• il y a 9 mois
D’un côté les Français sont conscients de l’urgence environnementale, de l’autre chaque grande mesure concrète suscite la colère d’un secteur de l’opinion, des bonnets rouges aux agriculteurs en passant par les gilets jaunes. Pourquoi ? Mauvaise pédagogie ou mauvaise stratégie écologique ? C’est le thème de cette émission intitulée « L’écologie en vert et contre tous » avec pour invités Antoine Bueno essayiste et spécialiste du développement durable (auteur de « Faut-il une dictature verte ? » - Ed. Flammarion) et David Djaïz, essayiste et enseignant à Sciences po (co-auteur de « La révolution obligée » - Ed. Allary).

Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 [Générique]
00:15 Bonjour et bienvenue dans "Ellémentaires", l'émission de Public Sénat
00:18 qui cherche à donner de la profondeur de champ aux éléments de l'actualité.
00:21 Ces dernières semaines, le débat autour de la question agricole
00:24 a de nouveau mis en valeur un étrange paradoxe français.
00:27 D'un côté, lorsqu'on interroge nos concitoyens sur la transition écologique,
00:32 ils l'approuvent massivement, 80% dans les sondages d'opinion.
00:36 Mais de l'autre, chaque fois qu'on essaie de mettre en œuvre
00:38 les mesures qui permettent d'entrer dans cette transition,
00:41 alors là, c'est la bronca.
00:43 Les bonnets rouges, les gilets jaunes, les agriculteurs.
00:47 Nous allons essayer de comprendre ce paradoxe
00:49 dans cette émission que nous avons intitulée "Écologie envers",
00:54 comme la couleur, "Écologie envers et contre tous".
00:57 Et pour nous aider, deux jeunes gens brillants,
01:00 Antoine Buénot, essayiste et conseiller au Sénat sur le développement durable,
01:05 qui vient de publier, il a publié de nombreux ouvrages,
01:08 mais il vient de publier "Faut-il une dictature verte ?"
01:11 Et puis David Geyse, vous êtes vous aussi essayiste,
01:15 vous êtes enseignant à Sciences Po, vous avez aussi publié des essais
01:19 qui ont fait parler d'eux, et là, vous co-signez avec un urbaniste
01:22 la révolution obligée, réussir la transformation écologique,
01:26 sans dépendre de la Chine et des États-Unis.
01:28 Je voudrais, si vous le voulez bien, qu'on aborde le sujet de deux manières.
01:31 D'abord, qu'on essaie de comprendre ce paradoxe,
01:33 et ensuite, qu'on voit comment on peut le dépasser, le transformer,
01:38 enfin, quelles sont les solutions aux problèmes qu'il pose.
01:42 Première hypothèse, c'est à vous que je pose la question, Antoine,
01:46 est-ce qu'on a un problème de communication ?
01:48 Est-ce qu'on s'explique mal ?
01:51 On a raison de vouloir la transition écologique,
01:54 mais est-ce qu'on est capable d'évangéliser nos concitoyens ?
01:59 Et notamment, quand on regarde les sondages d'opinion,
02:01 est-ce qu'on est capable de se faire comprendre des plus âgés,
02:08 des moins diplômés et des plus pauvres ?
02:12 – Alors, pour moi, ce n'est pas le problème.
02:15 C'est-à-dire qu'il y a peut-être un aspect de la question
02:18 qui relève du discours, de la prise de conscience, de la communication,
02:22 mais ce n'est pas le problème principal.
02:24 Donc, dans cette émission, vous relevez un paradoxe,
02:26 tout le monde est pour la transition environnementale,
02:29 et quand il faut passer à l'acte, tout le monde rechigne.
02:32 En fait, ce paradoxe, il est très facilement intelligible,
02:34 parce que le problème central de la transition, c'est que c'est une tannée.
02:39 Je vais dire les choses simplement, c'est-à-dire, c'est une montagne de contraintes.
02:44 Alors, vous pouvez parfaitement communiquer, vous communiquez très bien,
02:47 il n'empêche que changer son système de chauffage pour une pompe à chaleur,
02:51 changer sa voiture, changer son mode de production, etc.
02:54 Ce sont des contraintes et tout le monde est résistant à la contrainte.
02:56 – C'est vrai, mais ce qui est étonnant,
02:58 c'est pour ça que j'essaie d'analyser les différents facteurs explicatifs,
03:03 ce qui est étonnant, c'est que c'est une tannée bien plus mal ressentie chez nous
03:08 que chez certains de nos voisins.
