• il y a 10 mois
Léa Salamé reçoit le journaliste et historien Thomas Snégaroff, auteur du roman "Les vies rêvées de la baronne d'Oettigen" (Albin Michel, janvier 2024). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-jeudi-29-fevrier-2024-9585751

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00:00 - Il est A ce matin, vous recevez un historien et journaliste.
00:03 - Bonjour Thomas Négaroff. - Bonjour.
00:05 - Merci d'être avec nous comme invité ce matin.
00:08 Si vous étiez un peintre européen et un président américain, vous seriez qui ?
00:12 - Le peintre européen, je dirais Amédée Omodé-Gliani.
00:17 Parce qu'il a peint notre baronne dont on va parler.
00:21 Parce qu'il a une existence brûlante et rapide.
00:26 Et parce que pour moi c'est peut-être le plus grand portraitiste des femmes et de leurs yeux.
00:32 Même si parfois il n'y a pas de pupilles.
00:33 - Parfois il n'y a pas de pupilles et c'est le cas effectivement de la couverture de ce livre-là
00:37 dont on va parler dans un instant, de votre baronne peinte par Modigliani dont le tableau a disparu.
00:42 - Oui, il y a 100 ans.
00:43 - Il y a 100 ans. Mais par contre quand on achète le livre, on a ce tableau,
00:47 puisque c'est la couverture de votre livre. Si vous étiez un président américain ?
00:50 - J'ai envie de dire Kennedy. Pas seulement parce que j'ai écrit sur lui,
00:54 mais parce que ce qui me touche chez Kennedy, c'est qu'il n'était pas du tout fait pour être président.
00:59 C'était son grand frère qui devait l'être. Son grand frère est mort.
01:02 Et il a dit "je boxe contre une ombre et je ne peux jamais gagner" parce que son frère le remplaçait.
01:07 Et il était malade et fatigué. Et il a dû exprimer au contraire une vitalité extraordinaire.
01:12 Et je trouve que ce décalage et cette fragilité de Kennedy m'a toujours beaucoup touché.
01:17 Et cette certitude que tout est possible quand on est un Kennedy, jusqu'à dire en novembre 1963
01:23 "j'ai pas besoin de capote à la voiture parce que je décide que je vais vivre,
01:26 parce que je décide que tout va bien se passer" et à un moment donné on est tous rattrapés par une chose qui est la mort.
01:32 - Et ça a été son cas. Président américain, je l'ai dit et on dira un mot tout à l'heure,
01:36 parce que vous êtes spécialiste des Etats-Unis. Une de vos nombreuses casquettes,
01:40 parce que vous en avez eu beaucoup des casquettes, mais on va en parler tout à l'heure.
01:42 Revenons au livre "toutes les femmes sont sérieuses comme la pluie, surtout les plus frivoles".
01:47 C'est Pierre Drieu Larochelle qui écrivait ça. Est-ce que vous êtes d'accord avec lui ?
01:51 - Oui. Je ne vais pas chanter, mais moi j'adore une chanson d'Alain Chanfort.
01:56 "Souris puisque c'est grave, seules les plaisanteries doivent se faire dans le plus grand sérieux".
02:00 Et ça marche dans les deux sens pour moi. C'est-à-dire que quand c'est grave,
02:03 il faut le faire avec le sourire et quand on fait des blagues, il faut les faire avec le plus grand sérieux.
02:07 Et je trouve qu'il y a un peu de ça dans cette citation.
02:09 - Sérieuse et frivole et fantasque et flamboyante, séductrice et libre, elle était tout ça votre baronne de Tingen
02:16 dont vous racontez les vies rêvées dans votre nouveau roman paru chez Albain Michel qui parle de l'art et de la vie,
02:21 des rêves déçus et du passage du temps. La baronne de Tingen, née à la fin du 19e siècle en Ukraine,
02:28 ce qui est l'Ukraine aujourd'hui, ou la Pologne, enfin la frontière, émigrait en France
02:33 et qui fut une grande figure de la Belle Époque à Paris. Muse, mécène, amie d'Apollinaire, de Picasso, de Braque, de Modigliani.
02:40 Donc, elle tomba dans l'oubli comme beaucoup de femmes invisibilisées par l'histoire,
02:44 mais vous la ressuscitez et vous lui rendez hommage dans ce livre-là.
02:48 Ce livre-là, dont l'origine, Thomas, c'est vous et c'est une maladie.
