• il y a 9 mois
L’avis de Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po Paris. Face à lui, 3 étudiants de Sciences Po.

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Transcription
00:00 – À Sciences Po, il y a quand même une stigmatisation très forte
00:02 de tous les étudiants qui sont plus à droite qu'Emmanuel Macron
00:05 et qui sont considérés, excusez-moi le terme, comme des fachos.
00:08 Je veux dire, il y a des étudiants qui demandent des cours
00:10 après avoir été absent sur les groupes de promo,
00:12 qui ne sont pas engagés en politique et à qui on répond,
00:14 on ne sympathise pas avec l'extrême droite.
00:16 Il y a beaucoup d'étudiants qui disent que personne ne veut faire des exposés avec eux
00:18 parce qu'ils sont considérés comme de droite.
00:21 Moi-même, je me suis déjà fait suivre par Amissa et une de ses collègues
00:25 en amphithéâtre, enfin, pardon, dans le hall,
00:28 avec une pancarte marquée "Fachos" et une flèche sur ma tête.
00:30 – C'était l'Uni.
00:31 – Oui, alors attendez, j'ai un tract de l'Uni, si vous voulez,
00:34 pour regarder, vous allez m'expliquer ce qu'il y a de fachos.
00:37 – Là, je pense que ce qu'on peut se dire, c'est que d'abord l'Uni existe,
00:39 l'Uni est représentative et l'Uni est dans les instances
00:41 et notamment au conseil de l'Institut.
00:43 – La pancarte n'était pas marquée "l'Uni était un facho",
00:45 c'était quand même très intéressant, on va en avoir une à personne.
00:47 – Moi, ce que je veux dire, c'est que d'abord, en plus, on va lancer,
00:51 là, on a fini les travaux, un groupe sur les discriminations
00:53 avec un dispositif sur les discriminations.
00:54 Et les discriminations, en vertu, et vous avez été auditionnés au nom de l'Uni,
00:59 l'Uni a été auditionnée notamment…
01:01 – Oui, oui, mais je vous ai fait très reconnaissance,
01:02 et je sais que l'administration agit.
01:04 – Ce que je veux dire, c'est que moi, je ne souhaite évidemment pas
01:06 qu'il y ait de discrimination au regard des opinions,
01:08 ça c'est absolument anormal.
01:10 Et donc, encore une fois, moi, je ne peux pas maîtriser tout ce qui se passe
01:15 dans la péniche, la péniche étant l'endroit de rassemblement à Sciences Po,
01:19 dans le jardin, ce que les étudiants peuvent se dire les uns les autres,
01:22 moi, je ne suis pas dans une cour d'école.
01:25 En revanche, ce que je veux, c'est faire en sorte qu'il y ait ce cadre
01:29 qui permette d'avoir vraiment toutes les opinions qui puissent s'exprimer.
01:32 Et, pardon, mais l'association Reconquête a été élue représentative,
01:37 l'association Reconquête a existé à Sciences Po,
01:39 quelle meilleure preuve d'un pluralisme ?
01:40 Et puis, par ailleurs, ce plateau-là, aujourd'hui, vous trois,
01:43 vous êtes tous les trois représentatifs de Sciences Po,
01:45 et tous les trois, vous avez des opinions, des parcours,
01:48 des idées différentes, etc.
01:49 Donc, ça montre quand même qu'on peut faire vivre le pluralisme.
01:51 La question, c'est, effectivement, de faire en sorte que le cadre
01:55 et les outils puissent permettre de rendre ce pluralisme plus robuste.
01:59 - Puis, je trouve ça quand même assez culotté,
02:00 si on parle de stigmatisation et de harcèlement,
02:03 et on parle de Reconquête et de l'Uni,
02:05 Reconquête et l'Uni stigmatisent des catégories d'étudiants,
02:08 stigmatisent des couleurs de peau, stigmatisent des religions.
02:13 Donc, oui, bien sûr, oui.
02:14 Oui, oui, donc là, prendre l'exemple du tract de l'Uni,
02:17 enfin, je ne sais pas si tu es venue ici pour régler tes comptes
02:20 sur comment se sont passées les élections syndicales à Sciences Po cette année,
02:23 mais il n'y a pas de stigmatisation des étudiants de droite à Sciences Po,
02:28 il y a juste une conscientisation et un refus d'accepter
02:32 l'intolérance de l'extrême droite et leur discours de haine,
02:37 leur discours raciste, homophobe, islamophobe,
02:41 mais c'est quand même, je trouve ça quand même assez fou
02:45 qu'on en vienne à reprocher aux étudiants
02:49 de refuser les discours d'extrême droite,
02:53 que ce soit à Sciences Po ou dans le cadre universitaire.
02:55 – Comment t'aimerais que ça fonctionne, Elisa ?
