Qui connait le camp de Dora en Allemagne là où quelques 20 000 déportés, dont bon nombre de Français ont trouvé la mort durant la seconde guerre mondiale ? En réalité, bien peu de monde. Et pourtant, étant donné sa spécificité ce camp ne ressemblait à aucun autre et s'avérait crucial pour l'avenir du régime hitlérien. Le régime nazi concevait, en secret, par ce camp de travail, ses fusées V1 et V2. Comment ce camp s'est-il construit ? Que se passait-il à l'intérieur ? Et comment en garder mémoire aujourd'hui ?
Pour en débattre, Laurent Thiery, historien chargé de recherches à la Fondation de la Résistance, Aurélie Filipetti, ancienne ministre de la Culture et directrice des Affaires culturelles à la mairie de Paris, Johann Chapoutot, historien, auteur, spécialiste du nazisme et de l'Allemagne, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris Sorbonne.
LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.
Pour en débattre, Laurent Thiery, historien chargé de recherches à la Fondation de la Résistance, Aurélie Filipetti, ancienne ministre de la Culture et directrice des Affaires culturelles à la mairie de Paris, Johann Chapoutot, historien, auteur, spécialiste du nazisme et de l'Allemagne, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris Sorbonne.
LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.
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00:00:00 Générique
00:00:01 ...
00:00:16 -Bienvenue à tous dans "Débat d'oct".
00:00:18 Qui connaît le camp de Dora Mittelbau en Allemagne,
00:00:22 là où quelques 20 000 déportés,
00:00:24 dont bon nombre de Français,
00:00:26 ont trouvé la mort durant la Seconde Guerre mondiale ?
00:00:29 En réalité, bien peu de monde.
00:00:31 Et pourtant, étant donné sa spécificité,
00:00:34 ce camp ne ressemblait à aucun autre
00:00:37 et s'avérait crucial pour l'avenir du régime hitlérien.
00:00:41 C'est ce que vous allez comprendre
00:00:43 avec le documentaire exclusif qui suit "Les ombres de Dora",
00:00:47 réalisé par Xavier-Marie Bonneau.
00:00:49 Je vous laisse le découvrir
00:00:51 et je vous retrouverai juste après sur ce plateau,
00:00:54 en compagnie des historiens Laurent Thierry et Johan Chapoutot,
00:00:58 ainsi que l'ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti,
00:01:01 dont trois aïeux sont passés par Dora.
00:01:05 Avec eux, nous évoquerons le long martyre
00:01:08 enduré par les victimes du système concentrationnaire nazi.
00:01:12 Bon doc.
00:01:13 Musique sombre
00:01:16 -Avril 1945.
00:01:19 Les Américains pénètrent dans le camp de concentration de Dora,
00:01:24 en plein coeur de l'Allemagne.
00:01:26 Des opérateurs de prise de vue sont chargés
00:01:29 de fixer sur la pellicule tout ce qu'ils voient.
00:01:32 Il y a des déportés qui vactent aux dernières tâches du camp,
00:01:36 des baraques,
00:01:38 des fours crématoires
00:01:40 et des corps qui gisent au sol.
00:01:43 Étrangement, on est loin des horreurs
00:01:45 que les G.I.s ont pu voir dans d'autres camps.
00:01:48 ...
00:01:53 Plus loin, on découvre des moteurs d'un nouveau type
00:01:56 et ce qui ressemble à des réacteurs, du jamais vu.
00:01:59 ...
00:02:02 Un opérateur accompagne les officiers
00:02:05 jusque devant l'entrée d'un tunnel.
00:02:07 On l'aperçoit, caméra sur l'épaule, sur le bord gauche de l'écran.
00:02:11 La suite sera coupée au montage.
00:02:15 Les officiers et l'opérateur ressortent.
00:02:18 Ce qu'ils ont vu à l'intérieur de ce tunnel
00:02:21 restera classé défense durant des décennies.
00:02:24 ...
00:02:26 Un général emporte dans ses dossiers,
00:02:28 ce qui permettra plus tard à l'humanité
00:02:30 de faire un pas de géant.
00:02:32 ...
00:02:35 Musique douce
00:02:39 ...
