Voici ce qui pourrait être une conversation idéale, à l’ancienne, du temps où les interlocuteurs avaient d’autant plus de plaisir à converser qu’ils étaient d’accord sur à peu près tout, à quelques nuances près. Qu’il parle en professeur d’université, constitutionnaliste chevronné (c’est un des meilleurs exégètes de la Vème République), en éditeur ou en essayiste qui détecta très tôt les apories du progressisme (son ouvrage "L'invention du Progrès" est une abondante souche d’inspiration), et qui sut détecter chez Emmanuel Macron un avatar du saint-simonisme ; qu’il parle en moraliste retraçant l’histoire de la politesse et de sa valeur civilisatrice, ou analysant le "snobisme", ou parle encore en romancier qu’il est devenu sur le tard, ce diable d’homme balaye le monde d’aujourd’hui d’un regard puissamment éclairé par la pensée et l’œuvre de Charles Maurras dont il est un fidèle héritier, adhérant dès son plus jeune âge à l’Action française. Et ce n’est pas le moindre mérite de cette œuvre foisonnante, sans cesse aux avant-postes de l’actualité, que de se vouloir "intégralement maurrassien" et d’illustrer la puissance du "Maître de Martigues", dont on prononce d’autant plus le nom qu’on l’a rarement lu. Oui, un bonheur de conversation !
Category
📺
TVTranscription
00:00:00 *Musique*
00:00:24 Frédéric Rouvillois, merci d'être venu me faire visite.
00:00:28 Paul-Marie, je suis enchanté que vous m'ayez invité.
00:00:31 Je le fais en public, si je peux dire.
00:00:33 Vous remerciez pour m'avoir fait lire, il y a très longtemps, ce livre.
00:00:37 "L'invention du progrès" qui a eu d'ailleurs un rejeton aux éditions CNRS.
00:00:43 Le premier c'est aux éditions Quimais.
00:00:45 C'est le même, c'est la réédition.
00:00:47 C'est le même, c'est la réédition. C'est très chic.
00:00:49 Quelques années plus tard, aux CNRS, "L'invention du progrès".
00:00:54 C'est un des livres, je vous l'ai déjà dit, mais je me répète,
00:00:57 qui m'a le plus marqué et c'est comme ça que je vous ai rencontré.
00:01:01 Il y a quoi, il a une trentaine d'années à peu près ?
00:01:03 Oui, dans ces heures-là.
00:01:05 La première édition, c'est à partir de ma thèse de doctorat.
00:01:11 C'est une thèse de doctorat.
00:01:12 Voilà.
00:01:13 Et le bouquin est paru en 96.
00:01:16 96, ah bon ?
00:01:18 Donc ça fait un petit...
00:01:19 Ah, je croyais qu'on se connaissait depuis plus longtemps que ça.
00:01:21 Bah, 96, ça fait pas loin de 30 ans quand même.
00:01:24 Bon, ça aurait 30 ans de poussière dans les siècles.
00:01:27 Absolument.
00:01:28 Alors, justement, à propos des siècles, ce livre m'a beaucoup apporté
00:01:31 parce que j'ai compris d'un seul coup, à vous dire,
00:01:36 j'ai compris ce qui se passait dans la tête de nos contemporains.
00:01:40 Oui.
00:01:41 Une espèce d'obsession du progrès et cette idée,
00:01:45 toutes les générations et même quelques fois plusieurs générations de suite,
00:01:50 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:01:54 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:01:56 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:01:58 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:02:00 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:02:02 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:02:04 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:02:06 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:02:08 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:02:10 qu'on réfléchit à un projet, qu'on réfléchit à un projet,
00:02:12 et bien d'autres choses.
00:02:14 Le progressisme, l'idée qu'on pourrait même faire un homme nouveau,
00:02:20 qui a vraiment traversé depuis le XVIIe siècle,
00:02:24 parce que vous référez ça, on va y revenir au XVIIe siècle,
00:02:26 et qui a laboré beaucoup de siècles.
00:02:28 Je me demande même si on ne peut pas...
00:02:30 Alors, j'attaque sur un gros sujet.
00:02:32 Si on ne peut pas dire que les totalitarismes, d'ailleurs...
00:02:36 C'est le sous-titre du livre.
00:02:38 C'est le sous-titre du livre, aux origines de la pensée totalitaire,
00:02:40 y compris le nazisme,
00:02:42 ne sont pas des rejetons de cette idée progressiste
00:02:46 qui va si loin qu'on pense créer un homme neuf.
00:02:48 qui va si loin qu'on pense créer un homme neuf.
00:02:50 Tout à fait. En fait, c'est le...
00:02:52 Vous êtes très gentil de l'avoir mis en avant.
00:02:54 C'est effectivement ma thèse de doctorat,
00:02:56 mais c'est aussi mon premier livre,
00:02:58 le premier livre que j'ai publié, en 1996.
00:03:00 le premier livre que j'ai publié, en 1996.
00:03:02 Mais c'est un peu le point de départ, en fait,
00:03:04 de tout ce que j'ai...
00:03:06 de tous mes travaux subséquents, si je veux dire,
00:03:08 ou en tout cas de l'essentiel.
00:03:10 Et notamment, effectivement,
00:03:12 j'ai beaucoup travaillé sur l'utopie
00:03:14 et sur la combinaison de l'utopie
00:03:16 et de l'idée de progrès.
00:03:18 Donc l'idée de progrès, c'est l'idée selon laquelle
00:03:20 tout ce qui touche à l'homme
00:03:22 doit s'améliorer
00:03:24 nécessairement au fil du temps.
00:03:26 Et on ne peut rien rester tranquille.
00:03:28 Tout doit y participer.
00:03:30 Tout doit y participer.
00:03:32 C'est pas uniquement, effectivement,
00:03:34 l'art dentaire ou le...
00:03:36 - Le progrès médical de la salle.
00:03:38 - Ou la pédicure, ou la... Je sais pas quoi.
00:03:40 Tout ce qui touche à l'homme, en fait,
00:03:42 tout ce qui touche à l'agir humain,
00:03:44 à l'action humaine,
00:03:46 doit s'améliorer nécessairement.
00:03:48 C'est-à-dire,
00:03:50 on est absolument sûr que ça va s'améliorer.
00:03:52 On est sûr que,
00:03:54 même s'il peut y avoir des petits couacs
00:03:56 par-ci, par-là,
00:03:58 que les petits-fils seront supérieurs
00:04:00 aux grands-pères. Voilà.
00:04:02 Et que leurs petits-fils leur seront supérieurs,
00:04:04 etc., etc.,
00:04:06 sans qu'on puisse assigner à ce mouvement
00:04:08 de terminus.
00:04:10 Et donc, on voit immédiatement ce à quoi ça amène.
00:04:12 C'est d'ailleurs...
00:04:14 J'avais intitulé comme ça la première
00:04:16 partie de ma thèse.
00:04:18 C'est "Vous serez comme des dieux".
00:04:20 En fait, c'est la promesse
00:04:22 que le serpent fait,
00:04:24 la biblique... - La mauvaise promesse.
00:04:26 - La mauvaise promesse que le serpent,
00:04:28 donc que Satan, fait aux hommes,
00:04:30 de devenir comme des dieux.
00:04:32 Et là, voilà,
00:04:34 cette vision des choses,
00:04:36 cette vision de l'histoire, leur promet
00:04:38 effectivement cet absolu,
00:04:40 cette quasi-divinité, qui va,
00:04:42 sur un autre plan, se réaliser
00:04:44 dans la thématique de l'utopie.
00:04:46 L'utopie, c'est l'idée que l'homme peut construire
00:04:48 un système parfait, totalement
00:04:50 à sa mesure. - Comme si lui-même
00:04:52 était parfait. - Comme si lui-même pouvait
00:04:54 accéder à la perfection. - Il pouvait accéder à la perfection.
00:04:56 - Et donc, la combinaison des deux, c'est tout simplement
00:04:58 un système totalitaire. Et j'ai
00:05:00 ensuite pas mal travaillé sur d'autres...
00:05:02 Par exemple, j'ai écrit,
00:05:04 il y a quelques années, un livre qui s'appelle
00:05:06 "Crime et utopie"
00:05:08 sur le nazisme.
00:05:10 Pour montrer que le nazisme était
00:05:12 une combinaison des deux. Et que
00:05:14 le nazisme était une utopie, de manière absolument
00:05:16 incontestable,
00:05:18 si on reprend les critères de cette utopie.
00:05:20 Et si on reprend, par ailleurs,
00:05:22 les discours nazis,
00:05:24 il y a beaucoup de gens qui se contentent
00:05:26 de regarder les effets, sans voir
00:05:28 les idées,
00:05:30 les discours
00:05:32 des uns et des autres.
00:05:34 - Il y en a un qui le fait très bien,
00:05:36 il y a un de Chapoutot, en ce moment,
00:05:38 je ne sais pas si vous suivez ses livres,
00:05:40 c'est un peu sa thèse, que le nazisme
00:05:42 est un hyper-progressisme.
00:05:44 Y compris,
00:05:48 qu'il est aussi inspiré par certaines pensées d'outre-Atlantique.
00:05:50 Vous allez trouver là...
00:05:52 - Oui, oui.
00:05:54 - Comme enchant obsessionnel, si vous voulez.
00:05:56 La photo de Ford,
00:05:58 pendant des années,
00:06:00 jusqu'à la fin, figurée
00:06:02 dans... Ford,
00:06:04 du Fordisme, il est figuré
00:06:06 en bonne place dans le bureau d'Hitler.
00:06:08 - Oui, mais c'est assez...
00:06:10 On est clairement...
00:06:12 - Un progressisme absolu.
00:06:14 - Dans "Mein Kampf", il y a l'idée d'un progrès
00:06:16 de l'humanité, dont
00:06:18 les national-socialistes
00:06:20 sont finalement l'un des acteurs
00:06:22 essentiels.
00:06:24 Ça, c'est pour l'idée de progrès.
00:06:26 Et d'autre part, il y a l'idée que
00:06:28 on va aboutir dans un système
00:06:30 parfait, le fameux Reich de Milan.
00:06:32 Milan étant, évidemment,
00:06:34 un chiffre symbolique qui veut dire "ça durera toujours".
00:06:36 Qui sera
00:06:38 ce à quoi on aboutira
00:06:40 lorsque on aura
00:06:42 éliminé
00:06:44 les obstacles à ce
00:06:46 progrès et à la construction de cette utopie.
00:06:48 Et exactement au même moment,
00:06:50 et en même temps avec
00:06:52 les mêmes structures logiques,
00:06:54 les communistes, Staline, etc.
00:06:56 disent la même chose. C'est-à-dire que
00:06:58 au bout
00:07:00 de la vision historique
00:07:02 tirée de Marx, on arrive
00:07:04 au socialisme qui va
00:07:06 ensuite devenir le communisme dans tous
00:07:08 les pays. - Et puis ensuite, la fin de l'histoire.
00:07:10 - Et ce communisme, c'est la...
00:07:12 - La sanction de l'histoire.
00:07:14 - C'est le passage
00:07:16 à la véritable histoire. C'est-à-dire que
00:07:18 jusqu'à maintenant,
00:07:20 on a été dans la préhistoire
00:07:22 de l'humanité. On va enfin accéder
00:07:24 à l'histoire de l'humanité.
00:07:26 C'est-à-dire d'un homme nouveau,
00:07:28 totalement refait, totalement renouvelé. - Parfait.
00:07:30 - Ce qui est exactement ce que disent les nazis de leur côté.
00:07:32 Donc il y a vraiment une...
00:07:34 - Il y a pas ça chez les transhumanistes
00:07:36 aussi, de la côte... - Oui, oui, plus ou moins.
00:07:38 - Côte ouest américaine, pardon.
00:07:40 - Sur la conjonction entre les deux,
00:07:42 il y a par exemple les ouvrages de Bruneteau
00:07:44 actuellement, qui sont extrêmement intéressants.
00:07:46 - Oui, oui. - Qui montrent
00:07:48 notamment sur l'idée de bonheur
00:07:50 dans les systèmes totalitaires, qui montrent que
00:07:52 le bonheur, il est conçu de la même manière,
00:07:54 exactement, et avec les mêmes images,
00:07:56 les mêmes...
00:07:58 de part et d'autre,
00:08:00 si j'ose dire, du côté des nazis
00:08:02 et du côté... du côté de l'utopie
00:08:04 national-socialiste et du côté de l'utopie
00:08:06 socialiste, ou communiste.
00:08:08 - Et quant à l'utopie
00:08:10 qu'on appelle bêtement libérale,
00:08:12 parce qu'elle n'est pas libérale, mais qu'on appelle
00:08:14 le nouveau conservateur techno-progressiste,
00:08:16 c'est-à-dire
00:08:18 le transhumanisme, il y a à peu près la même conception
00:08:20 du bonheur. - Oui, oui, c'est ça. - C'est un peu 1984 aussi.
00:08:22 Il y a un troisième totalitarisme, là,
00:08:24 qui nous emporte, nous, en ce moment.
00:08:26 - Un troisième, il y en aura...
00:08:28 il y en a eu et il y en aura d'autres, hein.
00:08:30 Voilà. En fait, ce que
00:08:32 j'essayais de montrer dès le départ,
00:08:34 et ce que j'ai ensuite essayé de... le champ que j'ai essayé
00:08:36 de labourer
00:08:38 plus ou moins
00:08:40 péniblement au fil des
00:08:42 années, mes bouquins successifs,
00:08:44 même s'il y a d'autres choses qui m'ont intéressé,
00:08:46 mais c'est ça, c'est-à-dire que
00:08:48 cette idée
00:08:50 qui nous gouverne finalement,
00:08:52 qui gouverne l'Occident depuis
00:08:54 le XVIIe siècle,
00:08:56 depuis Descartes,
00:08:58 combinée à la thématique
00:09:00 de l'utopie, c'est-à-dire... - Et de la modernité.
00:09:02 - Et de la modernité, elle nous conduit
00:09:04 directement vers les systèmes totalitaires,
00:09:06 qui doivent être plus ou moins
00:09:08 dissimulés, plus ou moins violents, plus ou moins...
00:09:10 Mais qui sont,
00:09:12 au fond, tous... - C'est vieux comme l'homme,
00:09:14 au fond. Vous auriez pu, d'ailleurs, sur la
00:09:16 couverture, on voit une pyramide, je sais pas pourquoi,
00:09:18 on aurait pu mettre la tour de Babel.
00:09:20 Parce que c'est le mythe de Babel, un petit peu, non ?
00:09:22 C'est-à-dire que l'homme peut élever une tour
00:09:24 si haute... En fait,
00:09:26 la Genèse nous met en garde
00:09:28 dès ses premières pages, qu'il
00:09:30 défie Dieu, et que la tour
00:09:32 s'effondre, et que ces utopies sont
00:09:34 toujours... - Mais justement, vous n'avez pas regardé attentivement
00:09:36 l'illustration... - Alors j'ai pas regardé l'illustration... - Parce que, en fait,
00:09:38 cette illustration que j'adore,
00:09:40 effectivement, que j'avais choisie exprès pour ça,
00:09:42 c'est en fait un
00:09:44 dessin d'un architecte
00:09:46 révolutionnaire qui s'appelle Louis-Tien Boulet,
00:09:48 qui
00:09:50 décrit, enfin qui
00:09:52 dessine ce que serait, donc,
00:09:54 le cénotaphe de Newton,
00:09:56 donc un hommage
00:10:00 humain à un humain qui a fait
00:10:02 progresser les hommes. Donc on est tout à fait
00:10:04 dans la thématique du progrès,
00:10:06 dans la thématique de l'utopie aussi, parce que
00:10:08 il y a cette dimension
00:10:10 géométrique
00:10:12 qui est tout à fait caractéristique... - Une hostie, presque.
00:10:14 - Oui, oui, et puis... - Une agnose.
00:10:16 - Et avec en plus la dimension religieuse.
00:10:18 Mais, effectivement, Babel, c'est l'autre
00:10:20 illustration, et
00:10:22 l'un des vieux rêves, ce serait
00:10:24 de faire un recueil
00:10:26 de toutes ou de la
00:10:28 plupart des... - De toutes les utopies ?
00:10:30 - Non, des tours de Babel successives,
00:10:32 qui sont, voilà, qui ont été
00:10:34 imaginées par l'homme
00:10:36 à partir, effectivement,
00:10:38 du récit de la Genèse, mais notamment
00:10:40 depuis le XVIe siècle, c'est-à-dire depuis le moment
00:10:42 où l'utopie vraiment a pris
00:10:44 forme et a commencé à
00:10:46 informer
00:10:48 finalement notre culture
00:10:50 et notre vie. - Alors là, on est tout à fait à la confluence
00:10:52 de
00:10:54 deux domaines chez vous,
00:10:56 et il y en a un troisième,
00:10:58 beaucoup plus littéraire,
00:11:00 j'ai découvert il y a quelques années
00:11:02 que vous écriviez aussi des romans policiers,
00:11:04 et un roman qui s'appelle "Les Fidèles"
00:11:06 qui m'a beaucoup plu quand je l'ai lu,
00:11:08 quand vous me l'avez envoyé.
00:11:10 Ce qui est grave, c'est que je ne me souviens pas de la fin,
00:11:14 ça m'énerve, mais il ne faut pas la dire.
00:11:16 C'est une histoire... Enfin, on y reviendra.
00:11:18 - Je vous ai ramené un exemple.
00:11:20 - C'est le Rouvillois littéraire.
00:11:22 Il y a le Rouvillois philosophe, et puis
00:11:24 au milieu, il y a un professeur
00:11:26 d'université, de droit constitutionnel,
00:11:28 de droit public,
00:11:30 très docte, qui donne son avis sur...
00:11:32 Qui a écrit des livres, vous avez écrit
00:11:34 un quecelle sur la Ve République,
00:11:36 très éclairant, sur le gaullisme...
00:11:38 Bon, on va voir tout ça.
00:11:40 - Oui, on a... Là, j'ai...
00:11:42 - Et puis il y a le philosophe, quoi. Il y a plusieurs...
00:11:44 - Oui, oui, j'ai...
00:11:46 Les trois se rejoignent,
00:11:48 parce qu'en fait, les trois
00:11:50 veulent... Enfin, se situent
00:11:52 dans la veine
00:11:54 conservatrice, finalement, que vous illustrez
00:11:56 si brillamment et si envahamment.
00:11:58 - Avec le nouveau conservateur
00:12:00 de Paris. - Auquel vous avez collaboré en écrivant
00:12:02 un article qui s'appelle "L'urgence conservatrice".
00:12:04 - Oui, oui, bon, voilà. - Le conservatisme,
00:12:06 c'est une urgence, parce que, comme nous le
00:12:08 disions à propos du progrès, ça va
00:12:10 tellement vite qu'à force
00:12:12 de lancer l'humanité sur ce qui n'est pas elle
00:12:14 et l'homme sur ce qui ne peut pas être,
00:12:16 et à verser donc dans
00:12:18 une sorte de totalitarisme pour que la chaussure
00:12:20 entre dans le pied, même si elle ne peut pas
00:12:22 entrer dans le pied,
00:12:24 on finit par détruire
00:12:26 tout. - Oui, tout à fait. On peut faire...
00:12:28 - Je vous prends l'esprit, parce que je savais que vous étiez
00:12:30 percheron.
00:12:32 - Absolument. Enfin...
00:12:34 - Le sud de la Normandie, c'est...
00:12:36 - Non, voilà. Normand et notamment percheron.
00:12:38 - C'est la Normandie française,
00:12:40 qui n'a jamais été anglaise. - Absolument, voilà.
00:12:42 - Et je crois que c'est votre souche, donc.
00:12:44 - En fait, c'est l'une de mes souches.
00:12:46 En tout cas, c'est là
00:12:48 que se trouve ma
00:12:50 maison de famille, qui m'a inspiré
00:12:52 un petit peu pour ce roman, donc "Les Fidèles",
00:12:54 qui se trouve
00:12:56 près de la Ferté-Bernard.
00:12:58 - C'est aux confins de la Sarthe.
