À 7h50, Manuel Valls, ancien Premier ministre et actuel soutien d'Emmanuel Macron, est l'invité de Sonia Devillers. Il juge le projet de loi pour limiter le droit du sol à Mayotte "inutile et dangereux". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-21-fevrier-2024-6700363
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00:00 Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invitée ce matin est ancien Premier ministre.
00:05 De 2014 à 2016, sous François Hollande, à l'époque il est socialiste, il rejoint
00:09 ensuite le camp macroniste, aujourd'hui il publie dans Le Monde une tribune très ferme
00:13 contre la réforme du droit du sol que souhaite le gouvernement à Mayotte, département français,
00:18 pour endiguer l'immigration illégale en provenance majoritairement des Comores.
00:22 Bonjour Manuel Valls.
00:23 Bonjour.
00:24 Vous qualifiez ce projet de loi non seulement d'inutile mais de dangereux.
00:28 Pourquoi dangereux ?
00:29 D'abord inutile parce que inefficace, il ne réglera pas les problèmes sérieux, le
00:35 chaos aujourd'hui qui règne à Mayotte dû aux migrations qui viennent essentiellement
00:39 des Comores.
00:40 Que vous reconnaissez ?
00:41 Oui, qui est une réalité.
00:42 J'écoutais il n'y a pas si longtemps la députée de ce département parlant d'une
00:48 situation proche de celle de Haïti.
00:50 Oui, il y a une situation que je connais par ailleurs, qui est extrêmement difficile et
00:55 qui est due au fait que Mayotte est sans doute le département le plus pauvre de notre
01:00 pays mais c'est le territoire le plus riche dans cette région et donc il y a une attractivité
01:06 qui vient des Comores.
01:07 Donc il faut à la fois plus de force, il faut des moyens supplémentaires et il faut
01:11 surtout un rapport de force avec les Comores.
01:14 Mais la réforme du droit du sol qui a d'ailleurs été déjà modifiée, restreinte par la
01:20 loi en 2019, ne réglera pas ces problèmes lourds d'immigration et à travers au fond
01:28 une communication autour de cette idée de la réforme du droit du sol, faisant croire
01:33 que l'on réglera ces problèmes à travers cette réforme, on ouvre une boîte de Pandore
01:38 qui me paraît extrêmement dangereuse dans notre débat national.
01:41 En matière migratoire, vous prêchez Manuel Valls pour la mise en place de quotas, la
01:45 restriction de l'immigration familiale, la facilitation des expulsions, la systématisation
01:50 des reconduites et le renforcement des contrôles stricts aux frontières européennes.
01:54 En quoi le droit du sol est-ce différent ?
01:56 Mais ça n'a rien à voir.
01:58 Je pense qu'on peut avoir des politiques concernant les migrations extrêmement sévères,
02:05 nécessaires en plus aujourd'hui face à l'afflux de migrations clandestines.
02:10 On peut s'interroger sur le fait, est-ce qu'on a besoin ou non d'une migration
02:14 économique et défendre la conception républicaine du droit du sol.
02:20 Ce sont deux choses, je crois, extrêmement différentes.
02:23 Et je ne pense pas qu'on règle les problèmes migratoires à travers cette réforme qui
02:29 repose sur un fantasme, sur le fait que notre droit de la nationalité serait un appel d'air.
02:35 Je ne le crois pas.
02:37 Vous ne le croyez pas ?
02:38 Je ne le crois pas.
02:39 Emmanuel Macron l'affirme dans la grande interview qu'il a donnée à l'Humanité.
02:43 Je le cite "Mayotte est la première maternité de France avec des femmes qui viennent y accoucher
02:48 pour faire des petits français".
02:49 Ce sont les mots du président de la République.
02:50 Non, c'est une erreur d'analyse.
02:51 C'est l'idée de faire croire ou de croire que le droit du sol est responsable, je viens
02:58 de l'évoquer, du chaos qui règne à Mayotte, au-delà des réformes qui ont été apportées.
03:03 Par exemple, à travers la loi de 2019, on a restreint ce droit du sol.