00:02:49 C'est un train qui roule vers l'Allemagne,
00:02:51 un voyage pour la mémoire.
00:02:53 ...
00:02:58 Retrouver des ombres, retrouver les siens.
00:03:01 ...
00:03:03 Sylvie cherche les traces d'un père,
00:03:06 un homme revenu de l'enfer,
00:03:08 un père qu'elle a perdu quand elle n'était encore qu'une enfant.
00:03:12 ...
00:03:13 Elle savait de lui la déportation et le nom d'un camp,
00:03:17 Dora. Un drôle de nom.
00:03:19 ...
00:03:22 Un lieu dont ils ne parlaient jamais.
00:03:24 ...
00:03:34 ...
00:03:38 Le voyage de Sylvie, ses recherches sur le parcours de son père,
00:03:42 ont commencé dans ces boîtes de carton qu'elle a pieusement conservées.
00:03:46 ...
00:03:48 Jacques Malsan était le matricule 21 598 au camp de Dora.
00:03:53 ...
00:03:55 Le 1er mars 2007, par un étrange hasard,
00:03:59 Sylvie a reçu une lettre écrite de la main de son père
00:04:02 en 1945, au retour de déportation.
00:04:06 ...
00:04:07 -Je pense qu'elle est tombée, certainement, de choses qu'on jetait.
00:04:11 Elle a été trouvée, voilà,
00:04:14 par une dame, professeure de piano,
00:04:17 qui allait à son cours le matin très tôt sur le trottoir.
00:04:21 Voilà comment...
00:04:23 Comment toute cette histoire a commencé.
00:04:25 C'est pas n'importe qui.
00:04:28 C'est mon père, et c'est mon père qui a disparu depuis longtemps.
00:04:32 C'est-à-dire que...
00:04:33 ...
00:04:39 "L'on évacuait même plus les morts, l'on se vautrait sur les cadavres,
00:04:43 "la dysenterie, le délire cérébral causait toujours des ravages.
00:04:47 "Je luttais désespérément contre la fièvre menaçante,
00:04:52 "résolue à défendre ma peau jusqu'au bout."
00:04:56 ...
00:05:02 Jacques écrit à Raymond,
00:05:04 ce camarade dont je ne connaissais pas le nom.
00:05:08 Je suis toujours en train de chercher ses descendants.
00:05:12 Jacques et Raymond ont été séparés
00:05:14 au moment de l'évacuation du camp par les Allemands.
00:05:17 ...
00:05:23 -Au moment où les opérateurs de l'armée américaine
00:05:26 filment le camp de Dora,
00:05:28 les déportés comme Jacques Malsan ont été emmenés loin du camp.
00:05:32 Eux aussi font partie des secrets de Dora,
00:05:35 car ils savent ce qu'il se passait à l'intérieur du tunnel,
00:05:39 et cette vérité ne doit pas tomber aux mains de l'ennemi.
00:05:42 -Dans ce tunnel,
00:05:46 il y avait quelque chose qui intéressait les Américains
00:05:49 en dehors de la libération des prisonniers,
00:05:52 et cela va devenir très important après 1945.
00:05:56 Ce qui les intéressait,
00:05:58 c'est la technologie qui a été produite dans ces tunnels,
00:06:02 la technologie des fusées nazies, les V2.
00:06:06 ...
00:06:11 -Des années plus tard, en juillet 1969,
00:06:14 on réalisera enfin à quoi servaient les secrets bien gardés de Dora.
00:06:18 A Cap Kennedy,
00:06:20 Saturne V s'apprête à décoller.
00:06:23 C'est la mission Apollo 11.
00:06:25 ...
00:06:33 Le savant qui a rendu possible ce pas de géant
00:06:36 pour toute l'humanité s'appelle Werner Von Braun,
00:06:39 un homme dont la carrière est liée au destin de Dora.
00:06:42 Sans Von Braun, sans le sacrifice des déportés,
00:06:46 la conquête spatiale aurait pris des décennies.
00:06:49 ...
00:06:51 Le chemin qui menait l'homme sur la Lune
00:06:54 passait tout d'abord par l'enfer de Dora,
00:06:56 de quoi sceller à jamais le secret défense.
00:06:59 -Il y a un procès en 1947,
00:07:02 organisé par les Américains à Dachau
00:07:04 pour juger les criminels de Dora.
