• il y a 10 mois
Les syndicats FNSEA et Jeunes Agriculteurs ont appelé hier après-midi à suspendre les blocages après les nouvelles annonces du gouvernement, mais pour, disent-ils, rentrer dans une nouvelle forme de mobilisation. Ces mesures sont-elles réellement à la hauteur de la situation ?
Georges Fandos est ingénieur agronome, spécialiste des questions agricoles.
Il a publié récemment une tribune sur Le Monde.fr dans laquelle il affirmait que les premières mesures annoncées la semaine dernière par le 1er ministre n'étaient pas les bonnes.

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Transcription
00:00 FNSEA et jeunes agriculteurs sont-ils trop proches du pouvoir, Guillaume ?
00:03 C'est souvent un reproche qu'il aurait fait à ces deux organisations syndicales depuis un certain nombre d'années d'ailleurs.
00:09 Parce que ce qu'on vit en ce moment, c'est quand même pas la première fois que ça arrive.
00:12 Donc on a eu envie de vous poser aussi à vous la question, est-ce que FNSEA et jeunes agriculteurs sont trop proches du pouvoir ?
00:18 Généralement des gouvernements en place. Bon ben y'a pas photo puisque vous êtes alors 163 à avoir voté et à 70% vous répondez oui.
00:25 Voilà, maintenant vous nous appelez.
00:26 Absolument, 0467 58 6000 pour intervenir, dépêchez-vous de nous appeler.
00:31 On échange donc avec notre invité Guillaume.
00:32 Bonjour Georges Fandos.
00:34 Bonjour.
00:34 Vous êtes ingénieur agronome spécialiste des questions agricoles, vous êtes également élu à Saint-Honnès, conseiller municipal à Saint-Honnès.
00:41 Et pour la communauté et les communes du Pays de l'Or, vous êtes aussi un peu en charge du dossier climat...
00:46 Plan climat et énergie.
00:47 Plan climat et énergie.
00:49 Vous avez publié, vous publiez assez régulièrement sur lemonde.fr des tribunes.
00:55 Et vous suivez évidemment de près ce qui se passe en ce moment avec la colère agricole.
00:59 On va faire référence notamment à la dernière que vous avez publiée.
01:04 D'abord pour répondre à la question FNSEA, jeunes agriculteurs, selon vous ils sont trop proches du pouvoir ou pas ?
01:09 Disons que c'est des syndicats qui sont très impliqués dans la co-gestion des affaires agricoles avec les gouvernements successifs depuis de très nombreuses années.
01:18 Donc c'est vrai qu'ils sont impliqués dans la co-gestion.
01:21 La levée d'un certain nombre de barrages hier suite aux annonces de Gabriel Attal ne veut pas dire que le mouvement est terminé ?
01:26 Parce qu'on voit bien que c'est aussi un mouvement protéif fort.
01:28 Il n'y a pas une agriculture en colère mais des agriculteurs en colère.
01:32 Donc rien ne dit que ça ne va pas continuer dans les prochains jours.
01:35 Effectivement parce que déjà pas mal d'agriculteurs de base attendent des résultats écrits de ce qui a été annoncé oralement.
01:42 Et puis il y a d'autres syndicats comme la Confédération Paysanne qui continuent à dire que le contenu n'est pas et donc qui continuent à mobiliser leurs adhérents.
01:51 - Alors j'aimerais qu'on revienne ce matin sur le fruit d'un certain nombre de vos réflexions par rapport à ce conflit et aux réponses qui sont apportées.
01:57 Alors d'abord il y a la question centrale du revenu des agriculteurs.
02:00 On parle beaucoup depuis quelques jours avec cette fameuse loi EGalim.
02:04 Enfin ces lois EGalim, il y en a plusieurs, que tout le monde découvre.
02:07 Personne n'en connaissait l'existence à part les agriculteurs eux-mêmes il y a encore une semaine.
02:10 Maintenant tout le monde parle d'EGalim comme si ça faisait partie de notre quotidien.
02:14 Vous dites EGalim, ce n'est pas quelque chose qui répond véritablement au problème de la rémunération des agriculteurs.
02:20 - Oui alors les lois EGalim elles sont mises en place depuis 2018.
02:24 Dès 2018 un rapport parlementaire, puis en 2019 un rapport du Sénat indiquait que ça ne répondait pas à une rémunération correcte des producteurs.
02:33 Christian Lambert, président de la FNSA, elle-même disait...
02:36 - Ex-président de la FNSA.
02:37 - Ex-président disait "bon bah oui on n'y retrouve pas nos comptes".
02:40 L'auteur de l'EGalim 3, monsieur De Crozat, il a indiqué lui-même aussi que cette loi ne répondait pas aux besoins de revenus des producteurs.
