Dans le Débat du 7/10, une question : quelles perspectives pour l'Ukraine après deux ans de guerre ? On en parle avec Gérard Araud, ancien ambassadeur et ancien Représentant de la France à l'ONU, et Nathalie Loiseau, ancienne ministre chargée des Affaires européennes, députée européenne Horizons. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-26-fevrier-2024-9925750
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00:00 Débat ce matin sur cette petite musique, deux ans après le début de la guerre en
00:06 Ukraine, qui laisserait entendre que l'Ukraine pourrait perdre, que la lassitude gagne, que
00:11 Vladimir Poutine pourrait l'emporter, non par chaos, mais par fatigue généralisée.
00:17 On va en parler ce matin avec Nathalie Loiseau, eurodéputée RIGNOU, présidente de la sous-commission
00:23 Sécurité et Défense au Parlement européen, votre prochain livre « Si l'Europe n'existait
00:30 pas » sortira le 6 mars prochain aux éditions de l'Observatoire.
00:34 Nous sommes aussi avec Gérard Harrault, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis, ancien
00:40 représentant de la France à l'ONU.
00:42 Votre prochain livre « Israël, le piège de l'histoire » est à paraître chez Talendier
00:48 le 7 mars.
00:49 Bonjour à tous les deux.
00:50 Bonjour.
00:51 Merci d'être là ce matin.
00:52 Emmanuel Macron réunit aujourd'hui 21 dirigeants européens mais aussi canadiens, américains,
00:57 britanniques, suédois pour une conférence de soutien à l'Ukraine.
01:00 « Nous ne sommes pas fatalistes », dit l'Elysée, « on n'est pas dans un mood
01:04 doom and gloom ». C'est l'expression de l'Elysée, qu'on m'engueule pas parce
01:08 que je parle anglais.
01:09 C'est-à-dire malheur et tristesse.
01:11 On peut et on va envoyer un message très clair à Poutine et on va resserrer les rangs.
01:15 Ça, c'est l'objectif fixé par l'Elysée.
01:17 Nathalie Loiseau, il le faut, resserrer les rangs.
01:20 Il y a de la fatigue, il y a un risque de capitulation dans les opinions publiques.
01:26 Pas dans les opinions publiques.
01:27 C'est très frappant quand on regarde les sondages, ce qui arrive à une politique,
01:31 je l'avoue.
01:32 Les opinions publiques européennes sont très en soutien de l'Ukraine et très demandeuses
01:37 que la défense européenne progresse.
01:38 Évidemment, ça me parle.
01:40 C'est vrai que la majorité reste pour un soutien très massif à l'Ukraine.
01:46 Plus de 60% en moyenne en Europe.
01:48 C'est un peu en baisse.
01:49 Oui, c'est un peu en baisse par rapport à 2022, au bout de deux ans.
01:52 Mais plus de 60%, c'est solide.
01:54 En revanche, vous avez parlé de petite musique, vous avez bien fait.
01:58 Et le chef d'orchestre de cette petite musique, c'est Vladimir Poutine.
02:01 Il essaye en permanence de faire des paris sur la fatigue, sur la désunion, sur la division.
02:06 Et je crois que la réunion d'aujourd'hui est destinée à lui dire que c'est un pari
02:11 de plus qu'il est en train de perdre.
02:12 D'ailleurs, la journée d'aujourd'hui avec la possibilité que le Parlement hongrois
02:18 ratifie l'adhésion de la Suède à l'OTAN.
02:21 La Suède, dont vous avez dit depuis combien de temps elle était neutre, c'est un pari
02:25 de plus perdu par Vladimir Poutine.
02:27 De là à dire que tout va bien, que les Occidentaux font ce qu'il faut et qu'il n'y a qu'à
02:33 laisser faire, pas du tout.
02:35 Il y a aussi du volontarisme dans la réunion d'aujourd'hui qui consiste à dire que si
02:39 nous croyons tous, si nous sommes tous convaincus qu'une victoire de l'Ukraine est nécessaire
02:44 à notre sécurité, alors il faut faire plus, mieux et de manière plus coordonnée.
02:48 Je crois que c'est ce que va essayer Emmanuel Macron aujourd'hui.
02:50 Jean-Dominique Marchais écrivait dans l'Opinion vendredi que l'idée que l'Ukraine est en
02:55 train de perdre, que notre soutien vacille cette petite musique, était de la propagande
03:01 russe qui a toujours parié sur la mollesse occidentale.
03:05 Vous êtes d'accord avec ça Gérard Arraud ?
03:07 Pour qu'une propagande puisse avoir un écho, c'est qu'il faut quand même un minimum
03:12 de réalité là derrière.