02:57 – Moi, je ne veux pas qu'il y ait des discours d'extrême droite
03:00 qui soient présents dans une école où on étudie.
03:03 Il doit y avoir un climat où on se sente accepté,
03:07 peu importe son genre, peu importe son orientation sexuelle,
03:10 sa couleur de peau, sa religion, on doit pouvoir être à l'aise,
03:14 on doit pouvoir étudier dans des conditions d'études…
03:17 – Mais c'est le cas à Sciences Po.
03:18 – C'est le cas à Sciences Po, mais c'est pour ça que, pour moi,
03:22 on ne doit pas accepter l'extrême droite dans nos lieux d'études,
03:25 parce que c'est contraire à des bonnes conditions d'études pour toutes et tous.
03:30 – Je ne te parle pas d'accepter ou non des propos politiques,
03:32 je te parle d'une intolérance à Sciences Po qui…
03:35 – Envers l'extrême droite ?
03:36 – Non, envers tous les étudiants qui refusent l'opinion majoritaire bien pensante,
03:43 notamment, j'ai des témoignages en tête de personnes sur le campus de Menton
03:47 qui disent qu'on ne peut pas assumer à Sciences Po pour qui on vote sereinement
03:50 si on ne vote pas tout ce qui est, comme j'ai dit, au plus à droite, Emmanuel Macron.
03:56 – Qu'est-ce que tu en penses d'un oeil extérieur à ces questions politiques,
03:59 puisque c'est moins ton créneau, Benjamin ?
04:01 Qu'est-ce que toi tu en penses ?
04:03 – Moi, de base, je viens d'école de commerce,
04:05 où les gens s'en fichent de la politique, très clairement.
04:08 – Ils sont plutôt d'extrême gauche en école de commerce ?
04:11 – Non, en école de commerce, très clairement, on est majoritairement soit à politique,
04:14 soit un peu plus à droite, éventuellement,
04:16 parce qu'on part tous en banque d'affaires, en conseil en stratégie, etc.
04:20 Bon, l'orientation est assez évidente,
04:22 mais moi, quand je suis arrivé à Sciences Po, c'est vrai que j'ai ressenti surtout
04:26 dans une école de commerce, que c'est vrai qu'il y avait un climat assez à gauche
04:29 et que j'avais du mal parfois à assumer peut-être des positions de droite.
04:33 Moi, je ne m'intéresse pas plus que ça à la politique politicienne,
04:37 j'intéresse beaucoup à l'histoire de la politique, ces implications au quotidien,
04:41 mais c'est vrai que je ne fais pas de la politique pure.
04:43 Mais c'est vrai qu'à Sciences Po, ce que j'ai senti, effectivement,
04:45 c'est que je suis assez d'accord avec toi dans le sens où
04:49 tu ne peux pas totalement assumer tes opinions
04:53 si elles ne sont pas conformes à un espèce de mouvement sociétal de Sciences Po,
04:57 en gros, très clairement, une gauche assez prononcée.
05:00 Mais je veux dire, moi, par exemple, dans mon cas personnel,
05:03 je suis à Sciences Po pour venir finir mes études,
05:05 pour venir prendre beaucoup de sciences humaines, finir mon diplôme.
05:09 Et pour quelqu'un qui n'est pas forcément politisé à votre échelle,
05:12 par exemple, à votre point,
05:14 c'est vrai qu'on peut sentir que je suis assez pesant.
05:16 -Mais moi, je pense qu'il y a aussi des miroirs grossissants et des impressions,
05:20 parce que moi, je ne peux pas être sur la logique de dire
05:24 qu'on va être derrière chaque étudiant en disant "il ne faut pas faire ci,
05:26 il ne faut pas faire ça", ce n'est pas mon rôle.
05:28 Mais franchement, quand on voit le nombre d'initiatives,
05:32 la représentativité, la présence, notamment, de l'Uni dans les instances,
05:36 les invités, etc., moi, je ne peux pas dire,
05:39 on ne peut pas laisser dire que la droite n'a pas voix de cité à Sciences Po.
05:42 Que y ait un poids majoritaire des étudiants qui sont à gauche,
05:44 c'est un fait statistique.
05:46 Que y ait, dans ce moment-là, j'ai été étudiant comme vous,
05:48 et j'avais des batailles aussi idéologiques avec certains de l'Uni
05:53 qui étaient mes potes, mais avec lesquels je me battais sur le plan des idées.
05:57 Mais ça restait mes potes par ailleurs.
05:58 Moi, je considérais qu'on pouvait dissocier
06:01 des combats qui étaient de nature politique, syndicale, etc.,
06:03 et puis une amitié, parce qu'on se retrouvait sur autre chose.
