• il y a 10 mois
À 9h20, le journaliste Darius Rochebin est l'invité de Léa Salamé. Il publie "La guerre et la grâce – Conversation inachevée avec Hélène Carrère d’Encausse" (Fayard). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-21-fevrier-2024-3717836

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00:00 Et Léa, ce matin vous recevez l'un de nos confrères journalistes.
00:03 Bonjour Darius Rochebin.
00:04 Bonjour.
00:05 Merci d'être avec nous ce matin.
00:06 Si vous étiez un personnage historique, un pays et une question, vous seriez qui ?
00:11 Vous seriez quoi ?
00:12 Wow, ça ! Un personnage historique, je dirais Mazarin.
00:16 D'ailleurs on en parle dans le livre avec Anne-Garethe Danco, ce personnage un peu souple.
00:20 Il y a des grands personnages comme Bonaparte, Éric Cholieu, mais il marche sur tellement
00:24 de morts qu'on peut s'en tenir un peu à distance.
00:27 Vous savez, il y a celui comme moi au journalistique qui dit qu'on aime les gens qui ont des visions.
00:30 Moi je préfère les gens bons gestionnaires, pragmatiques et qui font moins de dégâts.
00:35 C'est votre côté suisse.
00:36 Est-ce que c'est le pays que vous choisirez ?
00:37 Vous choisissez ?
00:38 J'adore la Suisse, j'aime beaucoup la France.
00:40 Je suis un peu un métis.
00:42 Mon père était un Iranien naturalisé suisse.
00:44 C'était une famille où il y avait des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans convertis
00:48 au Baâhisme qui était une minorité très persécutée en Iran.
00:51 Vous êtes mal barré dès l'enfance.
00:52 C'était compliqué.
00:53 Donc si vous choisissez un pays, c'est lequel ? C'est la France ou la Suisse ?
00:56 Je dirais l'Italie, voilà, pour sortir de l'étau parce que j'aime beaucoup l'Italie.
01:01 Et si vous étiez une question ?
01:03 Je dirais… On est de vous sûr ? Parce que je suis toujours étonné.
01:07 J'ai beaucoup de peine à croire qu'on puisse avoir une opinion si ferme et les gens
01:11 sectaires m'étonnent en général.
01:13 Hier, on recevait François-Marie Bagné à votre place qui met en exergue dans son livre
01:17 cette phrase de Molière qui m'a fait penser à vous et à votre livre.
01:21 C'est une école que votre conversation « J'y viens tous les jours » a attrapé quelque
01:26 chose.
01:27 Qu'êtes-vous allé attraper, Darius Rochebin, dans ces conversations avec Hélène Carrière-Danko,
01:31 ce que vous publiez aujourd'hui ?
01:32 Peut-être une nostalgie étudiante.
01:34 C'était assez curieux parce qu'elle, nona génère, moi quinca génère avancée.
01:38 Et j'ai retrouvé, vous savez, elle me recevait toujours dans l'appartement des scriptures
01:43 perpétuelles de l'Académie française, dans le palais Mazarin justement.
01:46 Donc c'est tout sauf intimiste.
01:47 Il y a des très grandes fenêtres, grand siècle, la vue sur la Seine, le Louvre, etc.
01:52 Mais je retrouvais le charme des conversations étudiantes, vous savez, quand vous raccompagnez
01:56 vos copains ou copines chez eux et vice-versa, et vous parlez de tout, l'existence de Dieu,
02:01 l'histoire, avec une liberté, une gratuité totale.
02:04 Vous avez d'ailleurs cette belle phrase qui ouvre le livre « J'ai aimé Hélène Carrière-Danko,
02:09 sa conversation était libre comme la jeunesse quand le soir après les cours, on a peine
02:14 à se quitter sur les escaliers du collège, la discussion se prolonge au crépuscule,
02:19 puisse-t-elle durer toujours ? » Elle est jolie cette phrase.
02:23 « La conversation a continué jusqu'à sa mort, c'était en août dernier, et elle
02:27 s'est interrompue. »
02:28 J'espère qu'elle continue parce que, moi je dis à un moment donné, je suis sceptique
02:32 par métier quand on est journaliste, elle croyait beaucoup à ce qu'elle appelait la
02:35 communion des saints, c'est-à-dire même après la mort, il y a une sorte de conversation
02:39 entre les survivants à travers le temps.
