CHANG CHEH : Chang Cheh, à la vie à la mort
Cours de cinéma par Stéphan du Mesnildot, critique et spécialiste du cinéma asiatique.
Chang Cheh fut le poète épique du cinéma de Hong Kong des années 1960 et 1970 exaltant la chevalerie chinoise à travers des combats homériques. Son cinéma violent et passionné, aux chorégraphies fascinantes, inspira John Woo et Tsui Hark.
Enregistré le 19 avril, dans le cadre de la thématique Portrait de Hong Kong au Forum des images
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00:00:00Bonsoir, alors évidemment je suis très très content de faire un cours de cinéma sur Chang Cheh
00:00:15puisque ce n'est pas forcément le genre de cinéaste sur lequel on fait des cours justement
00:00:20parce qu'il y a une dimension qui est assez, je dirais, irrécupérable dans son cinéma
00:00:26puisque c'est un cinéma de l'excès, un cinéma violent, parfois grotesque,
00:00:32un cinéma extrêmement sexualisé aussi, mais d'un côté homosexuel
00:00:39et un cinéma qu'on a pu un peu dévaloriser par rapport à, par exemple, King Wu
00:00:46qu'on a toujours considéré comme un grand calligraphe
00:00:50ou Liu Qiaoyang, chez qui on admire la précision du montage
00:00:56et puis aussi le regard extrêmement précis et historique sur les arts martiaux.
00:01:01Chang Cheh, on aurait eu tendance à le classer dans le cinéma bis, ce qu'il n'est pas
00:01:06puisque c'est au contraire, il a été un des plus grands cinéastes de la Shaw Brothers
00:01:12et un de ces cinéastes qui ont révolutionné et réinventé le genre du cinéma martial.
00:01:19Il naît en 1923 et il va traverser trois décennies du cinéma de Hong Kong.
00:01:29Alors les années 60, il renouvelle le genre, le wuxiapian, c'est-à-dire le film de héros martial
00:01:36mais qu'on traduira plus simplement en France par le film de cap et d'épée
00:01:41puisque ce sont des films où la lame, l'épée, le sabre occupent un très grand rôle.
00:01:47Et le wuxiapian, on va dire que c'est le genre fondateur du cinéma chinois
00:01:53puisqu'il prend racine dans les récits mythiques et l'opéra de Pékin.
00:01:57Dans les années 70, il va inventer le genre du Shaolin Kung Fu.
00:02:02Voilà, Shaolin Kung Fu qui est lié par exemple à Bruce Lee
00:02:10puisque les spectateurs désiraient avoir des films basés sur le combat
00:02:15mais aussi des films qui allaient être au plus proche de la vérité des arts martiaux.
00:02:20Donc il va inventer ce genre-là qui sera repris, mais on y reviendra,
00:02:24par Lu Chia-Liang qui sera sûrement son plus grand cinéaste.
00:02:27Et dans les années 80, Chang Cheh, il va subir le déclin des grands auteurs
00:02:33lorsque les cinéastes des studios des années 60 laissent place à la nouvelle vague,
00:02:38c'est-à-dire à Tsu-Ark, excusez-moi je prononce Tsu-Ark
00:02:41parce que j'ai trop l'habitude d'essayer une nouvelle prononciation
00:02:44Tsu-Ark, John Woo ou Patrick Tam qui vont revisiter les genres
00:02:48avec un esprit critique mais aussi de nouvelles technologies et un esprit beaucoup plus moderne.
00:02:54Chang Cheh, il naît en 1923, il est assez âgé, il a 42 ans
00:03:01lorsqu'il rentre à la Shaw Brothers comme scénariste.
00:03:04Il fait partie du département des scénaristes.
00:03:07La Shaw Brothers, c'est la société la plus puissante du cinéma de Hong Kong.
00:03:12Elle a une longue histoire qui remonte aux années 20 lorsque les frères Shaw
00:03:16vont même vendre des spectacles aux Philippines ou des choses comme ça.
00:03:21Mais en tout cas, elle s'implante, elle prend vraiment le nom de Shaw Brothers
00:03:25en 1958 à Hong Kong.
00:03:30C'est basé sur les structures, les modèles hollywoodiens en fait.
00:03:34Ce sont des grands studios qui appartiennent à Run Run Show,
00:03:38des grands studios où il y aura à la fois des décors mais aussi des techniciens
00:03:44qui habiteront parfois sur place, un pool d'acteurs qui va être promu
00:03:49selon le modèle du vedettaria du star system hollywoodien.
00:03:54C'est à la fois un modèle hollywoodien mais c'est aussi un modèle impérial
00:03:59puisque Run Run Show est vraiment comme un empereur, il a sa villa au milieu des studios.
00:04:05Voilà les studios qui sont nommés Movie Land.
00:04:08Chang Cheh, en 1965, va être chargé de moderniser le genre d'Oxypian
00:04:15qui est un genre qui est un peu passé, un peu daté, qui n'est pas du tout adapté
00:04:19aux grands films d'action tels qu'ils sont tournés au Japon ou en Europe.
00:04:26Par exemple, le film japonais, le film sabre de Japonais, le Chambara
00:04:31mais aussi le western italien.
00:04:34Donc c'est pas un hasard si l'un des premiers films de Chang Cheh,
00:04:38en tout cas son premier film vraiment tourné pour la Show Brothers,
00:04:42est un remake du Trio Magnifique, donc c'est en 1966,
00:04:46un remake du Trio Magnifique qui est un film japonais d'Hido Gosha
00:04:49qui s'appelle Trois samouraïs hors la loi.
00:04:52Et c'est pas un hasard non plus si on va faire venir du Japon
00:04:57le chef opérateur Nishimoto Tadashi qui était un chef opérateur
00:05:02qui avait signé par exemple la photo de Histoire de fantôme chinois de Nakagawa
00:05:07et qui va donc éclairer par exemple, photographier L'Hiron d'Eldor de Kingu.
00:05:15Voilà donc, le projet est justement que le cinéma de Hong Kong puisse se mesurer
00:05:24à ce qui se fait de mieux à la fois au Japon et puis aussi en Italie
00:05:29puisque le western italien est un genre qui est extrêmement populaire en Asie.
00:05:34Chang Cheh va opérer une modernisation qui est assez particulière,
00:05:40c'est qu'il va faire passer le genre du féminin au masculin.