00:13:00 - Aux confins de la Sarthe, de Lornes et de Leray-Loire.
00:13:02 - C'est ça, dans le Perche.
00:13:04 - C'est une maison qui a été construite
00:13:06 au XIXe siècle par un de mes
00:13:08 lointains ancêtres,
00:13:10 mais sur un terrain
00:13:12 qui appartait
00:13:14 déjà à sa famille depuis beaucoup plus longtemps.
00:13:16 Donc voilà, c'est effectivement
00:13:18 un enracinement ancien
00:13:20 et auquel je suis
00:13:22 irréductiblement attaché.
00:13:24 Pour l'instant,
00:13:26 c'est entre les mains de mes parents et donc
00:13:28 les tantes.
00:13:30 - Vous y allez encore, quand même.
00:13:32 - J'y vais encore, évidemment.
00:13:34 La génération suivante va le reprendre
00:13:36 en espérant que la génération d'après...
00:13:38 - Avec des enfants, ils vont s'en occuper un jour.
00:13:40 - J'espère que
00:13:42 ce sera le cas. Mais en tout cas, voilà,
00:13:44 c'est...
00:13:46 Pour moi, le mot "racine", c'est pas
00:13:48 juste un mot en l'air.
00:13:50 C'est quelque chose qui s'incarne
00:13:52 et je pense que...
00:13:54 En le vivant comme ça,
00:13:56 que je le perçois aussi fort
00:13:58 et que, voilà,
00:14:00 le premier vrai roman
00:14:02 que j'ai écrit... Enfin, j'avais déjà écrit
00:14:04 une sorte de petite
00:14:06 dystopie
00:14:08 dans les années 2000,
00:14:10 mais... qui s'appelait "Imagine".
00:14:12 Mais...
00:14:14 Vous l'avez pas, celui-là. Je vous l'écrirai.
00:14:16 - Je suis pas prêt de l'avoir.
00:14:18 - Je vais le rééditer.
00:14:20 - Vous écrivez
00:14:22 volontiers, facilement et...
00:14:24 - Ah oui, c'est...
00:14:26 Y a des gens qui aiment faire du sport,
00:14:28 d'autres gens qui aiment aller dans des restaurants 4 étoiles.
00:14:30 Moi, ce qui m'amuse,
00:14:32 c'est d'écrire. Donc voilà, c'est pour ça que j'écris
00:14:34 souvent, beaucoup
00:14:36 et heureusement, facilement.
00:14:38 - Régulièrement, je veux dire, le matin, c'est très
00:14:40 discipliné, ça, ou...
00:14:42 - Étant universitaire,
00:14:44 je suis donc un petit peu rentier de la République, si j'ose dire.
00:14:46 - Maintenant, oui.
00:14:48 - Donc...
00:14:50 Voilà, j'ai pas beaucoup d'heures de cours
00:14:52 et par conséquent,
00:14:54 dès que j'ai un moment de libre,
00:14:56 chez moi ou ailleurs, dans le train,
00:14:58 dans un café,
00:15:00 j'écris, j'ai des petits carnets.
00:15:02 J'écris tout à la main.
00:15:04 - Ah bon ?
00:15:06 - Oui, j'écris tout à la main.
00:15:08 - Mais qui tape, alors ? Parce que les éditeurs
00:15:10 n'acceptent plus les manuscrits.
00:15:12 - Et ensuite, je le refais
00:15:14 avec un système de dictaphone.
00:15:16 - Ah, mais c'est récent, ça, quand même.
00:15:18 - Non, c'est pas si récent que ça.
00:15:20 - Ah bon ?
00:15:22 Et ça devient du manuscrit tapé ?
00:15:24 - Ça devient du manuscrit tapé, c'est ça.
00:15:26 Donc, en fait, chaque texte que je fais,
00:15:28 il y a au moins deux états successifs.
00:15:30 - Ah bon ?
00:15:32 - Le manuscrit manuscrit,
00:15:34 que maintenant, je garde par coquetterie,
00:15:36 et le tapuscrit ordinateur,
00:15:38 que j'ai dicté moi-même.
00:15:40 Et donc, c'est un peu le gueuloir
00:15:42 de l'éditeur,
00:15:44 c'est un peu le gueuloir de Flaubert.
00:15:46 - Oui.
00:15:48 - Flaubert, pour tous ses rebonds,
00:15:50 disait le truc,
00:15:52 et il pouvait dire si ça sonnait bien ou pas.
00:15:54 - C'est pas facile. Alors, pardon d'entrer dans les détails,
00:15:56 ça me captive beaucoup. Je ne sais pas si ça captivera,
00:15:58 j'espère,
00:16:00 nos aimables amis de TVL,
00:16:02 s'ils ont la patience de nous écouter.
00:16:04 Mais comment ça se passe ?
00:16:06 Alors,
00:16:08 vous écrivez,
00:16:10 en fumant la pipe. Je sais que vous aimez beaucoup la pipe.
00:16:12 - Oui, absolument.
00:16:14 - Quand vous vous demandez de porter un objet, il y en a deux ou trois.
00:16:16 Il y a un masque, on verra pourquoi tout à l'heure.
00:16:18 Mais il y a aussi une pipe.
00:16:20 Vous prenez votre pipe et vous l'écrivez.
00:16:22 - De fait, la pipe est un instrument,
00:16:24 je trouve, génial pour écrire.
00:16:26 - Ah oui, je crois.
00:16:28 - On s'isole.
00:16:30 - La fumée vous enferme en vous-même.
00:16:32 - C'est un peu ça. Je me rappelle un temps
00:16:34 que les moins de 20 ans, etc.,
00:16:36 qui était quand on avait le droit de fumer
00:16:38 dans le train, ou plutôt,
00:16:40 dans certains wagons. Je ne sais pas si vous vous rappelez ça.
00:16:42 - Mais on fumait où on voulait avant.
00:16:44 - D'abord, on fumait où on voulait.
00:16:46 Et ensuite, il y avait certains wagons qui les réservaient aux fumeurs.
00:16:48 Les gens fumaient un petit peu
00:16:50 honteusement dans le truc.
00:16:52 Moi, j'y venais avec ma pipe.
00:16:54 Avec la pipe, effectivement, on ne crée pas
00:16:56 juste un petit courant de fumée.
00:16:58 On crée un brouillard.
00:17:00 Et dans ce brouillard, réfléchir,
00:17:02 écrire, griffoler
00:17:04 les petites idées, etc.,
00:17:06 c'était vraiment un moment
00:17:08 pas très civil, mais très agréable.
00:17:10 - Alors, Fanny Ricromilois,
00:17:12 comment ça se passe ?
00:17:14 Une fois que c'est écrit,
00:17:16 vous le lisez
00:17:18 à haute voix,
00:17:20 le "Galoire de Flaubert".
00:17:22 - Je recommence par l'écrire.
00:17:24 J'écris toujours sur un papier
00:17:26 des feuilles A4 de couleur,
00:17:28 généralement jaune. - Avec une plume ou quoi ?
00:17:30 - Non, j'écris avec un nom.
00:17:32 Autrefois, j'écrivais
00:17:34 au stylo plume, mais c'est quand même compliqué.
00:17:36 J'ai des petits feutres, etc.
00:17:38 Une fois tout est écrit,
00:17:40 je me mets devant mon ordinateur,
00:17:42 je branche
00:17:44 le truc
00:17:46 de reconnaissance
00:17:48 vocale
00:17:50 d'Apple.
00:17:52 J'ai un Mac.
00:17:54 Et voilà, c'est parti.
00:17:56 - Il faudrait que vous montrez ça.
00:17:58 - Oui, je vous montrerais.
00:18:00 - Je vais pas si vite.
00:18:02 Quand on n'est pas content
00:18:04 de la phrase que l'on dit
00:18:06 à haute voix,
00:18:08 comment faites-vous ?
00:18:10 On refait la phrase, mais on arrête l'appareil ?
00:18:12 - Non, mais là,
00:18:14 je peux le faire.
00:18:16 Ce qui m'est impossible,
00:18:18 c'est de taper sur...
00:18:20 D'abord,
00:18:22 ce qui m'est impossible,
00:18:24 c'est de faire un truc directement.
00:18:26 Le passage par l'écrit est pour moi
00:18:28 absolument indispensable.
00:18:30 Je griffonne,
00:18:32 je m'abatturge, etc.
00:18:34 Une fois que c'est fait,
00:18:36 par contre,
00:18:38 modifier une phrase ou un paragraphe
00:18:40 dans un texte écrit,
00:18:42 ça pose aucun problème.
00:18:44 Mais voilà,
00:18:46 taper sur la longue durée,
00:18:48 je suis très gourd avec mes petits doigts.
00:18:50 J'y arrive absolument pas.
00:18:52 Il y a beaucoup de choses
00:18:54 que je ne peux pas faire à la main.
00:18:56 Dans le même ordre d'idée,
00:18:58 je n'ai pas mon période de conduite.
00:19:00 - Malheureusement.
00:19:02 Moi non plus, d'ailleurs.
00:19:04 On me l'a pris, c'est autre chose.
00:19:06 - Oui, mais on ne me l'a jamais donné.
00:19:08 J'ai fait une soixantaine de leçons de conduite
00:19:10 avant de me présenter pour la première fois.
00:19:12 Et au bout de deux minutes,
00:19:14 j'avais grillé une ligne continue.
00:19:16 Le type a appuyé
00:19:18 sur la pédale de frein
00:19:20 et j'étais recalé.
00:19:22 En sortant de cet examen,
00:19:24 je me suis dit, plus jamais ça.
00:19:26 Je me débrouillerai sans...
00:19:28 - Ce n'est pas facile d'aller en Normandie.
00:19:30 - On se débrouille.
00:19:32 - Je vois le train et la pipe.
00:19:34 Il n'y a même plus de pieds pour s'enfermer.
00:19:36 - L'organe crée le besoin.
00:19:38 - Je reviens à la Normandie.
00:19:40 Vous avez passé votre jeunesse ?
00:19:42 Votre enfance ?
00:19:44 - J'ai passé ma jeunesse...
00:19:46 - Est-ce que "rouvillois", je crois que ça vient de "rouville".
00:19:48 - "Rouvillois", ça vient de la Manche.
00:19:50 Il y a plein de patelins
00:19:52 qui s'appellent "rouvilles"
00:19:54 dans la Manche.
00:19:56 Il y a plein de gens qui s'appellent "rouvillois"
00:19:58 ou encore "le rouvillois".
00:20:00 C'est deux variantes possibles.
00:20:02 Il y a aussi...
00:20:04 Ce sont nos aristocrates
00:20:06 qui s'appellent "de rouvilles".
00:20:08 C'est très chic.
00:20:10 Moi, c'est juste...
00:20:12 C'est parfaitement "roturier", "rouvillois".
00:20:14 - Les deux origines,
00:20:16 elles sont normandes l'une et l'autre.
00:20:18 C'est la Manche et le Perche.
00:20:20 - C'est ça.
00:20:22 En plus, j'ai vécu
00:20:24 entre l'âge de 2 ans
00:20:26 et l'âge de 20 ans
00:20:28 ou un peu plus
00:20:30 à Rouen,
00:20:32 où mes parents habitaient
00:20:34 et habitent toujours.
00:20:36 C'est là que...
00:20:38 - Vous vous faites professeur ensuite.
00:20:40 - J'ai été maître de conférence à Rouen
00:20:42 et j'ai été professeur à Caen.
00:20:44 - Tout ça, c'est très...
00:20:46 - Depuis que j'habite à Paris,
00:20:48 j'habite à proximité
00:20:50 de la gare Saint-Lazare
00:20:52 pour pouvoir prendre le train pour la Normandie.
00:20:54 - C'est pour ça qu'une partie,
00:20:56 une bonne partie des romans,
00:20:58 on est toujours dans le "rouvillois littéraire",
00:21:00 des romans, puisque vous vous êtes lancé
00:21:02 dans la littérature,
00:21:04 vous écrivez beaucoup
00:21:06 et chacun a des segments et des succès.
00:21:08 C'est-à-dire des livres de sciences politiques,
00:21:10 des livres d'histoire,
00:21:12 des livres de droit constitutionnel.
00:21:14 Chacune de ces catégories
00:21:16 vous assure un notable succès
00:21:18 dans pas mal de domaines.
00:21:20 Mais alors donc,
00:21:22 pour un résultat de la littérature,
00:21:24 je comprends pourquoi une partie
00:21:26 de vos romans policiers
00:21:28 se passe dans le 9e arrondissement,
00:21:30 c'est à la gare Saint-Lazare.
00:21:32 - Exactement, c'est ça, tout à fait.
00:21:34 Et donc, j'y habite depuis...
00:21:36 Je suis arrivé à Paris pour ma maîtrise de droit,
00:21:38 ça devait être en 85,
00:21:40 à peu près, 84 ou 85.
00:21:42 Et depuis,
00:21:44 je suis depuis toujours
00:21:46 dans ce quartier
00:21:48 qui est extrêmement agréable.
00:21:50 Voilà, je commence à un petit peu connaître.
00:21:52 Et donc, voilà,
00:21:54 quand j'ai voulu écrire des romans policiers
00:21:56 depuis maintenant 4 ou 5 ans,
00:21:58 je me suis dit,
00:22:00 on va faire un couple d'enquêteurs,
00:22:02 un commissaire un peu replay
00:22:04 qui fume la pipe
00:22:06 et qui boit du whisky chez ses amis,
00:22:08 et une ravissante capitaine
00:22:10 avec laquelle il a
00:22:12 des liens assez proches,
00:22:14 d'une part,
00:22:16 de faire ça dans le 9e arrondissement,
00:22:18 donc dans ce quartier que j'aime,
00:22:20 que je connais bien, et qui en plus a plein
00:22:22 de petits recoins secrets.
00:22:24 C'est le quartier de Drouot,
00:22:26 c'est le quartier de la Nouvelle-Athènes,
00:22:28 c'est la rue des Martyrs,
00:22:30 c'est la lisière du 18e arrondissement,
00:22:32 c'est Pigalle, etc. - C'est un quartier différent.
00:22:34 - Oui, oui, donc c'est un quartier qui, pour ça,
00:22:36 est très amusant.
00:22:38 Donc voilà, je m'amuse effectivement à écrire
00:22:40 mes rangs policiers.
00:22:42 Enfin, ils portent tout
00:22:44 sur un thème
00:22:46 et sur un milieu différent,
00:22:48 mais à chaque fois, c'est dans ce quartier.
00:22:50 - Bon.
00:22:52 Alors, j'ai pas lu vos romans.
00:22:54 - Mais vous avez tort, Paul-Marie.
00:22:56 - Alors, mais il faut vous suivre,
00:22:58 mon cher ami, il faut vous suivre.
00:23:00 Alors, donc, vous devenez professeur, après,
00:23:02 Rouen,
00:23:04 et à Caen, professeur en titre,
00:23:06 et ensuite à Paris.
00:23:08 - C'est ça.
00:23:10 - Professeur de loi constitutionnelle,
00:23:12 comme ça, ou de sciences politiques ?
00:23:14 - Le vrai titre, c'est professeur de droit public.
00:23:16 - Le droit public, c'est ça.
00:23:18 - Le droit constitutionnel étant l'une des
00:23:20 quelques disciplines du droit public,
00:23:22 avec le droit administratif,
00:23:24 ou le droit... - Oui, alors, vous,
00:23:26 c'est plutôt le droit constitutionnel.
00:23:28 - Moi, c'est le droit constitutionnel.
00:23:30 - C'est cette constitution de 58 dont vous êtes un des exégètes,
00:23:32 patenté. Vous avez dit que c'était
00:23:34 une révolution, la constitution
00:23:36 de 58. - Absolument, tout à fait.
00:23:38 - Que vous portez dans votre cœur, apparemment.
00:23:40 - Écoutez,
00:23:42 je dirais oui et non.
00:23:44 - A l'origine, au moins, dans ses origines.
00:23:46 - Même là,
00:23:48 oui et non. Je suis
00:23:50 moins gaulliste que vous. - Vous êtes un peu normand.
00:23:52 - Je suis un peu normand,
00:23:54 et en fait,
00:23:56 quand j'étais à Rouen,
00:23:58 je reviens à mes origines,
00:24:00 quand j'étais à Rouen,
00:24:02 lycéen,
00:24:04 puis étudiant, j'étais
00:24:06 militant, puis je suis devenu responsable
00:24:08 de la section royaliste d'Action française.
00:24:10 - Action française, oui.
00:24:12 - Et donc, c'est en tant que
00:24:14 moracien que
00:24:16 je me suis aussi beaucoup intéressé
00:24:18 au général de Gaulle et à la constitution
00:24:20 de 58, qui est
00:24:22 à beaucoup d'égards,
00:24:24 non pas un texte moracien,
00:24:26 mais qui en tout cas est... - Assez inspiré.
00:24:28 - C'est ce que je dis à mes étudiants,
00:24:30 qui est en toute hypothèse la moins
00:24:32 républicaine des républiques.
00:24:34 Si on reprend les répliques françaises
00:24:36 depuis la première,
00:24:38 en 1792,
00:24:40 toutes sont marquées,
00:24:42 par exemple,
00:24:44 sauf la deuxième qui est très particulière,
00:24:46 mais à part ça... - Par le refus d'un exécutif
00:24:48 fort. - Par le refus d'un vrai gouvernement,
00:24:50 par le refus d'une incarnation du pouvoir,
00:24:52 par le refus aussi,
00:24:54 d'ailleurs, d'un rapport de confiance
00:24:56 entre le chef de l'État et le peuple.
00:24:58 Il y a cette espèce d'ambiguïté
00:25:00 et d'hypocrisie de ces républiques
00:25:02 successives, qui
00:25:04 mettent une majuscule géante au mot "démocratie",
00:25:09 mais qui par contre ne laisse qu'une part
00:25:11 très réduite au peuple.
00:25:13 - Oui.
00:25:15 On repasse sur les ambiguïtés du mot "démocratie",
00:25:17 parce que vous aimez que les mots aient un sens
00:25:19 et que le sens soit poli, comme on disait.
00:25:21 - Oui, ou alors on le dit,
00:25:23 si vous voulez, mais soit effectivement
00:25:25 on est démocrate et on l'est véritablement,
00:25:27 soit on ne l'est pas et on ne dit pas
00:25:29 qu'on l'est. Et de ce point de vue-là,
00:25:31 voilà. Et donc, si vous voulez,
00:25:33 - Il y a un livre sur l'exégèse
00:25:35 du mot "républicain"
00:25:37 - Oui, absolument. - Vous pouvez prouver que le mot "républicain"
00:25:39 ne vient du moyen-défi, d'ailleurs, c'est passionnant.
00:25:41 Ça s'appelle "Être ou ne pas être républicain"
00:25:43 au Cerf.
00:25:45 - Et donc, c'est notamment pour ça
00:25:47 que De Gaulle,
00:25:49 que la création de la Vème République,
00:25:51 que
00:25:53 les différents acteurs,
00:25:55 par exemple, à un moment donné, je me suis...
00:25:57 Alors j'ai écrit, effectivement,
00:25:59 mon premier livre que j'ai publié,
00:26:01 c'était "L'invention du progrès",
00:26:03 sur la présidence de Mathez, et le deuxième,
00:26:05 c'était un livre sur les origines de la Vème République,
00:26:07 dans lequel j'étudiais notamment
00:26:09 les idées
00:26:11 des principaux
00:26:13 constructeurs de cette Constitution,
00:26:15 le général De Gaulle, René Capitan,
00:26:17 qui est un peu le juriste de la bande,
00:26:19 et aussi Michel Debré. Je me suis beaucoup
00:26:21 intéressé.
00:26:23 Longtemps, j'ai voulu
00:26:25 faire une biographie de Michel Debré,
00:26:27 et j'ai
00:26:29 beaucoup travaillé pour ça,
00:26:31 j'ai accumulé des tonnes de notes...
00:26:33 - Sans faire le livre ?
00:26:35 - Sans finalement faire le livre.
