• il y a 8 mois
"Nous ne sommes plus en situation de démocratie, mais en situation de guerre". Chantal Delsol, membre de l'Institut de France, se veut on ne peut plus claire : les régimes démocratiques considèrent les partis populistes non pas comme des adversaires mais comme des ennemis. Certaines paroles sont décrétées aujourd'hui obscènes quand elles ne vont pas dans le sens du progrès. Que s’est-il passé depuis le tournant du siècle pour que la démocratie se voit ainsi mise en cause, tant dans les pays occidentaux que dans les cultures extérieures ? Voyant qu’il arrive aux peuples de mal voter, nos dirigeants perdent confiance en la démocratie et se tournent vers la technocratie. Les reproches adressés à la démocratie sont aujourd'hui plus profonds que lors des années 30. Faut-il voir dans les démocraties illibérales d’aujourd’hui un nouveau courant anti-moderne ? Chantal Delsol présente son ouvrage "Les infortunes contemporaines de la démocratie".

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Transcription
00:00 [Générique]
00:06 Bonjour à tous. Bienvenue dans notre Zoom aujourd'hui en compagnie de Chantal Delsol. Bonjour madame.
00:12 Bonjour.
00:13 Chantal Delsol, professeure des universités en philosophie politique, membre de l'Institut de France et auteur de livres de philosophie, d'essais et de romans
00:23 traduits dans une quinzaine de langues. Madame, vous publiez cet ouvrage "Les infortunes contemporaines de la démocratie"
00:32 publié chez Bollen, comme d'habitude, à retrouver sur la boutique de TV Liberté. Madame, vous commencez avec le constat suivant.
00:39 Nous ne sommes plus en situation de démocratie, mais en situation de guerre. Pourquoi les régimes démocratiques réputés si tolérants et courtois
00:50 considèrent les partis populistes non pas comme des adversaires, mais comme des ennemis ?
00:55 Oui, là, vous avez pris un bout de phrase au milieu d'une phrase. Donc, je n'annonce pas que nous sommes non plus en situation de démocratie,
01:05 mais en situation de guerre, comme ça, boum. Je dis à partir du moment où l'on a en face de soi des ennemis et non pas des adversaires,
01:14 on n'est plus véritablement en situation de démocratie, mais ça convient plutôt à une situation de guerre. C'est-à-dire que nous sommes dans une démocratie
01:21 qui, au fond, se sent en guerre. Et voilà. Donc, c'est un petit peu différent. Alors, la deuxième question, c'est la question de l'adversaire et de l'ennemi.
01:32 L'adversaire, c'est quelqu'un avec qui on discute, on dialogue, avec qui on est tolérant. Donc, on voit bien qu'actuellement, nous avons plutôt des gouvernements
01:42 qui ne traitent plus, d'ailleurs, avec des ennemis. Ça pourrait se décliner comme l'ère des Lampions, si j'ose dire, et on les voit tous les jours.
01:54 Alors, en ce qui concerne le populisme, quelle était la question ?
01:57 Vous avez cette phrase aussi, "une guerre idéologique qui est en même temps une lutte de classe".
02:02 Oui. C'est ce que je trouve le plus inquiétant dans l'affaire des démocraties libérales, je préfère appeler comme ça,
02:09 parce que le populisme, bien sûr, on utilise le mot, mais c'est une injure. Donc, vous voyez, j'aime mieux utiliser "démocratie libérale".
02:16 Le problème avec les démocraties libérales, et ce que je trouve le plus mortifère, au fond, c'est que vous avez d'un côté les peuples, c'est-à-dire,
02:26 bon, les citoyens ordinaires, si vous voulez, nous tous, et puis, de l'autre côté, les élites, qui n'ont pas, au fond, les mêmes idées sur la situation, la même vision du monde.
02:35 C'est ce que Goudard a appelé les "anywhere" et les "somewhere". Donc, en fait, les peuples sont d'un côté, les élites de l'autre.
02:45 Et il y a une sorte de, en même temps qu'une guerre idéologique, il y a une guerre de classe. Et ça, je trouve ça terrible, parce qu'une guerre idéologique, si vous voulez,
02:53 ça peut avoir du panache. On peut discuter, on peut... Même, d'ailleurs, si on utilise des armes, c'est encore une guerre, ça peut être une guerre à la loyale,
03:01 mais une guerre de classe, ça a quelque chose de dégoûtant, enfin, vous voyez ce que je veux dire ?