02:54 C'est votre maladie, à vous, que vous écrivez à travers d'une phrase comme ça.
02:59 C'est très vous, ça, à travers d'une phrase, on découvre que vous avez eu une maladie très grave.
03:02 - Oui, un cancer grave et banal, malheureusement, aujourd'hui, mais un cancer du sang.
03:07 Et c'est important pour cette histoire parce que je suis diagnostiqué d'un cancer du sang il y a quelques années.
03:12 - Il y a dix ans, c'est ça ? Parce que moi, j'ai appris ça, je ne savais pas ça de vous.
03:15 Et je pense que les auditeurs qui vous écoutent ou qui vous regardent à la télé
03:18 ne savent pas que vous avez eu un cancer du sang très grave.
03:20 - Peut-être parce qu'ils n'ont pas besoin de le savoir, mais là...
03:22 - Là, vous l'écrivez, donc on en parle.
03:24 - Oui, c'est une phrase, mais c'est important parce que je suis soigné à l'hôpital Cochin,
03:29 dans une chambre qui donne, sur le 13 rue Méchin, c'est la rue qui est derrière l'hôpital Cochin,
03:33 et le 13 rue Méchin, c'est exactement l'adresse de l'imprimerie de mon arrière-grand-père,
03:37 qui est la figure mythologique de la famille, c'est Dmitri Snegarov, celui qui a quitté le monde russe
03:41 et qui arrive à Paris en 1907-1908, et qui a toujours été une figure...
03:45 On a ça dans nos familles parfois, une figure comme ça, un peu lointaine,
03:48 objet de fantasme, d'imagination, et je me retrouve avec ce cancer du sang,
03:54 c'est pour ça que c'est important, le sang.
03:55 - Le sang, c'est l'identité, le sang, c'est la famille, ça vous force à aller chercher quelque chose.
04:00 - Absolument.
04:00 - Face à cette adresse de l'arrière-grand-père mythologique.
04:04 Et sauf que ce qui est assez... Je ne sais pas si c'est la vérité ou si vous l'avez romancé,
04:08 je vous l'ai demandé, vous ne répondez pas, donc peu importe, l'histoire est géniale.
04:11 C'est qu'en même temps, vous avez hérité du grand-père un bureau qui est à la maison.
04:16 - Oui, son bureau d'imprimeur.
04:17 - Dont un des tiroirs n'ouvre pas.
04:19 - Oui, le tiroir de droite n'ouvre pas, et en revenant de mes soins, il cède.
04:26 Je tente à nouveau de l'ouvrir, il cède.
04:28 Et dans ce tiroir, je découvre des documents appartenant à mon arrière-grand-père,
04:32 des tableaux, enfin des dessins au fusain, des portraits de lui, que je reconnais,
04:38 des autoportraits d'une femme, que je ne connais pas,
04:40 la même signature, une signature d'homme, François Angibou,
04:45 et un manuscrit d'un livre, Tzorès, signé par Roque Grey.
04:51 Et je commence mon petit travail presque d'archéologue,
04:55 et je découvre que Angibou correspond au nom de peintre de la baronne de Tingen,
05:01 que Roque Grey est le nom de romancier ou de romancière de la baronne de Tingen,
05:07 et que les portraits de mon arrière-grand-père ont été faits par cette femme.
05:10 Et baronne de Tingen, c'est un nom que j'avais déjà entendu.
05:13 - Mais que, dans votre famille ? - Ouais.
05:15 - Et qu'on n'aimait pas ? On n'en parlait pas en bien dans votre famille, de la baronne de Tingen.
05:20 - Oui, c'était un peu ça le début, je me suis dit, peut-être que c'est parce qu'elle a peint mon arrière-grand-père
05:26 et qu'il a conservé toute sa vie les portraits qu'il a fait d'elle.
05:28 Et peut-être quelque chose se joue autour de ça, et après en tirant le fil,
05:32 j'ai découvert à quel point, moi qui longtemps a voulu écrire sur mon arrière-grand-père,
05:36 mais avec la certitude ou la conscience que ça n'intéresserait pas grand monde,
05:41 c'est à travers la baronne, elle, que j'ai commencé à raconter cette histoire.
05:45 Et en fait, c'est la vie de la baronne qui m'a emporté.
05:47 Et c'est cette vie-là, finalement, qui est devenue le roman.