02:42 Les forces de l'esprit résistent donc entre vous Hélène Carrière-Danko.
02:44 Darius Rochemin, je précise que vous êtes le journaliste suisse le plus connu de France,
02:48 vous officiez sur LCI où vous faites les belles heures du soir de la chaîne d'info
02:52 depuis 4 ans, après une belle carrière à la RTS, la radio-télévision suisse.
02:55 Vous êtes connu pour ce ton sobre, chic et précis dans vos interviews.
03:00 Et d'ailleurs vous avez interviewé les plus grands, Yasser Arafat, Vladimir Poutine,
03:04 Mikhaïl Gorbatchev, le Dalai Lama, Emmanuel Macron, Greta Thunberg ou encore Kylian Mbappé.
03:09 Pourquoi Hélène Carrière-Danko et Robert Badinter, puisque le livre avec Hélène Carrière-Danko
03:16 sort aujourd'hui, le livre avec Robert Badinter va sortir dans les prochaines semaines, dans
03:20 les prochains mois, pourquoi ces deux-là, ces deux personnalités-là, vous avez eu
03:25 envie de poursuivre votre conversation plus loin qu'une simple interview à la télé
03:31 ou à la radio ?
03:32 Peut-être parce que je sentais chez l'un et l'autre, sous une apparence très disons
03:36 contenue bourgeoise, convenable, un feu, une énergie, quelque chose qui était très
03:42 violent d'une certaine manière.
03:44 Vous le verrez chez Robert Badinter, parfois même un côté provoquant dans certains aspects
03:50 de ses confessions.
03:51 Et chez Hélène Carrière-Danko, évidemment, il y avait chez elle parfois une jubilation
03:55 sauvage à dire "je dis ce que je veux".
03:58 C'est ça qu'on lit dans vos lignes et dans cette conversation, effectivement,
04:02 une forme de violence chez elle derrière, comme vous dites, cette apparence ultra-bourgeoise.
04:06 Parce que pour les gens, Hélène Carrière-Danko est la bourgeoise absolue, la femme qui est
04:11 arrivée.
04:12 Et en fait, ce qu'on oublie, c'est son destin incroyable, qu'elle est née pauvre,
04:18 sans patrie, sans appui.
04:19 Hélène Zorabishvili, elle sut très tôt que la culture vaudrait son salut, s'élevée
04:27 par la culture, elle en parlait d'ailleurs sur France Culture à Voisnus il y a dix
04:31 ans.
04:32 Les gens sont vécus dans les ors de l'Empire, nous nous vivons dans des caisses.
04:35 Et je vous fais une parenthèse, un jour j'ai demandé à ma mère comment on était meublé
04:38 parce que j'étais chez une petite fille qui était bien meublée.
04:40 J'ai dit "il paraît que c'est du louisquin chez elle" et ma mère m'a répondu superbe,
04:44 elle m'a dit "tu lui diras qu'ici c'est du louiscaisse".
04:46 Et c'était exactement ça, c'était des caisses.
04:49 Et elle me disait "ça, ça n'a aucune espèce d'importance, il faut savoir tout
04:53 perdre, d'ailleurs c'est très éducatif et c'est très bien".
04:56 Mais la suite du raisonnement c'est, il y a une chose qui est capitale, c'est la
05:01 culture et l'éducation, parce qu'on l'acquiert par l'éducation.
05:05 Et si on remonte dans la société, c'est grâce à ça.
05:09 D'où si vous voulez le fait que j'ai toujours considéré que rien n'était plus
05:13 beau que l'école.
05:14 On vous apporte le moyen de faire votre place dans la vie.
05:16 Oui, un culte des livres que je n'ai jamais vu.
05:20 C'est-à-dire effectivement il y a le louiscaisse, ces livres qu'elle avait transporté partout
05:23 avec elle.
05:24 Elle s'est élevée par la culture, c'était vraiment comme une sorte de grâce.
05:27 Comme si elle avait reçu la grâce par la culture.
05:30 J'ai rarement vu ça à ce point.
05:32 C'était Hugo, c'était Voltaire, c'était quelque chose même de familial.