02:49 - Pourquoi elle n'y répond pas ?
02:50 - Alors ce qui est bizarre, si vous voulez, c'est que pendant des années, le gouvernement était sourd et tout à coup il devient extra-lucide et il se dit "ah bah oui c'est vrai, on ne répond pas à la loi EGalim, on va mettre des contrôles".
03:01 Alors pourquoi ça ne répond pas aux revenus des agriculteurs ?
03:04 Parce qu'en fait ces lois EGalim, ça fixe un cadre de négociation entre d'une part des centrales d'achat,
03:10 qui sont en tout cas très importantes puisqu'elles représentent plus de 65% de la consommation alimentaire,
03:17 un peu plus si on rajoute Aldi et Lidl aux quatre de base qui sont Carrefour, Hyperul, Clerc et Sistému.
03:23 Et donc les négociations sont déséquilibrées car d'un côté vous avez une centralisation de la demande et l'offre elle-même elle est très multiple
03:33 et d'autant plus que les pouvoirs interdisent aux producteurs de se regrouper pour essayer de peser dans la négociation.
03:41 C'est-à-dire que hier j'entendais le directeur de la coopération agricole qui disait "mais nous on aimerait bien se regrouper pour avoir un peu plus de négociations équilibrées"
03:48 mais au nom de la concurrence pure et parfaite, on nous interdit de nous regrouper donc de peser dans les négociations.
03:56 Alors le résultat de tout ça, c'est qu'en fait la loi EGalim elle aboutit au fait que la rémunération du travail des paysans n'y est pas.
04:05 Je prends un exemple, la fraise gariguette.
04:07 - Oui, un exemple local.
04:09 - La fraise gariguette elle était vendue à 1,99€ la barquette par certains distributeurs en disant "c'est un produit d'appel".
04:17 Lorsqu'arrive la loi EGalim, on leur dit "attendez, vous les distributeurs, vous n'avez pas le droit de revendre à marge zéro, il faut que vous revendiez avec une marge de 10%".
04:26 - Oui. - D'accord ?
04:27 Ça c'est une partie de la loi EGalim.
04:29 Les distributeurs ont dit "pas de problème, on va baisser de 10% le prix des agriculteurs donc comme ça on ne pourra rien nous reprocher au point de vue légal, on sera à 10% en dessus".
04:37 - Et là personne ne dit rien là ?
04:38 - Et là personne n'a rien dit.
04:40 Donc voyez en quoi la loi EGalim est insuffisante.
04:43 Parce que le cadre de négociation est déséquilibré et elle est facile à déjouer.
04:49 - Donc ça sert à rien que les politiques se réfugient derrière le fait de dire "oh là là on va renforcer les contrôles pour qu'EGalim soit respecté" parce que de toute façon vous dites que ça sert à rien ?
04:56 - Non, disons, vu le cadre de négociation, c'est ce que je dis, c'est la définition du libéralisme.
05:00 C'est "vive le renard libre, non le poulailler libre".
05:03 C'est ça la loi EGalim.
05:04 C'est-à-dire qu'on laisse la liberté aux plus forts de fixer les règles du jeu et en fait les plus faibles qui sont les agriculteurs sont les aisés.
05:12 Et c'est pas moi qui le dis, c'est la coopération agricole, le parlement, le sénat, les ex-présidents de la FNSA comme Christian Lambert.
05:21 Donc voyez, ce qu'il faudrait faire, c'est ce que demande entre autres la Confédération Paysanne mais aussi beaucoup d'agriculteurs de base,
05:27 c'est de fixer des prix minimums aux produits qui soient, parce qu'on interdit aux distributeurs de revendre à perte,
05:34 mais pourquoi est-ce qu'on accepte que les agriculteurs vendent à perte ? C'est-à-dire en dessous de leur coût de production.
05:39 L'ancienne PAC depuis les années 60, fixait un cadre de ce type.
05:44 On avait fixé des prix minimums pour le lait, pour les céréales et donc on savait que si le marché faisait que le prix de marché était inférieur au coût de production d'intervention,
05:54 les pouvoirs publics intervenaient pour rééquilibrer les choses.
05:57 Donc François, vous vouliez une question rapide ?
06:01 - Oui, je rappelais juste la question du jour, les syndicats agricoles, FNSE et jeunes agriculteurs sont-ils trop proches du pouvoir ? Appelez-nous 0467 58 6000.
06:08 - Une autre façon, dites-vous, Georges Fandos, de noyer le poisson pour le gouvernement, avec la, dites-vous aussi, ça revient à notre question, la complicité des syndicats majoritaires,
06:16 donc on a bien compris de qui il s'agissait, dites-vous, c'est de déplacer le débat sur le terrain des normes, ces fameuses normes,
06:21 notamment en accusant les écologistes d'en être à la source.