05:50 - Dont vous imaginez, ou je ne sais pas si ça a été vrai, qu'elle a eu une liaison avec cet arrière-grand-père.
05:54 - Oui, là je l'imagine. - Là vous l'imaginez ?
05:56 - Je l'imagine. - Enfin, pour la voir, puisqu'elle l'a peint, puisqu'elle l'a imaginé.
06:01 - Et je sais à quel point elle a aimé les hommes et à quel point les hommes l'ont aimé.
06:04 - On y va. Mais vous commencez donc à enquêter, vous allez voir les archives,
06:07 vous recoupez ce que vous avez, bref, vous faites votre boulot d'historien,
06:10 et vous nous replongez dans ce livre, dans le Paris de la Belle Époque, à Montparnasse,
06:13 au milieu de ces artistes, Picasso, Modigliani, Apollinaire, Sandrard,
06:17 dont beaucoup sont des exilés, sont des amoureux de la France,
06:20 on ne sait pas qu'Apollinaire n'était pas français,
06:23 d'une certaine idée de la France, de la liberté.
06:25 Ce Paris-là, ces artistes-là, c'est ça aussi,
06:28 cet amour de la France-là, à travers la baronne de Tinguen qui est née russe,
06:32 à travers votre arrière-grand-père qui est né russe, exilé, juif, socialiste, venu en France,
06:37 qui a imprimé Lénine, les écrits de Lénine, j'ai découvert ça,
06:42 c'est ce Paris-là que vous voulez faire renaître.
06:44 - Oui, et vous dites, ils aiment la France, ils aiment Paris.
06:47 C'est des gens qui sont d'abord parisiens.
06:49 Et peut-être le plus beau jour de la vie d'Hélène de Tinguen,
06:52 c'est quand elle ajoute un H à son prénom,
06:54 et qu'elle dit "je suis devenue une vraie parisienne ce jour-là".
06:56 Et moi, effectivement, je ne veux pas faire d'actualité,
06:59 de faire de lien trop vite avec l'actualité, mais on parle des étrangers,
07:02 parfois avec une forme de xénophobie en France d'aujourd'hui,
07:05 ça raconte à quel point ces gens-là aimaient la France,
07:07 et à quel point ils ont construit la France.
07:08 Vous dites, je pense qu'il y a plein de gens qui nous écoutent,
07:10 ils ne savent pas que Guillaume Apollinaire est polonais, que ce n'est pas son vrai nom.
07:12 Et ça, c'est intéressant d'ailleurs, comment chacun se prend d'autres noms,
07:16 les hétéronymes, il n'y a pas de problème.
07:17 En fait, ils ont des identités extrêmement fluides,
07:20 et ça je trouve très touchant aussi, et ça raconte quelque chose d'assez moderne finalement.
07:24 - D'assez moderne, mais qui est aussi très daté, qui est ce début du siècle,
07:27 qui est cette belle époque où on invente.
07:28 D'ailleurs, vous parlez d'Apollinaire, Apollinaire disait "les femmes mentent, mentent, mentent",
07:32 et elle mentait !
07:33 La baronne de Tignanel s'inventait des vieilles, elle disait "je suis nâve au Nice", pas du tout,
07:37 elle s'inventait des noms.
07:38 - Oui, en fait, c'est quelqu'un qui assez vite se rend compte que
07:41 l'existence est triste et courte,
07:44 sauf si on peut s'en inventer de plus belles.
07:46 Et ça, c'est quelque chose qui m'a bouleversé,
07:50 véritablement me bouleversé.
07:51 Elle n'est pas menteuse, elle n'est pas mythomane, j'aime pas ces mots parce que
07:53 ça rabaisse un peu ce que... - Non, ils font la vie plus belle, c'est tout.
07:56 - Absolument. Elle décide qu'un jour elle est un homme,
07:59 elle décide qu'un jour elle est née à Venise,
08:01 pourquoi est-ce qu'on déciderait pas où on est nés ?
08:03 Pourquoi ne choisirions-nous pas ?
08:04 Moi je suis né à Nancy, je préférerais être né à Rome,
08:07 ben je suis né à Rome.
08:09 Il y a quelque chose qui se joue en elle,
08:10 et pour elle c'est une manière d'élargir son existence.
08:14 Et elle fait pareil avec les hommes.