00:07:06 Parmi ces criminels, aucun scientifique
00:07:08 ne pourra comparaître malgré les demandes du procureur américain.
00:07:12 C'est le seul exemple de ces procès de l'après-guerre
00:07:15 pour des criminels nazis,
00:07:16 pour lesquels l'intégralité des archives
00:07:19 sera classée secrète défense aux Etats-Unis
00:07:21 et sera complètement empêchée d'accès aux historiens,
00:07:25 aux journalistes, avant les années 90.
00:07:28 ...
00:07:33 -Pour comprendre les silences qui entourent le camp de Dora,
00:07:36 il faut remonter à 1942.
00:07:38 Les nazis viennent alors d'envahir l'Union soviétique
00:07:41 et leurs forces s'épuisent peu à peu sur le front de l'Est.
00:07:45 ...
00:07:49 Dans un même temps, le territoire de l'Allemagne
00:07:51 est de plus en plus bombardé par les Alliés
00:07:54 et toute l'industrie est visée.
00:07:56 ...
00:07:59 -A partir surtout de 1942,
00:08:02 les nazis commencent à avoir cette idée
00:08:05 qu'il faut enterrer les installations industrielles
00:08:09 pour les protéger des bombardements.
00:08:11 ...
00:08:14 -Le 18 août 1943,
00:08:16 598 bombardiers décollent d'Angleterre.
00:08:19 Leur mission, une base secrète au nord de l'Allemagne,
00:08:23 Penemünde.
00:08:24 C'est là que les nazis mettent au point des armes d'un nouveau type,
00:08:28 des fusées capables d'inverser le cours de la guerre,
00:08:31 des V1 et des V2.
00:08:33 "V" pour "Fergeltungswaffen",
00:08:36 ce qui signifie "armes de représailles".
00:08:38 Les Alliés vont tout faire pour anéantir Penemünde.
00:08:42 Les Allemands décident alors de transférer les installations
00:08:45 à Dora.
00:08:46 ...
00:08:51 -C'est dans ce cadre-là
00:08:53 que va être créée Dora, Nordhausen.
00:08:57 D'abord comme commandant
00:09:00 du grand camp, qui est un des tout premiers camps,
00:09:02 créé dès 1937, qui est Brunwald.
00:09:05 Et puis, petit à petit, Dora va grossir,
00:09:08 prendre son autonomie
00:09:10 et devenir un camp de concentration
00:09:13 à lui tout seul.
00:09:15 Musique sombre
00:09:16 -C'est la SS qui est chargée de construire Dora.
00:09:19 Himmler envoie sur place Hans Kammler.
00:09:22 Kammler, un ingénieur,
00:09:25 un pur nazi qui a déjà construit les usines de Mordauschwitz.
00:09:29 Il va utiliser la main-d'oeuvre du camp de Brunwald,
00:09:32 des milliers d'hommes qui vont être décimés
00:09:34 par le travail forcé.
00:09:36 -C'est juste ma taille.
00:09:43 Hein ?
00:09:46 C'était pas mal, mais enfin !
00:09:49 Ouais, y a mieux.
00:09:57 -Roland Boisson était le matricule 21 085.
00:10:00 Il a 20 ans quand il est arrêté comme résistant.
00:10:04 Début 1943, il est envoyé sur le chantier de Dora.
00:10:08 Roland est le dernier survivant des premiers travaux,
00:10:12 au moment où il faut terminer les tunnels
00:10:14 qui vont recevoir les chaînes de montage des V1 et des V2.
00:10:17 -C'était impressionnant,
00:10:22 très vaste.
00:10:26 Je me suis vu me mettre dans des situations difficiles,
00:10:29 mais ça ne me gênait pas à ce moment-là
00:10:32 de coucher dans un tas de cadavres.
00:10:34 Et puis, pendant ça, j'ai été en quête.
00:10:38 Et puis, jusqu'à ce qu'on vienne les ramasser,
00:10:42 c'était une solution...
00:10:45 Dans ce moment-là, vous savez, on ne regardait pas ça.
00:10:52 ...
00:10:58 -Le camp de Dora n'est pas encore fini
00:11:00 quand Jacques Malsan est arrêté par la Gestapo.