00:05:44Alors ça c'est quelque chose qui peut surprendre puisque maintenant nous
00:05:47on serait plutôt dans des mouvements inverses,
00:05:49essayer d'inventer des héroïnes féminines, des personnages féminins puissants,
00:05:54mais ce n'était pas le cas en fait à Hong Kong puisque je dirais de façon un peu historique,
00:06:01le film de sabre était un genre féminin qui était dominé par ce qu'on appelle les femmes d'épée,
00:06:09ce qu'on appelle le Nuxia, c'est-à-dire l'héroïne chevaleresque.
00:06:14Donc c'est un genre où le féminin, où les femmes sont majoritaires,
00:06:18on va trouver des héroïnes virtuoses dont on peut avoir un exemple,
00:06:24mais alors beaucoup plus récent, par exemple Tigre et Dragon.
00:06:27Si vous avez Tigre et Dragon en tête, vous voyez que c'est un cinéma d'héroïne,
00:06:31Tigre et Dragon est un film hérité de l'esprit du Nuxia.
00:06:35Et aussi par exemple Mulan, évidemment grande héroïne qui va être adaptée un grand nombre de fois.
00:06:43Alors pour voir le passage que va faire Cheng Cheh entre le féminin et le masculin,
00:06:51on va revenir à King Wu qui lui de son côté s'est chargé de lui aussi réadapter,
00:06:57moderniser les personnages de femmes et on va voir un extrait de L'Hirondelle d'or,
00:07:02donc un film de 1966, c'est l'extrait numéro 1.
00:07:42Aïe aïe aïe !
00:08:12Aïe aïe aïe !
00:08:21Dégage !
00:08:43Aïe aïe aïe !
00:08:57Aïe aïe aïe !
00:09:12Aïe aïe aïe !
00:09:43Aïe aïe aïe !
00:09:51Aïe aïe aïe !
00:10:12Aïe aïe aïe !
00:10:23Aïe aïe aïe !
00:10:32Aïe aïe aïe !
00:10:42Aïe !
00:10:44Toi !
00:11:12Donc voilà, on a la ravissante Cheng Peipei qui est toute virevoltante, c'est une danseuse
00:11:29plus qu'une véritable combattante.
00:11:31Donc c'est un kung fu aérien, c'est presque un kung fu, le terme n'existe pas, c'est
00:11:39un kung fu des étoffes en fait, où ce sont des étoffes qui se frôlent, qui s'enroulent,
00:11:45c'est quelque chose dont se souviendra Wong Kar Wai pour The Grandmaster par exemple.
00:11:49Donc c'est plus ce genre de chorégraphie par exemple que des vrais combats extrêmement
00:11:57violents.
00:11:58Donc c'est pas du tout violent, il n'y a pas de sang, et on se rend compte que ce qui
00:12:01déstabilise beaucoup l'héroïne c'est lorsque son vêtement est coupé et qu'on
00:12:07voit apparaître un sous-vêtement rouge.
00:12:09Voilà, et ça on a l'impression que c'est une atteinte à sa pudeur et donc elle est
00:12:13obligée de fuir à ce moment-là.
00:12:15Donc ce sont des héroïnes extrêmement chastes et qui cultivent aussi une forme d'androgynie.
00:12:25Alors si vous voyez des films comme L'Auberge du printemps, vous allez voir l'héroïne,
00:12:32alors pour nous occidentaux elle est parfaitement féminine, mais tous les autres personnages
00:12:37pensent qu'elle est un garçon vu qu'elle est habillée en garçon.
00:12:40Donc l'androgynie c'est quelque chose qui va reprendre par la suite Tsui Hark, mais
00:12:45ça on y reviendra aussi.
00:12:47Dans le monde du Nuxia, des femmes d'épée, l'homme est soit un idiot un peu ivrogne,
00:12:56soit un fourbe, comme le méchant tigre blanc.
00:13:00Dès qu'on le voit apparaître on se dit, lui c'est un fourbe, c'est absolument évident.
00:13:06Il y a aussi une sorte de schématisme très amusant qui se rapproche aussi du récit
00:13:12pour enfants ou du théâtre de marionnettes.
00:13:16Ce que va faire Zhang Jie, évidemment il va rendre tout ça beaucoup plus dur et plus
00:13:22violent.
00:13:24Je parlais de ces deux pôles, du cinéma d'action que sont le Japon et l'Italie.
00:13:32Le Japon a produit des stars comme Toshio Rumi Fune ou Tatsuya Nakadaï qui s'affrontent
00:13:37dans Yojimbo, le garde du corps.
00:13:40Des personnages de sabreurs errants, sales, mal rasés et idem pour le western italien.
00:13:46On pense par exemple à Clint Eastwood dans la trilogie des dollars ou à Franco Nero
00:13:53dans Django de Corbucci.
00:13:56L'époque veut ce genre de personnage qui se situe à la marge de la loi.
00:14:02C'est à ces figures modernes que Zhang Jie va accorder le cinéma de Hong Kong
00:14:09en tournant en 1968 une suite de L'hirondelle d'or.
00:14:14Le retour de L'hirondelle d'or.
00:14:16On va voir le premier acteur vraiment typique de Zhang Jie qui est Jimmy Wang Yu qui a 24 ans.
00:14:24On va bien voir la différence de style et d'approche du héros entre les deux films.
00:14:30On va passer à l'extrait numéro 2, le retour de L'hirondelle d'or.
00:14:40Le retour de L'hirondelle d'or
00:14:44Le retour de L'hirondelle d'or
00:15:14Le retour de L'hirondelle d'or
00:15:45Le retour de L'hirondelle d'or
00:15:54L'hirondelle d'or
00:16:15Le retour de L'hirondelle d'or
00:16:35Le retour de L'hirondelle d'or
00:16:45Le retour de L'hirondelle d'or
00:16:58Le retour de L'hirondelle d'or
00:17:14Le retour de L'hirondelle d'or
00:17:45Le retour de L'hirondelle d'or
00:17:59Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:15Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:40Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:44Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:47Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:50Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:53Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:56Le retour de L'hirondelle d'or
00:18:59Le retour de L'hirondelle d'or
00:19:02Toute une partie de l'esprit de Chang Cheh
00:19:05pourrait être résumée par cette image de l'homme
00:19:08qui préfère se couper lui-même en deux avec sa guillotine
00:19:12pour aller jusqu'au bout de son destin de martyr
00:19:15et qui n'accepte même pas d'être sauvé.
00:19:18Son destin est d'être coupé en deux.
00:19:21Il le fait lui-même, s'il le faut.
00:19:24Ça va bien plus loin que les seppuku des samouraïs.
00:19:27Le héros de Chang Cheh, c'est Jimmy Wong Yu
00:19:30qui a 24 ans à l'époque.
00:19:33C'est un héros mutique, au visage fermé
00:19:36qui lui aussi a une forme d'androgynie
00:19:39et qui baigne une sorte d'ambiance de magie noire.