00:26:37 - Il n'y avait peut-être pas la reconnaissance vocale à l'époque ?
00:26:39 - Non, c'est pas ça, mais je me suis aperçu que je ne suis pas fait pour
00:26:41 faire une biographie. Je suis peut-être trop
00:26:43 immodeste pour ça.
00:26:45 Je crois que pour être...
00:26:47 pour écrire une biographie, il faut
00:26:49 accepter de se...
00:26:51 - Ne soyez pas trop modeste,
00:26:53 vous savez ce que disait Nietzsche, les gens modestes ont toujours
00:26:55 une bonne raison de l'être.
00:26:57 - Donc ne le soyons pas.
00:26:59 Alors, il y a une ambiguïté, justement,
00:27:01 j'insistais sur ce livre qui doit être...
00:27:03 qui doit avoir une dizaine d'années,
00:27:05 "Être ou ne pas être républicain",
00:27:07 parce que...
00:27:09 en science politique,
00:27:11 il y a des glissements
00:27:13 de sens épouvantables.
00:27:15 Pendant longtemps, être républicain,
00:27:17 "res publicain" au sens
00:27:19 de moda,
00:27:21 sens un peu
00:27:23 retrouvé justement par la Constitution
00:27:25 de 58, et je comprends que
00:27:27 votre monarchisme s'y retrouve,
00:27:29 pour Baudin, la vraie république
00:27:31 n'est solide que si elle est couronnée
00:27:33 par un roi. Si à la tête de la république,
00:27:35 il y a un roi. C'est un peu
00:27:37 un héritage de Jean Baudin. C'est un peu ce que
00:27:39 de Gaulle avait en tête aussi, et qui est
00:27:41 une inspiration morassienne, j'exagère quand je dis ça ?
00:27:43 Enfin, voyons, il s'en dégage.
00:27:45 - Baudin utilise le mot au sens un peu latin
00:27:47 du terme, "res publica", c'est finalement
00:27:49 l'État en général. Mais...
00:27:51 oui, effectivement,
00:27:53 Baudin, le système qui
00:27:55 juge le plus
00:27:57 efficace,
00:27:59 le plus utile, etc.,
00:28:01 donc il écrit à la fin du... - Du XVIe.
00:28:03 - Du XVIe siècle,
00:28:05 au moment des guerres de Légion, donc il sait ce que c'est
00:28:07 qu'une notoriété qui manque,
00:28:09 il sait très bien les drames que ça peut entraîner.
00:28:11 Donc le système
00:28:13 qui juge le plus
00:28:15 intéressant et le plus efficace, c'est la monarchie,
00:28:17 tout simplement parce que,
00:28:19 il faut quelqu'un qui décide. - Il y a un arbitre.
00:28:21 - Il faut quelqu'un qui décide, il faut quelqu'un qui arbitre.
00:28:23 Quelqu'un au-dessus des partis. - Le grand problème des États généraux
00:28:25 de Blois, justement. - Oui, c'est ça.
00:28:27 Donc il est tout à fait dans la... - Toniqueur.
00:28:29 - Dans la lignée aussi de ce que diront les auteurs
00:28:31 de la 7e Épée, quelques...
00:28:33 au même moment, etc. - On veut un roi.
00:28:35 - On veut un roi.
00:28:37 Et ce qui est assez amusant, c'est que
00:28:39 Henri IV, qui finalement va répondre
00:28:41 véritablement aux voeux
00:28:43 de Baudin et des auteurs de la 7e Épée,
00:28:45 Henri IV,
00:28:47 parfois, quand il parle de la France,
00:28:49 il parle de "République française".
00:28:51 C'est marrant. - C'est pas la République française.
00:28:53 - Voilà. Mais pour désigner la monarchie.
00:28:55 Donc, République française
00:28:57 au sens d'un État
00:28:59 qui... - Ce qu'on trouvera péguine
00:29:01 la République Notre-Dame de France.
00:29:03 Notre Reine de France. - C'est le genre de phrase
00:29:05 qui ne veut pas dire grand-chose. - Mais c'est assez joli.
00:29:07 - Oui, c'est assez joli. - Non, mais
00:29:09 il n'y a pas une opposition fondamentale,
00:29:11 voilà ce que je veux dire, entre l'esprit républicain
00:29:13 et la monarchie.
00:29:15 - Disons qu'entre un certain esprit républicain,
00:29:17 le gaulliste, par exemple, qui considère
00:29:19 qu'effectivement, il faut quelqu'un
00:29:21 qui incarne le pouvoir et quelqu'un qui décide.
00:29:23 Lorsque De Gaulle, finalement,
00:29:25 condamne
00:29:27 le système de la Notre-Dame-de-République, par exemple,
00:29:29 dans...
00:29:31 dans son...
00:29:33 dans ses mémoires de guerre,
00:29:35 il le condamne en disant que, bah,
00:29:37 au fond, si le président Le Brun
00:29:39 n'avait pas été impuissant, n'avait pas été
00:29:41 les mains liées par la Constitution...
00:29:43 - On ne s'est pas laissé faire comme ça.
00:29:45 On aurait évité, peut-être,
00:29:47 la catastrophe. En tout cas,
00:29:49 on ne se serait pas retrouvé dans cette situation...
00:29:51 - Et puis, il avait une inspiration monarchiste,
00:29:53 une culture monarchiste, quand même.
00:29:55 - Bien sûr. - Jusqu'en 1938,
00:29:57 c'était un homme de...
00:29:59 c'était un homme de l'action française,
00:30:01 en réalité.
00:30:03 Son père était un bien-faiteur de l'action française.
00:30:05 Et d'ailleurs, je vous le signale...
00:30:07 - Même au-delà. C'est-à-dire que... - Oui, même au-delà, bien sûr.
00:30:09 - Vous savez, quand il devient
00:30:11 secrétaire d'État
00:30:13 dans le gouvernement de Paul Reynaud...
00:30:15 - Oui, il est salué par l'action française.
00:30:17 - Il est salué par l'action française, et pas par n'importe qui,
00:30:19 par Maurras lui-même... - Par Maurras lui-même, qui dit
00:30:21 "On voit De Gaulle entrer au gouvernement de Paul Reynaud,
00:30:23 la France est sauvée."
00:30:25 - Il n'est pas arrivé jusque-là, mais il dit "On a enfin
00:30:27 quelqu'un de bien, et il laisse entendre
00:30:29 que jusqu'à maintenant, on n'a pas le droit de dire
00:30:31 qu'il était aussi proche de nous."
00:30:33 Et donc, voilà, c'est...
00:30:35 De Gaulle, à ce moment-là,
00:30:37 il a presque 50 ans.
00:30:39 - Il a 50 ans. - Vous et moi, on sait que...
00:30:41 - A 50 ans, on ne change pas d'idée.
00:30:43 On ne devient pas quelqu'un de nouveau à 50 ans,
00:30:45 ça n'existe pas, ça.
00:30:47 Ou alors, vraiment, c'est...
00:30:49 - Mais c'est ça, même, non ? - C'est parce qu'on est frappé par une maladie mentale.
00:30:51 De Gaulle, il est monarchiste
00:30:53 en 1939, il l'est en 1940,
00:30:57 et au fond,
00:30:59 vous savez, dans les memoires de guerre, à un moment donné, il décrit
00:31:01 la façon dont il dirige
00:31:03 la France libre. Et il part d'une espèce
00:31:05 de monarchie. - Oui, il le dit.
00:31:07 - Et ensuite, une fois qu'il a
00:31:09 construit la Vème République,
00:31:11 il la décrit à plusieurs reprises
00:31:15 comme une monarchie républicaine,
00:31:17 une monarchie populaire, à la fois dans les discours
00:31:19 publics, dans ce qu'il raconte
00:31:21 à Peyrefitte, mais aussi,
00:31:23 par exemple, j'y pense, c'est d'actualité,
00:31:25 dans certaines lettres
00:31:27 à son fils, Philippe.
00:31:29 Il parle d'une monarchie populaire. Et donc, voilà,
00:31:31 on est vraiment, très clairement...
00:31:33 Alors, ce n'est pas une monarchie républicaine. - Dans la même veine.
00:31:35 - Effectivement. Mais c'est une monarchie
00:31:37 dans la mesure où De Gaulle comprend que
00:31:39 pour qu'un système fonctionne, et notamment
00:31:41 pour qu'il fonctionne dans les temps agités
00:31:43 qui sont les nôtres, finalement, depuis le début
00:31:45 du XXe siècle, eh bien, il faut
00:31:47 une autorité incarnée,
00:31:49 une autorité... Il ne faut pas diarcher
00:31:51 à la tête de l'État, comme il dit dans un de ses grands discours.
00:31:53 - Et alors,
00:31:55 beaucoup de choses là-dessus. D'abord,
00:31:57 une anecdote que l'on doit à Daniel Cornier,
00:31:59 puisque vous me faites penser à propos
00:32:01 de l'action française, celle-là, à l'entrée,
00:32:03 le 5 juin 1940, je crois, du général
00:32:05 De Gaulle, à peine général, d'ailleurs,
00:32:07 dans le gouvernement Reynaud.
00:32:09 Daniel Cornier, qui était un grand,
00:32:13 comme vous, très jeune, un militant
00:32:15 d'action française, j'oubliais de dire...
00:32:17 Vous l'avez dit à l'instant, vous êtes
00:32:19 un vieux militant d'action française,
00:32:21 et un grand morassien devant l'éternel,
00:32:23 mais on va y venir. Cornier,
00:32:25 donc, à 20 ans,
00:32:27 depuis Biarritz
00:32:29 ou Saint-Jean-de-Luz, veut absolument
00:32:31 rejoindre avec ses amis
00:32:33 d'action française Londres,
00:32:35 parce qu'il est sûr d'y retrouver le général De Gaulle
00:32:37 et Charles Maurras.
00:32:39 Je dis hélas, je ne sais pas si vous le dites aussi,
00:32:41 Charles Maurras...
00:32:43 n'a pas fait ce que beaucoup de monarchistes
00:32:47 ont fait, c'est-à-dire rejoindre De Gaulle.
00:32:49 Oui, oui, ceci dit, à sa décharge...
00:32:51 partielle.
00:32:55 Il a 72 ans, à ce moment-là.
00:32:57 À l'époque,
00:32:59 vous savez que...
00:33:01 - 70 ans, c'était le bout du bout, oui.
00:33:03 - Quelqu'un qui a 65 ans,
00:33:05 c'est l'âge moyen, je crois, où on vit jusqu'à 65 ou 66 ans,
00:33:07 à l'époque. - Même pas, même pas.
00:33:09 - Et donc, 72 ans, il a déjà dépassé
00:33:11 largement... - Et puis, il était
00:33:13 sourd, aussi. - Il est sourd, il est
00:33:15 vieux, il a le sentiment
00:33:17 qu'il faut qu'il s'occupe quand même de l'action française,
00:33:19 à tort ou à raison.
00:33:21 Et en plus, effectivement,
00:33:23 je pense que...
00:33:25 - Il a eu peur de diviser
00:33:27 les Français, aussi, c'était ça.
00:33:29 - Mais, par ailleurs,
00:33:31 il y a plusieurs
00:33:33 ouvrages historiques
00:33:35 assez récents qui ont montré qu'il bascule
00:33:37 et... En fait, malheureusement,
00:33:39 il est
00:33:41 tellement frappé par ce qui se passe,
00:33:43 par la catastrophe,
00:33:45 par le débat, etc., que
00:33:47 pendant plusieurs années, il déconne un peu.
00:33:49 Enfin, voilà, osons dire le mot.
00:33:51 - L'action française se rattrape,
00:33:53 si on peut dire, en 58, en faisant
00:33:55 voter oui au référendum de 58,
00:33:57 en faveur de la nouvelle constitution.
00:33:59 Mais vous n'étiez pas né à ce moment-là.
00:34:01 - Non, je n'étais pas né à ce moment-là, mais effectivement, oui...
00:34:03 - Pas loin de naître. - Pas loin de naître,
00:34:05 en 64, mais... - Vous étiez de l'air
00:34:07 de désir dans le regard de votre père, c'est ça ?
00:34:09 - Absolument.
00:34:11 - L'action française appelle à voter oui au référendum
00:34:13 de... - Oui, et puis, je veux dire,
00:34:15 parmi les textes
00:34:17 importants de cette époque-là, il y a, par exemple,
00:34:19 Pierre Boutan
00:34:21 et la Nation française,
00:34:23 qui écrivent un...
00:34:25 - Ah oui. - Il y a un recueil
00:34:27 de textes très intéressants autour de ça,
00:34:29 et qui se conclut,
00:34:31 effectivement, par un appel... - Très élogieux.
00:34:33 - Très élogieux pour
00:34:35 le général de Gaulle, en tout cas, pour ce que pourrait être
00:34:37 la France
00:34:41 véritablement gouvernée,
00:34:43 ce qu'elle n'est pas jusqu'en 58. C'est aussi ça
00:34:45 qui est très intéressant, et qui fait que
00:34:47 faire du droit constitutionnel
00:34:49 de nos jours, c'est faire aussi un petit peu d'histoire,
00:34:51 parce que le passé nous apprend
00:34:53 le présent et aussi l'avenir.
00:34:55 - Contrairement à ce que nos amis progressistes
00:34:57 croient. - Contrairement à ce que nos proches
00:34:59 progressistes, absolument. - L'histoire est notre maîtresse.
00:35:01 Alors, nous autres
00:35:03 conservateurs, ça ne veut pas dire qu'on n'aime pas le progrès,
00:35:05 mais ça veut dire qu'on n'en fait pas un système
00:35:07 au point de disqualifier tout ce qui est ancien.
00:35:09 - Ça veut dire qu'on n'y croit pas, car il y a une espèce de religion
00:35:11 révélée qui nous dit que
00:35:13 de toute façon, et quoi qu'on fasse,
00:35:15 demain sera mieux qu'aujourd'hui, et encore mieux
00:35:17 que demain, que hier. - Je vous renvoie à l'un de vos ouvrages,
00:35:19 qui est le dictionnaire
00:35:21 du conservatisme. - Absolument,
00:35:23 tout à fait, auquel vous avez participé.
00:35:25 - Hélas, non. - Non ?
00:35:27 - Vous pensez rarement à moi, je dois dire,
00:35:29 mon chère professeur, mais enfin, ça ne te fait rien.
00:35:31 Vous avez peut-être raison. - Oui, oui, c'est un
00:35:33 très gros bouquin qu'on a fait avec
00:35:35 mes amis,
00:35:37 qu'on a co-dirigé avec mes amis Christophe Boutin
00:35:39 et Olivier Dard. - Nos complices de
00:35:41 nombreux ouvrages collectifs. - De plusieurs ouvrages collectifs.
00:35:43 C'était le premier de la série,
00:35:45 c'est le "Dictionnaire du conservatisme",
00:35:47 a suivi ensuite "Diction du populisme",
00:35:49 - Ah, le populisme, oui, oui.
00:35:51 - Le tout aux éditions du Serre, et
00:35:53 voilà, on a fait quelque chose
00:35:57 qui n'existe en fait nulle part ailleurs.
00:35:59 C'est-à-dire une espèce de tableau
00:36:01 général, finalement,
00:36:03 en trois gros volumes qui font chacun
00:36:05 plus de douze cents pages,
00:36:07 une espèce de tableau général des idéologies
00:36:09 du moment, en quelque sorte,
00:36:11 un peu comme
00:36:13 "Toutes choses égales" par ailleurs, comme Thènes
00:36:15 a pu le faire dans son
00:36:17 livre "Histoire de France contemporaine". - Vous manquez pas
00:36:19 d'air, mais alors quand même,
00:36:21 je vais vous poser une question, justement, sur ce qui me préoccupe
00:36:23 beaucoup, qui a été un drame du général de Gaulle,
00:36:25 à mon avis, en tous les cas, c'est aujourd'hui
00:36:27 un drame pour tous.
00:36:29 Il s'agit de trouver un arbitre.
00:36:31 C'est un peu ce qui manquait aux états
00:36:33 généraux de Blois,
00:36:35 je crois que c'était 1574
00:36:37 ou 78, je ne sais pas exactement la date,
00:36:39 c'est ce qui manque très souvent à la France,
00:36:41 c'est ce qui manquait dans les années
00:36:43 30, c'est plein de Gaulle.
00:36:45 On l'a trouvé, ou on a cru le trouver
00:36:47 avec les figures du général de Gaulle, mais
00:36:49 il y a eu une aporie terrible, dont
00:36:51 je pense que le général de Gaulle a été conscient.
00:36:53 À partir
00:36:55 du moment où il fait élire
00:36:57 cet arbitre au suffrage
00:36:59 universel.
00:37:01 Qu'est-ce que c'est que ça ?
00:37:03 Charles Benoît
00:37:05 parle de terrorisme à propos
00:37:07 de la règle de la majorité
00:37:09 plus un. Un arbitre
00:37:11 ne peut pas être un chef de parti
00:37:13 contre l'autre moitié ou l'autre partie
00:37:15 de la nation.
00:37:17 Quand de Gaulle l'emporte,
00:37:19 et encore même en 65, il n'a pas
00:37:21 emporté largement, et puis
00:37:23 il n'aimait pas trop les élections justement.
00:37:25 De Gaulle a fait deux coups d'état, on reviendra peut-être
00:37:27 au coup d'état, parce que vous avez aussi...
00:37:29 C'est tellement foisonnant au Villois que je crois qu'on va tenir
00:37:31 notre conversation. Aussi, pas un éloge,
00:37:33 mais en tous les cas, vous dites des choses
00:37:35 intéressantes sur le coup d'état. Il est vrai que de Gaulle
00:37:37 a fait deux fois un coup d'état en 18
00:37:39 juin et ensuite en 58.
00:37:41 En réalité, il a fait beaucoup plus que deux fois.
00:37:43 Il en a fait sans cesse.
00:37:45 L'article que j'avais écrit,
00:37:47 j'ai dirigé avec Christophe Boutin
00:37:49 ce colloque qui est déjà un livre
00:37:51 sur le coup d'état,
00:37:53 donc dernier mot du politique.
00:37:55 C'est une manière pour le politique
00:37:57 de reprendre ses droits quand tout va à volo.
00:37:59 En fait, de Gaulle,
00:38:01 quand Mitterrand écrit en 64...
00:38:03 Il n'y a aucune comparaison avec la période actuelle.
00:38:05 Quand Mitterrand en 64 écrit le coup d'état permanent,
00:38:07 il a à la fois raison et tort.
00:38:09 Lorsqu'on regarde de près les choses
00:38:11 et qu'on définit un coup d'état
00:38:13 comme une espèce de violation très grave de la Constitution
00:38:15 faite de l'intérieur même
00:38:17 du pouvoir,
00:38:19 de Gaulle ne cesse
00:38:21 de faire des coups d'état entre
00:38:23 son arrivée au pouvoir
00:38:25 en juin 58
00:38:27 et grosso modo
00:38:29 le référendum du 6 novembre
00:38:31 1962 dans lesquels,
00:38:33 à partir duquel, on va élire
00:38:35 le président de la République suffrave universelle directe.
00:38:37 Il y a toute une série
00:38:39 de violations délibérées de la Constitution
00:38:41 pour recadrer
00:38:43 la Constitution dans les souhaits
00:38:45 du général.
00:38:47 C'est un truc assez génial.
00:38:49 Ne pouvant pas réviser systématiquement
00:38:51 la Constitution, et sachant qu'il ne peut pas le faire,
00:38:53 il va imposer une pratique
00:38:55 de la Constitution
00:38:57 qui, peu à peu, va
00:38:59 la re-sculpter, si j'ose dire,
00:39:01 telle qu'il souhaite qu'elle soit.
00:39:03 - Autre question incidente...
00:39:05 - Mais sur le suffrage universel,
00:39:07 vous avez raison, c'est un...
00:39:09 Le problème, en fait,
00:39:11 comme vous le savez aussi bien et bien mieux que moi,
00:39:13 c'est qu'en 1962,
00:39:15 le général de Gaulle
00:39:17 échappe aux attentes des petits
00:39:19 clamats le 22 août.