00:11:03 Jacques a été résistant.
00:11:05 Son travail d'opérateur radio lui permettait
00:11:07 d'écouter les messages de la Wehrmacht.
00:11:10 Il tente de rejoindre la France libre, en Afrique du Nord,
00:11:13 mais il tombe dans les mailles de la SS.
00:11:15 -C'est un petit peu avant de franchir
00:11:19 la frontière espagnole,
00:11:22 dans une petite gare à Saint-Palais,
00:11:26 qui est arrêtée par les services de renseignement de la SS.
00:11:30 Il est arrêté le 14 juin 1943.
00:11:34 Il est transféré à Compiègne le 4 août
00:11:37 et il est déporté à Wickenwalde le 17 septembre 1943.
00:11:41 -Toujours.
00:11:42 -Avant de partir pour l'Allemagne,
00:11:44 Sylvie a décidé de faire le voyage jusqu'à Compiègne.
00:11:47 C'est la première fois qu'elle prend ce train,
00:11:50 un peu comme si elle repoussait ce rendez-vous de la mémoire,
00:11:53 le moment de refaire le même trajet que son père, en août 1943.
00:11:58 ...
00:12:06 48 000 Français sont passés par le camp de Royalieux, à Compiègne.
00:12:10 C'était une caserne, en 1943.
00:12:14 Les Allemands et le gouvernement de Vichy
00:12:17 l'ont transformée en antichambre de la déportation.
00:12:19 ...
00:12:46 -S'il avait vu ça...
00:12:47 Il aurait été...
00:12:51 Ça aurait été important pour lui, il aurait été content
00:12:57 et en même temps, il aurait eu un sourire un petit peu gêné.
00:13:02 Voilà. Il fallait pas oublier ce qu'il avait fait
00:13:06 et en même temps, il avait la modestie des résistants.
00:13:12 ...
00:13:20 -Donc, votre père a très bien pu être interné
00:13:23 dans un de ces trois bâtiments. -Oui.
00:13:25 ...
00:13:29 -Là, ici, c'est une photo qui a été prise
00:13:31 juste après le départ d'un convoi.
00:13:33 On voit très clairement des Compiénois
00:13:36 qui ramassent au sol des petits messages
00:13:39 laissés par les déportés
00:13:41 pour espérer prévenir leur famille de leur départ.
00:13:44 -Pierre-Marc a été interné au camp de Compiègne.
00:13:48 Son histoire commence dans sa ville natale,
00:13:51 Saint-Claude, dans le Jura.
00:13:53 Le 9 avril 1944, le jour de Pâques,
00:13:56 le SS Klaus Barbie est venu spécialement de Lyon
00:14:00 pour mater le maquis du coin.
00:14:02 Mais les résistants sont insaisissables.
00:14:04 Par pur représailles,
00:14:06 2 000 habitants sont rassemblés sur la place principale.
00:14:10 Le SS en retient 307 pour la déportation.
00:14:13 Pierre-Marc n'a pas 21 ans.
00:14:16 Son ami Jean Lorge vient de fêter ses 19 ans.
00:14:19 -Là, à Compiègne, j'ai le numéro 30 2110.
00:14:24 On couchait sur des bas-flancs
00:14:26 qui étaient, j'allais pas dire confortables,
00:14:28 mais enfin, qui étaient vivables.
00:14:32 Il y avait un problème, c'est qu'on était bouffés par les puces.
00:14:36 On était entre nous, et puis on avait le moral, on disait,
00:14:40 "Ils vont nous envoyer en Allemagne,
00:14:42 "on va aller travailler comme les STO de l'époque,
00:14:46 "on va aller travailler en usine."
00:14:48 On se doutait vraiment pas du tout.
00:14:50 D'ailleurs, en France, personne ne connaissait
00:14:53 l'existence des camps de concentration.
00:14:56 Ca s'est découvert après la guerre,
00:14:58 mais pendant la guerre, personne n'en causait.
00:15:00 Musique douce
00:15:03 ...
00:15:05 -J'ai une veste d'un déporté
00:15:07 qui a fait partie du même convoi que votre père.
00:15:10 -21 586.
00:15:12 Alors, mon père, c'était le 21 598.
