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00:00 On était deux quand on était enfants.
00:02 C'était un secret, c'était quelque chose qu'on avait vécu.
00:04 Cette histoire, c'est notre histoire.
00:06 Michel a vécu sept ans caché en forêt avec son frère pendant la guerre.
00:09 Ils ont été livrés à eux-mêmes comme des enfants sauvages.
00:11 Son histoire, elle a inspiré le film "Frère", actuellement au cinéma.
00:14 Et il accepte de se livrer aujourd'hui sur "Untimed".
00:16 Pour se protéger du froid, on dort pas à manger,
00:19 on dort l'un dans l'autre, assis l'un dans l'autre.
00:21 Et en fait, on se sert l'un contre l'autre.
00:23 Vous avez vraiment le sentiment que la chaleur que vous donnez à votre frère,
00:28 c'est pour qu'il survive, pas pour qu'il vive, pour qu'il survive.
00:31 Et lui, il vous donne sa chaleur ?
00:32 Il y en a un qui dit à l'autre "mais non, t'inquiète pas,
00:35 le jour va bientôt arriver, c'est pas grave,
00:38 mais non, il fait pas froid, dis-toi qu'il fait pas froid, il fait pas froid".
00:40 C'est de l'autosuggestion comme ça.
00:42 Vous finissiez par être dans une espèce d'osmose complète.
00:45 On est soudés, fusionnels.
00:47 On est deux pères différents, mais on est plus fusionnels que des jumeaux.
00:51 Le froid, ça a été le plus dur pendant ces sept ans ?
00:53 Fenourir, ça n'a jamais été un problème.
00:55 Ah oui ? Vous avez appris à chasser, à pêcher ?
00:57 Ouais, on sourit mal, mais...
00:59 Pendant un hiver glacial, vous tombez malade
01:01 et votre frère décide de partir pour aller essayer de trouver des médicaments.
01:04 Je vais mourir.
01:06 En fait, je suis malade, j'ai de la fièvre,
01:07 on n'a jamais été malade, j'ai pas de souvenir d'avoir été malade.
01:10 Pendant sept ans ?
01:11 Ouais.
01:11 Pour moi, c'est le pire souvenir,
01:13 parce que quand Patrice disparaît, pour moi, c'est la mort.
01:15 C'est-à-dire qu'à un moment donné, je suis là, dans la cabane,
01:18 je me dis "s'il revient pas, je me laisse mourir".
01:21 Je choisis délibérément, c'est sûr que c'est ce qui serait passé,
01:25 je me serais laissé mourir.
01:26 On a été très heureux, et pour nous, cette liberté, c'était fantastique.
01:31 Vous n'avez jamais été aussi libre qu'à ce moment-là ?
01:33 Pas un gosse à qui tu dis "tu peux chasser, tu peux aller dans la rivière,
01:37 tu peux grimper aux arbres, tu peux faire du jeu, tu peux faire tout ça",
01:39 mais il va dire "mais c'est le pied".
01:42 T'as aucune contrainte, tu te lèves quand tu veux,
01:44 tu dors quand tu veux, tu manges quand tu veux,
01:45 t'as pas faim, on te dit pas "mais mange, il faut que tu manges", etc.
01:49 Non.
01:50 Deux enfants abandonnés, comme ça, qui ont une vie sauvage pendant 7 ans,
01:52 on se dit "mais c'est terrible pour ces gamins".
01:54 Pas du tout.
01:54 Et très vite, on se rend compte qu'en contraire,
01:56 ils ont eu du mal à être aussi heureux pour le reste de leur vie.
02:00 Pas du tout, on a du mal à être heureux dans la vie après plutôt que l'inverse.
02:03 On se dit "ils ont été malheureux, mais maintenant ils sont bien".
02:06 Ben non.
02:07 On était bien avant, et maintenant on n'est pas bien.
02:10 Après 7 ans passés dans la forêt, leur mère les retrouve.
02:13 Ma mère nous retrouve.
02:14 Elle nous met dans une famille de précepteurs qui sont chargés
02:17 de nous apprendre à lire, à écrire, à compter, à machin.
02:20 Un an après, on doit rentrer à l'école, donc l'enfer.
02:23 Ah oui, c'était l'enfer.
02:24 L'enfer, la chambre fermée à clé, on allait se promener attachés.
02:28 L'enfer.
02:29 Attachés, oui.
02:30 Pourquoi attachés ? Parce qu'on se serait sauvés.
02:32 Et pourquoi séparer l'un de l'autre pour aller se promener ?
02:34 Parce que si on avait été ensemble la deux, on serait carapatés.
02:37 À l'école, on a envoyé trois mômes à l'hôpital au bout de trois semaines,
02:40 donc, parce qu'on était un peu violents quand même.
02:43 Et surtout, on supportait pas l'injustice.
02:45 Le petit à qui on piquait son sac de billes,
02:47 ça se terminait très mal pour celui qui l'avait pris.
02:50 La directrice de l'école a très vite dit
02:51 "Ce serait bien que vous veniez les chercher."
02:53 Mais ma mère, qui à ce moment-là vient nous chercher,
02:56 nous prend et elle me met, moi, en pension,
02:59 dans des pensions fermées.
03:00 Vous rentrez en septembre, vous sortez en juin.
03:03 Ça a été terrible, terrible, terrible de vivre sans lui.
03:06 Votre frère s'est donné la mort pour vous libérer quelque part,
03:09 vous l'avez compris, son choix ?
03:10 Il me dit "Tu sais, personne ne nous a jamais voulu,
03:12 donc il est temps de partir."
03:14 On nous a pas voulu sur cette terre, donc on s'en va.
03:17 Quand Patrice s'est tué en 93, moi j'ai divorcé en 94,
03:21 j'ai changé de vie complètement.
03:22 J'ai dit à Olivier "Olivier, t'as du talent,
03:24 tu connais mon histoire par cœur,
03:26 t'as les clés de la maison, débrouille-toi,
03:28 je reviendrai quand le film sera fini."
03:31 Et un jour, il m'a dit "Michel, le premier Roche, il est fait, si tu veux."
03:34 - Le premier montage ? - Le premier montage, oui, on peut le voir.
03:36 Et là, c'est une grosse claque.
03:38 Une certaine sidération de découvrir cette survie
03:41 avec son frère aussi petit pendant autant d'années en forêt,
03:44 mais très vite, j'ai été frappé par le lien d'amour entre ses deux frères.
03:47 Le lien d'amour qui les unit et qui les unira toujours.
03:49 Ça, j'ai trouvé ça fou.