03:14 Et donc c'est vrai que sur le front ça ne va pas très bien.
03:17 Ce sont les Russes qui sont en initiative.
03:20 Et cela parce que tout simplement la disproportion des forces entre les deux ennemis et ce que
03:26 nous connaissons.
03:27 Deux surcroît, les Ukrainiens manquent de munitions.
03:30 Et sur le front politique, ça ne va pas très bien non plus aux Etats-Unis.
03:34 Vous avez le Biden qui ne réussit pas à faire voter le paquet d'aide par le Congrès.
03:40 Et vous avez la perspective terrifiante d'une élection de Donald Trump.
03:45 Donc moi la réunion de Paris, je la verrais un petit peu aussi comme une sorte de raidissement
03:50 voyé européen.
03:51 On l'a vu ces dernières semaines avec l'accord signé par l'Allemagne et l'Ukraine, la France
03:58 et l'Ukraine.
03:59 Le Danemark qui a décidé de céder toute son artillerie à l'Ukraine.
04:04 C'est des messages, autant de messages envoyés à Vladimir Poutine.
04:07 Oui je pense que, vous savez, Poutine ne négociera pas avant novembre, avant de vérifier l'élection
04:15 américaine.
04:16 Parce que pour lui, Trump c'est le jackpot.
04:18 Mais de toute façon, la Russie ne négociera pas par amour de la paix, mais que si elle
04:22 sent qu'elle est obligée de négocier ou si elle sent qu'elle a obtenu tous ses gains.
04:27 Et donc là c'est un message pour dire à Poutine, nous tiendrons.
04:30 Au fond, même si Trump lâche, nous les Européens nous tiendrons, nous n'abandonnerons pas
04:37 l'Ukraine.
04:38 Mais vous employez le mot, Gérard Haraud emploie le mot trois fois, de négocier.
04:42 On négocie avec Poutine ? On va négocier avec Poutine ?
04:45 Pas aujourd'hui.
04:46 Pas aujourd'hui, tout simplement parce que quand on l'écoute, il n'y a rien à négocier.
04:50 Il veut la capitulation de l'Ukraine.
04:52 Donc on ne négocie pas avec quelqu'un qui veut la capitulation de l'Ukraine et qui
04:56 même si son armée a fait quelques percées et que la contre-offensive ukrainienne terrestre
05:02 n'a pas réussi, fait face à d'autres réalités en mer Noire.
05:07 Aujourd'hui, moi je suis assez impressionné par ce que l'Ukraine a réussi à faire,
05:12 c'est-à-dire libérer sa voie de commerce et de navigation depuis Odessa, depuis ses
05:18 ports de la mer Noire.
05:19 Il n'y a plus de présence de la marine russe qui a été globalement coulée par le fond
05:24 ou qui maintenant se réfugie en mer d'Azov.
05:26 Donc il n'y a pas que des défaites alors que nous parlons, contrairement à ce que
05:30 dit un peu Gérard Araud.
05:32 Non mais il y a aussi une situation qui est dure sur le terrain.
05:35 Et Gérard Araud a raison de dire que l'approvisionnement en munitions a beaucoup ralenti.
05:40 Il n'y a pas eu de livraison d'armes américaines depuis décembre.
05:44 Donc il y a un vrai sujet.
05:46 Mais on voit aussi la capacité…
05:48 Un vrai sujet que soulignent les Ukrainiens, c'est-à-dire qu'ils disent « on n'a
05:50 plus rien à envoyer sur les russes ».
05:52 Bien sûr.
05:53 Mais il faut voir qu'on lui économise les munitions.
05:55 C'est la raison pour laquelle encore cette réunion d'aujourd'hui est nécessaire.
05:58 Et on ne peut pas se contenter de beaux discours, de belles paroles sur « nous soutiendrons
06:03 l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire ».
06:05 D'ailleurs vous avez vu le changement de vocabulaire ? Maintenant c'est « autant
06:10 que nécessaire ».
06:11 Si l'on avait fait, depuis le début de la guerre, depuis février 2022, ce qu'on
06:19 s'est mis à faire en égrenant notre aide.
06:22 Vous vous souvenez, on a commencé par des casques et puis des armes défensives.
06:28 Alors quand vous êtes agressé, tout est défensif.
06:30 Surtout pas d'armes à longue portée.
06:32 Puis finalement des armes à longue portée.
06:33 Vous vous dites si on s'est du temps.
06:34 Voilà.
06:35 Si en septembre 2022, au moment où l'Ukraine a reconquis Kharkiv, Kherson, Izium, si les
06:44 armes que nous livrons aujourd'hui, les scalpes, donc des missiles à longue portée,
06:49 les chars Léopard, les canons César, si tout ça avait été sur le terrain, on n'aurait
06:53 pas gagné la guerre.
