C’est le propos défendu par Nathalie Sonnac dans son livre « Le nouveau monde des médias, une urgence démocratique » aux éditions Odile Jacob. L’ex-membre du CSA (ARCOM) appelle à en finir avec la domination des GAFA pour mieux protéger l’information. Il en va de la survie de la démocratie.
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00:00 *Générique*
00:04 A la une cette semaine, Nathalie Sonnac, bonjour.
00:07 Bonjour.
00:08 Alors Nathalie, vous êtes ancienne membre du CSA, vous êtes également professeure à l'université Paris Panthéon-Assas et vous avez publié ceci,
00:15 "Le nouveau monde des médias, une urgence démocratique", c'est aux éditions Odile Jacob.
00:20 Alors le point de départ du bouquin, Nathalie, c'est la domination de plus en plus prégnante des GAFA sur l'écosystème médiatique.
00:27 Selon vous, en quoi est-ce que ça pose problème ?
00:30 Ça pose problème parce que ces acteurs ont une puissance économique et financière bien plus importante que les acteurs traditionnels.
00:39 Ce sont des acteurs qui sont concentrés verticalement, horizontalement, c'est-à-dire qu'ils sont présents dans tous les secteurs d'activité.
00:45 Ils ont des modèles dits de recommandations qui s'appuient sur une algorithmie, sur une collecte massive de données
00:53 dont on n'est pas toujours d'ailleurs consentant à leur fournir.
00:58 Et ces acteurs-là, en deux mots, Google et Apple, ont par exemple une valorisation boursière de 3 800 milliards de dollars
01:05 qui est supérieure à celle du PIB de la France.
01:08 Donc on voit que ces géants ont investi beaucoup de champs et notamment celui de l'information.
01:14 Et ça appauvrit aussi l'écosystème médiatique classique qui finalement a du mal à résister sur un plan économique par exemple ?
01:23 Disons que l'asymétrie de taille entre ces acteurs conduit nos acteurs traditionnels à être toujours en train de courir
01:31 après ces géants de l'information et également du divertissement.
01:36 Vous prenez Netflix aujourd'hui, il a investi 17 milliards d'euros dans les contenus, 1 milliard d'euros dans le marketing.
01:43 Donc vous voyez en face, c'est extrêmement compliqué pour un acteur, même lorsqu'on s'appelle un Vivendi ou un groupe comme Bertelsmann,
01:50 finalement d'être aussi puissant que ces acteurs, de pouvoir investir autant et d'être attractif pour les consommateurs.
01:58 Sur le plan économique, c'est compliqué aujourd'hui pour les médias.
02:02 On a vu un média comme Libération se placer sous une fondation.
02:06 On a vu que les médias digitaux qui émergent aujourd'hui ont quand même un peu de mal à trouver leur rentabilité.
02:13 C'est aussi le cas d'ailleurs pour beaucoup de chaînes de la TNT aujourd'hui.
02:17 Est-ce qu'il y a trop d'offres médiatiques ?
02:20 Est-ce qu'il faut arriver à un mouvement de concentration pour pouvoir être peut-être plus fort et aller lutter contre ces mastodontes-là ?
02:27 En tout cas, c'est ce qu'on observe.
02:28 Si vous regardez la presse écrite, elle a perdu en 15 ans 70% de ses revenus publicitaires.
02:34 On comprend bien que ces nouveaux acteurs proposent beaucoup d'informations,
02:39 beaucoup de contenus en ligne gratuitement, qui conduit finalement à faire vaciller le modèle économique des médias traditionnels
02:46 qui repose à la fois sur la vente de l'information, qu'elle se soit en ligne ou en kiosque, et sur les revenus publicitaires.
02:52 Sur deux leviers qui sont essentiels, les consommateurs et les annonceurs, et la publicité, nos acteurs traditionnels sont attaqués.
03:01 Le danger, il est évidemment une réduction dans la salle de rédaction du nombre de journalistes, une fermeture des titres.
03:09 On le voit beaucoup aux États-Unis.
03:11 Un canton sur deux aux États-Unis a perdu un titre de presse quotidienne régionale.
03:16 La presse écrite, de façon générale, est en danger.
03:19 Et puis, comme vous le soulignez, la télévision.
03:22 On a une multiplication du nombre de chaînes depuis 2015 avec l'arrivée de la TNT.