00:19:42Il fait des gestes cérémoniaux, un peu mystiques
00:19:45comme décarter ses deux épées.
00:19:48Il a quelque chose d'extrêmement nihiliste en lui.
00:19:51Et Wong Yu était par ailleurs fasciné par Toshiro Mifune.
00:19:54C'est quelqu'un qui l'a beaucoup inspiré.
00:19:57Donc il a cette aire d'un orphelin
00:20:00ou d'un enfant triste
00:20:03qui a une certaine ambiance de magie noire.
00:20:06Et ce qu'on remarque aussi,
00:20:09c'est un changement complet de mise en scène.
00:20:12Alors qu'on a les cadres de Kingu
00:20:15qui sont extrêmement bien composés
00:20:18et très harmonieux
00:20:21autour de la figure de Chen Peipei qui tournoie.
00:20:24Là, on a un cinéma d'action
00:20:27qui est extrêmement dynamique
00:20:30et qui même anticipe ce que fera John Woo plus tard
00:20:33ou ce que feront d'autres cinéastes.
00:20:36C'est une caméra qui est extrêmement près du corps
00:20:39et qui va suivre tous les mouvements
00:20:42en travelling, en panoramique, en zoom
00:20:45du personnage central.
00:20:48Donc Chang Cheh a vraiment inventé
00:20:51une façon de filmer l'action
00:20:54et je suis persuadé que si on voit à peu près
00:20:57ce qui se faisait à la même époque,
00:21:00on ne trouvera jamais une scène d'action
00:21:03filmée de cette façon-là,
00:21:06filmée avec cette forme de modernité et de dynamisme.
00:21:09Après, évidemment, si on va voir Fukasaku au Japon,
00:21:12on va trouver des choses équivalentes.
00:21:15Corbucci en Italie ou Castellari également
00:21:18ou un peu plus tard avec Keoma.
00:21:21Mais en tout cas, c'est quelque chose
00:21:24qui est quasiment du jamais vu
00:21:28et ce que vont doter
00:21:31ces films de genre,
00:21:34ce que vont inventer ces films de genre aussi,
00:21:37c'est là une question d'un territoire particulier.
00:21:40Par exemple, le Western et le Chambara japonais
00:21:43vont se situer dans des zones en marge de la loi.
00:21:46C'est le Far West, évidemment,
00:21:49l'Amérique en train de se construire
00:21:52où la loi n'est pas encore établie.
00:21:55C'est un monde qui se partage entre
00:21:58des bandits de grands chemins, des shérifs, etc.
00:22:01Les shérifs sont souvent pire que les bandits,
00:22:04des gangs qui gouvernent des villes.
00:22:07C'est un monde qui est chaotique,
00:22:10qui est en gestation.
00:22:13Le Chambara, quant à lui,
00:22:16souvent les personnages sont des renards,
00:22:19c'est-à-dire des renards pendant l'ère Edo
00:22:22qui vont se retrouver sans maître
00:22:25parce que les clans ont été démantelés,
00:22:28parce qu'il n'y a plus de guerre
00:22:31et qui vont errer sur les routes
00:22:34en offrant leur sabre au plus offrant.
00:22:37Des petits gangs vindicatifs
00:22:40ou des petits seigneurs, etc.
00:22:43C'est un monde qui est aussi détruit
00:22:46et qui n'est pas encore advenu.
00:22:49Ce monde moderne n'est pas encore tout à fait construit
00:22:52et dans cet interstice,
00:22:55les renards vont se déplacer.
00:23:01L'équivalent pour la Chine et le Huxiapian,
00:23:04ça va être un concept
00:23:07qu'on appelle le Jianghu.
00:23:10Le Jianghu regroupe le récit épique,
00:23:13héroïque,
00:23:16et on pourrait le rapprocher par son héroïsme
00:23:19de l'Iliade, de la chanson de Roland
00:23:22ou de la légende arthurienne.
00:23:25C'est un cinéma ou une littérature
00:23:28qui va être porté par une sorte d'imaginaire grandiose, épique.
00:23:31Quel est le territoire de cet héroïsme ?
00:23:34Si on revient à ce que veut dire Jianghu,
00:23:37ça veut dire rivière et lac.
00:23:40C'est un paysage avec des personnages
00:23:43en itinérance, en vagabondage.
00:23:46Le Jianghu, c'est une géographie,
00:23:49une époque, c'est-à-dire une époque féodale
00:23:52et en même temps qui n'est jamais déterminée,
00:23:55qui n'est jamais historiquement située.
00:23:58C'est comme si on disait que ça se passe au Moyen-Âge
00:24:01et que ce serait un Moyen-Âge un peu global,
00:24:04qui ne serait pas séparé par les rois,
00:24:07qui n'aurait pas une vraie chronologie.
00:24:13Donc une géographie, une époque,
00:24:16mais surtout une éthique,
00:24:19qui est l'éthique de la chevalerie.
00:24:22Ce qui a fondé le Jianghu,
00:24:25c'est un roman,
00:24:28un roman très très long,
00:24:31qui fait plusieurs milliers de pages,
00:24:34qui s'appelle Au bord de l'eau,
00:24:37et qui comprend 108 guerriers.
00:24:41C'est un recueil d'aventures,
00:24:44un esprit et un imaginaire.
00:24:47Les chevaliers errants, ce sont 108 hommes et femmes,
00:24:50qui sont parfois des brégands professionnels,
00:24:53mais surtout d'anciens officiers de l'empereur,
00:24:56qui vont fuir l'injustice et qui vont donc se retrouver errants.
00:24:59Ce sont des personnages qui sont toujours en mouvement.
00:25:02C'est une constante du récit épique.
00:25:05Si vous pensez par exemple à Star Wars,
00:25:08la prélogie,
00:25:11les personnages vont de planète en planète,
00:25:14sont aussi pris dans une forme d'errance,
00:25:17ils sont pourchassés, ils établissent des bases,
00:25:20ils essayent de se reconstituer, ils sont battus, etc.
00:25:23Donc il n'y a pas de point fixe d'ancrage pour les personnages.
00:25:26Les rivières et les lacs nous indiquent aussi
00:25:29que ça se passe en marge des villes,
00:25:32c'est-à-dire en marge de toute organisation sociale.
00:25:35C'est des rivières et des lacs,
00:25:38mais on va y ajouter des plaines, des forêts, des campements,
00:25:41des tavernes, des maisons de thé,
00:25:44mais aussi des bordels.
00:25:47Donc tout un monde qui est en marge
00:25:50des grandes organisations sociales et politiques des villes.