06:54 On aurait gagné la guerre ?
06:55 Alors c'est pas moi qui le dit, ce sont tous les experts militaires à qui j'ai
06:59 posé la question.
07:00 J'ai reparlé avec Xavier Titalman hier soir, qui a refait le tour.
07:04 Septembre 2022, si on avait évité le compte-gouttes et cette manière de marcher sur des œufs,
07:10 l'Ukraine aurait gagné la guerre.
07:11 Vous vous entendez, Gérard, vous vous dites non, vous n'êtes pas d'accord.
07:14 Nathalie Loiseau dit clairement si les Européens, tous les Européens, non les Français, s'étaient
07:20 mis en mode économie de guerre, puisque c'est ça qu'avait dit Emmanuel Macron,
07:23 mais ça n'a pas été fait immédiatement, on va le dire comme ça.
07:25 L'Ukraine aurait gagné en 15 jours, vous n'êtes pas d'accord avec ça ?
07:29 Honnêtement, là on est dans peut-être, peut-être, j'en sais rien finalement, et
07:34 personne n'en sait rien.
07:35 C'est un peu les scies.
07:36 C'est ce que disent les experts militaires.
07:37 C'est ce qu'on dit, les scies.
07:38 De toute façon, ça n'a pas été fait.
07:39 Donc, qu'est-ce qui compte, c'est maintenant, c'est l'avenir, et donc c'est la mise
07:44 en fin.
07:45 Est-ce que l'industrie de guerre européenne se mettra sur pied de...
07:48 L'industrie de défense se mettra sur pied de guerre ?
07:50 Vous avez une réponse à cette question ?
07:52 Pour le moment, le problème c'est que même si elle se met sur pied de guerre aujourd'hui,
07:55 ce qui ne semble pas être le cas, c'est que le produit de cette mobilisation, il ne sera
08:00 sur le terrain que dans 6 mois, 1 an, 1 an et demi.
08:03 Donc, il ne faut pas se leurrer.
08:07 La situation de l'année 2024 va être une situation très difficile pour l'armée
08:13 ukrainienne.
08:14 C'est une guerre de position.
08:16 La guerre de position, qu'est-ce qui définit une guerre de position ? C'est les effectifs
08:19 de l'artillerie.
08:20 Les Russes ont plus de soldats et beaucoup plus de canons que les Ukrainiens.
08:24 Alors, sans doute ne progresseront-ils que de quelques kilomètres, ça est là, mais
08:29 ça va être une année difficile.
08:30 Et il faut le comprendre, les Ukrainiens sont fatigués.
08:34 Vous savez, je donne souvent comparaison, nous sommes comme en 1916, à la fin de l'année
08:40 1916.
08:41 À la fin de l'année 1916, Joffre a été limogé, c'est ce qui a été le cas du chef
08:45 d'état-major ukrainien, et l'Union sacrée s'est rompue.
08:49 C'est un peu ce qui se passe à Kiev.
08:51 C'est un moment difficile, mais bon, les Ukrainiens sont courageux et résistent.
08:56 Et de nouveau, maintenant, il faut que les Européens montent un petit peu en gamme dans
09:00 leur soutien à l'Ukraine.
09:02 Parce que, de nouveau, novembre, l'élection de Trump, c'est une possibilité, et là,
09:07 ça changerait le jeu entièrement.
09:10 Tout, ça changerait tout, Nathalie Loiseau.
09:13 Alors, le message, je partage en partie ce que dit Gérard Arraud, c'est qu'il faut
09:18 le faire maintenant, il faut faire plus et plus vite.
09:21 Nous en avons les moyens, ça n'est pas insurmontable.
09:25 Quand vous avez le président tchèque qui dit « il y a 800 000 munitions disponibles
09:31 aujourd'hui sur le marché, il faut les acheter », il a raison.
09:36 Et la réunion d'aujourd'hui sert aussi à réfléchir à qui paye quoi, comment on
09:41 coordonne entre ceux qui ont des matériels, ceux qui ont des moyens financiers, ceux qui
09:47 vous disent « ma constitution m'interdit de m'endetter » ou « m'interdit d'avoir
09:50 un déficit plus », etc.
09:52 Il faut vraiment mettre tout à plat.
09:54 Moi, je plaide depuis des semaines, et je suis loin d'être la seule, pour que l'on
10:00 lance des obligations européennes, ce qu'on appelle les « euro bonds », pour financer
10:05 cet effort de soutien à la guerre en Ukraine.