03:27 C'est une formidable opportunité, plus de divertissé, plus de diversité, plus de pluralisme, plus de distraction, plus d'informations, plus de points de vue différents.
03:36 Ça pose d'ailleurs des questions sur des chaînes d'information.
03:38 Mais néanmoins, ce parterre-là, ne pas oublier finalement que ça repose également sur des modèles économiques.
03:45 C'est-à-dire que les entreprises sont véritablement des entreprises comme les autres.
03:49 Elles ont un particularisme qui est essentiel, qui est le véhicule d'une information, donc un service public.
03:56 Un service qui doit être accessible au plus grand nombre.
03:58 Mais dans le même temps, elles sont également des entreprises comme les autres et qui doivent absolument bénéficier d'une taille suffisante de consommateurs, de lecteurs, d'argent suffisant pour pouvoir investir dans des nouvelles technologies.
04:12 Pour faire en fait la parade à ces acteurs en ligne qui sont multiples et surtout extrêmement gros, puissants.
04:19 Sur cette taille suffisante, on a eu une tentative de rapprochement entre TF1 et M6 et ça n'a pas pu aboutir pour des questions de concurrence notamment.
04:28 C'était une erreur ça selon vous de bloquer ce rapprochement-là ?
04:33 C'est toujours pareil. En fait, l'autorité de la concurrence a fait la photo à l'instant T.
04:37 C'est son job. Elle est dans son métier. Elle a des outils.
04:40 Et les outils sont ceux de "est-ce que sur le marché de la publicité télévisée, il y a-t-il position dominante ?"
04:46 Et l'effet c'est de toujours éviter qu'il y ait une position qui soit dominante pour éviter l'abus derrière de cette position dominante.
04:53 Sur le marché de la publicité télévisée, au moment où l'opération de fusion a été regardée, possible ou potentielle, entre les groupes TF1 et M6, c'était à peu près 70% de part de marché publicité télévisée.
05:06 Donc on peut se dire qu'effectivement l'autorité de la concurrence conclut position dominante avec risque derrière d'abus de cette position.
05:13 Mais dans le même temps, on voit bien qu'il y aurait dû y avoir une politique derrière de mise en place, d'explication, de compréhension de cette transformation incroyable que vit depuis plusieurs années le secteur des médias.
05:24 Et si vous regardez aujourd'hui les modèles des nouveaux acteurs tels que Netflix ou Disney+ qui entrent en concurrence directe avec nos acteurs traditionnels, eux ouvrent leur modèle à la publicité.
05:35 Donc le fait de considérer le marché de la publicité télévisée sans prendre en considération finalement le marché de la publicité vidéo, c'est 80% de la bande passante, la vidéo, ça a conduit finalement à refuser techniquement parlant, on le comprend, l'opération de fusion TF1/M6.
05:52 Mais ça signifie derrière qu'il n'y a pas une appréhension des modèles économiques de nos acteurs et le danger finalement le plus grand, et moi c'est pour ça que cet ouvrage est véritablement une alerte, comme une lanceuse d'alerte que j'ai voulu faire,
06:06 c'est en disant attention le danger c'est que le modèle des médias traditionnels est en train de vaciller et le risque c'est finalement dans les années à venir que nous n'ayons plus de médias.
06:17 Est-ce que les annonceurs en sont conscients ? Parce que quand même j'ai reçu pas mal de dire comme qui me disent tous "non mais nous on fait très attention au pluralisme, on va..."
06:28 Mais quand ils mettent des queues de budget à droite à gauche et que tout finalement est aspiré par ces gars femmes, bon finalement le jeu est un peu biaisé quand même.
06:36 Il est clair qu'aujourd'hui les annonceurs comme n'importe quelle entreprise ont des responsabilités, aujourd'hui il faut absolument les alerter pour qu'ils comprennent qu'ils ont des responsabilités,
06:46 une responsabilité sociale, qui est une responsabilité sociétale et que si nous n'avons plus de médias qu'est-ce qu'il en est ?
06:52 En fait la question est véritablement politique, éthique, sociale et sociétale, donc elle est large, elle est globale mais qu'est-ce que nous voulons pour demain ?
07:02 Comment finalement veut-on que les consommateurs s'informent ? Et c'est ça le point principal.
07:09 Finalement le point principal des médias c'est qu'ils ont des contenus qui sont des contenus de divertissement mais ils ont un contenu qui est celui de l'information.