03:06 – Oui, oui. Ce populisme est un terme qui est souvent utilisé pour mépriser, pour disqualifier son adversaire. Comment le reconnaît-on, le populisme ?
03:15 – Eh bien, on le reconnaît, enfin, disons, comme c'est une injure, il est reconnu par certains, parce que tout le monde n'accepte pas le mot,
03:27 le substantif, qui en fait est un qualificatif, enfin bref. Parce qu'il y a une partie du peuple, qui est parfois très importante,
03:35 qui refuse ce que font les élites en considérant que les élites sont, comment on dit, hors sol. Donc, elles manquent au sens de la réalité, si vous voulez.
03:47 Et ces peuples prennent des décisions que les élites considèrent comme plus que maladroites, graves, insensées.
03:58 Et donc, on se trouve dans des situations qu'on a déjà vues dans l'histoire, d'ailleurs depuis les tyrans grecs,
04:04 c'est-à-dire depuis 2500 ans avec les démocraties anciennes déjà, et qu'on a vues au XXème siècle avec une population entière
04:12 qui vote pour Hitler à 95%, quasiment trois fois de suite en fait. Autrement dit, on se trouve devant une situation où on dit,
04:20 le peuple fait n'importe quoi, il vote pour n'importe qui, il élit des dirigeants fous, vulgaires, voilà, c'est ça qu'on appelle le populisme.
04:29 – Alors justement, vous dites que les démocraties dites illibérales, dont on entend de plus en plus parler, qu'elles ne sont pas des tyrannies,
04:37 mais qu'elles injurient la démocratie, et c'est vos termes, de façon sournoise et discutable. Qu'est-ce qui vous choque, justement, dans cette façon ?
04:45 – Là, c'est encore un morceau de phrase, parce que, bien sûr, si on le retire de son contexte et si on en fait une tête de paragraphe,
04:51 une tête de chapitre, ça peut paraître bizarre. Bien sûr que les démocraties illibérales injurient la démocratie telle qu'elle se donne ailleurs.
05:01 Mais elles ne l'injurient pas d'une façon générale et totale. C'est encore un morceau de phrase, donc ça ne signifie pas grand-chose.
05:09 Et quel était le début, là, de ce que vous avez dit, qui me paraissait une question ?
05:14 – Vous dites qu'elles ne sont pas des tyrannies, ces démocraties illibérales.
05:17 – Oui, en fait, ces démocraties illibérales, vous prenez par exemple la démocratie hongroise, la démocratie illibérale hongroise d'aujourd'hui,
05:24 qui est beaucoup plus précise à décrire que d'autres, parce qu'elle s'explique davantage, elle se conceptualise davantage.
05:34 Ce sont des démocraties qui pensent, des peuples démocratiques qui pensent que la liberté était trop loin
05:42 et qui ne sont absolument pas d'accord pour dire ce que disent les Français à propos de la liberté, ce que nous apprenons au biberon,
05:51 "ma liberté s'arrête quand commence celle de l'autre".
05:54 Les démocraties libérales ne disent pas du tout "la liberté ne s'arrête pas là où commence".
05:58 "Ma liberté ne se développe pas comme ça, tant que je veux, jusqu'à ce qu'elle rencontre l'autre".
06:03 – Oui, la liberté est un terme en sujet, vous dites.
06:05 – La liberté est auto-limitée. C'est moi qui décide d'arrêter ma liberté, ce n'est pas seulement l'autre.
06:10 C'est complètement différent. Donc ça veut dire que dans ce cas-là, vous allez stopper cette liberté illimitée,
06:16 vous allez la stopper économiquement, sociétalement, à plein de points de vue.
06:21 Au fond, c'est ça, ce que disent les démocraties libérales, c'est ça.
06:24 Elles disent que la liberté ou les libertés ont été trop loin.
06:28 Après, ça se discute évidemment, on peut ne pas être d'accord avec ça,
06:31 mais c'est quand même important de dire que c'est fondé là-dessus.
06:36 – Vous dites ceci, madame, c'est en grande partie la vulgarité, la grossièreté qui font rejeter Le Pen.
06:42 – Oui.
06:43 – Et c'est quoi l'autre partie qui les ferait rejeter ?
06:46 – Je pense que c'est très important parce que…
06:47 – Vous parlez du père, j'imagine ?
06:49 – Oui, je parle du père, oui.
06:51 C'est très important parce qu'au fond, tous ces régimes dits populistes,
06:56 qu'aujourd'hui on peut appeler démocratie libérale et que chez les Grecs anciens,
07:00 il y a 2500 ans, on appelait des tyrannies, c'était à peu près la même chose.