08:15 Quand elle quitte les hommes, parce qu'elle a un rapport aux hommes très particulier,
08:18 elle quitte les hommes au moment où elle sent qu'ils sont trop amoureux d'elle.
08:22 Parce que les hommes avec qui elle vit sont toujours des artistes.
08:25 Et elle place l'art au-dessus de tout, y compris au-dessus de l'amour.
08:27 - Et donc elle ne veut pas les voir, comme vous écrivez,
08:29 "je quitte les hommes avant de les rendre misérablement dépendants, pleurnichards et asséchés".
08:34 "Ses mains de pianiste et de peintre caresseront un autre corps que le sien,
08:37 sa bouche embrassera une autre bouche, un autre cou.
08:40 Ses pensées vogueront toujours, parfois, peut-être souvent, vers moi".
08:44 - Oui, c'est ça. - Elle veut les garder en dépendance en fait,
08:46 en les quittant juste avant... - Alors ça, ouais,
08:49 et ça je trouve ça très beau et ça raconte aussi ses vies multiples.
08:52 Quand dans les archives je trouve des lettres
08:55 qu'écrit Serge Ferra avec son frère, avec qui elle est venue en France,
08:59 d'anciens amants, elle ajoute un petit mot à la fin.
09:02 À chaque fois un moyen de ne pas être oublié.
09:03 Et pour elle c'est aussi un moyen d'exister,
09:05 dans le cœur et dans les âmes, des hommes qu'elle a quittés.
09:08 - Grâce à son argent, parce qu'elle est fille d'aristocrate russe,
09:12 et donc jusqu'à la révolution de 1917, elle va avoir de l'argent,
09:15 elle va acheter les toiles, elle va acheter les manuscrits,
09:17 elle va les aider tous ces artistes de la belle époque.
09:21 Elle publie des revues artistiques, elle tient salon dans son appartement
09:24 du 223... du 229 boulevard Raspail.
09:27 Vous écrivez "Elle était incandescente, il lui faut sortir, faire la fête,
09:31 séduire un jeune homme, boire de l'alcool, se mettre nue ou presque en public".
09:34 Elle adorait se mettre nue, dire du mal des uns et des autres,
09:36 provoquer des rires, les colères, les larmes,
09:39 dépendre honteusement du sexe.
09:41 Elle adore transgresser, elle s'habille en femme, en homme,
09:44 bref, elle a un rapport au genre qui est ultra-moderne.
09:47 Elle aimait le sexe, vous écrivez son rapport au corps, au corps des hommes, etc.
09:52 Aujourd'hui, on dirait qu'elle aime jouir.
09:55 - Oui, elle aime jouir et elle a une peur panique de ne plus faire jouir et de vieillir.
10:01 Et ça, c'est quelque chose qui m'a touché assez tôt d'ailleurs,
10:03 parce qu'elle est du psoriasis jeune, elle passe sa vie dans des termes.
10:07 Et sa grande crainte, c'est que sa peau repousse les hommes.
10:12 Et effectivement, pour elle, jouir, c'est un moyen d'exister pleinement.
10:17 C'est quelqu'un qui a quitté un monde des châteaux d'Ukraine,
10:20 qui ensuite vont tomber en 1917 dans les mains des bolchéviques,
10:24 l'argent ne va plus arriver dans ses mains.
10:27 Et qui a un rapport toujours très distant avec le monde réel.
10:30 Et je crois que le sexe, pour elle, c'est un moyen de se reconnecter au réel de manière très puissante.
10:34 Et c'est pour ça aussi, je crois, qu'elle multiplie les hommes.
10:37 - Et elle aime le sexe, mais elle est aussi mélancolique, dites-vous, dépressive.
10:41 Aujourd'hui, on dirait bipolaire.
10:43 - Oui. - C'est l'âme russe aussi, l'âme slave qu'elle avait.
10:45 - Peut-être. En tout cas, elle alterne des phases.
10:48 Moi, quand je suis un peu vieux, on disait "maniaco-dépressif",
10:51 je trouve que ça racontait vraiment ce que c'était.
10:52 Il y a des phases maniaques et des phases dépressives.
10:54 Les phases maniaques, il y a du sexe, il y a de l'argent.
10:56 Les phases dépressives, elle est ailleurs, elle ne veut plus sortir de chez elle.
10:59 Et c'est vrai qu'il y a là quelque chose de très puissant chez elle.