07:16 Or s'il n'y a plus une information qui est de qualité, traitée, hiérarchisée, collectée et puis véritablement vérifiée, donc c'est ça vraiment la nature d'une information dite de qualité,
07:28 eh bien ça sert à un véritable chaos.
07:30 Et seul les médias, qu'ils soient publics et privés, ont pour mission de fabriquer une information de qualité.
07:40 Les Google, les Apple ou d'autres acteurs économiques, ces géants du numérique, sont des acteurs qui n'ont absolument pas pour mission de fabriquer de l'information.
07:49 D'ailleurs ils ne fabriquent pas l'information, ils font une sorte de curation de l'information, ils diffusent l'information, ils la distribuent mais ils ne la fabriquent pas.
07:57 Or, en étant présents de façon hégémonique sur la chaîne de valeur de l'information à tous les étages, eh bien ils empêchent les acteurs traditionnels de fabriquer une information de qualité.
08:07 Et c'est là l'urgence démocratique, c'est que nous avons besoin dans des sociétés démocratiques d'une information de qualité pour que le consommateur soit un citoyen.
08:17 Le problème c'est que le consommateur aussi est perdu face à cette multiplicité de contenus et que parfois j'ai le sentiment qu'il n'arrive plus à distinguer ce qui est de l'information qualifiée,
08:28 fabriquée par des journalistes, des médias qui ont une certaine éthique et parfois des influenceurs ou monsieur et madame tout le monde qui se met à répandre un peu tout et n'importe quoi
08:39 et qui finalement parfois a même une meilleure audience que les médias traditionnels.
08:43 Mais vous avez entièrement raison, le constat que vous faites et celui-ci, je fais le même que vous, il s'avère que déjà ce qu'on observe c'est une sorte d'infobésité,
08:53 c'est-à-dire trop d'informations, une fatigue informationnelle comme on dit dans le jargon, une immensité d'informations finalement, les citoyens, les consommateurs ne parviennent plus à faire le tri
09:05 et puis n'ayant pas la source, ne faisant plus le distinguo entre une information dite de qualité fabriquée avec une déontologie et puis monsieur et madame tout le monde qui va tweeter ou informer ou poster.
09:19 Donc finalement le travail parlementaire au niveau européen est en train de se faire, plusieurs directives ont été mises en place avec un objectif qui est véritablement celui de certifier l'information.
09:33 Alors ça ne sera pas un bureau politique de la véracité de l'information mais celui de nous garantir de la crédibilité de la source que nous sommes en train de consommer.
09:43 Ça se fait au niveau européen, il faut absolument l'ancrer et le transposer très rapidement et de façon urgentement dans la loi nationale française.
09:54 Comment est-ce que vous regardez la reprise de Twitter par Elon Musk ?
09:59 Ce que je constate c'est que finalement ces acteurs ont une telle puissance, ils sont aussi puissants que des états, que finalement ils ont une puissance sur l'espace public
10:11 comme l'aurait n'importe quel état alors que celui-ci, un état démocratique, dont le gouvernement a été élu, il y a eu des votes, il y a des lois, il y a un cadre, c'est absolument pas le cas d'une entreprise privée.
10:24 Donc il faut absolument mettre le holà, d'ailleurs la commission européenne met le holà envers Twitter en disant qu'ils ne suivent absolument pas les règles
10:33 nouvellement applicables pour la directive de service de médias audiovisuels qu'on appelle le DSA.
10:39 Donc cette directive-là oblige les plateformes justement non pas à avoir une responsabilité éditoriale mais non moins à avoir une responsabilité
10:47 en l'occurrence en lien avec la circulation de fausses informations, le retrait de fausses informations ou de contenus haineux.
10:56 Donc il fait beaucoup de mal à notre démocratie, ce réseau social fait beaucoup de mal à notre démocratie.
11:02 Aujourd'hui est dans le viseur également une plateforme comme TikTok qui ne rentre pas complètement dans les clous.
11:08 Donc moi je pense qu'il faut aller vite auprès de ces acteurs, à la fois vraiment taper, fabriquer une loi qui soit idoine,
11:18 qui soit en application avec les usages que l'on a tous, c'est-à-dire majoritairement en ligne, et en même temps utiliser un autre levier
11:27 qui me semble central qui est celui de l'éducation aux médias et à l'information.