05:35 Elle raconte de sa mère des choses incroyables.
05:37 C'était des familles qui mettaient la culture si haut que chaque jour en famille,
05:41 elles parlaient une langue pour former les enfants à cinq langues.
05:44 Donc il y avait la journée du français, de l'italien, de l'allemand, etc.
05:46 Quels sont les cinq langues qu'elles parlaient à part le français, l'italien, le russe
05:49 évidemment.
05:50 Le russe évidemment et le français.
05:51 Franco-russe, bilingue absolument, connaissance de la Russie, connaissance absolue.
05:55 On va y venir sur la Russie parce qu'évidemment au cœur de ce livre-là, il y a sa vision
05:59 de la Russie.
06:00 Elle a une attache à la culture, une attache à la France qui était évidemment extrêmement
06:03 puissante.
06:04 Vous le dites, apatride.
06:05 Et quand elle va se faire naturaliser, c'est un moment extraordinaire.
06:09 À 21 ans, parce qu'elle a déjà été à 21 ans.
06:11 Elle apprend par cœur la Marseillaise et la Constitution et elle est très déçue
06:14 parce qu'elle est reçue par un type dans un bureau un peu crano qui lui dit "Signez-la,
06:17 ne m'embêtez pas".
06:18 Alors qu'elle, elle vient pour réciter la Constitution qu'elle avait apprise par
06:21 cœur.
06:22 Elle avait juste à signer.
06:24 Vous parlez d'ailleurs de son amour absolu pour la France.
06:26 On en parlait tout à l'heure à 8h20 sur l'entrée de Manouchian au Panthéon.
06:31 L'assimilation, vous savez, elle dit "nos ancêtres les Gaulois".
06:33 Elle dit "je comprends très bien les colonisés qui trouvaient que c'était une insulte
06:37 pour eux".
06:38 Mais elle dit "je n'avais pas une goutte de sang français".
06:40 Elle n'a rien de français.
06:41 Elle a beaucoup d'ancêtres dans toute l'Europe mais pas d'ancêtres français.
06:43 Et pourtant, je sentais ça.
06:45 Oui, pourquoi pas mes ancêtres les Gaulois.
06:47 Oui, cette manière chez beaucoup d'exilés de cette génération-là d'aimer la France
06:51 sans doute plus que les Français de souche.
06:54 Bien sûr.
06:55 D'où même un certain chauvinisme.
06:56 Elle disait "je suis chauvine".
06:57 Elle disait en premier "je suis patriote", deuxièmement "européenne" et troisièmement
07:01 "cosmopolite".
07:02 Il y a au moins un terme qui est aujourd'hui très suspect, cosmopolite.
07:08 Mais elle l'assumait.
07:09 Oui, absolument.
07:10 Et d'ailleurs, elle en avait tiré une forme de relativisme.
07:13 Elle donne toujours l'exemple de la campagne de 1812.
07:15 Qui a gagné ? Pour les Russes, c'est le génie de Kutuzov et des stratèges russes.
07:22 Pour les Français, c'est l'hiver.
07:24 Alors que Napoléon, évidemment, est un génie intouchable.
07:27 Oui, c'est ce que vous racontez.
07:28 Elle va devenir… Elle est née pauvre, apatride.
07:31 Elle va gagner ses galons grâce à la culture, grâce à une ambition qui est forcenée et
07:35 qu'on découvre, qu'on devine dans ce livre-là.
07:37 Elle va devenir la première femme à diriger l'Académie française.
07:40 Elle va régner sur les lettres françaises.
07:42 Vous l'appelez l'impératrice ? Quiconque on l'appelle la tsarine ? On disait aussi
07:48 que son caractère était autoritaire.
07:50 Vous la titillez sur ça d'ailleurs.
07:52 Vous qui avez écrit sur les femmes puissantes, c'était une femme puissante.
07:55 Moi, je la taquinais là-dessus.
07:56 J'ai assisté à des prix littéraires, par exemple, où elle manipulait le jury de
08:00 façon tout à fait inavouable.
08:02 Et je lui dis quand même, le pauvre, il n'a eu que trois voix.
08:05 Elle dit « oui, si j'avais voulu, il en avait zéro ». Donc, c'était vraiment
08:08 le pouvoir absolu.