03:09 Il y a 800 mineurs qui ont obtenu en 2022 la nationalité française contre 2 800 en
03:18 2018.
03:19 Est-ce que ça a réglé les problèmes migratoires ? Non, ça ne les a pas réglés.
03:23 Et puis il y a une incompréhension aussi sur ce qu'est le droit du sol chez nous.
03:27 Il n'est pas automatique.
03:28 C'est ce qu'on appelle le double droit du sol qui nous vient de la troisième république
03:36 du 19e siècle.
03:37 L'attribution de la nationalité n'est donc pas automatique.
03:41 Un enfant né en France, dont au moins l'un des parents y est également né, peut obtenir
03:47 la nationalité automatiquement.
03:49 Sinon, il doit attendre 13 ans et le fait de la demander.
03:53 Je vous prends un exemple.
03:54 Ma sœur est née en France, de parents espagnols.
03:58 Elle a dû attendre 18 ans pour demander la nationalité.
04:00 Moi, je suis né à Barcelone et à 18 ans, j'ai demandé, comme tout étranger, la nationalité
04:06 française.
04:07 Ça a mis deux ans.
04:08 C'est un long parcours.
04:09 Donc croire qu'aujourd'hui on obtient automatiquement la nationalité, non.
04:14 Et puis c'est relativement constant, il y a 125 000 personnes qui l'obtiennent tous
04:17 les ans en France.
04:18 Le chiffre n'a guère évolué.
04:20 Emmanuelle Walsh, le droit du sol n'est pas inscrit dans notre constitution.
04:24 En revanche, l'article 1er affirme que je cite « la République française est indivisible.
04:29 Le principe d'unité et d'indivisibilité garantit l'homogénéité des lois sur l'ensemble
04:34 du territoire ». Alors, territoire métropolitain et ultramarin.
04:38 Ce à quoi Emmanuel Macron répond « oui ». Mais la constitution reconnaît aussi
04:43 la France comme plurielle et décentralisée.
04:46 Vous penchez de quel côté ?
04:47 Supprimer totalement le droit du sol à Mayotte est très symbolique.
04:53 Et cela ouvre un débat précisément sur ce qu'est la nation.
05:00 C'est pour ça que je suis contre cette réforme qui est inutile et dangereuse.
05:04 Parce qu'elle ouvre, je suis évidemment là opposé à ce que dit le président de
05:08 la République, une triple fracture.
05:10 Elle est géographique sur le territoire.
05:13 Mayotte est un département de la République.
05:15 Les parlementaires l'ont voulu.
05:17 Historique par rapport au principe que j'évoquais il y a un instant.
05:20 Et symbolique parce que je crois que le droit du sol a une dimension intégrationniste,
05:27 assimilationniste.
05:28 Et donc nous avons de vrais problèmes d'intégration, d'assimilation.
05:31 Ça c'est une réalité.
05:32 Mais pas à cause du droit du sol.
05:34 Parce que nous n'avons pas fait les efforts nécessaires à travers l'école, à travers
05:38 les symboles, pour que chacun puisse se sentir français et aimer la France.
05:42 Donc il y a une confusion sur ce qu'est la nation.
05:46 Donc moi je crois à l'unité de la nation.
05:48 Attention à ne pas y toucher à travers des réformes constitutionnelles qui me semblent
05:52 hasardeuses.
05:53 Ça vaut d'ailleurs pour d'autres départements, je suis extrêmement opposé, je change d'île
05:58 si je puis dire, à toute réforme concernant l'autonomie de la Corse et à son inscription
06:03 dans la constitution.
06:04 On touche à des symboles.
06:05 Attention, la France est une nation unie, indivisible.
06:09 Justement, Manuel Valls, au lendemain des attentats de 2015, vous, Premier ministre,
06:13 vous prêchiez une révision de la constitution pour introduire la déchéance de nationalité
06:17 visant les terroristes binationaux.