03:10 Donc, qu'est-ce qui explique cette exception française ?
03:12 Il y avait un deuxième facteur d'explication,
03:15 si la communication n'est pas le bon ou en tout cas pas suffisant,
03:18 et c'est vers vous que je me tourne David, c'est un problème, disons, idéologique.
03:22 L'écologie politique, les représentants politiques de l'écologie
03:26 défendent certes l'environnement, mais ils défendent surtout un changement de société
03:30 dont la majorité de nos concitoyens ne veulent plus.
03:33 Je voudrais prendre l'exemple de la décroissance.
03:35 Ils projettent l'idée que nous devrions rompre avec la croissance économique,
03:41 donc pour la plupart de nos concitoyens, ça veut dire baisse du pouvoir d'achat,
03:45 moins de recettes pour les services publics,
03:46 ce n'est pas une perspective qui les enchante.
03:48 Est-ce que c'est ça le sujet ?
03:50 L'écologie politique s'enracine historiquement dans une contre-culture.
03:54 Il s'agissait de lutter dans les années 60 ou 70
03:58 contre la méga-machine, l'État, le capitalisme, la technocratie.
04:02 Aujourd'hui, le problème est devenu brûlant.
04:04 C'est un problème d'humanité et de survie,
04:07 puisqu'on n'a que 30 ans pour changer complètement notre système énergétique
04:11 et donc nos modes de production.
04:13 L'écologie doit passer dans le droit commun, si j'ose dire.
04:16 C'est un problème de changement, c'est un problème d'action.
04:20 On a passé 99% de notre temps et de notre énergie à nous demander
04:24 pourquoi il fallait faire la révolution écologique,
04:26 et seulement 1% à nous demander comment le faire.
04:29 Ce que nous proposons dans le livre, Alex Zavier,
04:31 c'est de renverser le rapport de proportion.
04:34 – Mais donc vous êtes d'accord sur le point suivant,
04:38 c'est que la façon dont s'est exprimée dans le champ politique l'écologie jusqu'à présent,
04:42 avec une dimension très messianique et très changement de société,
04:46 n'était pas de nature à nous aider à organiser ces transitions.
04:50 – Oui, parce que c'est tributaire des grandes idéologies du 19ème ou du 20ème siècle
04:54 où au fond, on rêvait de la société idéale après la révolution.
04:57 Or l'écologie c'est le problème inverse.
04:59 On a déjà le point d'arrivée, c'est qu'il faut nous décarboner
05:02 et il faut retrouver les limites planétaires.
05:04 Et finalement le projet de société, ce qui redonne de la valeur au présent,
05:07 le projet de société il doit s'inventer ici et maintenant.
05:10 Parce que les clivages politiques et même idéologiques,
05:12 c'est entre plus ou moins de technologie, plus ou moins de sobriété.
05:16 – On va y revenir.
05:18 Troisième hypothèse, je poursuis mon fil, envers et contre tout.
05:23 Troisième hypothèse, c'est un problème technique au fond,
05:28 c'est que les mesures que nous avons prises ou certaines d'entre elles
05:31 apparaissent comme des mesures inadéquates.
05:34 Et je vais prendre l'exemple de la fin du nucléaire.
05:38 Alors pour une part, sous l'effet des lobbies,
05:41 donc c'est peut-être plutôt un problème démocratique qu'un problème technique,
05:45 c'est que sous l'effet d'un certain nombre de groupes de pression,
05:47 on prend des mesures qui n'apparaissent pas fondées en raison,
05:50 puisque l'énergie nucléaire par exemple,
05:52 est une énergie parfaitement décarbonée.
05:54 – Alors ça c'est un des aspects de la question,
05:56 c'est que cette transition c'est un monstre technique.
06:01 Il faut techniquement tout changer, quand je dis tout changer,
06:05 c'est toutes nos manières de consommer et de produire,
06:08 donc ça pose des problèmes divers et variés de nature technique et technologique considérables.
06:16 Face à ça, il y a un certain nombre de gens, c'est l'écologisme politique,
06:21 qui développent des idées technophobes,
06:26 nous disant que justement tout doit reposer sur des changements de comportement,
06:31 et certainement pas sur de nouvelles révolutions technologiques.
06:34 À l'opposé, il y a notamment du côté des États-Unis,
06:38 l'idée selon laquelle la technologie pourrait résoudre tous les problèmes.