11:31 Il faut que nous tous, citoyens, puissions être armés de ce terme-là pour pouvoir finalement savoir, comprendre comment se fabrique une information,
11:41 comment se fabrique une désinformation, comprendre qu'il faut absolument avoir la source,
11:46 comprendre comment le champ et le domaine informationnel fonctionnent parce qu'il est vrai qu'avec un smartphone tous dans la poche,
11:54 on a ce sentiment de se croire finalement tous un peu journaliste sans avoir aucunement les codes déontologiques.
12:01 Est-ce qu'il faut mettre ça dans les programmes scolaires par exemple ?
12:05 Alors c'est déjà le cas, l'éducation, on parle d'éducation civique, on parle d'éducation citoyenne, c'est le cas.
12:11 Moi je pense qu'il faut véritablement industrialiser la manœuvre.
12:14 Malheureusement ce sont deux événements majeurs comme 2015 avec les attentats à l'encontre de Charlie Hebdo
12:21 et puis ensuite l'assassinat en 2022 de Samuel Paty qui ont fait réagir immédiatement le ministère de l'éducation nationale
12:30 et qui a permis de prendre des directives, en l'occurrence à l'époque Jean-Michel Blanquer, une directive, une circulaire plutôt,
12:36 qui était celle d'un référent académique dans l'éducation aux médias et à l'information, surtout dans le territoire français.
12:46 Mais il faut aller beaucoup plus loin, il faut véritablement que cette matière, certains pensent aujourd'hui,
12:52 elle est appréhendée de façon transverse, c'est-à-dire qu'on en parle en cours de français, en cours d'histoire géo,
12:58 mais on voit bien que ce n'est pas suffisant, en tout cas moi je serais favorable à ce qu'il y ait véritablement une matière,
13:04 depuis petit comme les maths, le français et ça jusqu'en classe de terminale,
13:08 de repenser la place du professeur documentaliste qui aujourd'hui n'est absolument pas là où il devrait être
13:15 alors qu'il est au centre de ce nouvel écosystème, il est au centre de ce nouveau monde et c'est un acteur et un actif majeur,
13:24 donc un acteur majeur que l'on n'utilise pas alors que c'est un actif stratégique, pardon ce terme pour un professeur d'éducation,
13:30 mais c'est ce qu'il est, il a une valeur extraordinaire ce professeur documentaliste qui n'est pas suffisamment reconnu,
13:36 qui n'est pas suffisamment au centre de cet espace-là et puis il faut multiplier évidemment les actions.
13:42 Moi je propose des pistes, notamment un lien, un pont qui soit beaucoup plus fort,
13:48 qui soit formalisé entre l'éducation et les médias, médias publics et privés,
13:53 que des conventions soient signées, que des journalistes puissent être dépêchés,
13:57 non pas lorsqu'ils ont le temps ou sur leur propre temps de travail ou sur leur propre temps plutôt de personnel,
14:03 mais plutôt qu'ils puissent aller aider à former, pas simplement les élèves, former les professeurs.
14:09 Parce qu'il y a un nouveau venu depuis quelques temps qui s'invite dans tout cet écosystème, c'est l'IA,
14:13 et ça va là encore complexifier je pense la façon dont on va essayer de savoir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.
14:20 Tout à fait, d'où mon idée d'urgence, parce que vous avez raison, l'innovation technologique va beaucoup plus loin,
14:25 va beaucoup plus vite et qu'on a du mal à suivre. L'intelligence artificielle peut être également un atout,
14:32 c'est un atout, c'est peut-être un outil formidable, mais il faut encore, il ne faut pas que ce soit l'outil qui conduise l'humain,
14:38 mais bien l'humain qui conduise est le moyen pour bien conduire, c'est que l'outil reste à sa place et que nous sachions l'utiliser.
14:45 Donc lorsqu'on souhaite conduire une voiture, on passe un permis de conduire, donc on a des heures de code,
14:50 et puis ensuite on a des heures de conduite et le minimum, et ce minimum là, ce code de conduite et ce code de route,
15:00 ce code de la route doit être exactement identique finalement à celui de notre fonctionnement et de aujourd'hui qui est en permanence en ligne.
15:10 Merci beaucoup Nathalie Sonnac, je rappelle votre livre "Le nouveau monde des médias, une urgence démocratique", c'est aux éditions Odile Jacob.