00:25:53Par exemple, les auberges,
00:25:56on va en trouver beaucoup chez Kingu.
00:25:59Par exemple, à Todschow Zen, il y a une scène d'auberge,
00:26:02puisque ce sont des lieux de rencontre à la croisée des routes
00:26:05où les aventuriers, les chevaliers vont se rencontrer,
00:26:08s'allier ou se battre.
00:26:11Donc ce sont des bornes.
00:26:14Donc le Djangout, c'est un monde parallèle,
00:26:17hors de la société légale et du pouvoir.
00:26:20Ce qui explique en particulier aussi que le Djangout a été récupéré
00:26:23par la pègre chinoise, c'est-à-dire les triades.
00:26:26Alors la pègre, que ce soit les triades,
00:26:29que ce soit la mafia ou que ce soit les yakuzas,
00:26:32a toujours besoin d'un fond mythique.
00:26:35Par exemple, pour les yakuzas, ça va être les samouraïs.
00:26:38Pour la mafia de Palerme, ça va être les beati paoli,
00:26:41les bandits d'honneur qui se mettent au service du peuple
00:26:44et qui permettent justement aux truands,
00:26:47aux organisations mafieuses du crime organisé,
00:26:50de s'auto-légitimer.
00:26:53Nous, on ne travaille pas pour le pouvoir, mais on travaille pour le peuple.
00:26:56Voilà, c'est la façon dont ils légitiment
00:26:59leur organisation.
00:27:02Donc le Djangout, maintenant, ça a été quelque chose
00:27:05que les triades revendiquaient comme la base
00:27:08de leur formation.
00:27:11Le Djangout, ça implique aussi
00:27:14une hiérarchie de personnages,
00:27:17qui vont du chevalier au lettré.
00:27:20Les lettrés aussi, ce sont des personnages qu'on va retrouver beaucoup
00:27:23dans le monde des arts martiaux, c'est-à-dire
00:27:26des apprentis, des clercs,
00:27:29des étudiants en littérature même,
00:27:32qui vont aussi partir sur les routes pour faire leur apprentissage,
00:27:35étudier dans des temples et qui vont aussi croiser
00:27:38des chevaliers, souvent dans les tavernes.
00:27:41Donc il y a toute une hiérarchie de personnages qui se confond avec
00:27:44un esprit qui est le Wulin,
00:27:47c'est-à-dire le monde des arts martiaux,
00:27:50un monde fantastique totalement imaginaire
00:27:53où on va retrouver tout ce qui fait la nature
00:27:56du récit épique, c'est-à-dire des hommes fantastiques, des combats,
00:27:59des combats littéralement homériques. Alors si on a pu en avoir un exemple
00:28:02avec le retour de les rondelles d'or,
00:28:05on se bat contre des centaines, des milliers de personnages,
00:28:08des personnages qui sont des colosses, qui peuvent se battre avec des troncs d'arbres,
00:28:11des litres d'alcool évidemment qui sont avalés
00:28:14et des morts toutes plus délirantes les unes que les autres,
00:28:17alors causées par des guillotines volantes,
00:28:20des dards, des éventails en acier. Enfin, il y a toute aussi
00:28:23une mythologie de larmes délirantes
00:28:26dans le cinéma, dans le Wuxiapian.
00:28:31Au milieu de tout ça,
00:28:34le héros de Chang Cheh,
00:28:40il est à la fois magnifié
00:28:43et martyrisé.
00:28:46Il est magnifié parce qu'il représente la force
00:28:49et la beauté et l'énergie de la jeunesse,
00:28:53mais martyrisé puisque ses corps
00:28:56qui sont magnifiés sont aussi promis
00:28:59à la destruction.
00:29:02On va voir le troisième extrait qui est un extrait
00:29:05littéralement de bataille, de combat épique
00:29:08qui est un extrait de Duo Mortel,
00:29:11un film de 1973.
00:29:16...
00:29:46...
00:30:16...
00:30:46Allez !
00:31:07Allez !
00:31:08Qu'est-ce que tu fais là ?
00:31:16Allez !
00:31:38...
00:31:48Salaud !
00:31:49...
00:32:35Aide-nous, papa.
00:33:05S'ils n'avaient pas des soldats comme nous,
00:33:08ils n'auraient pas réussi à conquérir le monde.
00:33:22Fou !
00:33:35Et surtout quelque chose qui est très particulier, David Chiang est sur un pont et il meurt debout en fait, il meurt debout, il se bat vraiment jusqu'à son dernier souffle, il meurt debout, complètement pétrifié et les yeux de grands ouverts, ce qui est une façon, qui est un classique du cinéma de l'opéra de Pékin, en fait de la tradition de l'opéra de Pékin.
00:34:05Bon, on va peut-être passer à l'extrait numéro 6, puisqu'il y a Vengeance.
00:39:36Je préférais qu'on passe les deux extraits à la suite.
00:39:44Donc voilà, le héros étant sanglanté, transpercé, martyrisé littéralement, c'est une sorte de Saint-Sébastien et donc dans la tradition de l'opéra de Pékin, il meurt debout et les yeux grands ouverts.
00:39:59Je pense que c'est quelque chose, on pourrait sans doute en trouver des traces de cette figure du héros qui meurt debout, on devrait en trouver des traces peut-être chez Homère aussi, ce ne serait pas étonnant, ou dans des poèmes épiques comme la chanson de Roland peut-être.
00:40:15En tout cas, le cinéma de Chang-Chih a vraiment en rapport avec cette tradition, comme on peut le voir aussi dans le deuxième extrait, qui était donc Vengeance.
00:40:30Vengeance donc avec ce montage en parallèle entre le combat dans la taverne et puis aussi la scène d'opéra, qui est un opéra très célèbre, avec le général Luo Tang qui se bat contre 10 généraux et qui continue de se battre même si les intestins sortent de son ventre.
00:40:52Le rideau rouge tombe et la dernière image qu'on a en fait, ce n'est pas seulement sur Ti Long qui est en effet transpercé, qui a ce maquillage sur les yeux qui est un maquillage théâtral, mais en fait c'est le général sur scène avec le rideau qui se ferme.
00:41:14La pièce de l'opéra de Pékin va en fait faire un effet de transition entre le monde du djangou historique, féodal, et son versant moderne situé dans le monde de la pègre, puisque Vengeance se passe dans les années 1920.
00:41:34C'est une version chinoise des films de Yakuza de la même époque, on l'appelait le Ninko Eiga, ou le film chevaleresque.
00:41:44Alors quel va être l'autre rapport que va être celui du cinéma de Chang Cheh ?