06:43 À l'évidence, ni les uns ni les autres ne détiennent la pierre philosophale de cette transition,
06:49 et à l'évidence, cette transition devra être un entre-deux,
06:52 c'est-à-dire que nous aurons un besoin fondamental de technologie,
06:57 donc il ne faut surtout pas rejeter la technologie,
06:59 mais on ne peut pas compter que sur la technologie.
07:02 Vous posiez la question du nucléaire, c'est un très bel exemple.
07:06 Si on considère que le réchauffement climatique est le plus grand danger écologique qui nous menace,
07:10 et qu'il faut donc tout mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique,
07:15 on ne peut pas se passer d'un nucléaire qui est l'énergie la moins carbonée,
07:20 la plus massive, la plus pilotable dont nous disposons aujourd'hui.
07:23 Il y a d'autres exemples qu'on pourrait donner,
07:25 les OGM par exemple, ou les organismes modifiés plus ou moins génétiquement,
07:31 on aura du mal dans le cadre du réchauffement climatique à s'en passer.
07:35 La capture, la captation dans l'air du carbone, c'est pareil,
07:38 mais on ne peut pas compter que là-dessus.
07:40 On va revenir à ça, mais je dis juste pour ceux qui nous écoutent,
07:42 pilotable, ça veut dire que par exemple, par opposition aux éoliennes,
07:47 qui dépendent de facteurs naturels pour savoir quand elles produisent ou pas de l'électricité,
07:52 l'énergie nucléaire, on peut la piloter, on peut choisir d'augmenter ou de réduire la production
07:57 à notre mesure et pas en fonction d'événements extérieurs.
08:00 Quatrième hypothèse sur cet écart, on répartit mal l'effort de la transition.
08:10 Par exemple, on dépense des milliards d'euros pour une décarbonation
08:18 qui se traduit en particulier par l'augmentation du prix de l'énergie à travers les taxes, les quotas,
08:28 et ça a un impact très très fort sur le pouvoir d'achat des ménages,
08:34 les plus pauvres d'entre eux, ou sur la compétitivité de nos industries.
08:38 Et les gens se disent non, ce n'est pas comme ça qu'on va y arriver.
08:42 Si vous devez détruire mon pouvoir d'achat ou détruire mes emplois industriels pour la transition,
08:46 je ne suis pas d'accord.
08:48 Alors il y a un double problème, il y a un problème de répartition de l'effort
08:52 parce qu'Antoine a raison de dire que ça va coûter très cher.
08:55 Et aujourd'hui, par paresse intellectuelle et par déficit aussi de dispositifs de négociation,
09:02 on fait toujours tomber la charge sur les mêmes.
09:05 L'exemple de l'agriculture est intéressant, c'est-à-dire que,
09:08 évidemment, dans l'élevage ou même dans les cultures,
09:11 on a de l'engrais, on a du méthane, on a des pollutions qu'il faut résoudre,
09:20 mais on ne peut pas faire porter la charge financière, symbolique et morale
09:25 de la transformation de cet appareil de production uniquement sur les producteurs,
09:29 alors même que l'alimentation c'est une chaîne complexe dans laquelle il y a beaucoup de maillons,
09:33 les industries de transformation, les distributeurs et les consommateurs.
09:38 Donc si on veut qu'il y ait de la justice et de l'acceptabilité,
09:42 il faut que le coût de la transformation soit partagé.
09:46 Et pour ce faire, on est obligé d'adopter ce que nous proposons, une méthode contractuelle,
09:52 c'est-à-dire qu'il y ait une véritable négociation entre les agriculteurs,
09:56 à travers leur coopérative, les distributeurs et les industriels,
09:59 pour que ces derniers participent au financement de la transformation de l'appareil de production.
10:04 Ce que font déjà de grandes majors de l'agroalimentaire, comme Danone ou Nestlé,
10:09 qui financent des aides à l'investissement pour les agriculteurs qui les fournissent,
10:13 puisqu'elles ont besoin, dans leur reporting extra-financier,
10:16 c'est-à-dire dans ce qu'elles disent de leur propre transition,
10:19 de montrer que leurs fournisseurs eux aussi se décarbonent.
10:22 – Donc vous êtes d'accord pour penser qu'on a jusqu'à présent, en tous les cas,
10:25 pas assez calibré, pas assez bien calibré,
10:27 pas assez pensé la question de la répartition des charges ?
10:31 – C'était le même problème sur les gilets jaunes,
10:33 c'est-à-dire qu'on faisait payer l'essence et le diesel plus cher,
10:36 alors que le fuel maritime et le kérosène des avions
10:38 étaient exonérés en vertu de conventions internationales.