11:01 - On écoute la pianiste Germaine Survach qui, en 1963, bien après la mort de la baronne de Tingen,
11:06 parle d'elle et se rappelle, dans ce petit reportage qui est passé à la télé,
11:09 se rappelle de ce qu'elle était, de ce qu'elle représentait pour le Paris des Arts et le Paris des Lettres.
11:14 - Ces rencontres entre peintres et poètes, elles se produisent dans les cafés,
11:18 mais surtout, à cette époque, chez la baronne de Tingen.
11:22 Femme peintre, poète, meneuse d'hommes et journaliste.
11:28 - Madame Léopold Survach, qui fut une grande pianiste, se souvient d'elle.
11:32 - Oui, c'était une femme extraordinaire, dynamique, d'une intelligence et d'une culture extraordinaire,
11:40 merveilleuse, difficile de caractère, mais très bonne, très impétueuse.
11:47 On se disputait avec elle, mais on se remettait toujours avec elle, huit jours après.
11:51 - Voilà, impétueuse, elle dit tout ce qu'elle était, amie proche d'Apollinaire,
11:56 elle va l'aider, elle va l'écouter et se confier à elle sur ses peines de cœur.
12:03 Il en a eu beaucoup, des peines de cœur, Apollinaire, ça a fait des beaux poèmes.
12:07 Et d'ailleurs, puisqu'on parle d'Apollinaire, on se fait un petit peu plaisir avec le "Sous le pont Mirabeau coule la Seine".
12:11 Serge Régiani ?
12:13 - Sous le pont Mirabeau coule la Seine, et nos amours.
12:20 Faut-il qu'ils m'en souviennent ? La joie venait toujours après la peine.
12:31 Vienne la nuit, sonne l'heure, les jours s'en vont, je demeure.
12:40 - Et dans le livre, je raconte la mort d'Apollinaire, et je raconte ce cortège qui passe pour la dernière fois un pont de la Seine.
12:48 Et je vous avoue que j'avais vraiment des larmes aux yeux en écrivant,
12:52 pas parce que j'étais ému par ce que j'écrivais, mais parce que je lisais sur ce jour-là,
12:56 qui est quand même un jour incroyable. Il a été enterré le 11 novembre 1918.
13:00 Les gens hurlent "Abba Guillaume mort à Guillaume". Guillaume le Kaiser, l'empereur, pas Guillaume Apollinaire.
13:07 Et donc, c'est la mort d'un monde. Et ce roman, c'est aussi la première guerre mondiale
13:13 qui marque une césure, une rupture, comme une tranchée dans cette aventure culturelle magnifique
13:19 qu'est la modernité du début du siècle. Et la baronne va survivre à ça, mais Apollinaire n'est plus là,
13:24 Sandra Arsperlain-Bras, Modigliani, dont on a parlé tout à l'heure, va mourir très vite après la guerre.
13:29 Et l'argent n'arrive plus de Russie. - Et ce sera la fin d'un monde.
13:33 Donc elle va continuer à vivre jusqu'en 1950, mais la fin est plus triste.
13:38 Quelques mots sur vous, Thomas, pour terminer. A la fin, je me suis demandé, en préparant cet entretien,
13:43 vous faites quoi comme métier ? Vous êtes historien, journaliste, prof, écrivain, vous êtes quoi, vous ?
13:48 - C'est une bonne question que je ne me pose jamais. Je n'ai pas de carte de presse.
13:54 J'ai démissionné de l'Éducation nationale. Peut-être ne suis-je rien.
13:59 Ou alors, comme la baronne, je m'invente plein de vies pour en avoir plusieurs, pour élargir cette existence.
14:06 - Vous n'aimez pas être cantonné dans une catégorie, vous ?
14:10 - Je crois que je pourrais vous le dire aussi. Oui, non, pas du tout. Mais ce n'est pas un choix.
14:15 Je ne me suis jamais dit rationnellement, je ne veux pas être... J'aime faire plein de choses différentes.
14:20 J'aime apprendre des choses. J'ai même joué un petit rôle dans un film au cinéma.
14:24 Rien que ça, pour moi, c'est aussi riche et aussi fort parce qu'on apprend des choses.
14:28 - Vous êtes très baronne de Tingen, en fait. - Oui, mais je pense qu'on peut tous l'être, baronne de Tingen.
14:34 Et j'invente des listes de la baronne. Là, c'est moi qui les invente.