06:06 - Est-ce que vous trouvez que ça a changé, notre génération ?
06:08 - Oui, je pense que ça a un peu changé.
06:09 Moi, franchement, j'ai toujours considéré qu'y compris,
06:12 alors, pardon, je vais vous parler un tout petit peu de moi,
06:13 trois secondes, mais que dans les amitiés,
06:16 on est dans des amitiés souvent qui nous complètent.
06:19 C'est-à-dire que moi, les amitiés qui reproduisent exactement
06:20 ce que l'on est ou ce que l'on pense, etc.,
06:22 ça peut être très bien, ça peut être réconfortant,
06:24 mais ce n'est pas forcément ce qui fait le plus avancé.
06:26 - Et puis, c'est pas suffisant. - Et c'est sans doute pas suffisant.
06:28 Et c'est pour ça que moi, dans ma trajectoire, notamment politique,
06:30 j'ai été très investi à Gaulle, j'ai monté à TAC, à Sciences Po,
06:35 j'étais à l'UNEF, j'ai travaillé avec Jean-Luc Mélenchon,
06:38 après, j'étais à la Ville de Paris, etc.
06:40 Mais j'ai toujours eu, tout en m'opposant politiquement,
06:43 des amis, c'est pas mon ami de droite,
06:45 mais vraiment des amis de droite, en grand nombre.
06:47 Et je considérais que les discussions, etc.,
06:49 étaient nourries et étaient vraiment intéressantes.
06:52 Je comprends le climat général des deux côtés.
06:54 D'ailleurs, je respecte vos deux positions,
06:56 parce que je pense qu'elles participent de logique de perception,
06:58 donc de participe d'une réalité.
06:59 Une réalité qui est pas la même, perçue,
07:02 mais qu'à partir du moment où vous le ressentez, ça existe.
07:05 Et ce que je souhaite, moi, c'est pas vous dire,
07:07 avec un coup de baguette magique,
07:08 "Tout le monde va s'aimer, tout va bien aller",
07:10 c'est que je veux juste poser un cadre qui permette d'être juste,
07:15 et un cadre qui permette à une forme d'éthique du débat de se retrouver.
07:18 Parce qu'en fait, ça a été très bien dit,
07:20 Sciences Po est aussi à l'image, en réalité, de manière plus forte,
07:23 parce qu'on est plus engagé à Sciences Po,
07:25 on est plus passionné sur ces sujets,
07:26 mais à l'image de la société et de la jeunesse.
07:28 Et en fait, Sciences Po n'est pas à l'écart de la société,
07:31 c'est juste plus fort, parce que les étudiants et les étudiantes de Sciences Po
07:34 sont, d'une certaine manière, j'allais dire, plus au fait,
07:38 parce que c'est des problématiques qu'ils traitent, y compris dans leurs études,
07:42 et donc, d'une certaine manière, avec une véhémence peut-être plus forte qu'ailleurs.
07:46 Mais c'est un problème qui concerne toute la société,
07:48 et je crois que retrouver cette éthique du débat,
07:51 retrouver cette possibilité du dialogue...
07:52 On avait un programme que vous n'avez pas connu,
07:54 mais qui était formidable, de Bruno Latour, qui s'appelait "Forecast",
07:56 et qui était sur comment on gère les controverses,
07:59 et comment la controverse peut être même source de connaissances,
08:01 et comment avancer.
08:02 - Qui s'appelle "Cartographie des controverses".
08:04 - Exactement. "Cartographie des controverses".
08:06 Moi, j'aimerais retrouver, avec l'école de journalisme, avec d'autres,
08:09 la possibilité, y compris dans les cours, de montrer, de proposer
08:13 que Sciences Po fasse un peu figure, encore une fois, d'avant-garde
08:15 sur l'éthique du débat, parce qu'on a besoin de ça.
08:17 Honnêtement, on est dans une société, moi, je suis effaré,
08:20 quand j'allume la télévision, quand je vois les débats politiques,
08:23 du niveau de haine, ou l'autre, on ne conteste pas simplement son idée,
08:28 on conteste ce qu'il est, on essentialise l'opposition à l'autre,
08:31 c'est pas possible, on peut pas être comme ça.
08:33 Et moi, je ne souhaite pas que Sciences Po accompagne cette dérive,
08:36 au contraire, je souhaite qu'on se saisisse de cette situation,
08:38 de l'intelligence de nos étudiants et de nos étudiantes,
08:40 qui est extraordinaire, qui est plurielle,
08:42 qui est avec une diversité sociale, géographique, internationale, etc.,
08:48 et qu'on se saisisse de ça, une espèce d'écosystème
08:50 de comment on essaie de faire en sorte qu'il y ait du débat possible.
08:54 Pour moi, c'est indispensable, parce que la société va très mal.

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