10:42 Ça avait le caractère d'une absurdité.
10:44 Un autre sujet aussi, c'est que ça va coûter très cher, bien sûr,
10:47 mais il y aura aussi des gains qui ne sont pas nécessairement
10:49 que des gains financiers, individuels ou des gains de bien-être,
10:53 qui peuvent être des gains en termes de santé.
10:55 Quand vous vous activez, que vous avez un mode de vie un peu moins sédentaire
10:57 parce que vous faites du vélo ou de la marche à pied pour des petites distances,
11:01 vous avez moins de chances d'avoir des maladies cardiovasculaires.
11:03 En matière de santé mentale, il y a des gains.
11:05 En matière de cohésion sociale, si on redynamise un peu les centres-villes,
11:08 qu'on remet du petit commerce,
11:10 qu'on habite plus près de son lieu de travail, on crée de la cohésion.
11:13 C'est plus difficile à mesurer que simplement des gains économiques de PIB,
11:18 mais ça compte énormément dans la vie des nations.
11:20 – Je vais vous dire que ces gains sont putatifs et un peu abstraits.
11:24 – Pas les gains de santé, les gains de santé c'est mesurable.
11:27 – Dernier élément, une mauvaise allocation des efforts entre le Nord et le Sud.
11:33 Il y a un certain nombre de gens qui disent,
11:35 pourquoi est-ce qu'on dépense des milliards
11:37 pour accélérer la décarbonation des pays, notamment de l'Europe,
11:42 qui sont déjà très fortement décarbonés,
11:44 alors que l'effet de levier de ces milliards
11:47 appliqués aux pays du Sud serait beaucoup plus efficace.
11:51 Autrement dit, au lieu d'essayer d'améliorer encore marginalement
11:54 notre intensité énergétique, on ferait mieux de faire un programme Marshall
11:58 et d'envoyer beaucoup de milliards en Chine, en Inde ou ailleurs,
12:04 pour transformer leurs vieilles centrales à charbon
12:06 ou leurs vieilles centrales à gaz, qui sont extrêmement émettrices de CO2.
12:10 Et on serait bien plus efficace globalement, puisque c'est un problème mondial.
12:14 – Oui, alors je connais ces raisonnements qui ne fonctionnent pas vraiment,
12:19 quand on y regarde du plus près.
12:21 Techniquement, c'est ce qu'on appelle les coûts d'abattage.
12:24 Alors les coûts d'abattage c'est quoi ?
12:26 C'est très simple, c'est de dire qu'abattre une tonne de CO2,
12:30 par exemple en France, ça coûte beaucoup plus cher,
12:33 donc c'est moins efficace qu'abattre une tonne de CO2,
12:36 par exemple en Inde ou en Chine.
12:38 Alors ça, ça fonctionnerait si on ne devait pas atteindre la neutralité carbone.
12:43 Ça fonctionnerait s'il fallait par exemple réduire les émissions mondiales
12:47 de la moitié, de 50%.
12:49 Mais puisque on doit arriver à la neutralité carbone,
12:51 de toute façon, il va falloir abattre toutes les tonnes,
12:55 qu'elles soient chères ou pas chères.
12:56 Donc ça ne fonctionne pas.
12:57 En revanche, du point de vue de l'allocation des ressources
13:00 entre le Nord et le Sud, il y a un vrai problème,
13:02 mais qui n'est pas celui qui était pointé dans la question,
13:05 qui est cette opposition entre les notions d'atténuation et d'adaptation.
13:10 Globalement, ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre,
13:14 c'est-à-dire les pays développés, doivent atténuer,
13:16 c'est-à-dire réduire leurs émissions.
13:19 Et symétriquement, le Sud, lui, qui va être en première ligne
13:22 du réchauffement climatique, doit s'adapter.
13:24 Eh bien aujourd'hui, il y a des efforts faits par le Nord
13:27 pour l'atténuation et il y a très peu, voire pas d'efforts faits par le Sud,
13:31 ni de financement de la part du Nord pour le Sud,
13:34 pour l'adaptation et c'est un énorme problème.
13:37 Mais un autre sujet, c'est que la décarbonation du Sud,
13:41 ça passera pas par des transferts monétaires type aide au développement.
13:45 Le vrai sujet, c'est d'arriver à industrialiser, par exemple,
13:48 la production d'énergie renouvelable, ce qu'ont fait les Chinois
13:51 ces dernières années, et les Chinois sont parmi ceux qui ont le plus contribué.