07:04 C'était un type tout seul qui faisait un peu son malin
07:06 et qui avait obtenu l'assentiment du peuple en lui faisant plein de promesses.
07:11 Ce sont des régimes qui bien souvent, pas toujours, mais bien souvent,
07:15 se différencient ou se caractérisent par la vulgarité des propos du chef,
07:22 par le fait que le chef n'a pas de décence ou de courtoisie
07:25 comme en principe on devrait en avoir dans une démocratie.
07:28 – Oui, vous dites "certaines paroles sont décrétées obscènes
07:31 quand elles ne vont pas dans le sens du progrès".
07:33 – Alors ce qu'il y a c'est que…
07:35 – Qui décrète ça ?
07:36 – Oui, ce sont les élites des pays démocratiques qui au fond vont tellement loin
07:41 dans la décence, la courtoisie démocratique
07:43 qu'elles en arrivent à une espèce de sophistication qu'on peut dire décadente
07:47 et finalement elles traitent d'indécence toute parole qui ne va pas dans leur sens.
07:52 Donc vous avez en face des peuples qui sont capables de voter
07:55 pour quelqu'un de complètement vulgaire et débridé
07:58 qui passe sa vie à casser des choses précieuses comme Trump,
08:01 en disant "écoutez on en a assez, on nous interdise tout
08:04 et en fait on nous interdit ce qui ne vous plaît pas"
08:06 en disant que c'est de l'obscénité.
08:08 Donc maintenant on ne va plus en tenir compte.
08:09 – Mais c'est quoi ces choses précieuses ?
08:11 Ça relève de l'hypocrisie ?
08:12 – Ah ben non, non, ce que des gens comme Trump veulent casser c'est…
08:16 – C'est le gouvernement, c'est l'État profond.
08:19 – Quand on pousse une foule à rentrer au Capitole
08:22 avec des insignes, des armes et des casques,
08:25 c'est ce que j'appelle casser des choses précieuses
08:27 parce que là il y a un symbole qui est précieux pour la démocratie.
08:30 Donc c'est ça, ça fait partie si vous voulez de cette obscénité,
08:36 cette vulgarité dont je parle,
08:38 cette incapacité à respecter ce qui est respectable.
08:43 – Pourquoi dites-vous que les reproches adressés à la démocratie
08:47 sont plus lourds, sont plus profonds que dans les années 30 ?
08:51 – Je pense qu'ils sont plus graves parce que dans les années 30
08:55 on a critiqué la démocratie pour des raisons qui,
09:01 par rapport à nos raisons d'aujourd'hui,
09:03 paraissent presque superficielles.
09:05 On disait que les assemblées parlementaires étaient corrompues,
09:08 d'ailleurs c'est vrai, elles ont toujours été un peu,
09:10 plus ou moins, ça dépend des endroits et des moments,
09:14 donc que les parlementaires parlaient pour ne rien dire,
09:17 bon on peut toujours dire ça.
09:19 Et puis surtout ce qu'il y avait c'est qu'à cette époque
09:22 les gens des démocraties occidentales,
09:25 qui étaient un peu dégoûtés de démocratie,
09:27 disaient "Ah, vivement une bonne dictature".
09:30 Beaucoup de gens étaient persuadés,
09:32 surtout dans toute la zone occidentale,
09:34 et ça allait jusqu'en Slovaquie,
09:36 qu'une bonne dictature ça nous débarrasserait d'un régime.
09:40 Et on s'est rendu compte maintenant,
09:42 parce que le temps a passé et on a vu beaucoup de choses
09:45 que nos ancêtres n'avaient pas vues,
09:47 que les bonnes dictatures ça n'existe pas.
09:49 Autrement dit, nous sommes coincés dans un trou à ras
09:51 où nous n'avons plus que cette démocratie,
09:53 que parfois nous n'aimons plus,
09:54 mais nous savons que nous n'avons rien d'autre.
09:56 Et donc ça c'est déjà assez grave,
09:58 parce que nous n'avons pas de voie de recours.
10:01 C'est ça qui est compliqué.
10:03 Et puis il y a aussi le fait que nous ne critiquons pas plus les démocraties
10:07 juste parce que les parlementaires racontent,
10:09 ont tendance à raconter n'importe quoi.
10:11 Ce sont des reproches bien plus graves que nous leur adressons.
