Chaque lundi dans la matinale de Dimitri Pavlenko, Philippe Val livre son regard sur l'actualité.
Retrouvez "Philippe Val - Les signatures d'Europe 1" sur : http://www.europe1.fr/emissions/philippe-val-les-signatures-deurope-1
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00:00 - Mais d'abord, comme tous les lundis sur Europe 1, Philippe Valle est avec nous. Bonjour Philippe !
00:04 - Bonjour Dimitri, bonjour à tous.
00:06 - Alors Philippe, vous nous parlez ce matin de Robert Badinter, l'ancien garde des Sceaux,
00:10 nous a quitté vendredi à l'âge de 95 ans.
00:12 Vous avez eu la chance dans votre vie, Philippe, de le voir plaider ?
00:16 - Oui, c'était dans les années 70.
00:19 J'étais un jeune artiste et je jouais tous les soirs au théâtre et j'étais un fan de cet avocat déjà légendaire.
00:28 On m'avait dit qu'il allait plaider la cause d'un triple assassin aux assises de Versailles.
00:32 Je connaissais une des magistrates qui siégeait et je me suis débrouillé pour aller à toutes les audiences.
00:39 Il s'agissait de ce qu'on appelait à l'époque un crime passionnel.
00:43 Un jeune homme, amant et conduit d'un chanteur,
00:46 s'était introduit, armé d'un fusil, dans une fête que donnait son ancien compagnon et il a tué trois personnes.
00:53 Il risquait la peine de mort et il avait pris Robert Badinter pour assurer sa défense.
00:57 C'était la première fois que j'assistais à un procès d'assises.
01:00 - Et puis un procès avec un sacré enjeu puisque la peine de mort pouvait être requise.
01:04 - Oui, c'était comme une tragédie mais en vrai.
01:08 Le garçon avait vraiment tué, les partis civils avaient vraiment perdu des proches et les jurés
01:14 pouvaient vraiment condamner le coupable à être coupé en deux pour reprendre l'expression de Robert Badinter.
01:21 Je suis resté à trois jours de suite,
01:24 fasciné, terrassé par le fardeau dramatique qui pesait sur nos épaules.
01:29 J'étais tellement admiratif des interventions de Badinter.
01:33 Je n'avais jamais vu tous les trésors d'une intelligence étonnante
01:38 se mettre au service de la vie d'un homme.
01:41 Mais quand vint le moment de la plaidoirie,
01:44 Robert Badinter s'est métamorphosé.
01:48 Ce n'était pas un souffle qui fait vibrer des cordes vocales et des mains qui remuent, non.
01:52 C'est tout le corps de Robert Badinter,
01:54 avec toutes ses ressources de la tête aux pieds, qui a plaidé la cause du coupable.
01:59 Comme les très grands artistes, il était traversé par quelque chose de sacré,
02:04 comme possédé par une force qui, à la fin, le laissait blême et épuisé.
02:10 C'était tellement fort qu'en sortant pour aller jouer au théâtre,
02:14 je savais que je venais de vivre un moment décisif de ma vie
02:18 et qu'il y aurait un avant et un après.
02:20 - Est-ce que vous avez eu l'occasion plus tard de rencontrer Robert Badinter, Philippe ?
02:24 - Oui, j'ai eu l'occasion de lui dire combien je lui étais redevable.
02:29 Bien des années plus tard, avec Richard Malka,
02:33 nous avons fait quelques voyages avec Elisabeth et Robert Badinter.
02:37 Ils avaient toujours l'air de jeunes mariés.
02:39 Et c'était un plaisir de voir ce grand juriste, rempli d'une autorité sourcilleuse,
02:45 se laisser aller à la bonne humeur, à la légèreté, à l'insouciance,
02:49 mais l'intelligence vigilante toujours à l'affût.
02:52 Il est mort le jour anniversaire de la déportation de son père,
02:56 assassiné dès son arrivée dans le camp de Sobibor.
02:59 Le souvenir de son père a accompagné sa vie.
03:03 Il nous a raconté que lorsqu'il était garde des Sceaux,
03:06 en prenant l'instruction du procès Barbie,
03:09 il a reçu une enveloppe du président du tribunal de Lyon
03:12 contenant une pièce du dossier.
03:14 L'ordre de déportation de son père, signé de la main de Klaus Barbie.
03:20 Et Badinter a ajouté "la peine de mort avait été abolie,
03:24 Barbie n'a pas été condamnée à mort, je crois que mon père aurait été fier de moi".
03:29 - Alors son oncle, son père, sa grand-mère également sont morts en déportation, Philippe ?
03:34 - Oui, cette fameuse grand-mère Idice à laquelle il a consacré un livre.
03:38 Il a demandé à Richard Malka d'en faire un scénario de BD pour toucher la jeunesse.
03:43 On y découvre un petit-fils de 90 ans qui se réchauffe encore au corps affectueux
03:48 d'une grand-mère rassurante dans la terreur des années d'occupation.
03:52 J'avoue que je frémis d'horreur quand je pense que Robert a vécu assez longtemps
03:58 pour prendre connaissance des massacres du 7 octobre
04:01 et de la vague d'antisémitisme qui s'est en suivi.
04:04 Je n'ose imaginer quelle vague de souffrance l'a emporté, lui, l'amoureux de la France,
04:09 l'amoureux de la République.
04:11 Puisse l'amour d'Elisabeth et le dialogue ininterrompu qu'il a entretenu
04:15 à la fin de sa vie avec Victor Hugo lui avoir apporté apaisement et réconfort.
04:20 - L'hommage, les condoléances de Philippe Vall ce matin sur Europe 1 à Robert Badinter,
04:25 le garde des Sceaux qui nous a quitté donc vendredi à l'âge de 95 ans.
04:29 Merci beaucoup Philippe, bonne semaine, on vous retrouve lundi prochain sur Repo.