08:09 Catherine II, son modèle.
08:11 Catherine II, ce que j'allais vous dire.
08:12 Catherine II, son modèle.
08:13 Et elle ne lâchait pas ce pouvoir.
08:14 Elle l'aimait, ce pouvoir.
08:15 Elle l'aimait.
08:16 Le fait d'avoir été élue, quand elle a été élue secrétaire perpétuelle, c'est
08:20 à vie.
08:21 C'est très particulier d'être élue à vie.
08:22 Vous savez, il y a quoi ? Il y a pape, il y a quelques métiers comme ça.
08:25 Et elle avait de ça une jubilation tout à fait extraordinaire.
08:28 Mais ses entretiens, et je n'ai pas dit le titre de ce livre, ce cher sorti chez Fayard,
08:32 « La guerre et la grâce », très beau titre.
08:34 Ses entretiens sont évidemment aussi captivants parce qu'Hélène Carrière d'Encontre
08:38 se raconte de la Russie.
08:40 Elle, la grande spécialiste, la russe d'origine, la géorgienne, ce qu'elle dit de la violence
08:45 de ce pays, la violence comme fondatrice, comme congénitale de l'âme russe.
08:48 Je la cite dans votre livre.
08:50 « L'histoire russe est baignée de sang.
08:52 Les Européens ne le comprennent pas.
08:53 Ils partent du principe qu'on emploie la violence en ultime recours.
08:56 Les Russes obéissent au réflexe inverse.
08:59 La force vient en premier.
09:01 Ils la conçoivent comme le moyen le plus sûr, le plus naturel.
09:03 La guerre est la règle.
09:05 La paix, l'exception chez les Russes.
09:07 Et c'est ce que vous, Européens, vous ne comprenez pas.
09:09 » C'est ce qu'elle vous disait.
09:11 Elle revient à ça de manière obsessionnelle et au fil de l'entretien, on comprend de
09:15 manière vertigineuse à quel point la Russie va au sang.
09:18 Elle donne un exemple qui est très frappant et qui résonne évidemment avec l'affaire
09:22 Navalny.
09:23 C'est la manière dont le régime bolchevique a liquidé la famille impériale.
09:26 Louis XVI, grand procès, un peu grandiloquent.
09:30 Et en 1918, les bolcheviques viennent vers Lénine et lui disent « on pourrait faire
09:34 la même chose ». Ils vivaient dans le romantisme un peu de copier la Révolution française.
09:37 Et Lénine dit « pas du tout, pas du tout.
09:38 On va les liquider tout de suite dans une cave.
09:41 » Exactement comme peut-être Navalny est mort.
09:43 Il n'est pas question de faire du romantisme.
09:45 D'ailleurs, Lénine détestait la Marseillaise, il aimait l'international.
09:48 Et Hélène Carén-Rencroce raconte bien à quel point la vérité de la Russie, c'est
09:53 ça.
09:54 Et c'est la continuité russe avec même peut-être cette intuition que Poutine a aujourd'hui
09:58 qui est terrible.
09:59 Que la Russie a toujours été plus grande dans la guerre.
10:01 Pas plus heureuse évidemment.
10:03 Ça a été un déluge de sang mais plus grande.
10:05 Mais d'ailleurs ce qui est étonnant c'est que sachant cela, vous expliquant cela, elle
10:09 s'est à ce point trompée.
10:10 Elle le reconnaît dans le livre.
10:13 Elle le reconnaît.
10:14 Elle s'est trompée sur Poutine.
10:15 On se rappelle quand même que la veille de la guerre, de l'invasion il y a deux ans,
10:19 elle dit « Poutine est un homme rationnel, conscient des risques, qui sait que l'Ukraine
10:23 est un très grand pays, trop essentiel à la Russie pour qu'il puisse se lancer dans
10:26 des actions inconsidérées ». Ça c'était une semaine avant qu'il y aille.
10:29 C'est vrai.
10:30 Ou même l'avant-veille.
10:31 Moi je l'ai vu l'avant-veille et elle se trompait.
10:32 Et sans doute que…
10:33 Pourquoi elle se trompait ? C'est de la naïveté ? C'est de la cécité ? Ou c'est
10:37 au fond une admiration qu'elle avait pour Poutine ?