10:14 Comme par exemple, cette liberté qui est complètement illimitée,
10:18 qui roule sur son air et qui ne s'arrête pas,
10:21 aussi bien d'un point de vue économique, mondialisation, sociétal,
10:24 c'est vraiment n'importe quoi.
10:26 Quand on dit à nos enfants de 6 ans "tu es un garçon par hasard,
10:29 tu peux devenir une fille",
10:30 ça c'est la liberté illimitée qui ne s'arrête plus
10:32 et ça devient très grave.
10:34 Donc c'est beaucoup plus grave que de dire,
10:36 comme disait Salazar dans les années 20 ou 30,
10:38 - Le portugais ?
10:39 - Oui, vous voyez, il disait "les parlementaires,
10:43 ils font des petites conspirations de promenade".
10:46 Non, non, aujourd'hui c'est bien plus grave.
10:48 C'est bien plus grave que les conspirations de promenade.
10:50 Vous voyez ce que je veux dire ?
10:51 - Mais vous dites qu'on est aujourd'hui dans une impasse,
10:53 mais beaucoup de nos compatriotes français
10:56 ont une forme d'admiration, de respect pour Vladimir Poutine
11:00 qui est un chef d'État fort.
11:04 - Oui, ça peut d'ailleurs avoir un lien
11:08 avec le désir de dictature qu'on a vu dans les années 30.
11:12 Mais alors là, je trouve que ça va beaucoup plus loin
11:14 parce que dans les années 30, on n'avait pas encore vu
11:16 ce que c'était que les dictatures.
11:18 Enfin, dictatures de l'époque, en tout cas,
11:20 il y en avait eu dans le temps.
11:21 - Et Vladimir Poutine est élu au suffrage universel,
11:23 la constitution russe est issue de constitutionnalistes français.
11:27 - Si on accepte sa manière de gouverner, on peut toujours.
11:30 On a le droit de penser ce qu'on veut,
11:32 mais ça va très très loin.
11:33 Ça signifie alors que le dégoût de démocratie est tellement fort
11:36 que vraiment, on accepterait le retour au goulag.
11:40 Bon, pourquoi pas.
11:41 - Il n'y a pas de goulag en Russie.
11:42 - Ah ben, bien sûr que si, il y en a, monsieur.
11:44 Bien sûr que si.
11:45 Bien sûr que si.
11:47 Il y a des goulags.
11:49 Les poussiériotes sont aux goulags actuellement.
11:51 - C'est une prison.
11:53 - Ben, dites ce que vous voulez.
11:55 Quand on envoie les gens pratiquement sans jugement,
11:58 qu'on vient les chercher au petit matin
11:59 et qu'on les envoie pour 20 ans de...
12:01 Vous voyez bien ce qui arrive aux opposants comme Navalny.
12:05 C'est complètement opaque.
12:07 C'est encore un totalitarisme.
12:10 Donc, si on préfère un totalitarisme,
12:12 parce qu'on estime que notre démocratie est vraiment horrible,
12:15 on peut, peut-être qu'un jour ou l'autre, nous allons voter,
12:17 nous aurons 55% pour un nouveau totalitarisme.
12:20 - Mais quand Jacques Chirac a été élu en 2002 à plus de 82%,
12:25 est-ce qu'on a dit que la France était un pays totalitaire ?
12:27 - Ah non, mais je n'ai pas dit que ça serait un pays totalitaire
12:29 parce qu'il serait élu à X%.
12:32 Ça serait un pays totalitaire parce que ce seraient des gens
12:34 qui voudraient avoir un régime comme celui de Poutine.
12:36 Peut-être que nous aurons bientôt 55% des gens
12:39 qui voudraient un régime comme celui de Poutine.
12:41 Après tout, c'est la démocratie.
12:43 Moi, j'aurais plus qu'à changer de pays.
12:44 Ce n'est pas très grave.
12:45 Après tout, il y a d'autres pays qui ne se gouvernent pas comme ça.
12:49 - À partir de quand un gouvernement dit démocratique
12:52 devient-il dangereux pour la démocratie ?
12:56 - À partir du moment où, pour revenir en boucle sur le début,
13:01 où il n'a plus d'adversaires mais des ennemis.
13:04 Donc ça devient effectivement dangereux.
13:08 - Voyant qu'il arrive au peuple de mal voter,
13:12 vous dites que nos dirigeants perdent confiance en la démocratie
13:16 et se tournent alors vers la technocratie.
13:19 Quel rapport les peuples peuvent-ils entretenir avec ce régime technocrate ?
13:26 - Alors, la technocratie n'est pas arrivée uniquement
13:29 parce qu'il y a eu populisme.