06:19 A l'époque, qui s'y était opposé ? Votre propre ministre de l'économie, Emmanuel
06:23 Macron, déclarant que la communauté nationale était « une et indivisible ». Les rôles
06:27 se sont-ils inversés ?
06:28 Non, je ne crois pas, parce qu'il s'agissait d'un autre débat.
06:31 La réforme constitutionnelle n'a pas abouti.
06:33 Vous n'aviez pas les forces politiques nécessaires ?
06:35 Non, il y a eu une majorité qualifiée à l'Assemblée nationale, mais le Sénat n'a
06:38 pas voulu à l'époque.
06:39 Peu importe, le résultat est là.
06:41 Et c'est vrai que la gauche, et notamment ma formation politique, a été divisée sur
06:44 ce sujet.
06:45 Cela veut bien dire, vous savez, moi j'apprends, tout simplement, que quand on touche à ce
06:49 sujet, il faut y toucher avec la main tremblante.
06:53 Mais il s'agissait de déchoir de la nationalité, ceux qui avaient une double nationalité et
06:58 qui avaient été condamnés pour terrorisme.
07:00 Et cela existe déjà.
07:01 Il s'agissait tout simplement, alors il y avait un aspect symbolique que je ne peux
07:04 pas nier, qu'avait voulu le président de la République, François Hollande, mais il
07:07 s'agissait aussi de le conforter juridiquement dans la constitution.
07:11 Je me permets de vous dire que plusieurs dizaines de personnes, à travers une procédure que
07:15 le ministre de l'Intérieur engage et qui est approuvée ou pas par le Conseil d'État,
07:19 ont été déchues de leur nationalité parce qu'ils ont été condamnés par terrorisme
07:23 au cours de ces dernières années.
07:24 Autre chapitre très brûlant de l'actualité, Manuel Valls.
07:27 Dans une précédente tribune, vous réaffirmiez votre solidarité sans faille à l'égard
07:32 d'Israël, se défendant contre le Hamas.
07:35 Si Israël met sa menace à exécution et attaque Rafa, dans le sud de Gaza, où se sont entassés
07:41 un million et demi de Palestiniens, vous soutiendrez cette démarche ?
07:45 Oui.
07:46 Quelle est l'alternative pour Israël ? Israël est face à un défi existentiel.
07:51 Ils ont été attaqués le 7 octobre d'une manière ignoble.
07:56 Le Hamas n'a pas changé ses projets.
07:58 Si nous nous avions été attaqués, nous l'avons d'ailleurs été.
08:01 En 2015, vous l'avez rappelé, il y a un instant, nous réagirions.
08:04 Nous avons réagi.
08:05 La coalition internationale a réagi.
08:07 A bombardé Mossoul et d'autres villes où l'État islamique était présent.
08:14 La guerre est épouvantable.
08:15 Un mort palestinien vaut un mort israélien, bien évidemment.
08:19 Mais Israël a le droit de se défendre.
08:21 Ce pays est en première ligne face à l'islamisme qui nous attaque également.
08:26 Emmanuel Valls, Évry, la ville dont vous étiez maire, était jumelée avec Raniounès
08:31 dans la bande de Gaza.
08:32 C'est juste à côté de Rafah.
08:33 Vous y êtes allé.
08:34 Vous avez connu ces gens.
08:36 Est-ce que vous avez de leurs nouvelles ? Est-ce que vous pensez à eux quand vous prononcez
08:40 ces mots ?
08:41 Régulièrement et depuis 2005-2006, il n'y a plus de lien.
08:44 Depuis que le Hamas a pris le pouvoir dans ce territoire.
08:50 Éliminant les responsables du FATA que je connaissais.
08:55 Enfermant les femmes avec qui nous travaillons.
08:58 Pourchassant les homosexuels qui se réfugient à Tel Aviv.
09:03 C'est une organisation totalitaire, terroriste, fondée par les frères musulmans.
09:08 Moi je pense évidemment à toutes ces victimes.
09:11 La guerre est épouvantable.
09:12 Mais Israël, aussi en notre nom, a le droit de se défendre, a même le devoir de se défendre.
09:17 Merci Manuel Valls.