00:41:52Ça va être de recentrer le djangou autour de la figure du couple.
00:41:57Au bord de l'eau narrent les exploits de 108 chevaliers, c'est un très très long récit épique avec beaucoup d'épisodes.
00:42:07Chang Cheh va se concentrer sur le couple de combattants.
00:42:13Il va effectuer un parcours qui va du héros solitaire, le héros solitaire c'est Wang Yu,
00:42:19Wang Yu dans Un seul bras les tue à tous, ou dans Le retour des rondelles d'or, jusqu'au couple de héros.
00:42:27La mutilation est quelque chose de très très important chez Chang Cheh.
00:42:33Ça commence avec Wang Yu, avec le film que vous allez voir tout à l'heure qui est Un seul bras les tue à tous.
00:42:39Lorsqu'il est mutilé, Wang Yu est coupé en quelque sorte de la société légale.
00:42:45La mutilation en fait un marginal, une sorte de freak, en tout cas une créature extrêmement nihiliste,
00:42:51qui d'une certaine façon va aller au plus profond de ce qu'il y a de maléfique chez lui.
00:42:58Il va assumer littéralement la part un peu psychopathe du héros d'un martial.
00:43:05On le voit dans Le retour des rondelles d'or, on a l'impression qu'il a 42 fièvres et qu'il va quand même combattre.
00:43:11Il a quelque chose vraiment qui l'habite et qui le brûle.
00:43:15Donc il y a une dimension masochiste.
00:43:18On a l'impression que Wang Yu expie sa virtuosité au sabre, qui est une virtuosité mortelle et morbide.
00:43:28Donc c'est ça la dimension nihiliste du personnage.
00:43:32Et c'est aussi la part maudite qui va être celle de l'acteur,
00:43:35qui va traîner son personnage de bandit manchot dans je ne sais combien de productions toutes plus fauchées les uns que les autres au moment de sa carrière.
00:43:45Et quelque chose que j'ai appris qui est tout à fait incroyable, c'est que Wang Yu, alors il était déjà un peu âgé,
00:43:51il a eu un AVC, donc qu'il a laissé invalide de la moitié du corps.
00:43:58On peut se dire que son histoire et le cinéma se confondent.
00:44:03Et par la pratique et la volonté, il a réussi à retrouver sa motricité complète.
00:44:11Donc en fait, Wang Yu, c'est vraiment le sabre à manchots qui arrive par la pratique à dépasser son état
00:44:21et atteindre un état qui serait celui d'un surhomme tragique.
00:44:26C'est-à-dire que la mutilation, c'est son destin, et son destin en tant que tel, c'est d'arriver à se reconstruire au-delà de cette mutilation.
00:44:37Quand on voit qu'on vous verrait un seul bras les tuer à tous, on se demande à quoi ça sert d'avoir deux bras.
00:44:43Puisqu'on est encore plus fort lorsqu'on n'en a qu'un.
00:44:46Déjà parce qu'on offre moins de prise à l'adversaire vu qu'on a une partie du corps en moins.
00:44:53Chang Che va donc tourner un remake.
00:44:57Ce ne sont pas vraiment des remakes, c'est souvent les films de Hong Kong.
00:45:01Ce sont des films avec le même personnage qui est réinventé à chaque fois.
00:45:05En tout cas, une troisième version de l'histoire du sabre à manchots.
00:45:11Où justement, cette fois-ci, le sabre ne sera plus solitaire.
00:45:16Il formera un couple.
00:45:18C'est le couple favori de Chang Che qu'on a vu dans « Duo mortel » composé de Ti Long et David Chiang.
00:45:24La réécriture du récit est simple.
00:45:28Dans « L'arrache du tigre », le héros qui s'appelle Lai Li, qui est David Chiang, est mutilé par un chef de bande.
00:45:35Il va se réapprendre à se battre et va arriver le chevalier Feng qui devient son frère de sang.
00:45:41Feng va aller se rendre dans le château du seigneur qui a mutilé Lai Li et va mourir.
00:45:49C'est une seconde mutilation pour Lai Li, pour le héros.
00:45:54Celle du frère de sang du compagnon d'armes.
00:45:58Si on se réfère encore au récit épique,
00:46:01Chang Che va reprendre ce couple mythique qui pourrait être formé par Achille et Patrocle dans « L'Iliade ».
00:46:10Je me suis demandé où était la femme dans cet univers qui devient de plus en plus masculin, de plus en plus homoérotique ?
00:46:23Comment on passait d'un cinéma profondément, au niveau presque psychologique,
00:46:28d'un cinéma où la femme était surpuissante,
00:46:32à un cinéma où l'homme occupe la place centrale mais plus encore son corps, sa souffrance, sa mutilation ?
00:46:42Il y a déjà un petit indice à la fin de « Vengeance » avec ce raccord extrêmement beau du rideau rouge qui se ferme,
00:46:50et puis des portes qui s'ouvrent et on voit arriver une femme en rouge, une famille de rouge.
00:46:57Donc il y a l'idée que la femme, tout en étant hors champ, possède quand même une sorte de vertu, je dirais, pas castratrice,
00:47:11mais en tout cas quelque chose à cet ordre-là.
00:47:13Dans « Un seul bras les tue à tous », par exemple, vous allez voir,
00:47:17la princesse Wong Yu est mutilée par une princesse, une sorte de jeune femme extrêmement capricieuse,
00:47:23qui lui coupe un bras presque sans le vouloir.
00:47:26Et par la suite, c'est son épouse, une fois qu'elle a été mutilée, qui ne veut plus reprendre les arts martiaux,
00:47:32il se marie, il devient infirmier, et c'est son épouse qui va lui fournir le manuel d'arts martiaux
00:47:37qui va lui permettre de quand même se remettre au combat.
00:47:41Donc le héros est compris entre une femme qu'il castre, qu'il lui coupe un bras,
00:47:47et puis une autre qui lui permet de se reconstruire et de redevenir le combattant qu'il était.
00:47:54Alors le rôle de la femme dans « L'arrache du tigre » est bien plus conventionnel,
00:47:59et on va voir un petit extrait, c'est l'extrait numéro 4.
00:48:17L'arrache du tigre
00:48:47L'arrache du tigre
00:49:18L'arrache du tigre
00:49:29Chang Cheh n'est pas du tout dupe, évidemment.
00:49:32Quand la princesse, quand le chevalier manchot donne sa manche à la princesse,
00:49:37qu'il n'y a rien à l'intérieur, donc qu'elle lui dise « c'est tout ce que tu me laisses »,
00:49:42l'intérêt n'est pas du tout envers la princesse.