13:31 Puisque la technocratie, elle vient d'avant.
13:34 Déjà, c'est quelque chose d'éternel.
13:36 Ça vient de Platon au départ.
13:39 On pourrait faire toute une analyse historique.
13:42 Mais là, tout récemment, la technocratie s'est mise en place,
13:45 notamment dans les institutions européennes, surtout,
13:48 à partir du moment où l'idée socialiste a battu en retraite.
13:52 Il y a toute cette utopie énorme.
13:54 On n'imagine pas quand on a...
13:56 Moi, je n'ai jamais été marxiste.
13:58 Mais quand on n'a jamais été marxiste,
14:00 on ne peut pas s'imaginer, je pense,
14:02 de ce que ça a été comme désenchantement.
14:05 C'est quelque chose d'horrible.
14:07 Quand le socialisme, le marxisme et le socialisme se sont évanouis,
14:10 on s'est aperçu que ça ne marchait pas.
14:12 Alors, à ce moment-là, on a...
14:14 Enfin, tous ces gens-là, je l'ai vu tout à fait clairement chez Delors.
14:18 Ce sont des gens qui ont pris le parti, finalement,
14:22 d'une technocratie qui était une forme à la fois de pacifisme,
14:25 de mondialisme, de droit de l'homisme.
14:27 Tout ça réuni, on a fait un paquet.
14:29 Et on a dit, maintenant, il n'y a plus que ça qui marche.
14:32 Il n'y a plus que ça qui vaille.
14:34 La politique est une science.
14:36 La politique, c'est la science d'arriver à ça.
14:38 La technocratie, c'est la politique qui n'est pas une démocratie,
14:42 puisque c'est une science.
14:44 Une science, ce n'est pas une démocratie.
14:46 Ils ne voulaient pas faire voter les gamins
14:48 pour savoir si deux font quatre ou cinq.
14:50 C'est ce que vous appelez la gouvernance.
14:52 Elle impose, dites-vous, un monde désublimé
14:54 où chacun se suffit de son confort matériel.
14:57 Comment cette gouvernance se situe par rapport à la démocratie ?
15:02 La gouvernance, c'est un mode de gouverner.
15:05 Le mot a été, je ne dis pas inventé,
15:08 mais réemployé par l'institution européenne.
15:10 C'est un vieux mot qui existait depuis plusieurs siècles.
15:14 Et on a repris ce mot à la place du gouvernement.
15:19 Ce qui est tout à fait intéressant,
15:21 parce qu'en fait, dans le terme gouvernance,
15:23 il y a justement ce côté technique.
15:26 Oui, c'est la compétence qui se greffe sur la démocratie, vous dites.
15:30 C'est un gouvernement devenu gouvernance.
15:35 C'est un gouvernement dans lequel on dit
15:37 celui qui gouverne, c'est le sachant.
15:39 Celui qui est compétent.
15:41 C'est celui qui a raison.
15:43 C'est celui qui a raison, si vous voulez.
15:45 Et les autres, comme ils ne savent pas,
15:47 ils ne sont pas sachants, ils n'ont rien à dire.
15:49 C'est ce que vous expliquez, "there is no alternative".
15:52 Il n'y a pas d'alternative.
15:54 C'est ce que disait Thatcher.
15:56 Il disait, il n'y a pas d'alternative.
15:58 Il ne faut pas que ça qui soit bien.
16:00 C'est impressionnant, parce que ce n'est plus du tout de la démocratie.
16:03 Oui, vous l'expliquez, la décision démocratique
16:05 est à l'antithèse de l'assurance.
16:07 La démocratie, elle peut se tromper,
16:09 mais elle est issue du peuple.
16:11 Elle est issue du peuple et puis elle part du principe.
16:13 Surtout que le chemin du bien commun
16:15 n'est pas un chemin certain.
16:17 C'est un chemin de prudence.
16:19 C'est un chemin de réflexion permanente,
16:21 de discussion permanente.
16:23 Donc, c'est beaucoup le bon sens.
16:26 Donc, on discute tout le temps de ce chemin du bien commun
16:28 qui n'est jamais sûr.
16:30 On peut se tromper.
16:32 Tandis que dans la gouvernance,
16:34 il y a une voie, celle du sachant.
16:36 Il y a un côté totalitaire dans la gouvernance.
16:38 Oui, mais je n'aime pas utiliser le mot totalitaire n'importe comment.
16:40 Parce que totalitaire, ça signifie un truc bien précis.