13:54 Ça fait s'effondrer les coûts de production de l'éolien et du solaire
13:57 qui aujourd'hui sont inférieurs à ceux du nucléaire,
14:00 et ça permet du coup aux pays du Sud d'adopter des technologies
14:03 qui sont bonnes pour la planète et qui en même temps leur permettent l'électrification.
14:06 Et s'agissant du solaire, on peut électrifier 100 réseaux,
14:09 ce qui est utile dans certains pays africains, par exemple,
14:11 où on a encore beaucoup de villages, peu d'agglomérations très concentrées,
14:15 et où déployer des réseaux, c'est extrêmement consommateur d'investissement.
14:19 – Alors, comment on…
14:22 Bon, on a essayé d'éclairer ces paradoxes,
14:25 et on a vu que c'est multifactoriel comme toujours.
14:28 Comment on sort de ça et comment on essaie d'enclencher une transition
14:33 qui soit à la fois efficace et acceptable ?
14:37 Première question, c'est pour vous David,
14:40 est-ce que le Green Deal européen, le pacte vert,
14:45 tel qu'il a été déterminé par la commission de Bruxelles
14:48 et qui doit nous conduire à être neutre en 2050, c'est ça ?
14:56 – Est-ce qu'on a choisi la bonne voie ?
14:58 Quand on compare le pacte vert, si je caricaturais un peu,
15:02 quand je compare le pacte vert européen
15:04 au mal nommé "la loi de réduction de l'inflation" de Biden,
15:10 j'ai l'impression que nous, on choisit les taxes et les quotas,
15:13 et que les Américains choisissent l'investissement massif.
15:17 J'ai regardé les chiffres,
15:19 les fonds de la transition du pacte vert, c'est de l'ordre de 40 milliards,
15:23 l'investissement dans la transition proposée par les Américains,
15:26 c'est presque 400 milliards et 10 fois plus.
15:29 Est-ce qu'on ne s'est pas trompé de voie ?
15:31 – Alors, je ne dirais pas ça,
15:32 parce que le pacte vert c'est quand même hyper ambitieux,
15:35 il y a des réglementations dans tous les domaines.
15:37 – C'est ça, il y a des règles et pas des investissements.
15:39 – Mais il y a aussi des instruments financiers, il y a des objectifs.
15:42 Le problème c'est qu'effectivement,
15:44 et ça renvoie à l'impuissance politique de l'Union européenne,
15:48 on manque d'une véritable politique industrielle unifiée,
15:51 parce qu'il y a beaucoup d'argent sur la transition en Europe,
15:53 mais qui est éparpillée entre les États, les collectivités, les entreprises, etc.
15:58 et on a du mal à faire des vrais choix technologiques audacieux.
16:01 Nous, dans le livre, nous proposons la création d'une ARPA,
16:04 c'est-à-dire une agence de R&D industrielle,
16:08 tournée vers les énergies et vers l'innovation technologique verte,
16:11 comme instrument essentiel de l'Union européenne.
16:14 Il manque par ailleurs, et ça sera encore pire
16:16 quand le plan de relance Next Generation sera éteint,
16:19 à peu près 200 milliards au niveau européen
16:21 pour vraiment se mettre au niveau des États-Unis.
16:24 Et donc le sujet c'est qu'il y a des bâtons,
16:26 il y a des contraintes, il y a des réglementations,
16:28 mais il faut être capable d'avoir à la fois des bâtons et des carottes.
16:31 Là où les Américains sont meilleurs que nous,
16:33 c'est qu'ils ont beaucoup de carottes, probablement pas assez de bâtons,
16:37 parce qu'ils continuent à autoriser l'exploration pétrolière, gazière,
16:41 il y a eu énormément de permis, y compris sous Biden, qui ont été distribués.
16:45 Donc l'enjeu pour l'Europe, ce n'est pas de se calquer sur les États-Unis,
16:47 qui par ailleurs ne font rien sur des sujets essentiels
16:50 comme l'agriculture ou le logement, c'est très énergie-industrie.
16:53 Mais c'est plutôt de compléter le volet réglementaire qui est très ambitieux
16:57 par un volet productif et un volet social.
16:59 Si vous me permettez, oui, un mot pour compléter,
17:01 il faut avoir les idées extrêmement claires,
17:02 un plan de transformation environnementale, c'est trois leviers.
17:07 Taxe-quota, un, réglementation, deux, soutien, trois.
17:13 Le plan européen n'utilise que deux de ces leviers.
17:17 Énormément la réglementation et un peu la taxe-les-quotas
17:20 et trop peu le soutien.
