• il y a 8 mois
Lucie Chaumette reçoit le sociologue Gaspard Lion, qui publie le livre « Vivre au camping, un mal logement des classes populaires », aux éditions Seuil, la première enquête sociologique sur les personnes qui habitent au camping à l’année. L’invité, qui a lui-même passé quelques années là-bas pour les besoins de l’enquête, revient sur cette crise du logement « qui touche des personnes de plus en plus nombreuses, avec des parcours de vie […] assez diversifiés ». Selon un rapport de 2024 de la Fondation Abbé Pierre, près de 15 millions de personnes sont touchées par la crise du logement en France.

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Transcription
00:00 Vous publiez le livre "Vivre au camping, un mal logement des classes populaires" aux éditions Seuil.
00:04 C'est la première enquête sociologique en France sur les personnes qui vivent au camping à l'année.
00:09 Vous y avez vous-même passé quelques années pour justement cette enquête.
00:12 Si vous ne deviez retenir qu'une chose justement de ces années passées-là, ce serait quoi ?
00:18 C'est le constat de l'extension de la crise du logement qui touche des personnes de plus en plus nombreuses
00:23 avec des parcours de vie dans ces terrains de camping qui sont assez diversifiés en réalité.
00:30 La Fondation Abbé Pierre nous dit qu'en France, aujourd'hui, il y a près de 15 millions de personnes
00:35 qui sont victimes de la crise du logement.
00:38 Ce sont-elles qui habitent aujourd'hui au camping à l'année ?
00:41 Ce sont-elles que vous avez rencontrées ?
00:43 Oui, de fait, ce sont des personnes qui sont victimes de la crise du logement,
00:46 d'une crise qui ne cesse de s'aggraver au cours des dernières décennies
00:50 et qui touche de plus en plus de personnes.
00:52 Donc on trouve en fait une diversité de profils.
00:55 On trouve des personnes qui sont en emploi, qui ont un emploi stable
00:58 et qui vont être déstabilisées du fait de l'envolée des prix du logement aujourd'hui,
01:02 qui jusque-là auraient pu être protégées et qui, à la suite simplement d'une séparation, un divorce,
01:08 vont, du fait de la conjoncture actuelle, se retrouver en grande précarité.
01:12 Et puis vous trouvez aussi des personnes qui sont également en emploi
01:16 et qui n'ont jamais connu de difficultés jusque-là
01:20 et qui en fait désirent accéder à une forme de propriété, un pavillon, une maison,
01:26 et qui dans le contexte actuel se voient dans l'impossibilité de satisfaire ce désir
01:31 et vont se tourner vers des mobil-homes, alors plutôt des campings haut de gamme.
01:35 Et là, on a tout un autre type de rapport à l'habitat.
01:38 C'est plutôt vécu comme positif, comme quelque chose de positif,
01:41 contrairement au groupe précédent, par exemple.
01:42 Alors j'aimerais qu'on prenne justement l'exemple d'une personne que vous avez rencontrée.
01:46 Il s'appelle Laurent, il est manutentionnaire, il a 40 ans,
01:48 sa compagne est agente de maîtrise.
01:49 Laurent qui vous explique et vous le racontait, il nous dit
01:52 « C'était impossible d'acheter une maison à 60 000 euros,
01:55 donc on s'est fait plaisir en achetant tout en haut de gamme »
01:57 pour le mobil-home en question, « et on s'est dit on repart de zéro ».
02:01 Ça, ça pointe justement l'exemple du difficile accès à la propriété.
02:05 Est-ce que ça s'est accentué ces dernières années, ces dernières décennies peut-être ?
02:10 Oui, ça s'est nettement accentué au cours des 20-30 dernières années en réalité,
02:14 et plus encore au cours des dernières années.
02:16 Effectivement, ce que dit Laurent, c'est son impossibilité aujourd'hui
02:20 à accéder à la propriété.
02:22 C'est devenu de plus en plus compliqué en fait pour les classes populaires,
02:25 pour les ouvriers, pour les employés aujourd'hui de devenir propriétaires.
02:28 Et ça touche des fractions, y compris des classes moyennes,
02:32 de plus en plus grandes aujourd'hui.
02:33 Et ça veut dire quoi « habiter au camping à l'année » ?
02:35 Comment vous, vous avez vu ça se dérouler sous vos yeux ?
02:39 Alors ça va, disons que les significations, le rapport à l'habitat, au camping, etc.
02:45 varient en fonction des profils.
02:46 Pour des personnes comme Laurent, souvent c'est investi positivement,
02:49 voire très positivement, puisque c'est des trajectoires qui sont relativement,
02:53 enfin disons qui sont arrivées au camping et…
02:55 Ça a été un choix à un moment donné en fait.
02:57 Voilà, disons que c'est une décision qui a été prise.
02:58 Il aurait pu se maintenir dans le parc traditionnel du logement,
03:01 et donc en fait il apprécie de devenir propriétaire,
03:04 de se libérer des contraintes locatives du parc ordinaire,
03:08 et puis d'être dans un cadre de loisirs avec des loisirs en commun, etc.
03:11 Pour d'autres personnes, ça va prendre une signification tout à fait différente.
03:15 Pour des personnes qui par exemple étaient insérées dans le parc ordinaire
03:19 et qui vivent une difficulté,
03:21 ça va être vécu comme un déclassement social et résidentiel,
03:24 comme une forme de relégation avec énormément de souffrance sociale.
