconnaître qu'il y a eu un fait,
06:21 qui est un fait du passé, que l'on peut corriger aujourd'hui, que l'on peut réparer aujourd'hui,
06:25 avec justement la seule reconnaissance que ce qui s'est produit, c'est effectivement produit.
06:30 Je pense que la loi Taubira est un bon début, en fait, de reconnaissance de ce fait, qui est un fait historique.
06:36 Il ne faut pas contester les faits historiques, il faut juste les raconter.
06:38 Il faut les raconter en les contextualisant, en se posant la question de savoir pourquoi cela s'est produit ainsi à l'époque où cela s'est produit,
06:44 mais en reconnaissant aussi qu'il y a pu y avoir des erreurs du passé et qu'on peut les corriger aujourd'hui.
06:49 En les contextualisant, ce qui m'amène à ma dernière question,
06:52 c'est qu'est-ce que vous pensez de l'enseignement qui est fait aujourd'hui de l'esclavage dans les écoles françaises ?
06:57 Alors, sur la question de l'enseignement, sur l'esclavage dans les écoles françaises,
07:01 c'est un vrai grand sujet qui rejoint le point précédent, à savoir que c'est par l'éducation,
07:08 c'est par l'enseignement, c'est par la transmission de ce qui s'est produit au cours de cette histoire,
07:15 que l'on va arriver justement à corriger cela.
07:17 Or, il me semble que par le passé, l'enseignement de l'esclavage n'a jamais été véritablement adopté en France
07:24 dans les textes qui sont des textes républicains et officiels, sinon dans un domaine qui était un domaine particulier,
07:28 à savoir un enseignement qui était un enseignement technique et donc qui n'était pas ouvert à tout le monde.
07:32 Alors depuis, on a corrigé un tout petit peu ce travers,
07:36 on fait que cette histoire de l'esclavage commence à prendre place dans les enseignements qui sont des enseignements généraux,
07:42 parce qu'il faudrait bien considérer que ce n'est pas une histoire à part, c'est une histoire de la nation française,
07:49 c'est notre histoire à tous, quels que soient les lieux d'où nous venons de la République,
07:54 et en les larges de la République, entre Tahiti et la Rochelle, si je peux justement jouer sur les distances géographiques,
08:00 c'est peut-être le même territoire républicain entre la Martinique et Bordeaux, c'est la même histoire.
08:05 Mais je pense que cette histoire-là, il faudrait absolument l'enseigner,
08:09 en faisant attention à ne pas se lancer dans les concurrences qui sont les concurrences mémorielles et historiennes.
08:14 Si on commence à dire "telle histoire est beaucoup plus importante que telle autre",
08:17 on ne va pas s'en sortir, on va justement, n'est-ce pas, répéter très exactement les erreurs du passé.
08:22 Romuald Foncourt, merci infiniment d'avoir été avec nous sur ce plateau.

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