17:21 Le plan américain, c'est presque exclusivement du soutien.
17:23 Il manque des choses.
17:25 Je dis pour ceux qui nous écoutent que si on veut réduire les émissions de CO2,
17:29 au fond, il y a quatre éléments.
17:31 On peut réduire la croissance démographique, très peu de gens sont d'accord.
17:35 On peut réduire la croissance économique.
17:38 On a vu tout à l'heure que les populations ne l'acceptent pas.
17:41 Ou bien on doit réduire la consommation d'énergie.
17:45 C'est au-dessus de ça dont on discute ce soir.
17:49 Et réduire la composition de cette énergie,
17:53 c'est-à-dire sortir de l'hydrocarbure des énergies fossiles
17:57 au profit des énergies décarbonées.
18:00 Deuxième question que je voulais vous poser, c'est pour vous Antoine.
18:03 Est-ce que l'idée qu'on pourrait, vous l'avez évoqué tout à l'heure,
18:08 pousser une croissance durable, mais qui incorporerait,
18:12 qui incorporerait une densité technologique de nature à décarboner cette croissance,
18:19 est-ce que ce projet-là est raisonnable ?
18:24 Est-ce qu'il est tenable ?
18:25 C'est ce qu'on appelle le découplage.
18:27 C'est-à-dire on peut rendre compatible la poursuite de la croissance économique
18:32 et la décroissance des émissions de CO2.
18:36 Est-ce que ça, ça vous paraît, même si un certain nombre de technologies,
18:39 vous l'avez dit tout à l'heure, ne sont pas encore là ?
18:41 Ou peuvent s'être améliorées, soit de réduction des émissions de CO2,
18:46 soit de recapture du CO2.
18:48 Mais est-ce qu'il vous paraît raisonnable de choisir cette voie ?
18:50 Est-ce que c'est la voie qu'il faut que nous retenions ?
18:53 Alors aujourd'hui, théoriquement, sur la table, on a deux possibilités.
18:57 Soit, je dis bien théoriquement sur la table, soit la décroissance.
19:00 On comprend à peu près ce que c'est, c'est on réduit le volume d'activité de l'humanité.
19:05 Bon, première possibilité, donc je pense que ça n'en est pas une.
19:09 Seconde possibilité, c'est la croissance verte.
19:11 Je vous le répète en plus de son, mais juste pour que ceux qui nous écoutent comprennent de quoi il s'agisse.
19:15 Si vous réduisez d'un point de PIB, ne serait-ce que d'un point de PIB la croissance française,
19:22 vous avez un énorme problème de pouvoir d'achat,
19:25 vous avez un énorme problème de financement du service public.
19:27 Donc c'est un basculement dont il me paraît peu probable qu'il soit acceptable.
19:32 Et chez nous, c'est grave.
19:34 Dans les pays du Sud qui n'ont pas encore accès au niveau de développement,
19:38 à l'alimentation, à la santé, etc.
19:41 Pour nous c'est dramatique, pour eux c'est tragique.
19:44 Voilà, mais en tout cas, entre ces deux modèles théoriques,
19:48 le juge de paix, l'arbitrage, c'est ce dont vous avez parlé, c'est la question du découplage.
19:52 C'est-à-dire, est-ce qu'il est possible d'augmenter les activités humaines,
19:57 d'augmenter le bien-être humain,
19:59 tout en réduisant dans le même temps les émissions de gaz à effet de serre ?
20:04 Il n'y a absolument aucune loi d'airain, aucune loi physique,
20:09 qui lie l'augmentation des activités et du niveau de vie humain à celle des gaz à effet de serre.
20:16 C'est-à-dire qu'on peut parfaitement décarboner nos activités, à commencer par l'énergie.
20:21 Et d'ailleurs, le découplage ne doit pas faire l'objet d'une croyance,
20:25 puisque c'est une réalité aujourd'hui.
20:28 Deux chiffres pour vraiment asseoir ce point-là.
20:31 Depuis 2005, le PIB en France a augmenté de 15%,
20:37 et l'empreinte environnementale, c'est-à-dire l'empreinte carbone,
20:41 les émissions carbone en empreinte, c'est-à-dire tout pris en compte…
20:45 – Y compris les produits importés.
20:47 – Y compris exactement, c'est ça qui est très important,
20:49 il faut prendre en compte l'ensemble de l'économie française,
20:51 ça a baissé de 7%.
20:53 Vous voyez, on augmente le volume de richesse produit de 15%
20:56 et on baisse les émissions de 7%, c'est un découplage absolu.
