Alors qu’Haïti s’enfonce dans une crise historique, la France fait face à une demande de rembourser des milliards de dollars que lui avaient payés sous la contrainte les anciens esclaves haïtiens.
Retrouvez "En toute subjectivité" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dov-alfon-en-toute-subjectivite
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00:00 Le 7-10 sur France Inter.
00:03 7h20 en toute subjectivité ce matin avec le directeur de la publication et de la rédaction du quotidien Libération.
00:10 Bonjour Dov Alfond.
00:11 Bonjour Nicolas.
00:12 Dov, alors qu'Haïti s'enfonce dans une crise historique, la France fait face à une demande de rembourser des milliards de dollars
00:20 que lui avaient payés sous la contrainte les anciens esclaves haïtiens.
00:24 Oui Nicolas, le déficit français bat des records et ce n'est donc sans doute pas le meilleur moment.
00:29 Mais c'est le moment choisi par le haut commissaire des Nations Unies au droit de l'homme Volker Türk
00:34 pour se prononcer en faveur d'actions immédiates pour le paiement de réparations par les anciennes puissances coloniales,
00:41 avec la France donc en premier plan.
00:43 Concrètement, l'ONU doit d'abord décider de la création d'un tribunal chargé d'examiner les réparations,
00:48 mais pour son responsable des droits humains, les gouvernements doivent, je cite,
00:53 « passer rapidement de la parole aux actes afin de réparer les torts du passé ».
00:58 Alors pourquoi nous ? Pourquoi la France ?
01:00 Et bien parce que Haïti, petit pays caribéen en proie à une crise
01:04 qui menace d'engouffrer des millions de ses habitants dans une spirale de famine, violence et pauvreté,
01:10 est une ancienne colonie française.
01:12 Peu en France en sont conscients parce qu'elle est absente de nos manuels scolaires,
01:16 de nos déclarations gouvernementales, de nos manifestations politiques.
01:20 Cette colonie française a enrichi considérablement le roi de France, l'aristocratie,
01:26 les villes de Bordeaux, de Nantes, de La Rochelle.
01:29 Cette richesse a été acquise au prix de la féroce exploitation
01:32 d'une main-d'œuvre africaine déportée vers Haïti
01:35 et qui tenait en moyenne sept ans avant de mourir d'épuisement.
01:39 Les réparations demandées portent sur ce qui s'est passé après l'indépendance,
01:43 quand la France a imposé une lourde rançon en compensation des revenus perdus par ses colons.
01:49 Cette dette, que de nombreux haïtiens accusent d'être à l'origine de deux siècles de troubles,
01:54 n'a été entièrement remboursée qu'en 1947-1950.
01:58 Il s'agissait de 150 millions de francs or, qui pourraient valoir aujourd'hui 21 milliards d'euros.
02:04 Ou 150 milliards si on ajoute les intérêts.
02:06 Vendredi dernier à Genève, le Forum permanent des Nations Unies sur les personnes d'ascédence africaine
02:12 a donc annoncé son intention de demander la création du tribunal qui en déciderait du montant.
02:17 Mais Dov, la question n'a pas d'écho en France.
02:20 En effet Nicolas, à gauche comme à droite, la responsabilité française dans la tragédie d'Haïti est complètement invisibilisée.
02:27 Dans un rapport pour la fondation Jean Jaurès, le chercheur Jean-Jacques Orienski parle d'une sorte de, je cite,
02:32 "lobotomie nationale ayant effacé de la mémoire française toute trace de son passé colonial".
02:40 Un exemple parmi d'autres, plusieurs syndicats français ont publié cette semaine un communiqué sur la situation à Haïti
02:46 en accusant une seule puissance coloniale, les Etats-Unis.
02:49 Il nous est aussi plus facile de parler de victimes pour lesquelles nous n'avons pas une responsabilité directe.
02:54 Les Ukrainiens, les Gazaouis, les Afghans, les Ouïghours.
02:59 Les Haïtiens sont aussi en danger de famine.
03:01 Mais ce faisant, ils nous donnent mauvaise conscience.
03:04 Parlons donc d'autre chose Nicolas.
03:06 Dov Alfon, merci et à lundi prochain.