Moins engagés, moins sérieux, moins compétents… Les actifs porteurs d’un tatouage visible sont très souvent perçus négativement sur le plan professionnel, selon une étude de l’EM Normandie. L’un de ses auteurs nous explique les mécaniques de cette discrimination méconnue.
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00:12 On parle aujourd'hui dans "Bien dans son job" des tatouages.
00:14 Alors c'est un sujet de sociologie.
00:16 Combien de collaborateurs vous avez croisés tatoués ?
00:19 Parfois c'est ostensible, parfois c'est très discret.
00:22 Il n'y a jamais eu d'études de fait sur ces personnes tatouées.
00:25 Comment elles vivent cela en entreprise ? Est-ce qu'elles sont discriminées ?
00:28 On en parle avec Vincent Meyer. Bonjour Vincent.
00:30 Bonjour.
00:31 Ravi de vous accueillir.
00:32 Vous êtes enseignant-chercheur à l'EM Normandie.
00:34 Vous avez d'ailleurs remarqué, j'ai vu dans votre thèse de doctorat,
00:38 en recevant le prix du meilleur article qualitatif, je le précise,
00:41 et là vous vous êtes penché sur les tatoués.
00:43 Concrètement, ce n'est pas une étude quantiste, une étude quali ?
00:47 C'est quoi ? Vous avez eu 20 personnes tatouées et vous avez échangé avec elles.
00:51 Qu'est-ce qu'elles vous ont dit ?
00:52 Tout à fait. Alors je précise, c'est dans le cadre du recrutement.
00:54 Donc on a eu des personnes, des candidats tatoués et des recruteurs tatoués ou non tatoués.
00:59 Il y a un effet miroir ?
01:01 Non, c'était des personnes séparément.
01:04 Mais ce qu'on a pu constater vraiment, c'est que les préjugés étaient toujours puissants
01:09 à l'égard du tatouage et souvent les personnes tatouées pouvaient être considérées
01:12 comme moins sérieuses, moins fiables, que le tatouage c'était le fait de classe populaire.
01:18 Ce qui est vrai à l'origine, il faut le préciser, c'était des voyous, c'est des bagnards.
01:21 C'est "ah ah ah, on va débattre".
01:24 Oui. Alors ça pouvait être effectivement les milieux un peu plus marginaux, artistiques,
01:29 mais c'était aussi dans l'armée, dans l'aristocratie.
01:32 Donc attention aux préjugés.
01:34 C'est vrai. Et c'est aussi, il faut le préciser, un certain nombre de signes distinctifs
01:37 des grandes mafias, les Yakuza notamment, pour ne pas les citer.
01:40 Aujourd'hui, le tatouage, c'est pas ça.
01:42 Un collaborateur qui se tatoue, vous dites, ça marque un moment fort de sa vie.
01:47 Il veut l'inscrire sur sa peau, c'est ça l'idée ?
01:49 Oui, vraiment. C'est le point de départ de cette étude.
01:51 Aujourd'hui, beaucoup de gens sont tatoués, on estime 25%, en particulier les 18-35.
01:59 Donc vraiment, c'est un phénomène de masse.
02:02 Et d'ailleurs, nous, notre étude, c'est parti d'un travail d'une étudiante,
02:05 puisque moi-même, j'ai dépassé l'âge du tatouage.
02:08 Mais voilà, elle a été tatouée et on a commencé comme ça.
02:10 Après, on l'a poussée au prolongé avec une collègue.
02:12 Mais le retour, c'est quoi ? Ils ont eu dans le regard du recruteur qui n'était pas tatoué,
02:16 puisque vous avez aussi donné la parole à des recruteurs tatoués.
02:18 Pour ceux qui ne sont pas tatoués, en venant tatouer,
02:21 quel sentiment ils ont eu et ils ont eu le sentiment d'être discriminés ?
02:26 Oui, alors, discriminer, c'est un mot fort et il faut faire attention.
02:32 Alors, il y a vraiment un débat dans la communauté scientifique.
02:34 Il y a des études qui montrent qu'il y a des discriminations en termes de salaire, en termes d'embauche.
02:38 Il y en a une, par exemple, aux Pays-Bas qui l'a montré,
02:41 et une autre aux États-Unis qui montre que non, il n'y a pas de discrimination.
02:44 Donc, il y a vraiment un débat.
02:46 En France, il n'y a pas eu d'étude menée.
02:48 Nous, on commence un travail vraiment avec du qualitatif.
02:50 Et pour nous, il y a une discrimination subtile mais réelle.
02:54 On a le sujet aussi dans le cinéma des comédiens qui se tatouent
02:58 et certains producteurs ne veulent pas les recruter parce qu'ils ont des tatouages ostensibles.
03:03 C'est le même problème en entreprise, je ne sais pas.
03:05 Service commercial, relation au public, ce sujet-là, il est posé quand même.
03:09 Très clairement. La grande question, c'est visible ou pas visible.
03:13 Au-delà du nombre, on peut avoir 15 tatouages dans le dos, ça ne posera pas de problème.