00:49:46En fait, c'est ce qu'on appelle maintenant la bromance entre Leili et le chevalier Feng.
00:49:52C'est là où se joue vraiment le couple.
00:49:55Donc on a ces deux acteurs, David Chiang et Ti Lung,
00:49:59qui ont 25 et 26 ans à l'époque de « L'arrache du tigre ».
00:50:03Et donc je pense qu'il y a quelque chose qu'on peut comprendre du cinéma de Chang Cheh
00:50:07si on étudie un peu leurs styles respectifs.
00:50:10Alors, le lien qui les unit, il est sentimental,
00:50:17mais il est aussi élémentaire au niveau des éléments.
00:50:22Ti Lung, lui, c'est quelqu'un qui est grand, athlétique.
00:50:25C'est celui du haut mortel qu'on voit combattre torse nu sur le bateau.
00:50:30Il est grand, athlétique.
00:50:32Il est toujours torse nu.
00:50:34Il a un corps qui respire la santé.
00:50:36Il est lisse, rebondi.
00:50:37C'est un vrai pin-up boy, comme on dirait.
00:50:39Et c'est un être qui est toujours solaire.
00:50:42Qui est solaire, souriant, en général.
00:50:44David Chiang, lui, il est beaucoup plus petit.
00:50:46C'est une sorte de dandy mince, souffroteux,
00:50:50qui est toujours habillé.
00:50:52Il est toujours habillé jusqu'au menton, avec ses vêtements blancs, en général.
00:50:56Et il a quelque chose d'un peu tuberculeux.
00:50:59Lorsqu'on le frappe à la poitrine, il crache du sang, par exemple.
00:51:04Donc, il a un corps qui est à la fois toujours dissimulé
00:51:10et chez lequel on sent une forme de fragilité.
00:51:15Si je pouvais comparer Ti Lung et David Chiang,
00:51:19ce serait à des couples de danseurs hollywoodiens.
00:51:23Ce serait Gene Kelly et Fred Astaire.
00:51:26Comme Gene Kelly, Ti Lung, c'est un terrien
00:51:29qui va tirer sa force des matières solides.
00:51:32Du sol, par exemple.
00:51:34Il est toujours extrêmement bien arrimé au sol,
00:51:37de façon très puissante.
00:51:40Et même s'il tourne sur lui-même,
00:51:43même s'il est extrêmement gracieux,
00:51:47on sent que sa base principale, c'est le sol.
00:51:50Tandis que comme Fred Astaire,
00:51:52David Chiang a un côté un peu plus ectoplasmique.
00:51:55C'est quelqu'un d'aérien,
00:51:57qui donne l'impression qu'il n'a pas de poids réel.
00:52:01Lui, c'est vraiment l'héritier du Kung Fu,
00:52:04le Kung Fu à trampoline et filin, en quelque sorte.
00:52:07C'est quelqu'un qui fait des bons, etc.
00:52:10Ce qui les relie, c'est que chacun incarne un type,
00:52:16je dirais presque de danse,
00:52:18parce que leur Kung Fu, ce ne sont pas des grands athlètes,
00:52:21ce ne sont pas des grands artistes martiaux,
00:52:24ce sont surtout des comédiens, des acrobates.
00:52:27David Chiang, c'est quelqu'un qui vient de l'Opéra de Pékin, par exemple.
00:52:31Donc, ce qui les relie entre eux,
00:52:33c'est quelque chose qui est surtout élémentaire.
00:52:37Et pour ça, on va voir une autre scène typique,
00:52:41où vraiment le mélodrame rejoint l'art martial.
00:52:44C'est l'extrait numéro 8 de Duel Sauvage,
00:52:48toujours la même année, en 1971.
00:52:50C'est des gens qui tournaient énormément.
00:52:56Extrait numéro 8.
00:53:20Extrait numéro 8.
00:53:50Extrait numéro 8.
00:54:10Je n'y ai...
00:54:20Je n'y ai pas...
00:54:50Je n'y ai pas...
00:55:20Je n'y ai pas...
00:55:30Tu es un meurtrier.
00:55:32Ces meurtriers...
00:55:36Tu es tout...
00:55:38Tout...
00:55:39Là, on est vraiment dans le grand mélodrame.
00:55:42Évidemment, le cinéaste qui va reprendre ça,
00:55:45c'est John Woo, évidemment,
00:55:47qui était l'assistant de Chiang Cheh,
00:55:49et qui rendra hommage...
00:55:51Si vous avez vu l'extrait de Vengeance,
00:55:54avec Ti Lung qui arrive dans la maison de thé
00:55:57avec une cage à oiseaux,
00:55:59et si vous vous rappelez d'À Toute Épreuve de John Woo,
00:56:02c'est exactement la même chose.
00:56:04On verra Cho Yun Fat arriver aussi dans un restaurant
00:56:07avec une cage à oiseaux.
00:56:09De la même façon, les yeux crevés de Ti Lung
00:56:14dans Vengeance
00:56:16vont être aussi repris
00:56:18à la fin de The Killer de John Woo.
00:56:20Ça, c'est vraiment le cinéaste.
00:56:22Chiang Cheh et John Woo,
00:56:24il y a une vraie lignée entre deux.
00:56:29Pour aussi...
00:56:33Je trouve aussi que ce que vont jouer
00:56:35Da Li Chiang et Ti Lung,
00:56:37ça rejoue une autre opposition,
00:56:40qui est celle entre Lu Chia Liang et Chiang Cheh,
00:56:43puisqu'on parle de frères d'armes
00:56:45et de brotherhood, évidemment.
00:56:47Lu Chia Liang a été le chorégraphe de Chiang Cheh.
00:56:50C'est lui qui a réglé la plupart de ses combats.
00:56:53Lu Chia Liang qui est le cinéaste
00:56:56de La 30e Chambre de Shaolin,
00:56:58mais ça, on y reviendra un peu plus tard.
00:57:00Et en 1974, suite à l'intérêt des spectateurs
00:57:03pour un kung fu plus technique, plus authentique,
00:57:07moins basé sur des combats homériques ou épiques
00:57:11que sur le combat à deux, le duel,
00:57:14c'est-à-dire le cinéma qu'a imposé Bruce Lee,
00:57:17Chiang Cheh va inventer le Shaolin Kung Fu.
00:57:20Donc il va se ressourcer à l'origine du kung fu,
00:57:23c'est-à-dire le temple de Shaolin.
00:57:26Ce qui va permettre à Lu Chia Liang
00:57:29de devenir par ailleurs cinéaste,
00:57:32puisque lui-même, chorégraphe,
00:57:35donc maître de combat,
00:57:37était un descendant des maîtres
00:57:40du temple original de Shaolin,
00:57:43enfin un descendant de maîtres à disciples, en tout cas.