03:27 Ça va être vécu sous l'angle de l'inconfort également.
03:31 Un habitat très dégradé, souvent des caravanes très dégradées.
03:34 Ça veut dire qu'on n'investit pas non plus cet endroit où on habite ?
03:38 Tout à fait, pour ces personnes-là, il y a un refus de s'investir dans l'habitat.
03:41 Leur désir, c'est de retrouver un logement ordinaire.
03:44 Par ailleurs, ça les renvoie à un sentiment d'humiliation, de honte très puissant.
03:49 Ces personnes peuvent se couper aussi d'un certain nombre de relations sociales.
03:52 Votre livre, il fait quoi, une actualité aujourd'hui ?
03:54 Le ministre du Logement, Guillaume Gazbarian,
03:57 a détaillé dans les échos les grandes lignes d'un projet de loi sur le logement.
04:01 Selon lui, il y a 8% aujourd'hui des locataires actuels de HLM
04:05 qui ne seraient plus éligibles à un logement social s'il le demandait aujourd'hui.
04:09 Il veut que les bailleurs sociaux examinent régulièrement la situation des locataires
04:13 avec l'idée derrière de la fin du logement social à vie.
04:17 Qu'est-ce que ça vous évoque ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
04:19 Je crois que c'est une mesure qui est assez inquiétante,
04:21 même très préoccupante en réalité.
04:23 C'est-à-dire qu'on voit qu'il y a une crise qui n'a jamais été aussi importante.
04:27 2,6 millions de ménages qui sont aujourd'hui en attente d'un logement social,
04:32 un chiffre record.
04:34 Il n'y a jamais eu autant de personnes à la rue également, plus de 330 000 personnes,
04:37 un chiffre qui a doublé en l'espace de 10 ans,
04:39 multiplié par 3 depuis les années 2000.
04:42 Donc ce type de mesure est évidemment très inquiétant,
04:45 étant donné le manque structurel de logements aujourd'hui,
04:48 notamment pour les classes populaires.
04:50 Mais donc il faut faire quoi ?
04:50 Si vous dites que cette mesure-là est inquiétante,
04:52 vous vous dites sur quoi il faut s'axer pour améliorer les choses ?
04:56 Il faudrait davantage réguler le marché immobilier
04:58 et puis il faudrait une intervention plus forte,
05:00 beaucoup plus forte de la puissance publique en matière de construction de logements
05:04 et notamment de construction de logements accessibles,
05:07 puisqu'il existe différents types de logements sociaux en réalité.
05:09 Et là où se concentre la demande, plus de 70% de la demande
05:12 se concentre sur les logements sociaux les plus accessibles.
05:15 Or depuis les années 2000, on construit davantage,
05:18 proportionnellement, la hausse est plus importante du côté des logements PLS,
05:22 donc en fait les logements sociaux haut de gamme,
05:25 qui sont destinés au haut des classes moyennes
05:26 et donc qui sont inaccessibles à la plupart des personnes
05:29 qui font une demande de logement social.
05:31 Comment est-ce que ça se passe quand on vit au camping ?
05:34 Et je vais faire le lien avec le logement social
05:35 et avec le logement traditionnel de façon générale.
05:38 Est-ce qu'on a le même statut d'occupation, d'occupant des lieux et du logement ?
05:43 Alors de fait, c'est un point important.
05:45 Ces personnes-là, quelle que soit leur expérience de l'habitat,
05:48 qui peut être positive comme très négative,
05:50 elles sont privées en fait d'un certain nombre de droits
05:53 qui sont aujourd'hui attachés au bail locatif.
05:55 Lesquels par exemple ?
05:56 Elles sont privées des APL,
05:57 elles sont privées de la possibilité de bénéficier de la trêve hivernale,
06:01 de la possibilité de toucher des aides du Fonds de solidarité logement.
06:04 Donc ça veut dire que si par exemple un directeur de camping
06:07 ou une municipalité décide de fermer le camping
06:10 à ces personnes-là qui habitent au quotidien,
06:11 elles peuvent du jour au lendemain se retrouver à la rue ?
06:13 Tout à fait, c'est ça.
06:15 Le risque majeur, c'est de se voir expulsé du jour au lendemain
06:17 de ses habitats, de ses terrains,
06:19 puisque ces personnes sont propriétaires de leur caravane et mobilhome,
06:22 mais pas de la parcelle qu'elles occupent.
06:24 Et les propriétaires sont dans leur droit
06:26 de mettre fin, pour mettre fin à ce type d'occupation.
06:29 Donc avec des parcours qui peuvent être des parcours de précarisation
06:32 accentuées, aggravées pour les personnes les plus précaires
06:36 et pour les personnes comme Laurent qui avait investi 60 000 euros
06:39 ou plusieurs dizaines de milliers d'euros dans un mobilhome confortable,
06:42 c'est souvent la perte de ce qui constituait leur unique patrimoine.
06:45 Merci, merci beaucoup Gaspard Lyon d'avoir accepté notre invitation.
06:48 Je rappelle le titre de votre livre,
06:50 "Vivre au camping, un mal-logement des classes populaires".
06:53 C'est aux éditions du Seuil.
06:54 Merci à tous les deux.

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