00:15:16 -Donc assez proche.
00:15:17 -Ils se sont peut-être croisés, oui, parce que...
00:15:20 Enfin, en tout cas...
00:15:22 À Buchenwald, parce que ça, c'est l'immatriculation à Buchenwald.
00:15:26 -Tout à fait.
00:15:27 -Il devait être dans une file assez proche.
00:15:30 ...
00:15:34 -Et puis, au bout de trois semaines,
00:15:37 ils ont fait un convoi.
00:15:38 On était mille.
00:15:40 On est partis de Kampien.
00:15:43 On est allés jusqu'à la gare.
00:15:46 A la gare, on est montés dans les wagons,
00:15:49 cent par wagon,
00:15:50 avec une tinette au milieu.
00:15:54 Ils ont fermé les portes.
00:15:55 Et puis, on est restés comme ça pendant trois jours et deux nuits.
00:16:01 ...
00:16:02 Sans eau, sans une goutte d'eau.
00:16:05 Partout, quand on passait dans les gares,
00:16:07 on...
00:16:09 On nous demandait "Va serrer, va serrer".
00:16:11 De l'eau, de l'eau,
00:16:13 mais personne ne nous en a jamais donné.
00:16:15 Alors, c'était... La soif, c'est dur.
00:16:18 Très dur, la soif.
00:16:20 ...
00:16:23 Alors, le premier jour, c'est bien allé.
00:16:25 Le deuxième jour,
00:16:27 il y en a qui commençaient à boire leur urine.
00:16:29 Il y en a qui lèchaient les parties métalliques des wagons
00:16:34 parce qu'elles étaient un peu plus fraîches.
00:16:36 Puis, il y en a qui perdaient la tête,
00:16:38 qui venaient fous, complètement.
00:16:40 Au bout de trois jours et deux nuits, on est arrivés...
00:16:44 On est arrivés à Weymour.
00:16:46 Le camp de Bourg-en-Vall se situe en-dessus,
00:16:49 en-dessus de Weymour.
00:16:50 On est descendus du train.
00:16:53 Enfin, ceux qui ont pu descendre, tu sais.
00:16:55 Ceux qui étaient morts, parce qu'il y en avait pas mal,
00:16:58 ceux qui étaient morts, ils sont restés dans le wagon.
00:17:03 Beaucoup avaient perdu la tête,
00:17:06 des gringoliers qui avaient mort de ce wagon
00:17:11 et qui s'échappaient à droite, à gauche,
00:17:13 et qui étaient arrêtés à coups de mitraillette ou de fusil,
00:17:17 je ne sais pas.
00:17:19 Et on a rejoint le camp de Bourg-en-Vall.
00:17:23 Il y avait une porte, un portail d'entrée,
00:17:26 qui était en fer forgé,
00:17:28 sur lequel il y avait marqué "Jedum das Seine".
00:17:31 Ça voulait dire "À chacun son nu".
00:17:33 (sirène)
00:17:34 On savait pas où on arrivait.
00:17:40 On était complètement perdus.
00:17:42 On voyait des gars en pyjama,
00:17:45 des gars avec des tenues rayées, de calottes.
00:17:50 Puis ça gueulait de tous les côtés,
00:17:52 des chiens qui échappaient, des chiens lourds qui...
00:17:55 On se demandait, "Mais où c'est qu'on arrive ?
00:17:59 "Où c'est qu'on est tombés ?"
00:18:03 Et puis là, je me rappelle, il y avait un grand baquet d'eau.
00:18:07 On s'est précipités dessus.
00:18:09 Puis on buvait, puis on avait soif,
00:18:12 tellement qu'on était déshydratés.
00:18:14 (bruit de la mer)
00:18:15 (musique angoissante)
00:18:17 -À la Libération, l'armée américaine
00:18:20 tourne des images dans le camp de Bourg-en-Vall.
00:18:23 Il y a ici toutes les nationalités, toutes les religions,
00:18:27 tout ce que les nazis ont raflé à travers l'Europe.
00:18:30 Plus de 250 000 déportés sont passés par ces baraquements.
00:18:34 Bourg-en-Vall, c'est le centre de tri pour les camps de travail
00:18:39 qui se trouvent aux alentours, dont celui de Dora.