06:25 Alors là hier par exemple, Gabriel Attal a annoncé une suspension d'un certain nombre d'interdictions par rapport à des produits phytosanitaires,
06:31 notamment les fameux nicotinoïdes, j'ai réussi à le dire, super, là c'est un gros retour en arrière par rapport à l'environnement.
06:38 - Alors c'est inquiétant. - Le problème il n'est pas là, fondamentalement.
06:41 - Oui, le problème n'est pas là, on ne peut pas accuser les écologistes, les écologistes en ont des excès,
06:46 c'est-à-dire que quand ils disent on va interdire tous les pesticides, certains ont interdit les bassines pour l'eau,
06:52 ça c'est des excès et ça donne le jeu effectivement à la surenchère en face,
06:57 en disant, vous voyez, c'est toute la faute à eux, mais ils sont un petit peu raisonnables de leur discouvrir un peu le cas naturel.
07:02 Mais c'est vrai qu'il y a quand même des problèmes de fond qui sont posés.
07:05 L'ANCES, qui est l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, a interdit certains néonicotinoïdes en France,
07:12 parce qu'ils ont dit, et ils ont prouvé, il y a des études scientifiques qui le prouvent,
07:14 que ça pose des problèmes vis-à-vis des insectes pollinateurs en train de les abeilles.
07:18 Alors ces insecticides sont interdits en France, mais leur usage est autorisé par exemple en Italie,
07:24 parce que l'Italie est moins stricte au niveau européen que la France.
07:29 Donc au nom de ça, on ne sait pas comment va être interprétée la loi,
07:33 c'est-à-dire est-ce qu'on va s'aligner sur le moins disant,
07:35 ou au contraire est-ce qu'on va s'aligner sur celui qui est le plus sérieux sur le plan scientifique ?
07:38 C'est ça la question qui reste ouverte, et là on peut avoir des inquiétudes.
07:42 - Alors deux choses, hier, Gabriel Attal parle de "souveraineté alimentaire",
07:47 premier mot qui a été prononcé, auquel tout le monde réagit, commente,
07:52 mais "souveraineté alimentaire", c'est possible ou c'est pas possible ?
07:55 - Disons que la crise du Covid a montré que si on n'a pas de souveraineté économique,
07:59 on est à la merci des autres.
08:01 Donc c'est vrai qu'il y a quand même un souci de souveraineté alimentaire,
08:04 si plus de la moitié des vignes sont exportées.
08:07 - Du coup on est les premiers à exporter aussi.
08:09 - Alors le problème c'est qu'effectivement, si on dit on arrête les importations,
08:13 il y aura des mesures de rétention, on va nous dire "bon ben vos champagnes, vos fromages, vous les gardez".
08:18 Donc la question n'est pas simple.
08:20 Donc il y a un vrai souci de souveraineté alimentaire,
08:23 mais il y a aussi une réalité économique,
08:25 et celle de l'exportation de l'agriculture française, à laquelle il faut veiller aussi.
08:30 - Donc c'est pas aussi simple que ça.
08:32 - Tout à fait.
08:33 - En fait le problème de cette crise c'est qu'on sait pas si elle est réglée,
08:35 ou si elle n'est que partiellement réglée,
08:37 mais le problème auquel cette crise était censée répondre,
08:39 c'est quand même celui de notre modèle agricole.
08:41 Est-ce qu'on est en train de passer à côté de quelque chose ?
08:43 Est-ce qu'on est en train de faire un retour en arrière ?
08:45 Et les bonnes questions qu'il ne faut pas se poser,
08:47 est-ce que c'est pas ça ?
08:48 C'est la façon dont on consomme, c'est ce qu'il y a dans notre assiette,
08:51 c'est les produits qu'il y a dans notre assiette,
08:53 et puis ce qu'on est capable, en fonction de notre façon de consommer,
08:57 de faire vivre ou pas dans le monde agricole.
08:59 En fait c'est ça les vraies questions non ?
09:00 - Oui c'est vrai que le panier de la consommation
09:04 représentait 30% de la consommation du ménage,
09:06 et c'est passé à 13%.
09:08 - De 40 à 13 ?
09:09 - De 40 à 13.
09:09 - On ne fait plus aucun effort par rapport à ce que l'on a ?
09:11 - L'alimentation coûte de moins en moins cher,
09:13 et ça se fait pourquoi ?
09:15 Parce qu'en fait on ne paye pas le travail des paysans,
09:16 ou on en importe des biens à bas prix.
09:19 - En même temps il y a l'inflation, Georges Fondé.
09:20 Les gens forcément investissent ce qui est moins cher.