20:59 – Ce qu'on vous opposera, c'est que pour l'instant,
21:01 le découplage n'est pas sur un rythme tel qu'il est de nature
21:04 à atteindre nos objectifs.
21:05 Est-ce que vous croyez qu'il y aura de nouvelles découvertes technologiques
21:09 qui vont en amplifier l'effet ?
21:10 – Alors ça, c'est une autre question, c'est la question suivante
21:13 et qui est absolument fondamentale, mais déjà on peut dire,
21:15 et ça, j'ai donné l'exemple de la France,
21:16 c'est vrai pour tous les pays développés, y compris les États-Unis.
21:19 Donc c'est une question structurelle sur le découplage, est-il possible ?
21:22 Oui, structurellement.
21:23 Est-ce qu'on va assez vite ? Bien sûr que non, pour l'instant.
21:26 Est-ce qu'en revanche, ce qu'on met en place là, ça va s'accélérer ?
21:30 À l'évidence, c'est-à-dire qu'il y a des gains d'efficience,
21:34 de productivité, par exemple des énergies renouvelables
21:37 qui étaient inimaginables il y a seulement 10 ans, le solaire par exemple.
21:41 – Question pour vous David, Jean Pisani-Ferrié, économiste renommé,
21:47 a fait un rapport sur les coûts de la transition énergétique
21:51 et il explique que, je dis ça parce qu'il faut la financer,
21:54 il explique que lui il estime à 2,5 points de PIB par an,
22:02 le financement de la transition.
22:04 Alors je ne sais plus sur quelle période, mais enfin sur une longue période.
22:07 On les trouve où ?
22:07 Dans le pays, prenons l'exemple de la France,
22:09 on est déjà les champions du monde des prélèvements obligatoires
22:12 et en termes de dette, on est très très très élevés.
22:16 Et chaque fois qu'on essaye de…
22:18 Prenons l'exemple des retraites,
22:19 on avait deux points d'écart de PIB entre nous et l'Allemagne.
22:23 Quand on essaye de réduire les dépenses publiques,
22:25 par exemple celles des retraites, on n'y arrive pas.
22:27 Donc où est-ce qu'on va aller chercher 2,5 points de PIB
22:30 pour financer la transition énergétique ?
22:32 – Alors plusieurs choses, déjà Pisani a un grand mérite,
22:35 c'est qu'il a fait rentrer la question écologique dans la macro-économie,
22:38 ce qui manquait cruellement, mais c'est qu'une première étape,
22:40 pour moi il faut la faire rentrer à un niveau encore plus granulaire,
22:43 celui des filières, des secteurs économiques et des territoires.
22:46 Je prends juste un exemple,
22:47 si vous interdisez les vols entre Bordeaux et Paris,
22:50 aujourd'hui on n'a pas d'outil de simulation de l'impact
22:52 de cette mesure, c'est-à-dire on pourrait très bien se dire,
22:54 si on regarde en détail les passagers,
22:56 que les gens qui prennent des Bordeaux-Paris,
22:58 en fait le prennent uniquement pour la soute internationale,
23:00 c'est-à-dire pour aller à Hong Kong ou à Singapour.
23:02 Donc si demain les gens font Bordeaux-Genève, Genève-Singapour,
23:05 on n'aura rien changé avec cette mesure.
23:07 Donc vous voyez, il faut qu'on aille à un niveau plus granulaire.
23:09 Sur le montant global, 2, 3 points de PIB,
23:13 c'est des chiffres qui sont assez importants,
23:15 mais qui comparés à l'ampleur du défi,
23:17 c'est-à-dire tout simplement l'habitabilité de la Terre,
23:20 notre survie collective en tant qu'humanité,
23:22 ne sont pas si considérables que ça.
23:26 Donc il est évident premièrement qu'on ne va pas aller
23:29 dans une dynamique de réduction majeure de la dette
23:31 dans les prochaines décennies,
23:33 ça tous les macroéconomistes sérieux convergent pour le dire.
23:35 Deuxièmement, probablement le secteur privé
23:39 va être mis à contribution aussi,
23:41 parce que quand on parle de 2 ou 3 points de PIB,
23:43 on parle de tous investissements confondus,
23:45 c'est-à-dire la puissance publique, les ménages et les entreprises.
23:49 Ce que je disais tout à l'heure sur la transformation des fermes
23:52 ou des élevages, il est évident que les grandes entreprises
23:56 de l'agroalimentaire vont contribuer,
23:58 et c'est déjà dans leurs obligations réglementaires.