10:38 Non, je crois qu'elle était de cette généalogie très française de volonté de coexistence
10:44 avec la Russie.
10:45 Donc c'est De Gaulle avec le régiment franco-soviétique normand-lignemanne, avec son idée de l'Atlantique
10:50 à l'Oural, c'est Mitterrand avec la Maison-Commune, c'est aussi Giscard très indulgent
10:55 à l'égard de l'Afghanistan, à l'égard de l'Union soviétique en Afghanistan, c'est
10:58 Chirac très ami de Poutine.
11:00 Elle était de cette lignée-là de coexistence.
11:02 Ce qui ne voulait pas dire pour autant la faiblesse.
11:04 Et d'ailleurs dans le livre, elle dit bien que Obama a été un des pires cas de figure
11:08 parce qu'il a été faible…
11:09 Le président américain le plus catastrophique de l'histoire, dit-elle.
11:12 Oui, parce qu'il a été méprisant avec la Russie, ce qu'elle n'aimait pas.
11:14 Mais elle ajoute aussi parce qu'il a été faible.
11:16 Et il ne faut jamais être faible avec la Russie.
11:17 Et elle dit que quand il a renoncé de bombarder la Syrie, le grand allié de Poutine, ça
11:21 a été une erreur fatale.
11:22 2020, elle affirme que Poutine n'a jamais tenté d'empoisonner Navalny.
11:27 Poutine qui est tout sauf un imbécile n'a évidemment pas été empoisonné Navalny.
11:30 Oui, c'est la tradition dont je vous parlais.
11:32 C'est la tradition.
11:33 Et d'ailleurs, je la cherche un peu là-dessus en lui opposant l'autre tradition qui est
11:36 la tradition anglo-saxonne qui est celle de l'affrontement, de la confrontation.
11:40 Ce qui ne veut pas dire "va t'en guerre".
11:42 Si vous regardez ce qu'a fait Thatcher, Reagan, ils ne poussaient pas nécessairement
11:46 à la guerre.
11:47 On peut faire affaire avec les Russes.
11:48 Mais on revient toujours à l'affrontement.
11:51 Alors que dans la tradition française, une certaine en tout cas, il y a cette idée
11:54 de la coexistence.
11:55 Mais c'est vrai que c'était intéressant dans le livre de voir comment elle évolue
11:58 en fait.
11:59 On voit qu'elle avait des convictions très claires sur la Russie, de son amour pour la
12:02 Russie.
12:03 Et on sent que ça se fissure avant sa mort, qu'elle voit les limites de ce qu'elle pensait.
12:06 Avec tout de même, il faut le dire, une forme de relativisme.
12:09 Elle est très critique sur la Chine, sur notre attitude à l'égard de la Chine.
12:14 Elle pense que nous faisons aujourd'hui la même erreur que nous avons faite et que elle-même
12:18 a faite à l'égard de la Russie.
12:19 Quand on va recevoir cette année Xi Jinping en dépit du génocide Ouïgour ou quand on
12:24 lèche les pieds de MBS en dépit de Khashoggi, c'est exactement la même erreur.
12:28 Et là-dessus, elle a un regard très cru.
12:29 Elle dit que ce sont nos intérêts et la discussion s'engage là-dessus.
12:32 La référence étant de Churchill avec peut-être l'incarnation, vous savez, il y a un mot
12:36 d'Aaron magnifique sur Churchill, il dit que c'est le seul personnage qui était assez
12:39 furieux, assez guerrier pour l'être autant que les nazis ou les staliniens.
12:43 Et c'est la grande aporie de nos démocraties.
12:46 Est-ce qu'on peut être aussi furieux que les totalitaires ?
12:48 Et la réponse est non.
12:49 En tout cas, la lire, elle, dont elle parlait de la faiblesse de l'Europe.
12:53 Elle regrettait cette faiblesse de ce continent.
12:55 Elle se disait profondément européenne et elle disait mais on dort quoi.
12:57 Il y a une inquiétude là-dessus.
12:58 Il y a une inquiétude très forte.
13:00 Et d'ailleurs, peut-être que le nœud de ce qu'elle raconte, et je recommande celles
13:04 et ceux qui nous feront l'honneur de nous lire, petit à petit, on comprend ce que peut
13:08 être la logique de Poutine.