16:42 Mais il y a un côté dictatorial, autocratique, si vous voulez.
16:46 C'est ce qu'on a vu lors de la crise du Covid,
16:50 avec ce conseil dirigé par M. Del Freschi.
16:55 Oui, alors là, si vous voulez...
16:57 Qui était très opaque.
16:59 Oui, mais alors là, je mettrais à bémol,
17:01 bien que je vois bien ce que vous voulez dire,
17:03 et je ne suis pas loin d'être d'accord avec vous,
17:05 au moins en partie, mais je mettrais à bémol
17:07 parce que je pense que là, nos gouvernants se sont dit,
17:09 et pas à un juste titre,
17:11 que nous étions en situation exceptionnelle.
17:15 Or, quand on se trouve en situation exceptionnelle,
17:17 même en démocratie,
17:19 et ça c'est les Romains qui l'ont inventé au VIe siècle avant Jésus-Christ,
17:21 sous la Première République,
17:23 quand on se trouve en situation exceptionnelle,
17:25 il faut quand même prendre des moyens
17:27 qui sont carrément presque autocratiques.
17:29 Parce que sinon, on ne peut rien faire.
17:31 Et là, les gouvernants se sont dit,
17:33 étant donné l'importance...
17:35 Mais on a un petit peu sublimé la gravité aussi.
17:37 Oui, mais ils se sont dit, étant donné l'importance de la santé maintenant,
17:39 que tout le monde a peur d'attraper la grippe,
17:41 on n'est plus au temps de la peste.
17:43 Étant donné ça, il faut vraiment faire très très très attention,
17:47 et je pense qu'ils n'avaient pas tort.
17:49 Alors je suis d'accord avec vous pour dire qu'ils ont été trop loin,
17:51 c'est un peu ridicule,
17:53 ça n'empêche que quand vous avez des populations tellement fragiles,
17:57 qui ont tellement peur de tout,
17:59 qui sont tellement affolées devant le moindre virus...
18:01 Mais est-ce que la peur n'a pas été orchestrée,
18:03 comme le disait Christophe Barbier,
18:05 le pouvoir médiatico-politique a utilisé la peur
18:07 pour que les Français se tiennent à carreau,
18:09 et ça a marché, a-t-il dit ?
18:11 Non, je trouve ça trop facile de dire ça,
18:13 moi je ne vais pas si loin.
18:15 Je ne peux pas vous dire que...
18:17 Je pense qu'effectivement les gouvernants ont un petit frisson de plaisir
18:19 de voir que toute une population affolée,
18:21 leur obéit au doigt et à l'œil.
18:23 D'accord, mais enfin de là à dire qu'ils ont affolé les gens exprès,
18:25 je ne vais pas plus que là.
18:27 Alors vous dites qu'en dehors de l'Occident,
18:29 la démocratie a perdu son statut
18:31 de meilleur régime incontesté.
18:33 Alors ce serait quoi ?
18:35 Qui seraient ces pays qui auraient vu la démocratie
18:37 comme un but ultime à atteindre ?
18:41 Malheureusement, votre question est bonne,
18:43 mais c'est nous en fait.
18:45 C'est l'histoire, vous vous souvenez,
18:47 le bouquin de Fukuyama sur la fin de l'histoire.
18:51 L'Occident, à ce moment-là,
18:53 juste après la chute du mur,
18:55 était persuadé que la démocratie,
18:57 c'était le régime de la fin de l'histoire
18:59 et que tout le monde allait nous imiter.
19:01 Alors on essayait d'installer des démocraties partout,
19:03 à cette époque on n'avait pas encore compris
19:05 que ça ne marchait pas.
19:07 En lâchant des bombes sur des civils innocents.
19:09 Entre autres.
19:11 Et puis quand nos gouvernants allaient en Chine,
19:13 ils revenaient, ils étaient tout fiers
19:15 parce que les Chinois avaient signé des machins
19:17 sur les droits de l'homme,
19:19 parce que les Chinois étaient à l'époque un peu tétanisés,
19:21 il fallait absolument qu'ils fassent plaisir aux Occidentaux.
19:23 Les Occidentaux se sont imaginés, bêtement,
19:25 que la démocratie était la fin d'histoire
19:27 pour tout le monde.
19:29 Et naturellement, c'est pas comme ça que ça marche.
19:31 Justement, cette tentative des démocraties
19:33 de convertir tout un tas de pays
19:35 à cette démocratie politique,
19:37 par l'usage de la force,
19:39 pourquoi c'est resté toujours infructueux
19:41 ces tentatives ?