00:18:42 -La chose principale, c'est l'idée
00:18:46 de mettre la main-d'oeuvre concentrationnaire au travail,
00:18:51 puisque l'Allemagne manque de bras,
00:18:54 à partir de 1943 et surtout de 1944.
00:18:57 Le fait de faire venir plus ou moins légalement de la main-d'oeuvre,
00:19:01 je pense aux services du travail obligatoire
00:19:04 ou aux rafles dans d'autres pays,
00:19:06 cette source-là va se tarir.
00:19:08 Donc la main-d'oeuvre concentrationnaire
00:19:11 acquiert une très grande importance
00:19:13 pour l'industrie de guerre de l'Allemagne nazie.
00:19:15 -C'est pas un hasard si l'intégralité des convois
00:19:19 qui partent de Compiègne entre le mois de juin 1943
00:19:22 et la fin janvier 1944,
00:19:24 c'est plus de 10 500 hommes,
00:19:27 ils sont tous envoyés vers le camp de Bourg-en-Valle
00:19:29 et plus de la moitié sera affectée à Dora.
00:19:32 -Quand on était à Bourg-en-Valle,
00:19:34 on nous disait, "Vous allez pas à Bourg-en-Valle,
00:19:38 "vous allez dans des camps aux alentours.
00:19:40 "On vous souhaite qu'une chose, c'est de jamais aller à Dora,
00:19:43 "parce que Dora, c'est un camp qui vient de se créer,
00:19:46 "il y a pas de crématoires,
00:19:48 "et toutes les semaines, on voit des camions entiers de morts
00:19:52 "qui viennent à Bourg-en-Valle pour se faire incinérer."
00:19:56 On est allés y arriver tous les jours,
00:19:57 tous les jours, il y avait des camions de cadavres
00:20:00 qui arrivaient de Dora.
00:20:02 On disait, "Dora, c'est le bon moment d'aller là-bas."
00:20:05 Et puis on est arrivés à Dora quand même.
00:20:07 Musique pesante
00:20:09 ...
00:20:27 -Ton papa, il était au bloc 104,
00:20:29 qui est situé un peu à l'est, sur la gauche,
00:20:34 quand on rentre dans le camp, un petit peu sur les hauteurs.
00:20:37 -Un peu sur les hauteurs, à peu près, dans cette action-là.
00:20:40 -En alignement de celui qui est...
00:20:42 -Oui. -C'est plus là.
00:20:43 -Dora est un beau coin de campagne au coeur de la Thuringe,
00:20:49 dans ce qui fut l'Allemagne de l'Est.
00:20:51 Il ne reste rien des baraques
00:20:53 où les déportés dormaient sur des chalets.
00:20:55 Dora, c'était surtout un tunnel,
00:20:58 des galeries, des secrets dans le ventre de la montagne.
00:21:02 ...
00:21:05 -Ces secrets que la caméra de l'armée américaine
00:21:07 a filmés en avril 1945.
00:21:09 ...
00:21:25 En 1945, il s'agissait pour les Américains
00:21:28 de faire main basse sur la technologie cachée
00:21:30 dans le tunnel.
00:21:31 Un butin de guerre pour ses propres besoins,
00:21:34 mais aussi pour éviter qu'il ne tombe aux mains des Soviétiques.
00:21:37 ...
00:21:39 Dans le froid et l'humidité,
00:21:41 il reste un vieux moteur de missiles V2,
00:21:44 l'ancêtre de la fusée Ariane.
00:21:46 ...
00:21:49 Le mémorial a installé,
00:21:50 au milieu de cette vaste cathédrale de béton et de pierre,
00:21:53 une maquette de ce qui fut une immense usine souterraine,
00:21:56 sans doute la plus vaste jamais conçue.
00:21:59 ...
00:22:01 -Là, on a une représentation de l'ensemble de la partie souterraine
00:22:05 qui est assez...
00:22:06 Je trouve qu'elle est très visuelle,
00:22:08 avec les deux tunnels principaux, le B et le A.
00:22:12 On est rentrés tout à l'heure par ici.
00:22:14 -C'était deux tunnels qui étaient parallèles,
00:22:17 qui étaient creusés sous la montagne,
00:22:20 qui faisaient 1,8 km chacun.