00:39:21 - 1962, oui.
00:39:23 - Miraculeusement raté de l'OS.
00:39:25 Et ensuite, il en profite pour
00:39:29 effectivement
00:39:31 proposer aux Français
00:39:33 cette révision de la Constitution
00:39:35 qui permettrait de faire élire le président
00:39:37 au suffrage universel.
00:39:39 - Mais ça coule complètement, au fond,
00:39:41 c'est sa pratique
00:39:43 qui l'institutionnalise.
00:39:45 Je suis le maître, et je serai d'autant plus le maître
00:39:47 que je serai élu au suffrage universel. Je pense qu'il avait une autre idée
00:39:49 en tête, à mon avis.
00:39:51 - Et là, effectivement, on est un petit peu désarçonné
00:39:53 parce que qu'est-ce qu'il dit aux Français, lorsqu'il présente
00:39:55 le projet ? Il dit, voilà,
00:39:57 "Moi, j'ai une légitimité historique.
00:39:59 Mes successeurs ne l'auront pas.
00:40:01 Il faut bien qu'il y ait une légitimité de substitution
00:40:03 la seule dans une démocratie.
00:40:05 C'est une légitimité élective."
00:40:07 Alors, effectivement, il pense
00:40:09 forcément, à ce moment-là,
00:40:11 peut-être
00:40:13 les discussions qu'il a au même moment
00:40:15 avec le Comte de Paris. - C'est ce que j'allais dire.
00:40:17 - Et à la possibilité de...
00:40:19 - Mettre
00:40:21 en scène et en piste
00:40:23 - Mettre en scène, pourquoi pas, effectivement,
00:40:25 en le faisant pour la première fois
00:40:27 élire au suffrage universel en 1965.
00:40:29 - C'est son idée, hein, vraiment. - Oui, c'est son idée.
00:40:31 Alors, malheureusement,
00:40:33 effectivement,
00:40:35 il ne la suit pas.
00:40:37 Et moi, ce qui me frappe
00:40:39 vraiment dans l'histoire du général de Gaulle,
00:40:41 c'est qu'on a l'impression qu'à partir
00:40:43 de ce moment-là, à partir finalement de décembre
00:40:45 1965, la nouvelle élection
00:40:47 à laquelle il se présente
00:40:49 pour être réélu président de la République,
00:40:51 tout fout le camp.
00:40:53 Tout fout le camp. D'abord,
00:40:55 à sa plus grande stupeur,
00:40:57 il n'est pas élu au premier tour,
00:40:59 alors qu'il avait toujours été obtenu des scores
00:41:01 de plus de 300%. - Et ça, c'est dramatique.
00:41:03 - C'est dramatique. - Parce que le président, du coup,
00:41:05 n'est plus...
00:41:07 - Il n'est plus le président de tous les Français. - Il ne s'impose pas.
00:41:09 Il n'est pas le président, il faut le répéter sans fin,
00:41:11 je suis le président de tous les Français,
00:41:13 parce que, comme dit Montaigne, on sait quand la chose manque
00:41:15 qu'il faut mettre le mot, il n'est plus
00:41:17 le président de tous les Français. - Il ne s'impose plus,
00:41:19 il n'a plus la majorité absolue que grâce au subtirfuge
00:41:21 du deuxième tour, avec deux
00:41:23 candidats en lice, qui fait que
00:41:25 forcément, mathématiquement, il y en a un qui a la majorité absolue.
00:41:27 - Ce qui crée d'ailleurs
00:41:29 la droite et la gauche. On m'a souvent dit
00:41:31 que l'union des droites était une folie,
00:41:33 mais elle est inscrite, justement, dans cette constitution
00:41:35 - C'est ça. - à deux tours,
00:41:37 qui oblige la droite à s'unir
00:41:39 parce que la gauche s'unit. - Voilà, c'est ça.
00:41:41 - La gauche s'unit, mais la droite ne s'unit pas.
00:41:43 - Bipolarisation. - La gauche l'enfonce sans cesse.
00:41:45 - Voilà, cette bipolarisation.
00:41:47 - C'est tout à fait contraire à l'esprit des origines
00:41:49 de la constitution. - Et au fond,
00:41:51 la malédiction du général De Gaulle,
00:41:53 c'est à partir de ce moment-là,
00:41:55 à partir du jour où il décide
00:41:57 de se présenter. Parce qu'ensuite, tout fout le camp,
00:41:59 comme je vous disais.
00:42:01 En 1965, il n'est pas élu
00:42:03 au premier tour, donc il est complètement traumatisé
00:42:05 au point que, vous vous rappelez,
00:42:07 il ne veut pas se présenter au deuxième tour.
00:42:09 - Oui, pendant quelques heures, il faut
00:42:11 que tout le monde défile au téléphone.
00:42:13 - Voilà, c'est ça. - Tricot, Burat des Rosiers,
00:42:15 en général, vous ne pouvez pas... - Michel Droit,
00:42:17 qui ensuite va le... Mais tous ces gens-là
00:42:19 vont finalement emporter le truc,
00:42:21 mais le ressort est cassé.
00:42:23 - Malgré lui. - On voit bien.
00:42:25 Ensuite, effectivement, en 1966, il y a les problèmes
00:42:27 avec l'Europe, le contrat avec Luxembourg...
00:42:29 - Alors là, c'est encore un autre problème.
00:42:31 - Oui, oui. - C'est encore un autre problème.
00:42:33 - Mais ensuite, je continue. - Le grand problème de science politique,
00:42:35 il s'en sort par le verbe, ensuite.
00:42:37 - Oui, enfin, à peine.
00:42:39 Je veux dire, en 1967,
00:42:41 il y a les élections législatives qui sont... - Une voix.
00:42:43 - Oui, voilà, c'est ça. Il manque d'être battu.
00:42:45 Et les gens se demandent comment il va faire.
00:42:47 - À l'assemblée, il n'a plus qu'une voix majoritaire.
00:42:49 - Est-ce qu'il va partir ? Est-ce qu'il va utiliser l'article 16 ?
00:42:51 Enfin, il y a tout un...
00:42:53 Ensuite, il y a 68.
00:42:55 - Ça se dérègle. - Non seulement mai 68,
00:42:57 Baden, etc.,
00:42:59 mais aussi le sentiment de trahison
00:43:01 par Pompidou et le fait qu'il
00:43:03 vire Pompidou
00:43:05 comme Premier ministre.
00:43:07 Et puis ensuite, il y a l'espèce de
00:43:09 "Je t'aime, moi non plus" du référendum
00:43:11 d'avril 69,
00:43:13 où finalement, il dit aux Français...
00:43:15 "Bon, voilà, je tente tout pour tout." - C'est lui, c'est non, quoi.
00:43:17 - "Je te propose un référendum
00:43:19 parce que je suis complètement emmerdant
00:43:21 et qui ne va en soi mobiliser personne."
00:43:23 S'ils sont d'accord
00:43:25 pour continuer avec moi,
00:43:27 c'est aussi ça. Il y a l'espèce de rapport presque...
00:43:29 Enfin, l'espèce de rapport amoureux,
00:43:31 finalement. Tu veux ou tu veux pas.
00:43:33 Si tu veux, tant mieux. Si tu veux pas, tant pis.
00:43:35 - Là encore, beaucoup de choses à dire. Vous êtes un peu loin.
00:43:37 Resservez-vous, M. le professeur, parce que votre verre
00:43:39 est presque vide. Ça va me permettre
00:43:41 de parler, parce que d'habitude, c'est moi qui coupe,
00:43:43 par exemple, mon patronnier. - C'est félice.
00:43:45 - Parce que j'ai trouvé mon maître. Au moins, on me gueulera pas,
00:43:47 parce que je m'interromps
00:43:49 indument mes invités.
00:43:51 Mais tout ça me passionne,
00:43:53 évidemment. Ça devrait être passionnant,
00:43:55 mais là,
00:43:57 il y a deux choses. D'ailleurs,
00:43:59 en rendant hommage
00:44:01 au général de Gaulle, au moins, à sa pratique,
00:44:03 il y a quelque chose d'assez intéressant
00:44:05 qui revient sous votre plume,
00:44:07 souvent, c'est que le droit
00:44:09 n'est pas le sacré,
00:44:11 le nouveau sacré. Il y a des gens,
00:44:13 c'est la gauche, ça,
00:44:15 qui sacralisent le droit.
00:44:17 Peut-être que le droit a pris la place de Dieu,
00:44:19 d'où les droits de l'homme, etc.
00:44:21 Dans un premier temps, je pense que dans l'histoire
00:44:23 de France, c'est la langue qui, peu à peu,
00:44:25 devient le premier sacré laïc.
00:44:27 C'est comme ça qu'on crée l'Académie française
00:44:29 et que les académiciens sont dits
00:44:31 immortels, etc. La langue supplie.
00:44:33 Et ensuite, à partir de la
00:44:35 Révolution française, c'est le droit. Le droit est
00:44:37 sacré. Mais chez vous, professeur de droit,
00:44:39 pourtant,
00:44:41 de haut volet,
00:44:43 vous considérez que le droit doit être
00:44:45 remis à sa place, qui n'est pas la première.
00:44:47 Le premier, c'est le bien commun.
00:44:49 - Bien sûr. - Il y a Guy De Gaulle
00:44:51 souvent, d'ailleurs.
00:44:53 - Tout récemment, j'ai fait un petit papier
00:44:55 pour Valeurs Actuelles,
00:44:57 sur la constitutionnalisation de l'IVG.
00:44:59 Et notamment,
00:45:01 j'ai repris la phrase qu'on
00:45:03 entendait sur toutes les radios et toutes les télévisions
00:45:05 par des gens pétris d'admiration,
00:45:07 tremblants de joie, etc.
00:45:09 Qui nous disait "La France est
00:45:11 le premier pays à avoir
00:45:13 inscrit l'IVG dans le
00:45:15 marbre de la constitution".
00:45:17 - Ah oui, la formule.
00:45:19 - La formule, notamment, ce qui
00:45:21 m'avait amusé, sur ce que j'ai
00:45:23 un petit peu tapé dans mon article, c'est
00:45:25 le terme "le marbre de la constitution".
00:45:27 Ce qui est vraiment quelque chose
00:45:29 qui montre qu'on n'est pas juriste. Parce que quand on
00:45:31 connaît le droit, moi,
00:45:33 c'est ce que je dis dans mon article, on dirait qu'il faudrait
00:45:35 plutôt dire "le beurre de la constitution".
00:45:37 Parce qu'une constitution, c'est
00:45:39 comme une plaque de beurre.
00:45:41 On trace n'importe quoi
00:45:43 dessus, aussi
00:45:45 facilement et aussi rapidement qu'on veut.
00:45:47 Sans compter qu'on peut l'interpréter
00:45:49 de mille manières différentes.
00:45:51 - Surtout depuis les réformes
00:45:53 qui ont mis le Conseil constitutionnel
00:45:55 au centre de tout. Autre sujet
00:45:57 auquel vous avez consacré plusieurs livres.
00:45:59 On n'en arrivera pas à tout traiter.
00:46:01 Le pouvoir des juges. Mais revenons
00:46:03 sur ce que nous disions à propos du droit, c'est très intéressant.
00:46:05 - Bien sûr. - Ce marbre de la constitution.
00:46:07 - Il n'y a pas de...
00:46:09 A la suite de ça, j'expliquais à mes étudiants...
00:46:11 - C'est une image fausse.
00:46:13 - Les métaphores, c'est toujours sympa,
00:46:15 ça fait plaisir. Mais si on veut parler
00:46:17 du droit en général,
00:46:19 des règles de droit en général, et de la constitution en particulier,
00:46:21 les métaphores minérales sont
00:46:23 totalement aberrantes.
00:46:25 Il faut utiliser des métaphores
00:46:27 biologiques ou
00:46:29 zoologiques. Mais
00:46:31 une constitution,
00:46:33 ou un texte juridique,
00:46:35 c'est comme un être vivant, finalement.
00:46:37 Il naît, et ensuite,
00:46:39 il va se
00:46:41 transformer en permanence
00:46:43 au cours du temps, au cours de la pratique,
00:46:45 qui va le
00:46:47 modifier sans arrêt, jusqu'au moment
00:46:49 où il disparaît. La constitution, c'est ça.
00:46:51 - Sans compter qu'il y a beaucoup
00:46:53 de journalistes qui ont la tête légère
00:46:55 et qui se prennent les pieds
00:46:57 dans le tapis. Parce qu'il y a deux images.
00:46:59 On coule dans le bronze de la constitution,
00:47:01 ou alors on sculpte
00:47:03 dans le marbre. J'ai entendu un journaliste
00:47:05 d'une radio prétendument
00:47:07 française et prétendument cultivée,
00:47:09 si vous voyez de quoi je parle,
00:47:11 qui disait
00:47:13 l'autre jour, à propos de la constitutionnalisation,
00:47:15 de l'avortement,
00:47:17 on l'a coulé dans le marbre
00:47:19 de la constitution. - C'est pas mal, ça !
00:47:21 - Alors qu'il fallait dire couler dans le bronze,
00:47:23 évidemment. Ou alors, sculpter
00:47:25 dans le marbre. Bon, bref.
00:47:27 - Il y a une phrase très simple du général De Gaulle,
00:47:29 la constitution, c'est
00:47:31 des institutions, un esprit et une pratique.
00:47:33 Et au fond,
00:47:35 on ne peut pas imaginer
00:47:37 une constitution ou un texte
00:47:39 juridique quelconque sans ces
00:47:41 trois éléments. - L'esprit, la pratique.
00:47:43 - L'esprit qui l'anime, voilà.
00:47:45 L'institution,
00:47:47 c'est-à-dire le texte même, la lettre de la loi,
00:47:49 et enfin la pratique
00:47:51 qui va la modifier en permanence en fonction
00:47:53 des besoins, etc. De Gaulle est fondamentalement
00:47:55 un pragmatique, que vous savez bien. - Alors vous dites ça
00:47:57 aux élèves. - Oui, bien sûr.
00:47:59 - La règle est une chose, mais l'esprit est au moins
00:48:01 aussi important. - Vous savez, quand on fait du droit,
00:48:03 il y a une chose qu'on apprend très vite,
00:48:05 c'est que, ben voilà,
00:48:07 le rôle du juriste, c'est de
00:48:09 comprendre la loi,
00:48:11 de savoir comment l'interpréter,
00:48:13 et éventuellement de savoir comment la contourner.
00:48:15 - Mais alors là, nous sommes bien coincés,
00:48:17 parce que cette Ve République, du coup,
00:48:19 elle a perdu non seulement une partie
00:48:21 de sa règle,
00:48:23 mais elle a complètement perdu son esprit,
00:48:25 d'une certaine façon.
00:48:27 Puisque l'esprit, c'était de continuer
00:48:29 la résistance, en fait, c'est-à-dire
00:48:31 mettre la souveraineté nationale au-dessus de tout,
00:48:33 ou la souveraineté nationale vis-à-vis
00:48:35 des empires, et la souveraineté
00:48:37 de l'État vis-à-vis des fédéralités intérieures,
00:48:39 la vieille politique capétienne, que vous connaissez bien mieux
00:48:41 que moi, et que d'ailleurs,
00:48:43 les Français,
00:48:45 je crois, ont gardé une profonde nostalgie.
00:48:47 Et là, on est coincés, parce que
00:48:49 le président n'est en plus un arbitre,
00:48:53 de Gaulais,
00:48:55 ayant raté son coup, en étant en piste
00:48:57 le Comte de Paris.
00:48:59 Tout devient bancal,
00:49:01 et les réformes successives
00:49:03 n'ont fait qu'aggraver le problème,
00:49:05 jusqu'à
00:49:07 rendre notre République
00:49:09 méconnaissable.
00:49:11 Là, vous avez beaucoup parlé là-dessus.
00:49:13 Notamment, il y a quelque chose sur quoi
00:49:15 vous avez insisté, c'est très intéressant,
00:49:17 parce que ça rend la vieille
00:49:19 alliance du prince,
00:49:21 enfin, du roi,
00:49:23 et du peuple, contre les féodaux,
00:49:25 grand ressort de la politique capétienne,
00:49:27 c'est les
00:49:29 signatures de mer pour la présidentielle.
00:49:31 Alors là, vous avez écrit
00:49:33 une très belle page contre
00:49:35 la réforme de Giscard, qui fait passer
00:49:37 de 100 à 500 le nombre des parrainages.
00:49:39 Voilà, c'est tout à fait caractéristique.
00:49:41 En fait, on a fait trois petits bouquins
00:49:43 avec Christophe Goutin,
00:49:45 au LVLivrerie,
00:49:47 dans une collection qui s'appelle "Le Petit Livre Noir".
00:49:49 Le premier, c'est sur les parrainages,
00:49:51 le deuxième sur la proportionnelle,
00:49:53 et le troisième sur le référendum.
00:49:55 Mais en fait, les trois disent la même chose.
00:49:57 C'est-à-dire que
00:49:59 il y a une espèce de dépossession
00:50:01 du pouvoir
00:50:03 par une oligarchie,
00:50:05 qui est une oligarchie
00:50:07 conçue sous différentes formes,
00:50:09 mais qui va totalement,
00:50:11 effectivement, à l'encontre de l'esprit de la Vème République.
00:50:13 Voilà.
00:50:15 On dirait, pourquoi pas ?
00:50:17 Mais en tout cas, ce n'est pas du tout
00:50:19 ni l'esprit ni la logique de la Vème République
00:50:21 qui est une logique, je dirais, à la fois
00:50:23 démocratique et monarchique.
00:50:25 Quand De Gaulle dit que
00:50:27 la Vème République, c'est une monarchie populaire
00:50:29 ou une monarchie républicaine,
00:50:31 c'est ça qu'il veut dire.
00:50:33 C'est-à-dire l'alliance du prince et du peuple.
00:50:35 Le grand sujet, c'est la légitimité, en réalité.
00:50:37 C'est savoir si l'État
00:50:39 est légitime aux yeux du peuple
00:50:41 parce qu'il le soutient,
00:50:43 parce qu'il le défend et parce qu'il le protège.
00:50:45 En tant que prof de droit de l'élection,
00:50:47 il y a deux trucs
00:50:49 que De Gaulle
00:50:51 a oublié de faire
00:50:53 ou qu'il a mal fait dans la Constitution
00:50:55 et qui, à mon avis,
00:50:57 entraînent beaucoup de conséquences catastrophiques.
00:50:59 La première,
00:51:01 c'est qu'il n'a pas précisé
00:51:03 que le président de la République
00:51:05 était politiquement responsable,
00:51:07 notamment lorsqu'il n'a plus
00:51:09 la confiance du peuple.
00:51:11 Effectivement, il est battu aux élections, éventuellement,
00:51:13 lorsqu'il peut s'y représenter.
00:51:15 Mais l'idée de De Gaulle,
00:51:17 c'est que le président,
00:51:19 s'il a des pouvoirs aussi importants,
00:51:21 c'est parce qu'il a la confiance du peuple.
00:51:23 Et cette confiance se mesure, non seulement,
00:51:25 évidemment, dans l'élection présidentielle,
00:51:27 mais à tout moment, et notamment
00:51:29 lors des élections législatives
00:51:31 et lors de référendums
00:51:33 que De Gaulle souhaitait fréquents.
00:51:35 - Et si on les perd, on s'en va.
00:51:37 - Et si on les perd, on s'en va.
00:51:39 Le problème, c'est que cette règle que De Gaulle
00:51:41 a réaffirmée pendant tous ses mandats
00:51:43 et qu'il a lui-même appliquée en 1969
00:51:45 en quittant le pouvoir
00:51:47 après avoir été battu au référendum,
00:51:49 elle ne figure pas dans la Constitution.
00:51:51 C'est une sorte de coutume non écrite,
00:51:53 mais qui a été volontairement oubliée
00:51:55 et niée par ses successeurs.
00:51:57 - Si bien qu'on finit par avoir des présidents...
00:51:59 - Excusez, pardon.
00:52:01 - Des présidents sans légitimité.