00:57:47Et donc il tourne un des plus grands classiques du kung fu
00:57:50qui est La 30e Chambre.
00:57:52Alors on va regarder un extrait de La 30e Chambre,
00:57:55ce qui va nous permettre de définir la nature
00:57:58de la collaboration entre Chiang Cheh et Lu Chia Liang,
00:58:01mais aussi leurs différences qui sont nombreuses.
00:58:04Extrait numéro 5
00:58:34Extrait numéro 6
00:59:04Extrait numéro 7
00:59:34Extrait numéro 8
00:59:37Extrait numéro 9
00:59:50C'est bon.
01:00:05C'est bon.
01:00:17Tu t'y es.
01:00:20C'est bon.
01:00:34C'est bon.
01:01:05C'est bon.
01:01:20C'est bon.
01:01:29Donc on peut imaginer, ça c'est l'affirmative kida de 78,
01:01:32J'imaginais quand même la frustration de Liu Qiaolong qui réglait des combats
01:01:38extrêmement amples, précis, extrêmement bien ordonnés.
01:01:44Et ces combats étaient en fait, Cheng Cheh s'en emparait à coup de zoom,
01:01:49à coup de travelling, les exposait complètement.
01:01:54On pourrait dire qu'il y a une dimension apollinienne chez Liu Qiaolong.
01:02:01C'est quelqu'un qui est à la recherche d'une forme classique de perfection.
01:02:06Et il y aurait chez Cheng Cheh une dimension donisiaque.
01:02:09Quelqu'un qui, évidemment, est dans une sorte d'ivresse, d'ivresse du combat,
01:02:14ou ce que les Grecs appelaient aussi l'aristie, le moment où le héros va
01:02:18plonger dans le combat et va même oublier la possibilité qu'il va mourir
01:02:23vu qu'il combat dans une sorte de délire divin.
01:02:28Donc, d'un côté, on a l'ordre et de l'autre côté, on a une sorte de fureur.
01:02:33Et je regardais un bonus qui était fait par Charles Tesson, peut-être
01:02:38justement de la 39e chambre de Shaolin, où il disait, oui, au début,
01:02:42on aime Cheng Cheh et puis finalement, en vieillissant, peut-être qu'on
01:02:45préfère Liu Qiaolong.
01:02:46Et puis, je me suis rendu compte que ça me dit quelque chose, ça.
01:02:49Je me suis dit, oui, mais c'est exactement ce qu'on disait d'Hitchcock
01:02:51et Fritz Lang.
01:02:52En fait, on commence par aimer Hitchcock et puis finalement, en vieillissant,
01:02:55on se rend compte que Fritz Lang, c'est peut-être mieux.
01:02:59Et je me suis dit, voilà, en fait, on serait au départ des sortes
01:03:03d'enfants un peu fous qui adoreront le sang, les pulsions, les voir
01:03:09des gens se massacrer et tout ça.
01:03:12Et puis, finalement, en vieillissant, il faudrait que ces pulsions
01:03:14soient encadrées par quelque chose, alors que ce soit par une sorte
01:03:18de géométrie languienne, par exemple, ou que ce soit par la pratique
01:03:24d'un kung fu beaucoup plus cadré qui serait celui de Liu Qiaolong.
01:03:29Moi, je ne pense pas du tout comme ça, en fait.
01:03:31Je ne pense pas du tout qu'en vieillissant, on aille de l'un à l'autre.
01:03:35Je pense qu'évidemment, les deux sont nécessaires et absolument
01:03:39passionnants.
01:03:40Et je pense que Tesson pense aussi par ailleurs.
01:03:43Mais en opposant, en mettant quand même ces deux immenses cinéastes
01:03:52l'un à côté de l'autre, on peut voir aussi, en effet, ce qui les sépare,
01:03:58c'est que le monde de Changsha, c'est évidemment le monde du Jianghu.
01:04:03C'est-à-dire, c'est un monde qui est complètement anarchique,
01:04:05anarchiste, qui, comme je l'ai dit, n'est pas situé historiquement.
01:04:10Tandis que le monde de Liu Qiaolong est extrêmement centré.
01:04:14C'est l'histoire, extrêmement située.
01:04:16C'est l'histoire du temple de Shaolin et de la résistance aux envahisseurs
01:04:20du Nord, les Qing.
01:04:21En fait, la dynastie Qing.
01:04:23Donc là, on a aussi quelque chose qui est extrêmement précis.
01:04:28On passe entre Changsha et Liu Qiaolong de l'idée de la fraternité à
01:04:33l'idée aussi de la solidarité entre apprentis.
01:04:36On a un chevalier, on passe du chevalier solitaire à quelqu'un qui est
01:04:41à l'intérieur d'une communauté strictement organisée, c'est-à-dire
01:04:46le monastère, et de façon confucéenne, qui est bâtie sur le respect des
01:04:50maîtres et du bouddhisme.
01:04:51Alors, le respect des maîtres et du bouddhisme, je pense que Changsha
01:04:54n'en avait rien à faire, par ailleurs, strictement rien à faire.
01:04:58Chez lui, le pouvoir est toujours cruel et violent, et détruit et
01:05:04blesse les amis.
01:05:07Et c'est là aussi, on peut voir aussi le passage d'acteurs,
01:05:12de David Chiang et Ti Lung, au personnage de Gordon Yu, par exemple.
01:05:18Alors évidemment, Ti Lung et David Chiang, comme je l'ai dit,
01:05:21ne sont pas des artistes martiaux.
01:05:23Ils sont des artistes martiaux de cinéma.
01:05:25Ce sont avant tout des acteurs de l'opéra de Pékin, c'est-à-dire
01:05:30des acrobates, tandis que Gordon Yu, lui, est un vrai combattant.
01:05:35C'est un vrai combattant et ce n'est pas quelqu'un qui a un physique
01:05:39extrêmement particulier, c'est-à-dire qu'il ressemble à tous
01:05:44les autres moines.
01:05:45En fait, il a une sorte de forme générique, c'est-à-dire qu'on
01:05:49pourrait dessiner sa silhouette et on aurait un manuel d'arts
01:05:53martiaux, presque.
01:05:54Il a l'air de sortir d'un manuel.
01:05:57Donc, son personnage est aussi social et politique.
01:06:02Il va représenter le temps de Shaolin, il va représenter le peuple.
01:06:07Lu Chiang, par ailleurs, il invente la kung fu comédie, c'est-à-dire
01:06:11qu'il va briser le dogme masculin de Chiang Cheh, il va inventer
01:06:16de grands personnages de femmes.