00:22:22 Et entre chaque tunnel, il y avait été creusé
00:22:25 des petits tunnels qui faisaient 150 m de long,
00:22:28 qui étaient les ateliers.
00:22:30 ...
00:22:37 -Moi, ce que je sais, c'est ce qui l'avait traumatisé à vie.
00:22:40 Le bruit, déjà.
00:22:41 L'impromiscuité avec les autres.
00:22:44 Le fait d'avoir vu...
00:22:47 beaucoup de souffrances autour de lui.
00:22:50 Les camarades morts.
00:22:52 ...
00:22:54 Je pense qu'il détestait ressasser ça.
00:22:58 De toute façon, il n'en parlait pas en famille.
00:23:00 ...
00:23:07 -On dormait sur les calloux,
00:23:09 et ça a été une période excessivement difficile.
00:23:14 -Roland Boisson fait partie des tout premiers Français
00:23:18 qui arrivent dans le tunnel.
00:23:19 Les conditions sont alors effroyables.
00:23:22 Il faut percer la roche et dormir à même le chantier,
00:23:25 qui ne s'arrête jamais.
00:23:27 12 heures de travail par jour et très peu de nourriture.
00:23:31 ...
00:23:33 -Il arrivait souvent d'être obligé
00:23:35 de retirer la personne qui était décédée à la place,
00:23:38 à moins qu'on la garde le plus longtemps possible
00:23:41 pour y toucher sa soupe.
00:23:43 Ça aussi, ça s'est fait.
00:23:45 ...
00:23:50 -Le but n'était pas de tuer les gens.
00:23:53 -L'objectif n'était pas de tuer.
00:23:55 ...
00:23:57 -L'objectif était de faire tourner l'industrie
00:24:00 de l'armement allemand.
00:24:01 Ça n'excuse rien.
00:24:02 Mais il n'y avait pas la volonté d'extermination
00:24:05 qui existait dans la Shoah.
00:24:07 ...
00:24:09 D'ailleurs, à partir de 1944,
00:24:12 certains Juifs étaient soi-disant autorisés
00:24:15 à faire du travail forcé ici avant d'être tués.
00:24:19 ...
00:24:21 De fait, il y a eu ici
00:24:23 des tueries de masse dues aux conditions de vie et de travail.
00:24:28 La mort n'était pas le but,
00:24:30 mais c'était quelque chose qui a tout de même coûté la vie
00:24:33 à 20 000 personnes sur 60 000.
00:24:35 ...
00:24:38 -Madame.
00:24:39 -Merci.
00:24:40 Il a été arrêté en juin 1943.
00:24:46 Il était radiothélégraphiste.
00:24:49 -Ah, OK.
00:24:50 -Il a eu de la chance de faire partie de ces gens,
00:24:55 de ces prisonniers qui avaient un peu de valeur aux yeux des SS.
00:25:00 Ils avaient besoin d'eux.
00:25:01 Ils ne pouvaient pas se permettre de les tuer trop rapidement.
00:25:05 Ils avaient besoin de leur savoir-faire.
00:25:08 ...
00:25:17 -6 juin 1944.
00:25:19 Les Alliés débarquent sur les côtes françaises.
00:25:22 La victoire militaire semble de plus en plus hors de portée des Nazis.
00:25:26 Plus que jamais, la main-d'oeuvre pour l'industrie allemande
00:25:30 devient vitale.
00:25:31 Dans les jours qui suivent le débarquement,
00:25:34 Jean Lorge et Pierre Marc arrivent au camp de Dora.
00:25:37 ...
00:25:39 -La sentinelle qui était à côté de moi
00:25:42 sort de sa poche en journal lourd
00:25:44 et je vois...
00:25:46 Enfin, j'avais fait un peu d'allemand,
00:25:49 "Findische Landung an den Französischen Küsten",
00:25:52 "Débarquement ennemis sur les côtes françaises".
00:25:56 Alors, évidemment, tout de suite, j'ai prévenu tout le monde.
00:25:59 C'était un cri de joie.
00:26:01 Tout le monde s'est dit, "Brunel, on est chez nous."
00:26:04 Tiens.
00:26:05 ...