00:52:03 - Et des présidents de cohabitation.
00:52:05 C'est pour ça.
00:52:07 Et l'autre chose qu'il a oubliée,
00:52:09 ou plutôt qu'on lui a fait mettre
00:52:11 dans la Constitution et qui, à mon avis,
00:52:13 est lourd de catastrophes,
00:52:15 c'est un peu...
00:52:17 en tout cas, un petit peu technique,
00:52:19 mais à peine, c'est le fait que
00:52:21 on puisse réviser la Constitution
00:52:23 sans passer par le référendum,
00:52:25 sans passer par le peuple.
00:52:27 Ce qui n'est pas logique.
00:52:29 - L'article 89.
00:52:31 - C'est le peuple, et qui est juridiquement
00:52:33 l'auteur de la Constitution,
00:52:35 qui doit seul pouvoir la modifier.
00:52:37 C'est l'article 89, alinéa 2, c'est la voie normale.
00:52:39 Sauf qu'il y a une voie de...
00:52:41 une voie de traverse...
00:52:43 - De l'11 ?
00:52:45 - Non, c'est l'article 89 alinéa 3,
00:52:47 qui permet de réviser la Constitution,
00:52:49 non pas en faisant appel au peuple,
00:52:51 mais avec le Congrès.
00:52:53 - Ah oui, c'est ça.
00:52:55 - Autrement dit, de confisquer
00:52:57 ce pouvoir essentiel,
00:52:59 qui est le pouvoir constituant du souverain,
00:53:01 le peuple, de le constituer
00:53:03 entre les mains, finalement,
00:53:05 et ça, ça change tout.
00:53:07 - Oui, alors,
00:53:09 c'est pas si technique que ça,
00:53:11 c'est très politique,
00:53:13 cet article 89.
00:53:15 - L'article 89 est très politique,
00:53:17 et donc, voilà, il y a...
00:53:19 Si vous voulez, dans l'esprit des Constituants,
00:53:21 dans l'esprit du général de Gaulle, en 1958,
00:53:23 les choses sont totalement claires,
00:53:25 et d'ailleurs, c'est comme ça que ce...
00:53:27 C'est ce qui figure dans la lettre même
00:53:29 de l'article 89.
00:53:31 Quand on veut réviser la Constitution,
00:53:33 et celle-ci a été faite par le peuple,
00:53:35 il y a une solution normale,
00:53:37 c'est faire appel au référendum.
00:53:39 Vous savez, c'est la technique,
00:53:41 il faut y faire la majorité dans les deux chambres,
00:53:43 et ensuite, c'est ratifié par référendum.
00:53:45 Sauf que,
00:53:47 malencontreusement,
00:53:49 il y a, pour des raisons pratiques,
00:53:51 qui ont probablement été suggérées
00:53:53 par Pompidou,
00:53:55 ou par je ne sais qui,
00:53:57 il y a cet article 89.3
00:53:59 qui permet,
00:54:01 finalement,
00:54:03 sans conditions précises,
00:54:05 de réviser la Constitution
00:54:07 en faisant appel, non pas au peuple,
00:54:09 mais au Congrès,
00:54:11 à la majorité des 3/5e.
00:54:13 Autrement dit, ça veut dire que la révision
00:54:15 est entièrement entre les mains
00:54:17 de la petite classe parlementaire,
00:54:19 de l'oligarchie parlementaire,
00:54:21 et partie, de Gaulle n'est pas trop.
00:54:23 De Gaulle,
00:54:25 à plusieurs reprises,
00:54:27 va expliquer, notamment il le raconte à l'imperfide,
00:54:29 le mot est assez marrant,
00:54:31 il explique que l'article 89.3,
00:54:33 donc le Congrès,
00:54:35 c'est bon pour les réformettes,
00:54:37 pour les petites réformes sans importance.
00:54:39 Et en 63, par exemple,
00:54:41 on va l'utiliser pour modifier
00:54:43 les dates
00:54:45 du calendrier parlementaire.
00:54:47 C'est trop important pour que les Français soient dérangés pour ça,
00:54:49 donc pas de référendum,
00:54:51 donc on utilise ça.
00:54:53 Mais, naturellement, l'idée c'est que
00:54:55 toute réforme importante doit passer par là.
00:54:57 Depuis
00:54:59 le départ du général de Gaulle,
00:55:01 on a complètement oublié
00:55:03 cette logique.
00:55:05 Et, dès Pompidou,
00:55:07 on passe de l'autre côté,
00:55:09 c'est-à-dire d'un système dans lequel
00:55:11 au fond, c'est plus,
00:55:13 infiniment plus confortable,
00:55:15 l'entre-soi
00:55:17 de l'oligarchie parlementaire
00:55:19 est infiniment plus simple,
00:55:21 plus rassurante,
00:55:23 moins risqué que
00:55:25 le référendum qui comporte toujours
00:55:27 un risque.
00:55:29 On parle de la glorieuse incertitude du sport,
00:55:31 la glorieuse incertitude de la démocratie
00:55:33 et du référendum.
00:55:35 Il peut y avoir des non, effectivement,
00:55:37 en 69, et naturellement,
00:55:39 bien sûr, en 2005.
00:55:41 Il peut y avoir des moments où
00:55:43 des quasi-non, c'est-à-dire des moments
00:55:45 où
00:55:47 la participation
00:55:49 est tellement médiocre.
00:55:51 72. 72 et surtout 2000
00:55:53 pour le référendum sur le quinquennat.
00:55:55 On a, effectivement,
00:55:57 on a 70% d'abstention.
00:55:59 On a 70% d'abstention.
00:56:01 Alors,
00:56:03 je séjourne un peu
00:56:05 sur cette idée, parce qu'elle est au milieu
00:56:07 de notre drame, qui montre d'ailleurs
00:56:09 que le droit constitutionnel, c'est pas secondaire
00:56:11 et que presque toute la vie sociale,
00:56:13 non seulement politique, mais sociale,
00:56:15 la vie d'un pays, la vie de la nation, dépend
00:56:17 de quelques articles de la Constitution.
00:56:19 C'est pas pour glorifier le rôle du
00:56:21 professeur droit constitutionnel que vous êtes.
00:56:23 Non, mais si vous voulez... Il est méconnu, parce que
00:56:25 quand la Constitution est mal fichue,
00:56:27 tout se déraille. Tout déraille.
00:56:29 Pour tout vous dire, c'est parce que
00:56:31 c'est la politique qui me passionne depuis toujours
00:56:33 que je me suis intéressé au droit constitutionnel
00:56:35 et que c'est la matière que j'enseigne.
00:56:37 Oui, mais elle est absolument centrale.
00:56:39 La preuve est faite que
00:56:41 ce président de la République
00:56:43 voulu comme un arbitre à l'ancienne
00:56:45 le roi qui arbitre
00:56:47 et qui est le roi de tous les Français
00:56:49 et qui est impartial,
00:56:51 qui ne prend pas parti pour un parti,
00:56:53 ni pour la droite, ni pour la gauche.
00:56:55 Bon, de Gaulle était un homme de droite,
00:56:57 mais il a en effet dit, et c'est tout à fait vrai,
00:56:59 qu'on ne gouverne pas la France
00:57:01 à droite ou à gauche. La France, c'est un tout.
00:57:03 On gouverne la France.
00:57:05 Au nom de ses intérêts supérieurs, ils sont bien communs.
00:57:07 Bon, mais
00:57:09 ce rôle arbitral,
00:57:11 et comme vous dites, la date de 1965 est dramatique,
00:57:13 étant perdu,
00:57:15 alors à ce moment-là, toutes les féodalités
00:57:17 reviennent, et surtout ces trois
00:57:19 féodalités ou quatre
00:57:21 coalisaient
00:57:23 la féodalité
00:57:27 du fric,
00:57:29 les féodalités financières,
00:57:31 mais surtout, enfin, aussi
00:57:33 celle des partis, vous venez le dire à propos
00:57:35 de l'abus de l'article 83,
00:57:37 mais aussi la féodalité
00:57:39 du juge, enfin,
00:57:41 du judiciaire, enfin,
00:57:43 du pouvoir qui est
00:57:45 presque, qui est plus qu'un
00:57:47 contre-pouvoir maintenant, qui est le pouvoir
00:57:49 judiciaire, le pouvoir des juges,
00:57:51 et enfin, peut-être la
00:57:53 pire, si je puis dire, la
00:57:55 féodalité médiatique.
00:57:57 Quand elles sont liées, et elles sont
00:57:59 liées, et comment elles sont liées, ces quatre
00:58:01 féodalités-là,
00:58:03 le prince
00:58:05 est absent, le bien
00:58:07 commun n'est plus incarné par personne,
00:58:09 elles font
00:58:11 les élections, elles ont
00:58:13 fait l'élection,
00:58:15 là, on peut le dire,
00:58:17 du président de la République à plusieurs
00:58:19 reprises, pour être bien sûr, d'ailleurs,
00:58:21 on ficelle
00:58:23 l'élection de telle sorte
00:58:25 que n'importe qui ne peut pas se présenter,
00:58:27 et je crois même que Giscard d'Estaing, à l'origine,
00:58:29 voulait 10 000, c'est vous qui m'avez appris ça,
00:58:31 9 ou 10 000... - Oui, oui, c'est ça, il y avait
00:58:33 un pourcentage... - Parrainage, pour bien
00:58:35 tout... - Pour Pidou aussi,
00:58:37 c'était... - Et puis, et puis, voilà,
00:58:39 donc ça va très vite, très vite,
00:58:41 on est dans un système oligarchique, comme vous avez dit,
00:58:43 qui finit par
00:58:45 contrôler jusqu'à l'élection du président de la République,
00:58:47 ça s'est terriblement vu en
00:58:49 2017, avec la mise à l'écart
00:58:51 médiatique d'un candidat, François Fignon,
00:58:53 qui avait toute chance de l'emporter,
00:58:55 et pour imposer
00:58:57 le non moins médiatique
00:58:59 Macron, grand comédien
00:59:01 auquel vous avez consacré un livre,
00:59:03 auquel il faut que nous en
00:59:05 venions, parce qu'il est vraiment passionnant, ce livre,
00:59:07 "Liquidation", Emmanuel Macron
00:59:09 et le Saint-Simonisme,
00:59:11 ils ont imposé leur vue progressiste
00:59:13 et un peu mercantile,
00:59:15 enfin, voilà.
00:59:17 Est-ce qu'on est d'accord ou pas ?
00:59:19 Allez-y. - Bon, je vous coupe un peu là-dessus,
00:59:21 en fait, moi, je pense que
00:59:25 si on regarde l'histoire
00:59:27 longue,
00:59:29 ces quatre féodalités, elles ont toujours existé,
00:59:31 sous des formes différentes, mais, voilà,
00:59:33 au fond, la féodalité de l'argent,
00:59:35 elle a toujours été présente, la féodalité
00:59:37 des partis, c'est celle des grands féodaux,
00:59:39 sous l'Ancien Régime,
00:59:41 la féodalité des juges,
00:59:43 elle est omniprésente. - Le problème
00:59:45 du XVIIIe siècle ? - Eh bien, seulement,
00:59:47 enfin, là, on pense effectivement
00:59:49 au Parlement, mais
00:59:51 à partir du XIVe siècle, il y a des conflits
00:59:53 permanents entre, justement,
00:59:57 les rois et les juges,
00:59:59 et notamment les Parlements à partir
01:00:01 du XVe, où les Parlements
01:00:03 jouent un rôle qui est
01:00:05 d'ailleurs important, c'est de dire, voilà,
01:00:07 le roi va trop loin,
01:00:09 la loi du roi va à l'encontre
01:00:11 des lois fondamentales, par conséquent, on la bloque.
01:00:13 Et l'obligation du roi
01:00:15 de transiger,
01:00:17 ou éventuellement d'essayer de forcer la main
01:00:19 avec ce qu'on appelle l'injustice,
01:00:21 qui permettait au roi de siéger
01:00:23 directement, effectivement, dans le Parlement
01:00:25 et de faire enregistrer ses lois,
01:00:27 contre la volonté des Parlements.
01:00:29 Et par ailleurs, la volonté des médias,
01:00:31 elle se fait sous d'autres formes à l'époque,
01:00:33 mais elle existe aussi, c'est l'opinion publique,
01:00:35 et notamment à partir du XVIIe
01:00:37 ou du XVIIIe siècle,
01:00:39 les grands, je veux dire,
01:00:41 Voltaire, il a subi,
01:00:43 c'est déjà les médias, et on peut dire...
01:00:45 - C'est Bernard-Elie Levy de l'époque, en fait.
01:00:47 - En plus, en 1830, à mon sens.
01:00:49 - En plus, il a dit des choses terribles,
01:00:51 Voltaire, aussi. - Oui, c'est vrai.
01:00:53 Donc, mais,
01:00:55 effectivement, le problème, c'est que
01:00:57 dans une République démocratique
01:00:59 comme la nôtre,
01:01:01 le pouvoir, là, accède
01:01:03 à un niveau de puissance
01:01:05 qui n'est pas le leur
01:01:07 dans une monarchie où
01:01:09 il y a cette puissance
01:01:11 arbitrale,
01:01:13 cette puissance au-dessus
01:01:15 de ses oligarchies, de ses féodalités.
01:01:17 Voilà, le problème, c'est ça, c'est que...
01:01:19 - Ça, c'est un grand point
01:01:21 pour le royalisme. - C'est un grand point
01:01:23 pour le royalisme, tout à fait. - On est au cœur de la...
01:01:25 - En tout cas, sur une forme de royalisme,
01:01:27 sur un système qui permet
01:01:29 effectivement de maintenir
01:01:31 à leur place ces féodalités, en sachant que
01:01:33 elles ont toujours existé, elles existeront
01:01:35 toujours. - Il y a quelqu'un au-dessus. - Il y a quelqu'un au-dessus.
01:01:37 Qui peut, effectivement, éviter
01:01:39 qu'elles n'aillent trop loin et qu'elles ne se
01:01:41 coalisent pour aller en contre de l'intérêt général.
01:01:43 - C'est tout de même pas ces raisonnements, mon cher professeur
01:01:45 Frédéric Rouvillois, cher ami,
01:01:47 qui a fait qu'un jour,
01:01:49 à 13 ans, vous êtes allé acheter
01:01:51 un livre de Charles Maurras,
01:01:53 quand même. Non, il y a autre chose
01:01:55 que ces considérations hautement républicaines,
01:01:57 si on peut dire, hautement républicaines.
01:01:59 - Ah oui, ça c'est... - Dans l'achat
01:02:01 du livre de Charles Maurras, vous m'avez dit
01:02:03 que vous aviez lu, ou acheté,
01:02:05 - Oui, j'ai lu, absolument. - votre premier livre de Maurras
01:02:07 à 13 ans. - Je lis, je lis ici.
01:02:09 - Ah, vous l'avez même là.
01:02:11 - Voilà. Parce que, je sais,
01:02:13 je m'intéressais déjà à la politique depuis
01:02:15 quelques temps. - Ça, c'était à 13 ans.
01:02:17 - Et même, en fait,
01:02:19 mon premier souvenir politique,
01:02:21 fort, c'est assez drôle,
01:02:23 c'était un peu intime, mais
01:02:25 j'étais en
01:02:27 CM2,
01:02:29 c'était en 1974,
01:02:31 au moment de l'élection présidentielle,
01:02:33 et j'ai appris
01:02:35 qu'un candidat royaliste se présentait.
01:02:37 - Qui était Bertrand.
01:02:39 - Et,
01:02:41 dans une famille totalement républicaine de A à Z,
01:02:43 etc., je me suis dit,
01:02:45 c'est un scandale,
01:02:47 un candidat royaliste, il risque d'être,
01:02:49 d'aller, enfin, voilà,
01:02:51 on va retomber
01:02:53 autant des serfs, de la noblesse,
01:02:55 des
01:02:57 châteaux, etc., etc.,
01:02:59 et je me disais, oui,
01:03:01 j'espère qu'on va pouvoir vaincre
01:03:03 cette menace terrible
01:03:05 qu'est
01:03:07 le danger royaliste pour la France.
01:03:09 - À 10 ou 12 ans, oui. - J'avais pas tout à fait,
01:03:11 j'avais un peu moins de, j'avais 9 ans, en fait.
01:03:13 Et, bon,
01:03:15 ensuite, j'ai commencé
01:03:17 à lire un petit peu, et notamment, j'ai eu des choses
01:03:19 sur la royauté, sur la révolution,
01:03:21 sur Louis XVII en particulier,
01:03:23 et là, ça m'a complètement retourné, et
01:03:25 d'anti-royaliste fanatique
01:03:27 que j'étais à 9 ans, je suis devenu
01:03:29 royaliste, finalement, vers 10 ou 11 ans.
01:03:31 - Et grâce à Bertrand Renouvin,
01:03:33 alors. - Grâce à Bertrand Renouvin, et grâce
01:03:35 à les lectures que j'avais pu faire,
01:03:37 mais qui allaient, voilà, c'était
01:03:39 Alain Decaux, les choses qu'on peut lire quand on a,
01:03:41 quand on a cet âge-là. - T'as toujours beaucoup aimé l'histoire,
01:03:43 je pense, oui. - J'ai toujours beaucoup aimé l'histoire,
01:03:45 et ensuite, - La grand-mère triste.
01:03:47 - je savais pas du tout vers quoi
01:03:49 aller, et je suis allé un jour
01:03:51 au CDI,
01:03:53 comme on disait à l'époque,
01:03:55 de mon collège,
01:03:57 j'ai pris le quid,
01:03:59 et je suis tombé sur,
01:04:01 j'ai regardé la liste des partis politiques,
01:04:03 et le premier qui m'est tombé sur les yeux, c'était
01:04:05 Action Française.
01:04:07 C'était le premier dans la famille. - La vieille Action Française,
01:04:09 pas celle de Bertrand Renouvin, c'était la nouvelle Action Française.
01:04:11 - Oui, mais qui renvoyait à Aspel-la-France,
01:04:13 ou disait "Scrouille-croix-les-petits-champs", etc.
01:04:15 Et donc, à partir de ce
01:04:17 moment-là, j'étais au collège,
01:04:19 j'ai été acheter
01:04:21 Aspel-la-France,
01:04:23 qui était le journal de l'Action Française.
01:04:25 J'allais...
01:04:27 - Qui à ce moment-là se mordait dans les kiosques, alors ?
01:04:29 - Qui à ce moment-là se mordait dans les kiosques, absolument, tout à fait.
01:04:31 Mais,
01:04:33 voilà, je faisais quand même
01:04:35 une bonne heure de marche pour aller jusqu'à Rouen,
01:04:37 pour aller le chercher, j'étais déjà assez...
01:04:39 Voilà, et
01:04:41 c'était l'occasion d'une sortie scolaire.
01:04:43 - C'est formidable, penser à ce jeune homme de 13 ans.
01:04:45 - C'est l'occasion d'une sortie scolaire.
01:04:47 - Qui marche jusqu'à Rouen, pour aller acheter...
01:04:49 - Aspel-la-France.
01:04:51 - Aspel-la-France.
01:04:53 - Et c'est l'occasion d'une sortie scolaire à Paris,
01:04:55 que nous avions faite avec la classe de 4ème,
01:04:57 que...
01:04:59 Alors, je disais déjà à tout le monde
01:05:01 que j'étais royaliste, etc.
01:05:03 Les gens se moquaient de moi, voulaient me casser la figure,
01:05:05 mais bon, peu importe.
01:05:07 - Au nom de la démocratie, comme toujours.
01:05:09 - Les profs, mais pas tellement, par contre.
01:05:11 - Oui, oui, c'est ça.
01:05:13 - C'est assez rouge.
01:05:15 Et donc, c'est à l'occasion de cette sortie scolaire
01:05:17 qu'on est allé sur les quais
01:05:19 avec mes petits camarades
01:05:21 et je suis tombé sur
01:05:23 un boutique des quais,
01:05:25 sur cet ouvrage, qui est le premier
01:05:27 livre Saint-Laurence que j'ai acheté.