13:09 Vous savez, on dit toujours quel est le but de guerre de Poutine ? Et sans doute que le
13:12 but de guerre de Poutine, c'est la guerre elle-même en réalité.
13:15 C'est-à-dire que dans l'éventail des possibles, vous savez, la Russie dans la paix, c'est
13:19 le déclin.
13:20 Déclin démographique, déclin économique, déclin technique.
13:23 Alors que dans la guerre, il ouvre le champ des possibles.
13:26 Il y a une zone d'ombre dans sa vie, à Hélène Carrière d'Anconce, que vous esquissez.
13:30 C'est son père.
13:32 Son père, Georges Zourabichvili, émigré géorgien, assassiné en 1944 à la fin de
13:36 la guerre.
13:37 Son fils, Emmanuel Carrière, le fils d'Hélène Carrière d'Anconce, raconte dans un roman
13:42 russe que son père a été tué par des résistants parce qu'il travaillait avec les Allemands.
13:46 Et jusqu'au bout, jusqu'à vos pages, elle ne veut pas croire à cette version-là.
13:50 Elle s'est fâchée avec son fils parce qu'il a écrit ça, qu'il aurait été un collabo
13:54 des Allemands et qu'il a été tué par les résistants.
13:56 Le livre de son fils est très beau, vraiment très beau.
13:59 Et effectivement, c'est un tabou.
14:01 C'est un tabou absolu.
14:03 C'était très difficile d'en parler directement.
14:05 Le détour, c'était Homer.
14:07 Vous savez, c'est magnifique.
14:08 C'est une personne qui lisait Homer et le grec dans le texte et qui revenait toujours
14:13 à cela.
14:14 Et il y a quelques passages d'Homer où elle parle notamment du rire en larmes d'Andromaque
14:19 quand Hector va mourir, où elle pouvait en parler de manière un peu indirecte.
14:24 Mais sans cela, c'était effectivement le tabou, le tabou ultime.
14:27 - Darius, je reçois quelques questions sur vous.
14:29 Vous regrettez votre décision d'il y a quatre ans de franchir les Alpes pour venir chez
14:33 nous ? Vous nous trouvez trop extravagant, trop fou, trop hystérique dans la vie politique ?
14:37 - Je vous écoute.
14:38 Non, non, avec passion.
14:39 Non, non, non.
14:40 La passion est quelque chose de très important.
14:43 Et d'ailleurs, ce qui apparaît dans le livre, c'est ça.
14:47 Est-ce que l'Europe a assez encore d'agressivité ? Et c'est la conclusion peut-être du livre.
14:53 Je vous engage à le lire sous cet angle-là.
14:54 C'est-à-dire, on va sans doute découvrir ces prochains jours que l'Europe sera devant
14:58 le dilemme.
14:59 Est-ce qu'elle est prête à monter son niveau d'agressivité ? Nous sommes entourés de
15:03 nations de puissance qui sont prêtes à la guerre d'agression.
15:06 Évidemment, les Russes, les Chinois, les Indiens, les Pakistanais, etc.
15:09 Dans l'ordre des démocraties, même les États-Unis ont été capables d'une grande guerre d'agression
15:14 qu'a été la guerre d'Irak.
15:16 Et l'Europe, elle est dans cette espèce de prudence.
15:19 C'est en quelque sorte, limer les canines.
15:21 Et c'est au fond le cœur de ce livre.
15:24 Est-ce qu'on est assez agressif ? Est-ce qu'on est assez passionné ?
15:27 Est-ce qu'on a assez fort ?
15:28 Est-ce qu'on a gardé ? On n'ose pas bombarder les outils dans leurs repères, comme le font
15:31 les Anglais ou les Américains.
15:33 On n'ose plus vraiment intervenir en Afrique.
15:35 Vous me posez la question de la Suisse.
15:37 Moi, j'adore la Suisse, par exemple.
15:38 Mais de ce point de vue, la Suisse est un peu en dehors de l'histoire.
15:41 Les grandes puissances ne peuvent pas être de cette façon-là, en dehors de l'histoire.
15:45 Les Impromptus, pour terminer, vous répondez rapidement, sans trop réfléchir.