14:37 - Effectivement, elle fait des listes. - Et j'invente les listes.
14:41 Quelle aurait été ma vie si... où je ne pourrais plus jamais découvrir...
14:46 Et des choses. Je ne pourrais plus jamais découvrir Léa Salamé et Nicolas Demorand pour un entretien le matin.
14:52 Ça, je pourrais faire une liste après. Parce que c'est pour plus tard, des petits cailloux qui raconteront ce qu'a été ma vie.
14:58 - Vous qui êtes spécialiste des États-Unis, la présidentielle américaine, vous l'attendez ?
15:01 Ou vous êtes, comme la plupart des Américains, lassé déjà par ce match retour Trump-Biden ?
15:06 - Je suis un peu lassé, je ne vous cache pas. Mais je ne suis pas persuadé que ce soit Trump-Biden, le match final.
15:12 - Ah ! Vous pensez qu'on peut avoir des rebondissements ?
15:14 - Moi, j'ai entendu Barack Obama dire "la campagne, ça se passe mal". J'ai entendu Kamala Harris dire "je suis prête".
15:20 Je ne suis pas absolument certain que... - Vous pensez qu'on pourrait avoir un retour d'Obama ?
15:25 - Non, Obama non, ce n'est pas possible, légalement. - Ah oui ?
15:27 - En revanche, je pense que si les démocrates, au bout du compte, se rendent compte qu'ils peuvent perdre la présidence,
15:34 avec tout ce que ça entraîne en termes de démocratie, je ne suis pas sûr qu'ils iraient jusqu'au bout avec un candidat donné perdant.
15:40 Là, ça ne dit que ce que je pense moi, qui me suis largement trompé par le passé.
15:44 - Je voulais juste aussi souligner le très bon podcast qui cartonne que vous avez fait après les attentats du 7 octobre,
15:52 "Israël, Palestine, anatomie d'un conflit". Qu'est-ce qui vous a le plus surpris en bossant sur ce conflit existentiel qui dure depuis très longtemps ?
16:00 Qu'est-ce que vous ne saviez pas ? - Deux choses m'ont surprise.
16:03 On peut faire un podcast avec, je crois, 2 millions de personnes qui l'écoutent sans qu'on nous reproche un parti pris.
16:08 Ça, c'était quelque chose d'extraordinairement précieux pour moi.
16:11 Et puis, Vincent Lemire, quand il me dit, et Jean-Pierre Filliou, et même Denis Charbit, quand ils me disent
16:16 "A Oslo, en 1993, tous les palestiniens qui sont là sur la photo sont des gens de la diaspora, alors que le Hamas, c'est des gens du cru".
16:27 Et j'ai compris des choses à ce moment-là en me disant, en effet, il y a peut-être quelque chose de la déconnexion de ces élites palestiniennes du passé
16:34 et d'une reconnection avec aujourd'hui, les gens qui ont peut-être malheureusement le pouvoir aujourd'hui en Palestine.
16:38 - Très rapidement, Paris ou New York ? - Paris.
16:41 - Écrire ou parler ? - Parler et décrire.
16:45 - Picasso ou Modigliani ? - Modigliani.
16:48 - Star Wars ou Game of Thrones ? - Star Wars.
16:51 - Radioscopie ou les grosses têtes ? - Radioscopie.
16:53 - Parce que vous adorez les grosses têtes, vous avez grandi en fond d'artèle.
16:56 Spielberg ou Scorsese ? - Spielberg.
16:59 - Télé ou radio ? - Aaaah... Radio filmée, radio je crois.
17:05 - Instagram ou Twitter ? - De moins en moins Twitter, de plus en plus Instagram.
17:10 - CNews ou BFM ? - BFM.
17:12 - Cannabis ou champagne ? - Champagne.
17:15 - École privée ou école publique ? - École publique.
17:17 - Liberté, égalité, fraternité, vous préférez quoi ?
17:20 - Celle qui n'existe pas, la fraternité.
17:22 - Jacques Chancel et la haine et Dieu dans tout ça ?
17:25 - Voilà, c'est la réponse.
17:28 - Lévi rêvé de la baronne de Tingen, cette héroïne de roman qui a vraiment existé,
17:33 que vous ressuscitez dans ce livre, que la vie est grande pour ceux qui savent s'en inventer plusieurs.
17:38 C'est aux éditions Albin Michel. Merci Thomas Steggerhoff.

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