10:07 100 milliards d'euros, c'est infiniment moins que ce qu'on a fait pour le Covid,
10:12 c'est infiniment moins que ce qu'on a fait pour payer nos factures énergétiques.
10:16 100 milliards d'euros, c'est accessible et on peut même gager cet emprunt sur les
10:23 réserves russes gelées de la banque centrale russe, qui sont gelées en Europe.
10:28 François Hollande disait hier « comment t'admettre que la France soit en 15ème
10:33 position en matière de soutien à l'Ukraine ? Cette guerre est une guerre contre nos
10:38 valeurs, nos intérêts, nos modes de vie.
10:40 Il est vital que l'Ukraine la gagne, pour que demain nous n'ayons pas à la faire. »
10:45 Gérard Haraud ?
10:48 Oui, c'est une question sur les chiffres de l'aide française à l'Ukraine, c'est
10:53 un des grands mystères, parce que les chiffres internationaux nous mettent toujours en queue,
10:58 alors que les chiffres français, que l'on obtient d'ailleurs difficilement, il faut
11:01 bien dire, de notre ministère de la Défense, eux, sont beaucoup plus optimistes sur nos
11:07 livraisons.
11:08 Alors on nous dit « c'est secret, ça ne l'est pas ».
11:12 Mais c'est vrai qu'il y a une question sur l'aide française.
11:15 Il y a une question légitime, quand on regarde les statistiques qui sont publiées, internationales
11:20 qui sont publiées, c'est vrai que la France est vraiment en queue de l'attaler des oiseaux.
11:24 Alors moi j'ai beaucoup alerté, je me suis même beaucoup mis en colère, aujourd'hui
11:28 avec la visite de Zelensky à Paris, avec l'accord de sécurité qui a été signé
11:33 entre la France et l'Ukraine, avec les annonces qui sont faites, 3 milliards d'euros en 2024,
11:39 je suis beaucoup plus optimiste.
11:41 Mais la France a tardé, je sais que vous êtes députée européenne proche de la majorité,
11:48 proche du pouvoir, mais est-ce que la France a tardé quand Olaf Scholz, quand le chancelier
11:53 allemand, quand les pays bas, les présidents des pays bas de la Suède, etc. disent « la
11:59 France est en queue de le ton, la France fait moins d'efforts que nous ». C'est vrai
12:02 ou c'est faux ?
12:03 Vous savez, ça, il n'y a rien qui rende plus service à Poutine que de commencer à
12:07 se montrer du doigt les uns les autres en disant « moi je suis absolument angélique
12:11 mais mon voisin n'est pas terrible ». Ce qu'il faut, c'est que tout le monde fasse
12:14 plus.
12:15 Il faut par exemple que l'Allemagne envoie les missiles Taurus qui sont l'exact équivalent
12:19 de ce que les Britanniques et les Français ont déjà envoyé et dont les Ukrainiens
12:23 nous disent que ça fait la différence sur le terrain.
12:25 Ce qui compte, c'est ce que nous disent les Ukrainiens.
12:27 Moi j'ai été à Munich et je les vois souvent, je vais retourner encore une fois
12:31 en Ukraine pour savoir comment ça se passe vraiment.
12:34 Ce que l'on a, il faut le livrer, ce que l'on peut acheter, il faut l'acheter,
12:39 et si on a besoin d'emprunter, il faut emprunter.
12:40 Mais commencer à se montrer du doigt en disant « lui il aurait pu faire ça plus
12:43 vite ». Ça n'a pas de sens.
12:45 Gérard Arraud, c'est le jeu de la tradition.
12:48 Je pense qu'une des réponses est à fournir du côté de notre état-major, c'est-à-dire
12:52 les forces armées, pour des raisons légitimes, ne veulent pas vider leur stock.
12:57 Voilà, je crois que c'est une partie de l'explication.
13:02 Et vous le comprenez ?
13:03 Enfin je comprends, je comprends d'un point de vue militaire.
13:07 Vous savez, chacun doit être dans son rôle.
13:08 Il y a le rôle du militaire, mais il y a aussi le rôle du politique qui doit dire
13:13 au militaire « je suis désolé, le politique est plus important que le militaire sur cette
13:17 question ».
13:18 Un mot pour dire que je reviens d'Arménie, où le ministre des armées est venu offrir
13:23 une coopération militaire avec l'Arménie, et notamment livrer des équipements militaires.
13:27 Et c'est important aussi de ne pas oublier d'autres partenaires, des démocraties
13:32 attaquées par des régimes autoritaires.
13:34 Et je dois dire que j'étais extrêmement fière que notre pays soit au rendez-vous
13:37 du soutien à l'Arménie.