24:01 Donc cet effort, il faut qu'il soit partagé,
24:04 et le vrai sujet en réalité, ce n'est pas le montant de l'effort,
24:07 parce que le montant de l'effort,
24:08 on l'a déjà provisionné collectivement en quelque sorte,
24:11 c'est le partage pour qu'il soit le plus juste
24:14 et le plus équitable entre tous les segments de la société.
24:16 – Mais vous ne pensez pas, et j'en aurais fini,
24:18 puis après on va conclure ensemble,
24:20 vous ne pensez pas qu'il va falloir qu'on sacrifie d'autres dépenses
24:24 pour absorber celle-là ?
24:26 – Alors ce qui est certain, c'est que…
24:28 Non mais je pense que la façon qu'avait Edouard Philippe
24:30 de poser le problème en disant, oui, la transition écologique,
24:33 mais il y a aussi l'hôpital et il y a aussi l'école,
24:35 n'est pas exactement la bonne façon.
24:37 C'est-à-dire que là, il y a un défi qui est un défi d'humanité,
24:40 tout simplement, et de survie collective,
24:42 et donc il faut pouvoir isoler ces dépenses.
24:43 Ensuite, ce n'est pas un appel, ce que je fais là,
24:47 à l'insouciance et à l'inconscience budgétaire.
24:50 Il est évident qu'il faudra faire des arbitrages.
24:51 – Vous êtes quand même inspecteur des finances.
24:54 – Vous me permettez de vous donner un mot, une idée originale.
24:56 Il n'y a pas de problème de financement.
24:58 Vous faites une taxe carbone, ça rapporte énormément.
25:00 Vous arrêtez de subventionner, actuellement on le fait,
25:03 les énergies fossiles, c'est des dizaines de milliards.
25:06 Vous passez à la retraite par capitalisation,
25:08 au lieu de la répartition, vous disposez de fonds de pension
25:10 qui peuvent être fléchés avec des cahiers des charges
25:13 sur le financement de tout ça.
25:14 La finance verte, pareil, elle est indicative aujourd'hui.
25:17 L'Europe a fait un énorme travail,
25:18 maintenant elle pourrait être impérative,
25:19 il n'y a pas de problème de financement théoriquement.
25:21 – Il y a énormément d'épargne dans l'économie mondiale,
25:22 on met beaucoup d'argent sur l'intelligence artificielle en ce moment,
25:25 ça attire beaucoup les fonds de Venture Capital,
25:27 je pense qu'on pourrait en faire autant pour les…
25:30 – Dernière question à vous deux, brièvement.
25:32 Au fond, après le petit tour d'horizon qu'on a fait,
25:35 vous êtes tout de même optimistes,
25:36 vous pensez l'un et l'autre qu'on va y arriver ou pas ?
25:39 – Alors, ça dépend, arriver à quoi ?
25:42 Soyons très clairs, moi je suis assez optimiste sur le réchauffement climatique,
25:45 mais il ne faut pas oublier que la crise environnementale, elle est multiple.
25:48 Il y a par exemple l'effondrement de la biodiversité,
25:50 là-dessus je suis assez pessimiste.
25:52 Et quand on parle de réchauffement climatique, on va arriver à quoi ?
25:55 Je pense qu'on dépassera malheureusement
25:57 le seuil de 1,5 degré d'augmentation des températures,
26:01 mais je pense que, notamment avec de la captation du carbone
26:04 pour boucler l'ensemble, on peut arriver à tenir à peu près les 2 degrés.
26:08 – Vous connaissez, vous êtes un ancien cagneux Denis,
26:10 vous connaissez la phrase "qu'ancienne",
26:11 donc tu dois, donc tu peux.
26:13 – D'accord.
26:15 Bon, écoutez, cette émission s'achève sur cette formule qui incline à l'optimisme.
26:21 Évidemment, nous n'avons pas pu traiter complètement le sujet,
26:25 parce qu'à la différence des ressources énergétiques,
26:27 la question écologique, elle, est inépuisable.
26:30 Mais j'espère que nous vous aurons éclairé un peu,
26:33 éclairé ceux qui nous ont suivis.
26:35 Merci à vous Antoine, merci à vous David,
26:37 merci à vous qui nous avez écoutés, qui nous avez regardés.
26:41 Vous pouvez revoir l'émission sur le site publicsenat.fr.
26:46 Et puis, à la prochaine, je veux dire, à la prochaine émission.
26:50 Bonsoir.
26:50 [Musique]

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