09:22 - Alors du coup c'est vrai que pour veiller à la question du poids-radaché,
09:25 au lieu d'augmenter les salaires,
09:26 on préfère remunérer les paysans aujourd'hui.
09:28 Il y a un arbitrage qui est fait socialement,
09:30 qui est de dire "bon ben voilà, puisqu'il faut faire attention à l'inflation,
09:34 on va maintenir les prix bas de l'alimentaire,
09:37 quitte à importer d'ailleurs,
09:39 mais on ne paiera pas, on ne peut pas payer correctement les paysans".
09:43 - On comprend que la difficulté c'est d'avoir un prix minimum,
09:46 vous en avez parlé,
09:46 si on avait ce prix-là, ça réglerait quand même beaucoup de soucis ?
09:50 De ce que j'en comprends quand vous parlez...
09:52 - Disons que l'ancienne PAC montre qu'avec les prix minimums,
09:56 on a réussi à maintenir des milliers d'exploitations
09:58 qui sinon auraient disparu en termes de production de lait.
10:01 Alors il ne s'agit pas de reproduire l'ancienne PAC,
10:04 mais en tout cas ce qui est sûr c'est que les prix minimums
10:06 permettent de maintenir une multitude d'agriculteurs
10:09 qui aujourd'hui sont en train d'arrêter.
10:10 Ce qu'il faut savoir aujourd'hui,
10:11 c'est que vous avez tant de mille départs à la retraite,
10:14 tous les ans,
10:15 il n'y a que 12 000 installations.
10:17 Et c'est comme ça qu'on est passé de 1,2 millions d'exploitants
10:20 dans les années 80, à moins de 400 000 aujourd'hui.
10:23 Donc il y a un vrai problème.
10:24 - En fait, est-ce que ce n'est pas à nous consommateurs,
10:26 peut-être de consommer moins, mais de consommer mieux,
10:29 et de faire en sorte de consommer ce qui est produit,
10:32 produit de qualité déjà,
10:34 qui est à même de pouvoir assurer le fonctionnement de notre agriculture ?
10:39 Est-ce que c'est une sorte de...
10:41 Pardon, je vais prononcer le mot.
10:42 - Lobbying ?
10:42 - Non, sobriété alimentaire.
10:45 Dites-vous, vous m'avez dit avant de rentrer dans ce studio,
10:47 on veut s'acheter des portables à 1 000 euros,
10:48 mais qu'on commence par s'occuper de ce qu'il y a dans nos assiettes.
10:51 C'est vrai que vous m'avez dit tout à l'heure.
10:52 - Oui, on ne valorise pas assez le travail des agriculteurs.
10:54 Il y a un certain mépris vis-à-vis du milieu rural,
10:57 parce que si on ne valorise pas leur travail,
10:59 ça veut dire qu'on considère que c'est normal qu'ils ne soient pas bien payés.
11:02 Et du coup, c'est vrai que ça ne remet pas en cause les modes de consommation.
11:05 Effectivement, on est sollicité pour l'achat de portables,
11:08 pour des voyages à l'étranger, etc.
11:10 - Il faudrait mieux consacrer cet argent-là à notre assiette, quoi.
11:12 - Quand même, ce qui est essentiel, c'est le maintien de nos agriculteurs,
11:15 la nourriture de qualité, la qualité de nos paysages.
11:17 Il ne faut pas se douter d'un moment donné,
11:19 s'il n'y a plus d'élevage, que ça brûle dans le midi.
11:21 Parce que c'est l'élevage qui, à l'époque,
11:24 entretenait les paysages, et évitait que ça brûle.
11:26 Donc ça va nous coûter cher, en termes de santé publique,
11:29 en termes de maintien des paysages, et l'ouverture des paysages,
11:32 et la lutte contre les incendies de forêt,
11:34 en termes de dépollution des nappes,
11:35 parce qu'il faut voir ce que ça nous coûte en termes de collectivité,
11:38 la dépollution pour pouvoir avoir de l'eau correcte.
11:41 Donc, le problème, c'est qu'on n'internalise pas tous ces coûts,
11:44 et qu'on devrait sortir du paradigme actuel
11:46 d'externalisation des coûts pour revenir à des réalités économiques.
11:50 - Merci Georges Fondos, ingénieur, agronome.
11:53 Il y aura encore plein de choses à évoquer.
11:54 J'invite tous ceux qui nous écoutent ou qui nous regardent
11:56 à aller sur lemonde.fr pour y retrouver vos tribunes.
11:59 Merci à vous, et sans doute à bientôt.
12:01 - Et après les infos de 8h, c'est Michel Nougues qui sera notre invité.
12:04 Nous allons évoquer avec lui des conférences
12:06 sur la prévention des risques liés à la fragilité des seniors.
12:09 Des conférences et des débats qui sont organisés demain à Palavas.

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