03:17 Un petit tatouage discret sur la main, tout de suite, ou sur l'avant-bras, ça va poser question.
03:23 Et puis, évidemment, le secteur d'activité.
03:26 Il y a des études qui ont montré que si on est dans les milieux artistiques,
03:29 dans les boîtes de nuit, ça va plutôt être un avantage.
03:31 Même les start-up, j'ai envie de dire, le côté fun.
03:34 Exactement. Mais si on est dans la banque, l'audit ou l'assurance, ça va commencer à coincer quand même.
03:39 On a même des personnes, en allant un peu loin, qui commencent à se tatouer le visage.
03:43 Mais celle-ci, je veux dire, elle s'exclut de fait.
03:46 Quel regard vous portez sur ce sujet-là ?
03:49 Alors, je n'ai pas de regard particulier.
03:51 Nous, notre étude, c'est vraiment sur les gens un peu plus dans les métiers classiques.
03:54 C'est ça qui nous intéresse, que c'est une population beaucoup plus "classique".
03:59 Évidemment, si vous arrivez avec un gros serpent ou un message très fort sur le visage,
04:05 bon, clairement, vous n'avez pas postulé à tous les emplois.
04:09 Vous prolongez votre travail qualitatif par du "quanti", c'est-à-dire du volume,
04:14 pour avoir de la data, j'imagine.
04:16 Ça, c'est le prolongement du travail que vous menez.
04:18 Cette étude va sortir dans quelques semaines ?
04:20 Oui, l'étude qualitative sort très prochainement.
04:23 La quantitative, on est en train de la mener.
04:24 Par exemple, déjà, les premiers résultats montrent que, là, on est au tout début de l'étude,
04:29 on a 150 résultats et 30% déclarent, des personnes tatouées, avoir été victimes de remarques désobligeantes liées à leur tatouage.
04:41 Ça veut dire que votre étude va servir, évidemment, à ceux qui sont tatoués,
04:44 mais de vous à moi, c'est quand même compliqué d'effacer ces tatouages,
04:46 parce qu'on l'a fait de son plein gré.
04:48 Ça veut dire que vous parlez au RH, là, en ce moment-là ?
04:50 Oui, on parle au RH et un des sujets clés de notre étude, c'est avant tout d'en parler.
04:55 Parce que quand on va être recruteur, on va naturellement avoir des biais, des préjugés.
05:00 Et donc, la pire chose à faire, c'est de ne pas parler du tatouage, de ne pas l'évoquer.
05:04 Et aujourd'hui, on parle beaucoup d'inclusion sur plein de sujets,
05:07 mais celui-là, il s'est ressorti de notre étude aussi, n'est pas du tout traité.
05:11 Et ça crée vraiment un sentiment d'auto-censure de la part des candidats ou des salariés,
05:16 ça crée un sentiment de manque d'authenticité,
05:19 et ça a des répercussions très concrètes sur l'engagement et la productivité au travail.
05:23 Vous venez de nous parler d'études quantitatives, mais vous nous dites quand même que,
05:27 déjà, rien que sur l'étude Cali, on voit qu'il y a un biais autour de ce tatouage.
05:30 Ah oui, c'est clair.
05:31 C'est clair et net.
05:32 Oui, oui, oui. Et puis, il y a beaucoup d'études quantiques qui ont montré qu'on a tous des biais.
05:35 Je peux vous donner plein d'exemples.
05:37 Mais des biais, ça veut dire, est-ce qu'il y a une discrimination ?
05:41 Ça, c'est un débat assez complexe.
05:42 Ça, c'est l'autre niveau, voilà.
05:43 Mais il y a forcément des biais.
05:44 Vous allez voir un collègue tatoué, vous n'avez rien contre le tatouage,
05:47 mais voilà, c'est un beau paysage de montagne et puis il y a des petits Pokémon dessus.
05:51 Vous allez trouver la personne moins sérieuse.
05:54 Donc, est-ce que vous allez lui donner un poste de manager, un poste de responsable ?
05:58 Vous n'allez jamais dire non, non, je ne vous le donnerai pas.
06:00 On ne l'avouera pas.
06:01 Exactement.
06:02 Mais l'inconscient a été percuté.
06:03 Voilà.
06:04 Merci pour cette analyse passionnante.
06:06 C'est un sujet qui est peu traité et merci de nous l'avoir exposé
06:08 et vous le prolonger par une étude quantitative.
06:11 Ce sera intéressant, lorsque vous l'aurez terminé, de peut-être venir nous la présenter dans l'émission Smart Viewer.
06:16 Merci Vincent Meillère, enseignant-chercheur à l'EM Normandie.
06:19 C'est un vrai plaisir de vous accueillir.
06:21 On tourne une page, le cercle est rache et on va s'intéresser à un mot.
06:24 Peut-être que vous n'en avez jamais entendu parler, l'entreprise régénérative.
06:28 Qu'est-ce que c'est ce concept ?
06:30 C'est bien plus qu'un concept, il y a déjà des entreprises qui optent pour ce modèle.
06:35 On va en parler avec nos experts, des spécialistes de ce sujet et je les accueille.
06:40 et je les accueille.