01:05:29 J'ai mis quand même longtemps à le lire,
01:05:31 rassurez-vous, quand même.
01:05:33 Il s'appelle "La contre-révolution spontanée".
01:05:35 - Oui, c'est pas le premier.
01:05:37 - Non, c'est pas le premier.
01:05:39 - Le premier livre pour
01:05:41 introduire la pensée de Morasse
01:05:43 et mes idées politiques, c'est ça ?
01:05:45 - Oui, oui, à priori, c'est...
01:05:47 - Qu'est-ce qu'on peut conseiller ?
01:05:49 - Mes idées politiques, c'est un ouvrage
01:05:51 qui est une sorte d'anthologie,
01:05:53 mais quand même assez fouillé
01:05:55 de la pensée de Morasse,
01:05:57 donc c'est des petits morceaux choisis,
01:05:59 mais avec quand même une introduction
01:06:01 qui est absolument géniale, qui s'appelle
01:06:03 "La politique naturelle", dans laquelle
01:06:05 il expose un peu sa
01:06:07 philosophie.
01:06:09 - La philosophie politique pure.
01:06:11 - De la société
01:06:13 et la manière dont finalement,
01:06:15 lui-même, venant lui aussi
01:06:17 d'un milieu républicain, va
01:06:19 à mon nez se dire que
01:06:21 ce qu'il aime par-dessus tout,
01:06:23 c'est la culture et la Provence.
01:06:25 Sauf que la culture et la Provence,
01:06:27 dit-il, elle ne peut pas subsister
01:06:29 de nos jours en dehors de la nation française.
01:06:31 Et la nation française, elle ne peut pas
01:06:33 subsister sans un système
01:06:35 politique adéquat, et ce système,
01:06:37 c'est la monarchie. Et c'est comme ça que
01:06:39 Morasse, de
01:06:41 place en place, va passer
01:06:43 finalement de
01:06:45 son amour
01:06:47 forcené pour
01:06:49 Mistral, la culture provençale, la langue
01:06:51 provençale, etc. C'est Stefan Jocanti
01:06:53 qui l'a admirablement montré dans
01:06:55 sa thèse et dans ses textes
01:06:57 successifs, et dans son "Morasse".
01:06:59 De là, il
01:07:01 va passer effectivement du culturel
01:07:03 au politique et
01:07:05 du national au
01:07:07 monarchique, la monarchie étant selon
01:07:09 lui la meilleure manière,
01:07:11 finalement, de sauvegarder
01:07:13 la nation et d'avoir
01:07:15 un régime qui est à la fois efficace
01:07:17 et protecteur des libertés.
01:07:19 Donc c'est...
01:07:21 Moi, mon raisonnement,
01:07:23 évidemment, c'est
01:07:25 pas le même, mais donc voilà, je suis
01:07:27 tombé dans le moracisme quand j'étais tout petit,
01:07:29 pas du tout à cause de ma famille, mais
01:07:31 à cause des hasards, notamment
01:07:33 de l'alphabet et du fait que dans le
01:07:35 quid, "Action française"
01:07:37 était le premier truc qui...
01:07:39 Voilà, si
01:07:41 un autre... Si l'action française
01:07:43 s'était appelée autrement, ou si un autre
01:07:45 parti politique avait été mieux classé
01:07:47 dans le truc, peut-être que j'y serais allé
01:07:49 voir et que ma vie
01:07:51 aurait été radicalement différente, puisque
01:07:53 voilà, cette rencontre
01:07:55 avec la pensée morassienne,
01:07:57 c'est quand même
01:07:59 l'un des basculements
01:08:01 essentiels de ma vie, quoi.
01:08:03 - Puisqu'on en est à ce sujet,
01:08:05 l'action française, le mouvement royaliste,
01:08:07 je pense que
01:08:09 vous avez milité assez jeune,
01:08:11 c'est ce que vous disiez... - Immédiatement, oui.
01:08:13 - Immédiatement, malgré
01:08:15 les critiques
01:08:17 de votre milieu,
01:08:19 peut-être pas vos parents, mais vos professeurs, en tous les cas, oui ?
01:08:21 - Ah oui, mes professeurs, pas du tout,
01:08:23 enfin, surtout au collège, c'était
01:08:25 un collège, c'était un CES,
01:08:27 où les professeurs étaient quand même très, très nettement à gauche,
01:08:29 à voir quelqu'un
01:08:31 qui se dise royaliste,
01:08:33 qui, à partir du 4ème,
01:08:35 met une
01:08:37 fleur de lys sur son manteau,
01:08:39 voilà, ça allait
01:08:41 perturber un petit peu. Ensuite, au lycée,
01:08:43 c'était différent, parce qu'on a
01:08:45 quand même un rapport avec les professeurs
01:08:47 qui est déjà un rapport un peu de discussion
01:08:49 et de... qui était beaucoup plus
01:08:51 intéressant, et notamment, voilà...
01:08:53 - Est-ce qu'ils savaient au moins que la distinction
01:08:55 qu'on ne fait plus aujourd'hui entre le morasse et le fascisme,
01:08:57 c'est quelque chose qui est complètement folle, parce que c'est exactement
01:08:59 l'inverse, en réalité, il y a plus d'antifascistes.
01:09:01 - Oui, non mais ça, non.
01:09:03 - Et les fascistes sont ceux qui, justement,
01:09:05 stigmatisent les électeurs
01:09:07 de morasse. Vous savez ce que disait
01:09:09 Pasolini ? Le fascisme
01:09:11 a un avenir à condition de s'appeler antifasciste.
01:09:13 Ce qui revient à ce que nous disions
01:09:15 au début de notre conversation,
01:09:17 la pente progressiste déchaînée
01:09:19 et qui se veut antifasciste
01:09:21 vire au fascisme,
01:09:23 ce qui est normal, puisque le fascisme, au fond,
01:09:25 nous l'avons inscrit dans la cosmogonie
01:09:27 de gauche, une fois pour toutes. - J'ai découvert
01:09:29 Pasolini assez récemment pour un point de vue de notre travail.
01:09:31 - Ah, il est formidable. - C'est passionnant.
01:09:33 - Ah, c'est formidable, Pasolini, c'est un grand penseur.
01:09:35 Je suis content que vous le disiez ça.
01:09:37 Les Écrits Corsaires, voilà, un très beau livre.
01:09:39 - Oui, oui, et puis, en fait, on oublie en France
01:09:41 que ce n'est pas juste un immense cinéaste,
01:09:43 c'est aussi un très grand poète, un grand romancier,
01:09:45 un grand penseur. - Je disais, c'est beaucoup
01:09:47 plein de la mise en coupe réglée
01:09:49 de l'Italie par
01:09:51 nos amis de l'OTAN, justement.
01:09:53 - Oui, oui, bien sûr.
01:09:55 - Bon, alors, mais
01:09:57 revenons à ça, vous avez
01:09:59 non seulement milité, mais
01:10:01 vous avez lancé des revues, je pense,
01:10:03 une revue que vous nous avez apportée
01:10:05 qui s'appelle "Réaction", d'inspiration
01:10:07 très monarchiste, enfin, royaliste
01:10:09 plutôt que monarchiste.
01:10:11 - Oui, peut-être qu'il y a une différence
01:10:13 entre les deux. - Non, parce qu'il y a des monarchistes,
01:10:15 ça veut dire qu'un seul, le pouvoir,
01:10:17 c'est pas exactement le roi. Le roi
01:10:19 a une limité populaire,
01:10:21 ce ne sont pas tous les monarques.
01:10:23 - C'est vrai, mais bon, c'est...
01:10:25 - Qui peuvent être des dictateurs. - C'est des dictateurs.
01:10:27 - C'est autre chose.
01:10:29 - Quand je pense à la République, qui est une monarchie,
01:10:31 donc démocratique,
01:10:33 c'est déjà ça, quand même. - Oui, c'est déjà ça.
01:10:35 - C'est déjà ça, ça dépend
01:10:37 de la tête de l'État. - Voilà, enfin, c'est...
01:10:39 de nombreux auteurs ont dit ça,
01:10:41 la tyrannie...
01:10:43 la tyrannie d'un seul, c'est horrible,
01:10:45 mais la tyrannie de plusieurs,
01:10:47 qui sont en plus irresponsables,
01:10:49 c'est encore bien pire.
01:10:51 Déjà, il y a
01:10:53 Sassou à la plume de Voltaire,
01:10:55 et il n'est pas du tout le seul
01:10:57 à le dire.
01:10:59 - Alors, désormais, réalisme, si vous voulez.
01:11:01 - Et donc, voilà, effectivement,
01:11:03 c'est un autre tournant important dans mon existence.
01:11:05 J'étais en train de...
01:11:07 J'étais
01:11:09 étudiant en droit,
01:11:11 j'étais en train de préparer
01:11:13 ma thèse de doctorat,
01:11:15 dont vous avez gentiment parlé tout à l'heure,
01:11:17 sur l'invention du progrès.
01:11:19 Et un jour,
01:11:21 je suis
01:11:23 à une réunion
01:11:25 de royalistes à Rouen.
01:11:27 Je rencontre quelqu'un qui s'appelle
01:11:29 François Maillot, qui s'appelle maintenant François Huguenin,
01:11:31 son pseudonyme,
01:11:33 qui me dit, voilà,
01:11:35 on va faire une revue avec des copains,
01:11:37 est-ce que ça te tenterait d'en être...
01:11:39 - Qui a dirigé une grande librairie en Paris, enfin, voilà.
01:11:41 - Absolument, oui, qui a écrit
01:11:43 beaucoup d'ouvrages ensuite.
01:11:45 Et donc je lui dis,
01:11:47 OK, très bien. Et finalement,
01:11:49 quelques mois plus tard, il me rappelle et
01:11:51 il me dit, voilà, on a trouvé
01:11:53 un nom, un sous-titre,
01:11:55 etc. Et ça s'appelait donc "Réaction",
01:11:57 je vous le montre.
01:11:59 Voilà, qui a...
01:12:01 - Il y a eu une douzaine de numéros. - Il y a eu 13 numéros.
01:12:03 C'est un titre qui porte un peu malheur.
01:12:05 Mais bon, d'autant plus que
01:12:07 elle s'inspire d'une revue
01:12:09 des années 30, une revue
01:12:11 de ce qu'on appelle la "jeune droite",
01:12:13 non-conformiste des années 30,
01:12:15 qui avait été lancée par un...
01:12:17 un Mauracien-Catho qui s'appelle Jean de Fabregne,
01:12:21 mais dans laquelle
01:12:23 on écrit également d'autres auteurs
01:12:25 inattendus, comme Maurice Blanchot,
01:12:27 qui s'appelait "Réaction",
01:12:29 qui a été créé en 1930,
01:12:31 et qui a eu également
01:12:33 13 numéros, voilà.
01:12:35 Nous, notre... - Ah mais écoutez, vous me faites peur
01:12:37 parce qu'on est en train de préparer le numéro 13
01:12:39 du nouveau conservateur.
01:12:41 Vous voulez dire que ça va être le dernier ?
01:12:43 Bon, bref.
01:12:45 13 numéros extrêmement riches,
01:12:47 parce que "Réaction", que j'ai lu à ce moment-là,
01:12:49 c'était les années 90,
01:12:51 a brillé par la qualité de ses intervenants.
01:12:53 - Oui, oui, on a
01:12:55 bien bossé.
01:12:57 En fait, c'était un peu
01:12:59 le miracle des rencontres.
01:13:01 C'est une équipe...
01:13:03 On est une équipe de 4 ou 5 personnes.
01:13:05 On va tous très bien s'entendre,
01:13:07 on est tous très complémentaires, parce qu'on tire dans des...
01:13:09 On évoque des choses
01:13:11 tout à fait différentes,
01:13:13 des points de vue différents les uns des autres.
01:13:15 Il y en a qui sont...
01:13:17 Il y en a plusieurs qui ont fait du Sciences Po,
01:13:19 il y en a qui ont fait du droit, comme moi,
01:13:21 d'autres qui sont historiens, d'autres qui sont littéraires.
01:13:23 - Des musicologues, comme
01:13:25 Philippe Bossan, qui a participé à un dossier formidable
01:13:27 sur le grand siècle.
01:13:29 - Oui, oui, c'est ça.
01:13:31 D'autre part, par exemple,
01:13:33 dans le lot, il y en a plusieurs qui sont passionnés de la musique.
01:13:35 Notre ami Laurent Dandrieu,
01:13:37 par exemple,
01:13:39 avec qui je suis
01:13:41 évidemment très, très...
01:13:43 dont je suis très proche depuis ce moment-là.
01:13:45 - Nous allons en recevoir bientôt.
01:13:47 - Qui écrit un bouquin qui s'appelle...
01:13:49 qui écrit un bouquin, un grand article sur
01:13:51 musique baroque et pop-musique.
01:13:53 Où il fait une comparaison entre les deux
01:13:55 qui est assez lumineuse
01:13:57 et qui est un des beaux articles du truc.
01:13:59 - Mais oui, c'est Bossan qui explique que justement
01:14:01 pendant le grand siècle, les Français chantaient tout le temps.
01:14:03 - Oui, absolument.
01:14:05 - Et c'est très populaire, contrairement à ce que l'on pense.
01:14:07 Rameau, des airs de Rameau,
01:14:09 étaient...
01:14:11 dont celui d'ailleurs qui nous sert de générique,
01:14:13 je veux le dire, étaient connus dans la France entière
01:14:15 et qu'on chantait les chants
01:14:17 et on reprenait les thèmes
01:14:19 que l'on commençait à chanter
01:14:21 à Versailles ou à Paris
01:14:23 et qui étaient repris dans l'ensemble.
01:14:25 C'est une très belle article. - Oui, ça c'est quelque chose que je trouve...
01:14:27 - De la population. - Non seulement extrêmement intéressant,
01:14:29 mais extrêmement... - Avec des manucanteries,
01:14:31 des choeurs... - C'est très fort parlé.
01:14:33 - Mais aussi parce que ça veut nous dire
01:14:35 de l'art finalement. C'est-à-dire que l'art
01:14:37 de l'époque, l'art ancien,
01:14:39 c'est un art humain finalement, un art que
01:14:41 les gens peuvent s'approprier. Alors que de nos jours...
01:14:43 - C'était pas si royal que ça en fait.
01:14:45 - La musique contemporaine, depuis le début du...
01:14:47 depuis les années 20, mettons,
01:14:49 plus personne ne chante dans la rue, et pour cause,
01:14:51 parce qu'elle n'est pas chantable. - Il reste le rap.
01:14:53 - Comment ? - Il reste le rap.
01:14:55 - Oui, mais c'est pas la grande musique,
01:14:57 si j'ose dire. - Certes, certes.
01:14:59 - Mais la grande
01:15:01 musique, la musique classique,
01:15:03 la musique qu'on appelle la musique classique, c'est-à-dire...
01:15:05 - Une venue populaire. - La musique...
01:15:07 Jamais vous verrez quelqu'un qui siffle des airs
01:15:09 de Boulez dans la rue,
01:15:11 et pour cause.
01:15:13 Et voilà, c'est...
01:15:15 C'est aussi une chose qui m'intéresse beaucoup
01:15:17 dans cette modernité qui va
01:15:19 vers l'abîme,
01:15:21 c'est finalement
01:15:23 le fait qu'elle se
01:15:25 dissocie de plus en plus.
01:15:27 Je veux dire, ça vaut pour la musique,
01:15:29 ça vaut pour la peinture et pour l'art
01:15:31 plastique, en partie,
01:15:33 ça vaut pour la poésie,
01:15:35 la poésie contemporaine est quand même complètement...
01:15:37 - Hermétique.
01:15:39 - C'est soit les trucs qu'on nous met dans le métro,
01:15:41 le premier esprit de la RATP,
01:15:43 ou la petite fille
01:15:45 de 5 ans qui, soit disant, a écrit
01:15:47 un poème fabuleux que manifestement
01:15:49 ses parents, profs de français,
01:15:51 ont écrit à sa place,
01:15:53 mais la poésie...
01:15:55 - La grande poésie, oui.
01:15:57 - La grande poésie contemporaine,
01:15:59 plus personne ne peut la lire,
01:16:01 plus personne ne la lit, ça se vend plus,
01:16:03 ça se...
01:16:05 - Alors là, il y a
01:16:07 un autre aspect qui pointe le bout du nez
01:16:09 au milieu de notre conversation,
01:16:11 mais elle est si riche qu'on pourrait y passer des heures, là, franchement.
01:16:13 C'est
01:16:15 l'historien que vous êtes
01:16:17 des moeurs.
01:16:19 Vous m'avez beaucoup surpris, une première fois,
01:16:23 avant votre nouvel carrière littéraire,
01:16:25 si on peut dire,
01:16:27 par un livre qui est passionnant,
01:16:29 "L'histoire de la politesse".
01:16:31 - Absolument, oui.
01:16:33 - Alors, je me souviens, nous avions parlé
01:16:35 au micro de Radio Comptoirsive,
01:16:37 je me souviens tout à fait de cette émission,
01:16:39 il y a une quinzaine d'années,
01:16:41 je ne sais pas quand date "L'histoire de la politesse".
01:16:43 Qu'est-ce qui vous a pris d'écrire "L'histoire de la politesse",
01:16:45 c'est très étonnant comme sujet.
01:16:47 - En fait, c'était...
01:16:49 Là encore, on est un peu dans l'intime,
01:16:51 mais enfin, c'est le format...
01:16:53 - C'est une conversation, personne ne vous écoute.
01:16:55 - Voilà.
01:16:57 En fait, j'ai toujours été passionné
01:17:01 par la littérature,
01:17:03 notamment par la littérature du XXe siècle,
01:17:05 et plus précisément par Proust.
01:17:07 - Grand monarchiste.
01:17:09 - Oui, entre autres.
01:17:11 - Je dis ça parce que, pardon de vous couper,
01:17:13 mais lors de l'anniversaire de Proust,
01:17:15 j'étais effrayé, on en a fait un hyper-progressiste
01:17:17 qui était un pré-LGBT, en réalité,
01:17:19 qui stigmatisait la bourgeoisie,
01:17:21 et il le faisait au nom de l'aristocratie,
01:17:23 d'ailleurs, sans... - Oui, c'est ça.
01:17:25 - Non, il faisait un homme de gauche.
01:17:27 Moi, je vous ai coupé, c'était un monarchiste
01:17:29 qui a eu le prix Goncourt grâce à l'action française,
01:17:31 et notamment à David.
01:17:33 - Donc, j'adore.
01:17:35 - Proust.
01:17:37 - Pour pouvoir le lire correctement,
01:17:39 et pour pouvoir voir tout le suc de la chose,
01:17:41 notamment l'humour qu'il y a dans "La recherche du temps perdu",
01:17:43 il faut être un petit peu au courant,
01:17:45 notamment des règles de politesse qui se pratiquent à l'époque.
01:17:47 - Ah, c'est par là.
01:17:49 - C'est l'une des portes d'entrée.
01:17:51 J'en ai discuté un jour avec une très bonne amie éditrice,
01:17:53 qui s'appelle Hélène Fiamma,
01:17:55 qui est...
01:17:57 On discutait ensemble.
01:17:59 J'ai déjà publié deux bouquins ou trois
01:18:01 chez Flammarion avec elle.
01:18:03 Et donc, à partir de là,
01:18:05 on a parlé de différentes petites choses,
01:18:07 et on s'est dit, voilà,
01:18:09 pourquoi pas écrire
01:18:11 une histoire de la politesse ?
01:18:13 Ça n'existait pas à ce moment-là,
01:18:15 ou du moins pas de cette manière-là.
01:18:17 Et donc, je m'y suis mis.
01:18:19 D'abord, c'était un livre
01:18:21 qu'on aurait dû faire à trois.
01:18:23 Mais finalement,
01:18:25 mes deux co-auteurs se sont...
01:18:27 - Fatigués.
01:18:29 - ...insistés.
01:18:31 Et donc, j'ai fini par le faire tout seul.
01:18:33 J'ai sorti ça en 2006.