19:43 Oui, mais c'est pas parce que c'était l'usage de la force,
19:45 parce que d'abord, il n'y a pas eu la force partout.
19:47 Oui, c'est ce que vous expliquez justement.
19:49 Non, on y a eu, on a utilisé la force, bien sûr,
19:51 je suis d'accord avec vous,
19:53 et d'ailleurs, personne ne peut le contester.
19:55 Mais on a surtout, on a récupéré
19:57 dans certains pays,
19:59 des mouvements d'élite
20:01 qui voulaient passer à la démocratie.
20:03 Vous avez toujours, en Russie,
20:05 vous avez actuellement une élite qui veut passer à la démocratie.
20:07 Une partie est en exil, mais une partie est aussi là-bas.
20:09 Donc on a récupéré ces mouvements
20:11 et on a appuyé
20:13 ce qu'on a appelé la révolution de couleur.
20:15 Alors pourquoi ça ne marchait pas ?
20:17 Ça ne marchait pas parce que la démocratie,
20:19 ce n'est pas une clé à molette qu'on passe à son voisin
20:21 en disant "tiens, tu l'utilises, puis après tu me la rends"
20:23 ou "ce n'est pas une application,
20:25 moi sur le téléphone, je te passe l'application".
20:27 Ça ne marche pas du tout comme ça, c'est quelque chose,
20:29 c'est un régime qui peut s'instaurer
20:31 s'il y a une liberté profonde.
20:33 À l'origine, avant.
20:35 Avant, avant, s'il y a un terrain,
20:37 un terrain propice, des conditions.
20:39 Chez nous, si ça a pu s'installer,
20:41 ça a mis des siècles, chez nous,
20:43 c'est qu'il y avait un terrain de dignité de la personne,
20:45 de liberté de conscience, un certain nombre de choses comme ça.
20:47 - Donc la liberté n'est pas toujours bien reçue partout.
20:49 - Mais bien, elle n'est déjà pas,
20:51 ce n'est même pas une histoire de bien reçue,
20:53 elle n'est pas dans les fondamentaux.
20:55 - En terre d'Islam.
20:57 - Elle n'est pas dans les fondamentaux du Coran, par exemple.
20:59 - Ça commence par la soumission à l'Islam.
21:01 - Oui, d'ailleurs, "Islam", ça signifie "soumission".
21:03 - Exactement.
21:05 - Donc c'est quand même compliqué de vouloir installer une démocratie
21:07 dans un lieu où la religion dominante s'appelle "soumission".
21:09 C'est difficile.
21:11 - Ça sera ma dernière question, Chantal Delsol.
21:13 Pour ce perpétueux, vous dites que la démocratie
21:15 devra renoncer à son arrogance
21:17 et refonder ses propres légitimités.
21:19 Comment nos démocraties modernes
21:21 pourront-elles renoncer à cette arrogance ?
21:23 - Déjà, je pense que sur le plan mondial,
21:25 on voit bien qu'actuellement,
21:27 un très grand nombre de pays
21:29 ne veulent plus nous suivre,
21:31 non plus du tout,
21:33 pour reprendre la démocratie.
21:35 Ils ne veulent plus nous suivre,
21:37 pour reprendre ce que je vous ai dit tout à l'heure.
21:39 La Chine n'a plus du tout envie de signer
21:41 des déclarations des droits de l'homme pour nous faire plaisir.
21:43 Au contraire, elle ne veut pas du tout nous faire plaisir.
21:45 Elle n'arrête pas, d'ailleurs,
21:47 de rédiger des papiers
21:49 pour dire que la démocratie occidentale,
21:51 c'est un truc de fou, etc.
21:53 Donc, personne...
21:55 Je pense que c'est parce que nous, nous avons été trop loin,
21:57 parce que nous sommes, disons,
21:59 arrogants dans nos idées,
22:01 que beaucoup de pays ne veulent plus nous suivre
22:03 et voudront de moins en moins nous suivre.
22:05 Si vous voulez, si je peux me résumer,
22:07 peut-être un certain nombre de pays,
22:09 comme par exemple la Russie,
22:11 sous Poutine, ou peut-être après, je n'en sais rien,
22:13 seraient d'accord pour les droits de l'homme,
22:15 la liberté de conscience, peut-être un peu plus élaborée,
22:17 mais si c'est pour le mariage homosexuel,
22:21 c'est non et toujours non.
22:23 Et ça serait pareil pour plein d'autres pays.