01:06:17Je pense à Karawie dans Lady Kung Fu, par exemple, et je pense aussi
01:06:22à Shaolin contre Ninja, qui raconte le mariage entre un combattant
01:06:30chinois et une combattante japonaise.
01:06:32Et en fait, tout le film n'est qu'une série de scènes de ménage avec
01:06:36des styles d'arts martiaux différents.
01:06:39Ce qui fait qu'en fait, la kung fu comédie va replacer le kung fu
01:06:45homosexuel de Chiang Cheh à l'intérieur d'une forme hétérosexuelle
01:06:51et même conjugale.
01:06:53Voilà, c'est ça aussi qui fait que Lu Chai Long va recadrer aussi
01:06:58certaines choses qui étaient beaucoup plus, je dirais, délurées et
01:07:03plus anarchiques chez Chiang Cheh.
01:07:10Et ce qui est intéressant aussi, c'est que l'opposition qu'on peut
01:07:13retrouver entre Chiang Cheh et Lu Chai Long, mais aussi King Wu,
01:07:19on va la retrouver chez ses héritiers et donc en particulier chez
01:07:23John Woo et Tsui Hark.
01:07:25On l'a vu, John Woo, c'est un fils, c'est réellement un fils
01:07:30spirituel de Chiang Cheh qui va déplacer ce qu'on a pu voir avec
01:07:36des armes blanches à l'intérieur du polar, du film noir, du film
01:07:40d'action avec des armes à feu.
01:07:43Et inventer ce qu'on appelait The Heroic Bloodshed, donc le bain
01:07:47de sang héroïque.
01:07:50Voilà, dont A Toute Épreuve, évidemment, est l'exemple le plus célèbre,
01:07:55mais qui donnera lieu, par exemple, à la série de John Wick.
01:07:58La série de John Wick est quelque chose qui s'inspire à la fois du
01:08:03cinéma de John Woo, mais aussi très, très largement du cinéma
01:08:06d'art martial et du cinéma de Chiang Cheh.
01:08:09L'autre, évidemment, qui va être toujours opposé à John Woo,
01:08:14c'est Tsui Hark, qui, évidemment, lui aussi, est le chanteur d'une
01:08:21sorte de kung fu extrêmement élégant, de kung fu des étoffes aussi,
01:08:26avec des personnages où il remet à l'honneur le personnage féminin,
01:08:31Androgyne, comme l'avait fait Kingu avec Lirondelle d'or.
01:08:36C'est toute la série de films de l'Auberge du printemps.
01:08:43Voilà les remakes que va tourner Tsui Hark.
01:08:48Il est également proche de Lu Chia-Liang.
01:08:52Avec la série Il était une fois en Chine, qui va aussi se baser sur
01:08:57ce qu'il y a de traditionnel dans les arts martiaux, à travers la
01:09:00figure de Wong Fei-Hung, mais aussi ce qu'il peut y avoir de
01:09:02révolutionnaire en termes d'armes de résistance, puisque Wong Fei-Hung
01:09:08se bat contre les colons occidentaux, puis plus diverses sociétés
01:09:13secrètes occultes, pratiquant la magie noire.
01:09:18Donc, il y a aussi l'idée que, bon, voilà, on va récupérer notre
01:09:21terre, mais aussi, on va recadrer les pratiques un peu étranges qui
01:09:26viendraient de sociétés secrètes pratiquant la magie noire pendant
01:09:29la guerre des boxeurs.
01:09:30Donc, Tsui Hark, vraiment, il se situe entre King Wu et Lu Chia-Liang,
01:09:38mais il va aussi rendre hommage à Zhang Jie avec un film qui s'appelle
01:09:43The Blade, qui va être une critique du Jianguo, du Wu Zetian,
01:09:50mais également de l'univers de Zhang Jie.
01:09:51Donc, on va voir un extrait de The Blade de 1995.
01:14:30Ce qu'on montre,
01:15:00c'est que Tsui Hark, avec The Blade, il dévoile que le monde de Zhang Jie
01:15:07est en fait un monde qui est essentiellement dominé par la lame,
01:15:12par la lame qui est une sorte d'idole maléfique qui ne mutile pas
01:15:22que les corps, mais aussi les identités.
01:15:25C'est-à-dire que la lame va assassiner les fiancés, va assassiner
01:15:29les pères.
01:15:30Elle va créer des orphelins qui ne savent même plus s'ils sont des
01:15:34garçons ou des filles.
01:15:35C'est le personnage toujours fiévreux qu'on a pu apercevoir.
01:15:41Donc, des gens qui ne savent plus qu'ils y sont eux-mêmes.
01:15:43Et leur seul créateur, c'est la lame, c'est le sabre lui-même.
01:15:48Et le sabre brisé que vous allez voir, parce que c'est le sabre brisé,
01:15:52il vient directement d'un seul bras, un seul bras les tue à tous.
01:15:56Une fois qu'il est brisé, il ressemble à un choix de boucher.
01:15:58Donc, ce n'est plus du tout un instrument noble.
01:16:00C'est un instrument qui n'est là que pour couper les chairs comme
01:16:06de la viande.
01:16:07Voilà.
01:16:08Donc, Tzu Hark va, en quelque sorte, retourner le monde de Chang Che
01:16:15pour montrer que pour lui, c'est un monde qui est dénué de toute
01:16:19noblesse.
01:16:20L'idée du djongu, de la chevalerie, finalement, ce ne sont que des
01:16:23histoires de vengeance et ce n'est que de la barbarie, en réalité.
01:16:27Donc, il va avoir une vision extrêmement critique, évidemment,
01:16:33du genre, du cinéaste quand même qui a apporté ce genre, dont il
01:16:38reconnaît évidemment la puissance, mais aussi de l'histoire de son
01:16:43pays.
01:16:44Il montre que la chevalerie, ce sont des gens qui se détruisent
01:16:47entre eux et qui vont bientôt être supplantés.
01:16:51Dans The Blade, à un moment, les personnages sont censés remarcher
01:16:56et puis, ils voient un petit objet, une sorte de bijou qu'ils ne
01:17:01comprennent pas, en fait, qui est un crucifié qui s'est retrouvé
01:17:07là.
01:17:08Évidemment, ce qui va les détruire, ce n'est pas des lames, ce n'est
01:17:12pas les lames, mais c'est une autre religion qui va arriver.
01:17:15En fait, c'est une autre religion et d'autres combattants qui
01:17:21seront des combattants aussi au niveau spirituel.
01:17:24Voilà, je vous remercie et je suis ouvert à vos questions.