01:18:35 Donc, c'est une histoire de la politesse
01:18:37 en France,
01:18:39 de la Révolution jusqu'à nos jours.
01:18:41 Et donc, ça commence par évoquer
01:18:43 la terrible période révolutionnaire
01:18:45 où il est interdit d'être poli.
01:18:47 - Le cataclysme révolutionnaire, c'est ça.
01:18:49 - C'est incroyable.
01:18:51 - Il est interdit d'être poli parce que...
01:18:53 - On pouvait être traité en justice
01:18:55 parce qu'on était bien élevé, tout simplement.
01:18:57 - C'est un peu ça. C'est-à-dire que le vouvoiement
01:18:59 est interdit, on n'a plus le droit
01:19:01 de dire "monsieur" ou "madame",
01:19:03 on n'a plus le droit d'envoyer
01:19:05 des cartes de vœux, on n'a plus le droit de...
01:19:07 Voilà, il y a toute une série d'éléments
01:19:09 qui font qu'en fait, on considère,
01:19:11 mais comme on considérera plus tard
01:19:13 ce qui se passe, on considère que finalement
01:19:15 les formes et les formules
01:19:17 de la politesse sont liées
01:19:19 à l'ancien régime et sont
01:19:21 attentatoires aux trois principes...
01:19:23 - Toujours le fasciste de gauche, quoi.
01:19:25 - Ouais, attentatoires aux trois principes de la République,
01:19:27 liberté, égalité, fratérité.
01:19:29 Liberté parce que c'est des règles, et c'est des règles
01:19:31 qui n'ont pas été adoptées par le Parlement,
01:19:33 par la Convention.
01:19:35 Égalité parce que
01:19:37 la politesse oblige
01:19:39 de reconnaître
01:19:41 les distances de hiérarchie,
01:19:43 de différences entre les gens, les...
01:19:45 Et fraternité
01:19:47 parce que, tout simplement,
01:19:49 si on utilise des choses comme ça,
01:19:51 c'est parce qu'on n'est pas tous frères,
01:19:53 et que justement, la fraternité pour tous
01:19:55 implique une suppression de la politesse.
01:19:57 Voilà.
01:19:59 Et donc, ça va aller très loin
01:20:01 parce qu'effectivement, il y a des gens qui vont se faire
01:20:03 chopper, qui vont se faire considérer comme
01:20:05 suspects, etc., parce qu'ils utilisent
01:20:07 ces mots, ces formes, ces gestes, etc.
01:20:09 Et vous savez qu'à l'époque, quand on est suspect,
01:20:11 ben on...
01:20:13 - Ça va loin. - On n'est pas cible du tribunal
01:20:15 révolutionnaire, et quand on est devant le tribunal révolutionnaire,
01:20:17 il n'y a plus
01:20:19 beaucoup d'espace entre le tribunal
01:20:21 et la guillotine.
01:20:23 Donc effectivement,
01:20:25 ça va très très loin. C'est un peu comme...
01:20:27 Enfin, je parlais de
01:20:29 la Russie soviétique, mais
01:20:31 un autre exemple
01:20:33 terrible pour ça, c'est
01:20:35 le Cambodge de Pol Pot.
01:20:37 C'est un peu moins loin de nous.
01:20:39 - Quand on était dépositaires
01:20:41 du Vieux Monde... - Le dépire du Vieux Monde...
01:20:43 - C'est pour ça que la politesse était banique.
01:20:45 - C'est ça. Il est suspect. - C'est un des relents du Vieux Monde.
01:20:47 - Voilà. Il est suspect, il est bourgeois,
01:20:49 et donc, potentiellement,
01:20:51 il doit être éliminé avec tous ceux
01:20:53 qu'on va écraser pour faire
01:20:55 table rase et pour créer l'homme nouveau
01:20:57 dont on parlait tout à l'heure. - Mais je crois même
01:20:59 que c'est allé très loin. Au Procope,
01:21:01 à côté duquel nous sommes,
01:21:03 vous racontez...
01:21:05 C'est loin d'en venir souvenir qu'un
01:21:07 garçon,
01:21:09 c'est un des premiers restaurants qui existait
01:21:11 déjà avant la Révolution, se met à
01:21:13 vouvoyer
01:21:15 des clients
01:21:17 qui trouvent ça tellement contre-révolutionnaire
01:21:19 qu'ils envoient le garçon au tribunal.
01:21:21 - C'est presque ça.
01:21:23 L'essentiel, c'est ça.
01:21:25 Ce qui est assez marrant, c'est que...
01:21:27 Enfin, marrant, c'est assez triste.
01:21:29 C'est le 25 décembre
01:21:31 93. Donc, ce n'est pas une date totalement
01:21:33 inaudible, si vous voulez.
01:21:35 Le 25 décembre et en plus 93.
01:21:37 Donc, on est vraiment au...
01:21:39 C'est un garçon de café, mais qui est
01:21:41 un très vieux garçon qui est fatigué,
01:21:43 qui est... C'est probablement...
01:21:45 On peut imaginer que c'est en fin de soirée.
01:21:47 Il est épuisé, etc.
01:21:49 Il ne sait plus très bien ce qu'il fait et ce qu'il dit.
01:21:51 Et donc, il y a deux clients qui sont
01:21:53 là et
01:21:55 lui va effectivement les vouvoyer.
01:21:57 Les deux types...
01:21:59 Est-ce que c'est sincèrement
01:22:01 ou est-ce que c'est pour ne pas être
01:22:03 considéré comme complice ? C'est possible.
01:22:05 Ils vont
01:22:07 hurler en expliquant
01:22:09 qu'il les vouvoie,
01:22:11 donc il est contre-révolutionnaire, donc il faudrait
01:22:13 effectivement aller contre lui. Mais...
01:22:15 Autour d'eux,
01:22:17 les gens ne sont pas très...
01:22:19 Enfin, voilà. Ils ne jouent pas le jeu.
01:22:21 Et finalement, ça va s'arrêter là.
01:22:23 Mais c'est suffisamment important. En fait,
01:22:25 à l'époque, il y a plein
01:22:27 d'espions du ministère de l'Intérieur à Paris.
01:22:29 Oui, c'est ça. C'est un grand défi.
01:22:31 Ils prennent des notes. C'est un peu les RG avant leur.
01:22:33 Et c'est grâce à eux,
01:22:35 c'est grâce à un de ces espions
01:22:37 qui s'appelle Caron et dont les papillons étaient publiés
01:22:39 au début du XXe siècle,
01:22:41 qu'on connaît l'anecdote.
01:22:43 C'est un truc qui est quand même extraordinaire.
01:22:45 Peu importe que le vieux
01:22:47 garçon de café ait été épargné ou
01:22:49 non, peu importe la réaction des autres
01:22:51 personnes. Plutôt protractrice.
01:22:53 Le simple fait que les
01:22:55 deux types soient
01:22:57 voulus le conduire
01:22:59 en prison et éventuellement à guillotine,
01:23:01 soit qu'ils se soient dit qu'il
01:23:03 fallait absolument qu'il le fasse pour ne pas avoir
01:23:05 donné le sentiment qu'ils étaient complices de la chose,
01:23:07 ça nous montre bien que...
01:23:09 On est dans le totalitarisme. Exactement, c'est ça.
01:23:11 On est dans un système qui,
01:23:13 même si c'est un terme anachronique,
01:23:15 est un système totalitaire.
01:23:17 Très clairement.
01:23:19 La République,
01:23:21 pour être gentil, je dirais, à ses débuts
01:23:23 était totalitaire
01:23:25 dans son essence même.
01:23:27 Elle est totalitaire dans son essence même.
01:23:29 Il faut dire les choses gentiment,
01:23:31 parce qu'on pourrait faire des léguisements.
01:23:33 J'en parlais avec des amis l'autre jour.
01:23:35 C'est affreux cette révolution française.
01:23:37 J'avais participé
01:23:39 à un bouquin
01:23:41 absolument génial qui s'appelait "Le Livre noir de la révolution française".
01:23:43 Je ne sais pas si vous avez participé à ce truc-là.
01:23:45 Oui, oui, de Courtois.
01:23:47 C'est Courtois qui était évidemment l'un des...
01:23:49 Non, non, c'est pas Courtois.
01:23:51 Je crois qu'il n'y avait pas de directeur spécifique.
01:23:53 C'était un bouquin qui était paru...
01:23:55 Ah, mais c'était "Au fond avec le communisme".
01:23:57 Oui, c'est ça. Un bouquin qui était paru aux éditions du Serre.
01:23:59 Je crois que ça a dû paraître
01:24:01 en 2005 ou 2006.
01:24:03 "Le Livre noir de la révolution française".
01:24:05 Avec Chonu
01:24:07 qui était l'un des trucs.
01:24:09 J'avais fait un article qui avait scandalisé
01:24:11 pas mal de gens dans la presse,
01:24:13 notamment Mona Ouzouf qui avait fait un truc là-dessus.
01:24:15 "La vieille dame républicaine".
01:24:17 Mon truc s'appelait "Saint-Juste fasciste".
01:24:19 "Saint-Juste fasciste".
01:24:21 Où j'essayais de montrer
01:24:23 à quel point
01:24:25 la pensée et l'action de Saint-Juste
01:24:27 correspondaient
01:24:29 exactement aux critères du fascisme
01:24:31 tel qu'il...
01:24:33 Mais toute la gauche est potentiellement fasciste.
01:24:35 Et l'extrême-gauche en particulier.
01:24:37 On en a des illustrations à l'Assemblée nationale tous les jours.
01:24:39 Oui, oui, tout à fait.
01:24:41 Et là, vraiment, avec Saint-Juste, on a quelque chose de tout à fait...
01:24:43 Alors évidemment, c'est anachronisme, je sais bien.
01:24:45 Mais parfois, il faut...
01:24:47 Je pense qu'il faut assumer l'anachronisme lorsqu'il permet
01:24:49 d'éclairer les choses.
01:24:51 Même si le mot "fascisme" n'existe pas,
01:24:53 à l'époque,
01:24:55 il est tout à fait pertinent pour désigner Saint-Juste.
01:24:57 De même que le mot "utopie"
01:24:59 est peut-être pertinent pour désigner
01:25:01 Platon, alors même que
01:25:03 il a...
01:25:05 Le mot n'est pas né.
01:25:07 Le mot n'est pas né, et pour cause.
01:25:09 Donc voilà.
01:25:11 Ça permet de révéler des choses. Et effectivement, de ce point de vue-là,
01:25:13 la Révolution française
01:25:15 nous montre plein...
01:25:17 Beaucoup de choses très intéressantes et très importantes.
01:25:19 Et la politesse,
01:25:21 si je me suis intéressé à ça,
01:25:23 c'est pour les raisons littéraires que je vous ai dit,
01:25:25 mais aussi parce que c'est un sujet
01:25:27 hautement politique.
01:25:29 Je ne vous ai pas apporté mon dernier livre
01:25:31 que je vous ai, par contre, fait envoyer,
01:25:33 qui sort...
01:25:35 qui vient de sortir,
01:25:37 qui s'appelle "Politesse et politique",
01:25:39 où je vais essayer de montrer
01:25:41 les connexions très étroites
01:25:43 qui entrent les deux, malgré les apparences,
01:25:45 et le fait que...
01:25:47 Voilà, les deux bases de la civilisation,
01:25:49 c'est finalement... - De la police.
01:25:51 - De la police en tant que cité. - Exactement.
01:25:53 C'est ça, de la cité et de la civilisation.
01:25:55 Pas pour rien que les mots se ressemblent.
01:25:57 - Oui, oui. - Cité, civilité,
01:25:59 civilisation, voilà, c'est...
01:26:01 - Politesse, politique. - Politesse, politique.
01:26:03 Cour, courtoisie.
01:26:05 - Comment faire pour faire une société humaine.
01:26:07 - Voilà. Comment faire pour faire une société...
01:26:09 - Et la politesse y contribue. - Oui, une société
01:26:11 qui se tienne. Elle y contribue de manière
01:26:13 indispensable, au même titre que la loi, au même titre que le pouvoir politique,
01:26:15 que l'autorité. - Oui, c'était la thèse
01:26:17 de votre livre sur la politesse. - Voilà, c'est la thèse
01:26:19 de mon livre, et je montre que, au fond,
01:26:21 si on reprend l'histoire longue,
01:26:23 on s'aperçoit que, les moments
01:26:25 où le pouvoir disparaît,
01:26:27 la politesse disparaît aussi,
01:26:29 et le résultat, c'est l'anarchie, la barbarie.
01:26:31 Voilà. Et que...
01:26:33 le moment où on est
01:26:35 à l'heure actuelle est très inquiétant,
01:26:37 parce qu'effectivement... - La politesse et
01:26:39 les vaports, elle est même théorisée comme étant visible,
01:26:41 comme à la Révolution. - Oui, oui.
01:26:43 - Depuis 68, on entend dire... - Il y a ça.
01:26:45 - Le tétouament revient de rigueur, par exemple.
01:26:47 - Et puis parallèlement à ça, la dépolitisation,
01:26:49 donc la désaffiliation,
01:26:51 finalement, le fait qu'on ne se sent plus
01:26:53 de la cité, mais qu'on se sent
01:26:55 finalement un pur... - De ne le paraître partout.
01:26:57 - Un pur individu nomade
01:26:59 qui peut faire son bonheur et se faire
01:27:01 du fric un peu partout dans le monde.
01:27:03 Voilà.
01:27:05 Entraîne forcément une mort de la politique,
01:27:07 quelque part.
01:27:09 - Et alors, vous avez prolongé cette réflexion
01:27:11 par une histoire du snobisme.
01:27:13 - Oui, absolument. Je sens que
01:27:15 vous vous êtes senti légèrement visé
01:27:17 par quelque chose. - Oh, totalement !
01:27:19 Je déteste ce livre. Je déteste qu'on dise
01:27:21 du mal des snobs. - Mais moi aussi,
01:27:23 je commence par dire... - J'espère que
01:27:25 nous sommes aussi snobs l'un et l'autre, cher ami.
01:27:27 - Différemment, mais oui, sans doute.
01:27:29 Je commence par dire que si j'ai écrit ce livre,
01:27:31 c'est parce que j'étais snob, d'une certaine manière.
01:27:33 Je montre dans ce livre surtout
01:27:35 qu'on peut l'être de beaucoup de manières différentes
01:27:37 et que c'est un peu comme le cholestérol,
01:27:39 le snobisme. - Il y a quand même des snobs
01:27:41 un peu sauts. - Non, mais c'est ça.
01:27:43 C'est comme le cholestérol. - Qui dénature le snobisme.
01:27:45 - Il y a des bonnes graisses et des mauvaises graisses.
01:27:47 Il y a des bons snobs et des mauvais snobs.
01:27:49 Il faut juste être du bon côté.
01:27:51 - Alors, c'est drôle pour un professeur
01:27:53 de droit constitutionnel,
01:27:55 d'écrire un livre sur le snobisme.
01:27:57 Mais... - Si, oui.
01:27:59 Je suis devenu droit constitutionnel.
01:28:01 J'ai mis tous ces billes
01:28:03 que vous aviez dans ma tête auparavant, rassure-moi.
01:28:05 - On voit à travers la question du snobisme
01:28:07 votre nostalgie,
01:28:09 mais pour moi, il n'y a rien de plus puissant
01:28:11 que la nostalgie. Tiens, d'ailleurs, j'ai une idée
01:28:13 à vous suggérer. Je voudrais vous faire réagir.
01:28:15 La nostalgie d'un monde
01:28:19 ancien où
01:28:21 les manières étaient non seulement
01:28:23 une manière de vivre ensemble,
01:28:25 mais aussi de porter l'ensemble de la cité
01:28:27 assez haut, en fait, d'exigences,
01:28:29 de comportements, de respect
01:28:31 des uns des autres. Et ça a été
01:28:33 flétri sous le
01:28:35 vocable de snobisme, qui est une...
01:28:37 qui est une charge,
01:28:39 en réalité, et une charge
01:28:41 qu'il faut démonter,
01:28:45 ce que fait votre livre. Je disais
01:28:47 nostalgie, parce que
01:28:49 je me demande, puisque toute
01:28:51 votre réflexion tourne, vous aussi,
01:28:53 parce qu'on y sommes tous embarqués là-dedans,
01:28:55 dans le système totalitaire,
01:28:57 si l'antidote majeure...
01:28:59 C'est là,
01:29:01 je voudrais voir votre réaction. L'antidote
01:29:03 majeure, la plus puissante antidote
01:29:05 que nous avons pour lutter contre
01:29:07 le totalitarisme, c'est peut-être la
01:29:09 nostalgie.
01:29:11 Pas sûr de ça.
01:29:15 On échappe à ce que
01:29:19 notre vie contemporaine a de
01:29:21 totalitaire, c'est-à-dire que...
01:29:23 y compris, par exemple, dans l'obligation
01:29:25 d'utiliser des portables,
01:29:27 de se plier à la machine.
01:29:29 Il faut qu'on revienne toujours
01:29:31 à un passé,
01:29:33 vous le disiez par exemple à propos de votre
01:29:35 goût pour la
01:29:37 campagne,
01:29:39 il faut qu'on se raccroche,
01:29:41 et il faut pas
01:29:43 la perdre cette nostalgie-là,
01:29:45 à un monde vivable pour s'opposer
01:29:47 à ce que ce monde a d'invivable.
01:29:49 Ou d'inhumain,
01:29:51 simplement.
01:29:53 Sur le diagnostic et sur la solution, mais
01:29:55 on peut être nostalgique
01:29:57 de choses abominables.
01:29:59 C'est ça le problème.
01:30:01 Vous vous rappelez pas ce film
01:30:03 absolument délicieux
01:30:05 par ailleurs qui s'appelle "Goodbye Lénine" ?
01:30:07 Ah oui, oui, oui.
01:30:09 On peut être nostalgique
01:30:11 de la Médelesse,
01:30:13 on peut être nostalgique dans
01:30:15 OSS 117 à Rio
01:30:17 du Troisième Reich,
01:30:19 et recréer des
01:30:21 pseudos cités...
01:30:23 Donc voilà,
01:30:25 je pense que le terme de conservateur...
01:30:27 Il y a une nostalgie
01:30:29 quand même assez libératrice,
01:30:31 quand de Gaulle en 40 dit "J'ai obéi
01:30:33 à un appel venu du fond des âges",
01:30:35 ça veut bien dire que c'est par le retour
01:30:37 à la conscience
01:30:39 d'un passé, d'une tradition,
01:30:41 d'une longue mémoire, que l'on peut s'opposer
01:30:43 à ce que le présent a d'intolérable.
01:30:45 Oui, mais en même temps, c'est pas juste parce que
01:30:47 c'est une longue mémoire, c'est parce qu'elle est la longue mémoire
01:30:49 de la France, et qu'elle a...
01:30:51 Et d'une civilisation.
01:30:53 Et d'une civilisation qui est
01:30:55 illustrée par Versailles,
01:30:57 par Racine, par les grands peintres,
01:30:59 les grands musiciens, par les
01:31:01 rois, par la
01:31:03 fine église, etc. C'est pas juste
01:31:05 parce que si effectivement
01:31:07 le chef
01:31:09 Sioux, machin, avait dit
01:31:11 "du fond
01:31:13 des âges", ça n'aurait pas dû dire
01:31:15 grand chose si vous laissiez...
01:31:17 Mais c'était pas suffisant.
01:31:21 Enfin, là encore, on le sait
01:31:23 très bien l'un et l'autre, mais vous savez mieux que moi
01:31:25 en tant que directeur du Nouveau Conservateur,
01:31:27 être conservateur,
01:31:31 c'est vouloir conserver quelque chose de bien particulier.
01:31:33 C'est pas être conservateur a priori
01:31:35 de tout. C'est
01:31:37 vouloir conserver ce qu'il y a de
01:31:39 bon, ce qu'il y a de juste, ce qu'il y a de fort, c'est pas...
01:31:41 Alors je répète toujours une phrase d'Alain Benoist
01:31:43 qui est magnifique pour définir l'esprit
01:31:45 conservateur. J'aime pas trop le substantif
01:31:47 conservatisme,
01:31:49 parce qu'il n'y a rien de plus pragmatique
01:31:51 et de plus...