22:25 - Mais n'ont-ils pas raison en voyant
22:27 l'état de nos pays occidentaux ?
22:29 - Ah, non, mais...
22:31 - Le violence, le laxisme...
22:33 - Oui, non, non, mais je suis d'accord,
22:35 si vous voulez, chez eux, ça ne va pas tellement bien non plus,
22:37 donc il ne faut pas non plus s'imaginer...
22:39 - C'est-à-dire ? Qu'est-ce qui ne va pas ?
22:41 - Je ne sais pas, si vous parlez de la Russie, vous parlez de quoi ?
22:43 - Oui, de la Russie.
22:45 - Ah, ben, parce que vous pensez que ce n'est pas un pays décadent ?
22:47 - Expliquez-nous pourquoi.
22:49 - Parce que, je veux dire, tout ce qu'ils nous reprochent,
22:51 naturellement, ils ne vont pas accepter le mariage homosexuel, d'accord.
22:53 Bon, si on peut dire que c'est une décadence, effectivement.
22:57 Mais, je n'ai pas l'impression que ce soit un pays très vertueux.
23:01 Enfin, si vous ouvrez vos mêles,
23:05 les filles à vendre, c'est des filles russes,
23:07 vous n'avez pas vu ça ?
23:09 Belles filles blondes à vendre, ça vient de Russie.
23:11 - Il y a aussi des filles africaines qui viennent...
23:13 - Oui, peut-être, mais enfin, je trouve que...
23:15 Non, non, franchement, ce n'est pas un pays vertueux.
23:17 Enfin, quand vous voyez...
23:19 - Mais quel est le pays vertueux, à prendre pour modèle ?
23:21 - Ah, non, il n'y a pas de pays vertueux.
23:23 Chacun essaie d'être vertueux dans son genre.
23:25 - Mais, c'est un problème de la démocratie par toujours plus de démocratie,
23:27 comme on ne résoudra pas les problèmes de l'Europe par toujours plus d'Europe.
23:31 - Non, mais ça, c'est encore un autre problème.
23:33 - C'est une autre question.
23:35 - C'est une autre affaire, oui, d'accord.
23:37 Non, parce que je disais que l'un des problèmes de la démocratie,
23:39 et je crois que je l'ai écrit un peu plus tôt au début,
23:41 mais peu importe,
23:43 c'est qu'on s'est imaginé qu'on allait pouvoir mettre de la démocratie partout.
23:45 Alors, quelle démocratie ?
23:47 Bon, ça marche,
23:49 mais ça doit s'instaurer aussi dans les universités,
23:51 dans la famille,
23:53 dans l'armée même, etc.
23:55 Ou dans les universités,
23:57 on doit voter pour savoir quel livre il faut lire,
23:59 ou je ne sais quoi, enfin, peu importe.
24:01 Alors qu'en fait, non, ça ne marche pas du tout comme ça.
24:03 Et ça, ça a abîmé la démocratie.
24:05 Que de l'étendre absolument partout,
24:07 c'est ça que j'ai voulu dire.
24:09 Parce que la démocratie est faite pour les sociétés civiles,
24:11 et pas pour les sociétés fermées.
24:13 Si vous voulez être dans un monastère,
24:15 on ne fait pas voter les moines pour savoir s'ils veulent devenir bouddhistes dans un monastère catholique, non.
24:17 Ils rentrent pour être catholiques,
24:19 s'ils ne sont pas d'accord,
24:21 s'ils veulent devenir bouddhistes,
24:23 ils peuvent sortir, aller chez les bouddhistes à côté, si vous voulez.
24:25 Tant qu'ils ne donnent une société civile, on ne peut pas.
24:27 On est nés là,
24:29 et donc il faut bien qu'on vive tous ensemble.
24:31 On est tous nés là, et on est tous différents.
24:33 Donc il faut accepter la diversité.
24:35 C'est pour ça que la démocratie
24:37 s'est instaurée ici, dans une société civile,
24:39 et pas dans l'armée,
24:41 ou, vous voyez.
24:43 Donc il faut bien
24:45 mettre des limites à tout ça.
24:47 Parce que sinon, on fait n'importe quoi.
24:49 Les infortunes contemporaines de la démocratie,
24:51 c'est le titre, Madame Deux,
24:53 votre ouvrage, édité chez Bollen,
24:55 comme d'habitude, à retrouver sur la boutique
24:57 de TV Liberté. Merci Madame.
24:59 Merci.
25:01 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
25:04 Sous-titrage Société Radio-Canada

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