15:48 Vous avez dit un jour « les meilleures leçons de journalisme viennent de l'Antiquité ».
15:52 Qu'est-ce que ça veut dire ?
15:53 J'aime beaucoup les classiques.
15:56 Je vous citais Homère tout à l'heure.
15:57 J'aime beaucoup les classiques.
15:59 Il y a un texte qui est extraordinaire pour comprendre l'actualité d'aujourd'hui,
16:01 c'est la Thucydide, avec la guerre du Péloponnèse.
16:05 Et peut-être la page la plus belle de toute l'histoire littéraire, c'est quand Périclès
16:10 fait l'éloge des guerriers grecs et il dit « le rire, la démocratie, c'est la
16:14 même chose ».
16:15 J'ai fait ma carrière dans cause, cultivé l'humour et si vous permettez, je dis ça
16:19 encore, quand j'ai vu le sourire de Navalny quelques jours avant de mourir, j'ai repensé
16:23 à ça.
16:24 À quel point l'humour, même si ce n'était pas un personnage parfait, mais quel courage,
16:27 l'humour et la démocratie ont un lien essentiel.
16:31 Vous allez me faire des réponses plus courtes, parce qu'il reste une minute et je vais
16:33 poser beaucoup de questions.
16:35 CNews, première chaîne d'info de France, ça vous évoque quoi ?
16:38 La pluralité.
16:41 Je déteste donner des leçons.
16:42 Je déteste donner des leçons aux autres.
16:44 Et quand on me demande la vertu principale, je dis toujours l'indulgence.
16:48 Je suis mal placé pour être dans le camp des critiques.
16:50 Qu'avez-vous de suisse en vous ?
16:51 J'aime la modération.
16:54 Je comprends les extrêmes, y compris les nationalistes, mais j'aime la modération.
17:00 Qu'avez-vous de persan en vous ?
17:01 C'est très compliqué de traiter avec les persans.
17:07 On dit que quand un persan a signé le contrat, c'est alors que la négociation commence.
17:11 Qu'est-ce que vous avez de français en vous ?
17:14 L'histoire.
17:15 Je trouve que nos ancêtres les Gaulois, même si on n'a rien de français, moi j'ai
17:20 un peu de sang français, on peut s'identifier à l'histoire de France parce qu'elle est
17:23 universelle.
17:24 Alors maintenant, très rapidement, Paris ou Genève ?
17:25 Genève et Paris, il n'en empêche pas l'autre.
17:29 Proust ou Céline ?
17:30 Proust.
17:31 Michel Houellebecq ou Virginie Despentes ?
17:33 Chateaubriand.
17:34 David Pujadas ou Pascal Praud ?
17:36 David Pujadas, c'est lui qui m'a fait venir.
17:40 Sylvain Tesson ou Jean-Noël Meusson ?
17:42 Les deux.
17:43 De Gaulle ou Churchill ?
17:44 Les deux.
17:45 Peut-être Churchill parce qu'il a un grain de folie supplémentaire.
17:50 Le plus grand président de la Ve République à vos yeux ?
17:52 De Gaulle, évidemment.
17:53 Drogue, alcool, sexe, quels sont vos vices ? Vous le modérez, Darius Rochevin.
17:58 J'ai plein de vices comme tout le monde, mais peut-être trop de compréhension pour
18:06 les extrêmes.
18:07 J'ai de la peine parfois à faire comprendre ça.
18:08 Vous savez, dans le conflit israélo-palestinien, par exemple, ça a été mes débuts de journalisme.
18:12 J'allais beaucoup en Israël et en territoire palestinien.
18:14 Et mes meilleurs souvenirs sont chez les durs de chaque côté, c'est-à-dire les colons
18:19 juifs les plus déterminés et les plus féroces, mais aussi parfois des familles islamistes
18:24 extrêmement déterminées.
18:25 J'ai de la peine à faire croire ça aux gens.
18:28 Souvent, les gens sont tellement persuadés que vous êtes d'un camp ou d'un autre.
18:31 La guerre et la grâce.
18:32 Conversation inachevée avec Hélène Carère d'Ancausse, signée Darius Rochevin, avant
18:37 le prochain tome avec Badinter.
18:38 Merci.
18:39 Merci d'être venu.
18:40 Merci Darius Rochevin.

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