01:31:53 les contours sont
01:31:55 flous que le réflexe conservateur.
01:31:57 Il est pas
01:31:59 systématisable à mon avis.
01:32:01 Pour Alain Benoist,
01:32:03 être conservateur, ça n'est pas
01:32:05 défendre les idées ou le monde ancien,
01:32:07 mais défendre ce qui est éternel.
01:32:09 En introduisant
01:32:11 une part
01:32:13 d'essentialisme en réalité, parce que
01:32:15 cela suppose qu'il existe des choses éternelles.
01:32:17 C'est peut-être ce à quoi je faisais référence.
01:32:19 C'est aussi ce à quoi je faisais référence.
01:32:21 En parlant de la nostalgie.
01:32:23 Nostos, c'est ce qui revient toujours.
01:32:25 Ce qui oppose une conception
01:32:27 cyclique de l'histoire
01:32:29 à la conception linéaire
01:32:31 des progressistes
01:32:33 qui pensent toujours aller vers un nirvana.
01:32:35 C'est-à-dire que la nostalgie,
01:32:37 c'est le retour. C'est le retour
01:32:39 du printemps après l'hiver
01:32:41 ou de l'automne après l'été.
01:32:43 - Le retour du lisse à l'hiver.
01:32:45 - Oui.
01:32:47 Justement, je voudrais en venir à cette question
01:32:49 de Macron que vous avez tellement bien décortiquée
01:32:51 en Saint-Simonien.
01:32:53 Pendant longtemps,
01:32:55 en réalité,
01:32:57 nos anciens concevaient
01:32:59 le temps comme un cycle, pas du tout comme une ligne.
01:33:01 Ça ne venait pas à l'esprit, l'idée de progrès.
01:33:03 Je ne sais pas chez Platon, par exemple,
01:33:05 ou même chez Cicéron.
01:33:07 C'est peut-être le christianisme
01:33:09 qui l'introduit, l'idée de progrès.
01:33:11 - Oui et non.
01:33:13 Pendant longtemps, j'ai cette idée
01:33:15 que le temps
01:33:17 est cyclique ou ondulatoire.
01:33:19 C'est une théorie qui est...
01:33:21 C'est un truc que je n'avais pas mal bossé
01:33:23 là-dessus dans mon bouquin.
01:33:25 - Oui, dans l'invention du progrès.
01:33:27 - Et effectivement,
01:33:29 le temps peut se concevoir
01:33:31 de différentes manières, mais au fond,
01:33:33 pendant le Grand siècle,
01:33:35 par exemple,
01:33:37 au fond, on le conçoit plus
01:33:39 sur un mode ondulatoire
01:33:41 que des hauts et des bas,
01:33:43 en quelque sorte,
01:33:45 que sur un mode linéaire.
01:33:47 C'est que les modernes
01:33:49 de la Corrélisation, qui ont commencé
01:33:51 à lancer cette idée que
01:33:53 ceux qui viennent après sont forcément meilleurs.
01:33:55 Mais ça devient
01:33:57 un système, notamment, là, cette fois
01:33:59 au XIXe, avec
01:34:01 le fameux Saint-Simon dont vous dites
01:34:03 que Macron est un émule,
01:34:05 sans vraiment le savoir, je ne sais pas s'il avait dit Saint-Simon,
01:34:07 mais il se rattache à l'idée
01:34:09 hyper progressiste que cette fois,
01:34:11 tout ce qui est traditionnel,
01:34:13 tout ce qui est ancien,
01:34:15 doit être cassé, détruit,
01:34:17 déconstruit, comme on dit,
01:34:19 ou liquidé,
01:34:21 ou liquéfié. Il y a cette idée
01:34:23 du liquide sur laquelle vous écrivez
01:34:25 dans "Liquidation", justement.
01:34:27 Et c'est cette filiation,
01:34:29 j'étais très étonné par cette filiation,
01:34:31 et elle est pourtant
01:34:33 lumineuse entre Saint-Simon
01:34:35 et sa part de scientisme.
01:34:37 Alors, à vrai dire, en fait,
01:34:39 je me suis raccroché à un débat qui avait eu lieu
01:34:41 juste après l'élection
01:34:43 de Macron,
01:34:45 entre, justement, les spécialistes
01:34:47 de Saint-Simon. Et je m'étais aperçu que
01:34:49 parmi ces spécialistes, ceux qui étaient
01:34:55 du côté de Macron disaient "oui, oui,
01:34:57 effectivement, c'est un disciple",
01:34:59 et ceux qui
01:35:01 étaient
01:35:03 les disciples, les Saint-Simoniens
01:35:05 de gauche disaient "non, non, pas du tout,
01:35:07 c'est une erreur".
01:35:09 Et donc,
01:35:11 si vous voulez, ne prenez
01:35:13 pas au débat que soit des gens qui étaient
01:35:15 pour Saint-Simon, soit des gens qui étaient pour
01:35:17 Macron. Moi, mon bouquin, c'est
01:35:19 finalement de prendre une espèce de voie médiane
01:35:21 qui est à la fois contre Macron et
01:35:23 contre Saint-Simon, en montrant que, effectivement,
01:35:25 Macron est
01:35:27 Saint-Simonien,
01:35:29 sans le savoir, mais à mon avis, en le sachant,
01:35:31 il est quand même plus cultivé que
01:35:33 certaines mauvaises langues le croient,
01:35:35 qu'il est Saint-Simonien
01:35:37 et qu'au fond...
01:35:39 - Vous pensez qu'il a lu Saint-Simon ?
01:35:41 - Si, il a forcément
01:35:43 lu des passages,
01:35:45 il y a quand même pas mal de...
01:35:47 - Mais le Saint-Simonisme est dans l'esprit du temps.
01:35:49 - Oui, mais il a quand même
01:35:51 probablement lu directement... - Cette modernité folle,
01:35:53 tout ce qui est ancien est à foutre par la fenêtre.
01:35:55 C'est ça, au fond. - Oui, oui,
01:35:57 enfin, voilà, je...
01:35:59 - Caricature.
01:36:01 - Il en parle une ou deux fois, en laissant entendre qu'il a lu,
01:36:03 ou même en disant qu'il a lu,
01:36:05 est-ce qu'il a lu de près,
01:36:07 au fond, peu importe. D'ailleurs,
01:36:09 l'important, c'est pas ça, l'important, c'est au fond
01:36:11 une espèce d'ambiance Saint-Simonienne.
01:36:13 L'important, c'est quand même...
01:36:15 Il y a beaucoup de marxistes qui n'ont jamais lu
01:36:17 Marx à fond, par exemple,
01:36:19 qui n'ont jamais lu le Capital, etc.
01:36:21 Il y a beaucoup de morassiens qui n'ont pas
01:36:23 pris Moras, il y a beaucoup
01:36:25 de gaullistes qui n'ont pas lu De Gaulle.
01:36:27 - Ça, c'est l'illusion.
01:36:29 - Donc, voilà,
01:36:31 ce qui est clair, en tout cas,
01:36:33 et c'est ce que j'essaie de montrer dans mon bouquin,
01:36:35 c'est qu'il y a une
01:36:37 proximité entre les deux,
01:36:39 une espèce de quasi-coïncidence
01:36:41 qui, voilà,
01:36:43 qui ne peut pas être
01:36:45 totalement aléatoire, qui en tout cas révèle
01:36:47 quelque chose. - Vous prenez des discours de Macron
01:36:49 qui sont à la fois pris conformes
01:36:51 de ce qu'il écrivait. - Absolument. Et l'autre chose
01:36:53 que j'avais trouvée importante
01:36:55 dans ce livre, c'est
01:36:57 d'essayer de partir du postulat
01:36:59 que, contrairement à ce que disent certains,
01:37:01 Macron n'est pas un pur opportuniste,
01:37:03 pas un pur pragmatique, qui a
01:37:05 une vraie colonne vertébrale
01:37:07 idéologique chez lui, qui est celle-ci.
01:37:09 Et qui l'amène, effectivement,
01:37:11 à, au fond,
01:37:13 ça permet
01:37:15 d'expliquer l'essentiel de ses choix.
01:37:17 Alors, il y a parfois des marches
01:37:19 arrières, il y a parfois des contradictions, mais comme chez
01:37:21 tout le monde, mais, voilà, l'essentiel de ses
01:37:23 choix peut être, à mon sens,
01:37:25 expliqué, éclairé par cette dimension-là.
01:37:27 Et notamment par une chose qui est,
01:37:29 notamment sur un point qui est absolument
01:37:31 essentiel pour vous
01:37:33 comme pour moi,
01:37:35 c'est sur la question de l'Europe. Et sur la question
01:37:37 d'une marche en avant
01:37:39 vers le fédéralisme européen.
01:37:41 - Vers la dissolution des nations.
01:37:43 - Vers la dissolution des nations. - Vieux monde. - Parallèlement
01:37:45 à la dissolution du politique au sens national,
01:37:47 souveraineté, etc.
01:37:49 Le politique remplacé par
01:37:51 l'industrie et par l'économie.
01:37:53 Et de ce point de vue-là, si vous voulez,
01:37:55 entre
01:37:57 le discours de Macron
01:38:01 en conclusion de la
01:38:03 conférence sur l'avenir de l'Europe en 2021
01:38:05 et le texte de
01:38:07 Saint-Simon qui doit
01:38:09 dater, qui date de 1814,
01:38:11 qui s'appelle "La réorganisation de la société européenne"
01:38:13 où il prône
01:38:15 le dépassement des États-nations
01:38:17 et le remplacement par une
01:38:19 sorte de fédération européenne
01:38:21 qui à terme devient
01:38:23 la toute puissante. - Oui, on est
01:38:25 dedans. - Et voilà.
01:38:27 Et qui serait
01:38:29 dominée exclusivement
01:38:31 par finalement le souci de l'économie
01:38:33 et du confort.
01:38:35 On a des choses qui sont
01:38:37 absolument
01:38:39 stupéfiantes.
01:38:41 Vous citez dans l'équidation,
01:38:43 vous citez dans l'équidation
01:38:45 un article
01:38:47 de Chevalier,
01:38:49 un grand Saint-Simonien
01:38:51 qui s'appelle "Le choléra morbus"
01:38:53 paru dans le Globe du
01:38:55 9 avril 1832
01:38:57 et il dit "Il n'y a rien de pire qu'un coup d'État
01:38:59 qui va contre le progrès".
01:39:01 Et c'est la
01:39:03 grande hantise
01:39:05 de ces progressistes fanatiques
01:39:07 qui veulent tout dissoudre,
01:39:09 y compris le politique, et ça ils y arrivent,
01:39:11 notamment par l'Europe, il y a mille façons de dissoudre
01:39:13 le politique. Le politique en ce qui
01:39:15 l'est pour nous capétiens,
01:39:17 l'idée
01:39:19 d'un bien commun et d'un arbitre
01:39:21 au nom du bien commun,
01:39:23 c'est
01:39:25 le coup d'État
01:39:27 contre le progrès.
01:39:29 Est-ce qu'il est possible aujourd'hui le coup d'État contre le progrès ?
01:39:31 La hantise,
01:39:33 la hantise des Saint-Simoniens.
01:39:35 Écoutez,
01:39:37 là encore, tout d'un coup... - C'est une question affreuse !
01:39:39 - Non mais tout d'un coup, ce qu'on appelle coup d'État et tout d'un coup ce qu'on appelle
01:39:41 progrès,
01:39:43 si effectivement ce qu'on appelle progrès
01:39:45 c'est en réalité la course
01:39:47 vers l'abîme à laquelle on s'assiste actuellement
01:39:49 sur tellement de plans...
01:39:51 - Le nihilisme... - Et si
01:39:53 le coup d'État c'est
01:39:55 un chef d'État ou une
01:39:57 chef d'État
01:39:59 qui aurait suffisamment de pouvoir,
01:40:01 de courage et de volonté pour
01:40:03 essayer d'y mettre fin... - Pour retrouver les fondamentaux !
01:40:05 - Retrouver les fondamentaux... - Et encore une fois, c'est là où j'ai invoqué la nostalgie,
01:40:07 c'est-à-dire revenir à
01:40:09 une tradition.
01:40:11 Une tradition de la politique
01:40:13 et même du politique, de l'arbitre,
01:40:15 du bien commun, de l'accent public...
01:40:17 - En tout cas, dans un premier temps, de stopper
01:40:19 la course à l'abîme,
01:40:21 oui, là je pense qu'un tel coup d'État
01:40:23 est possible,
01:40:25 je pense que ce serait peut-être un coup d'État contre les juges,
01:40:27 parce que je pense que le Conseil Constitutionnel s'y opposerait
01:40:29 de manière formelle... - Ah ! Je suis content de cette réponse !
01:40:31 - Mais, voilà,
01:40:33 un coup d'État de ce type...
01:40:35 - Contre les médias, contre les juges...
01:40:37 - Oui, oui, un coup d'État de ce type est
01:40:39 possible. - Contre les partis...
01:40:41 - Voilà, la volonté politique,
01:40:43 c'est quelque chose qui n'est pas...
01:40:45 qui n'est pas mort,
01:40:47 et que le sens de l'histoire
01:40:49 ne subjugue pas.
01:40:51 Maintenant, est-ce qu'on y va ?
01:40:53 J'en sais rien, l'avenir nous le dira.
01:40:55 - C'est un de vos premiers livres,
01:40:57 "Le coup d'État, un retour à la force",
01:40:59 le dernier mot du politique, vous parlez
01:41:01 notamment de l'histoire du coup d'État,
01:41:03 tel qu'on l'entendait
01:41:05 sous la monarchie, c'est-à-dire le coup de majesté,
01:41:07 celui qui rétablit le pouvoir
01:41:09 de l'arbitre, du roi.
01:41:11 - Oui, c'était Arnaud Tessier qui fait un papier là-dessus.
01:41:13 - C'est ça. C'est un livre que vous avez écrit
01:41:15 avec Christophe Goutin, mais je sais qu'Arnaud Tessier
01:41:17 est ton complice. - Oui, oui, c'est un colloque.
01:41:19 - Vous avez beaucoup de complices, il y a beaucoup
01:41:21 de livres écrits en collaboration, c'est très
01:41:23 intéressant. Avec vous, vous aimez les revues,
01:41:25 vous aimez écrire avec des amis ?
01:41:27 - Surtout dans le dictionnaire,
01:41:29 dans le dictionnaire, effectivement, c'est un...
01:41:31 Dans chacun de ces dictionnaires,
01:41:33 il y a environ 250 ou 300 articles,
01:41:35 et donc il y a
01:41:37 100 ou 120 ou 150 personnes qui ont participé.
01:41:39 Donc effectivement, ça fait une sorte de...
01:41:41 on va dire de
01:41:43 panorama assez large de ce que peut-être
01:41:45 aujourd'hui une pensée...
01:41:47 une pensée conservatrice
01:41:49 ou raisonnable, on va dire.
01:41:51 - Vous êtes vraiment au cœur,
01:41:53 par toutes vos activités,
01:41:55 d'une forme de réaction, c'est pas par hasard
01:41:57 que votre revue s'est appelée "Réaction".
01:41:59 Et c'est pour ça que je vous pose la question du coup d'État,
01:42:01 du coup d'État qui va hanter...
01:42:03 qui hantait les Saint-Simoniens
01:42:05 et qui doit hanter M. Macron,
01:42:07 parce qu'il n'est pas...
01:42:09 sans intérêt de noter, par exemple,
01:42:11 que le seul livre qu'il ait écrit,
01:42:13 en tous les cas publié,
01:42:15 - il y a une nuance à faire entre écrire et publier un livre -
01:42:17 maintenant,
01:42:19 c'est...
01:42:21 se soit appelé "Révolution".
01:42:23 Ça en dit long, sur lui, hein,
01:42:25 et comme il cite Saint-Simonien, ça dit "révolutionnaire".
01:42:27 C'est-à-dire que
01:42:29 c'est l'éloge non seulement de la Révolution française,
01:42:31 de la Révolution industrielle, de la Révolution
01:42:33 monalgériale, de la Révolution
01:42:35 digitale, de la Révolution numérique,
01:42:37 de la Révolution
01:42:39 de l'intelligence artificielle...
01:42:41 - De la Révolution
01:42:43 anthropologique et parentale, aussi.
01:42:45 - Et de la Révolution... Alors là, c'est encore
01:42:47 un autre chapitre qu'il faudrait t'ouvrir, on n'a pas le temps,
01:42:49 parce que vous êtes aussi un moraliste.
01:42:51 J'ai vu ça dans la manière dont vous...
01:42:53 enfin, moraliste au sens...
01:42:55 Oui, préoccupé par les mœurs.
01:42:57 - Ah oui, oui, ça, bien sûr.
01:42:59 De toute façon, l'histoire de la politesse, c'est ça, hein.
01:43:01 - Bien ça. - Bien sûr.
01:43:03 - Vous avez aussi décortiqué la pensée
01:43:05 du pape François, aussi.
01:43:07 - Absolument.
01:43:09 - On ne peut pas finir avec vous, c'est pas possible,
01:43:11 vous n'en finirez plus, nous allons y passer la nuit.
01:43:13 - Mais tout... Voilà, ce que je pense,
01:43:15 c'est que tout se tient,
01:43:17 en tout cas, dans ce que j'essaie de faire, tout se tient,
01:43:19 il n'y a pas de choses qui soient totalement
01:43:21 hors jeu,
01:43:23 aussi bien dans mes
01:43:25 œuvres
01:43:27 d'essayistes
01:43:29 que de professeurs de droit
01:43:31 ou que de romanciers,
01:43:33 tout se tient, parce que, dans la réalité,
01:43:35 tout se tient, il n'y a pas de rupture,
01:43:37 il n'y a pas des petites monades,
01:43:39 il n'y a pas les atomes qui sont dissociés les uns des autres.
01:43:41 Pour l'avenir, et peut-être s'inspirer
01:43:43 aussi, je ne sais pas,
01:43:45 par exemple, de Hans Jünger
01:43:47 et de l'idée qu'il y a un recours aux forêts
01:43:49 ou que, il y a
01:43:51 près les falaises de marbre, la possibilité
01:43:53 de créer des îlots
01:43:55 de savoir, de culture,
01:43:57 d'amitié aussi.
01:43:59 Il faut
01:44:01 entrer en résistance,
01:44:03 et entrer en résistance, c'est ça.
01:44:05 - Et attendre l'inattendu.
01:44:07 - Oui. - Et attendre l'inattendu.
01:44:09 - Et attendre l'inattendu, effectivement,
01:44:11 qui ne finit toujours pas arrivé.
01:44:13 - Alors, hélas, il faut mettre un terme à cette conversation,
01:44:15 ce qui ne m'imbuse pas du tout, mais nous battons
01:44:17 tous nos records, mon cher, nous avons dépassé
01:44:19 deux heures de conversation,
01:44:21 et je vous remercie beaucoup,
01:44:23 j'espère que nous poursuivrons,
01:44:25 et je vais commencer par poursuivre, en vous lisant,
01:44:27 tout simplement, et en attendant
01:44:29 l'ouvrage prochain,
01:44:31 politique et... - Qui vous attend, donc,
01:44:33 à côté de vous. - Merci beaucoup
01:44:35 par avance, et je vous en prie,
01:44:37 continuez votre oeuvre, parce que
01:44:39 il n'y a plus que ça à faire, en effet.
01:44:41 Voilà. Et puis aussi,
01:44:43 faire des enfants, ce que vous avez fait. - Merci.
01:44:45 - Vous avez tout, vous avez...
01:44:47 Toutes les cases sont bonnes.
01:44:49 - Il faut planter un arbre, je crois.
01:44:51 - Il faut planter des arbres. Je vous félicite
01:44:53 pour tant de bonnes choses, et je vous en remercie.
01:44:55 A bientôt, Frédéric Rouvillois.
01:44:57 - A bientôt, Paul-Marie.
01:44:59 ♪ ♪ ♪