00:26:07 -En Angleterre, les bombardements sont désormais quotidiens.
00:26:10 Les armes mises au point par Von Braun et ses ingénieurs
00:26:14 terrorisent les populations civiles.
00:26:16 ...
00:26:18 Les V1, l'ancêtre des drones modernes,
00:26:20 sont produits en grande quantité.
00:26:22 ...
00:26:24 Les fusées V2 sont opérationnelles.
00:26:26 ...
00:26:28 -Je pense que jusqu'à la fin,
00:26:31 et notamment par cette idée
00:26:34 qu'ils allaient trouver des armes définitives,
00:26:38 une menace de ces armes,
00:26:40 un certain nombre de nazis ont cru jusqu'au bout
00:26:44 à la victoire.
00:26:46 Donc nous, dans l'après-coup, on voit bien
00:26:48 qu'après cette grade,
00:26:50 le Reich va vers la défaite.
00:26:54 Mais ça ne veut pas dire que ces responsables
00:26:57 croient eux-mêmes à la défaite.
00:26:59 ...
00:27:01 -A Dora, l'usine tourne à plein régime.
00:27:04 Les V1 et les V2 sont produits à la chaîne.
00:27:07 Le statut des déportés évolue au fil du temps.
00:27:11 Désormais, ils deviennent des éléments essentiels
00:27:14 de la production d'armes.
00:27:15 ...
00:27:17 -On n'était pas considérés comme des hommes, évidemment.
00:27:21 Mais ça évoluait peu à peu
00:27:23 par le besoin qu'on commençait à avoir de nous
00:27:27 pour construire ces V1.
00:27:30 Le V2, je ne connais pas ses dimensions,
00:27:33 mais le diamètre, c'était ça.
00:27:36 ...
00:27:48 -Ces clichés ont été réalisés par des opérateurs de la SS.
00:27:51 Les seules images qui montrent la chaîne de fabrication du V2.
00:27:55 Des détenus ont été choisis parmi les plus en forme
00:28:00 pour faire de la figuration.
00:28:03 La division du travail règne à Dora.
00:28:05 Comme chez Ford ou chez Volkswagen.
00:28:08 ...
00:28:10 -J'ai été affecté au rôle 34.
00:28:12 Et le tunnel en question, c'était "flossenbau",
00:28:16 ça voulait dire "construction d'ailerons".
00:28:19 On construisait, on soudait les ailerons
00:28:22 qui allaient sur les V2.
00:28:24 C'était un petit travail relativement pépère.
00:28:28 C'était là que j'ai eu la chance.
00:28:31 J'ai eu la chance d'entrer dans le tunnel,
00:28:35 parce que à Dora, l'hiver, il neigeait à plein temps.
00:28:39 Il neigeait à plein temps, il faisait froid.
00:28:42 Dans le tunnel, il y avait une température permanente
00:28:45 autour de 14-15 degrés.
00:28:46 C'était supportable.
00:28:49 -Moi, j'étais sur une grosse presse.
00:28:51 Une grosse presse.
00:28:53 On était deux de chaque côté, on mettait une grande tôle,
00:28:56 la presse tombait, puis on retirait la truc.
00:29:00 C'était du travail d'usine.
00:29:02 Plus loin, ils s'assemblaient.
00:29:05 Et puis, pour finir, au bout du tunnel,
00:29:08 la V2 sortait.
00:29:11 C'était fini.
00:29:12 C'était une usine gigantesque.
00:29:30 -Avant de produire des fusées à la chaîne,
00:29:33 il a fallu des centaines de tests.
00:29:35 Car une fusée ne vole pas comme un avion,
00:29:37 et la propulser à des dizaines de kilomètres de la Terre
00:29:40 demande une technologie très pointue.
00:29:42 -Lancer une fusée, c'est comme tenir en équilibre
00:29:47 un crayon sur votre doigt, je parle du niveau du contrôle.
00:29:51 L'accélérer violemment vers le haut en tenant l'équilibre.
00:29:54 Tout ça, ça pousse très, très fort.
00:29:56 -Cette puissance hors du commun,
00:30:00 Werner von Braun et ses équipes ont réussi à la maîtriser.
00:30:03 Encore fallait-il faire des essais par centaines.
00:30:06 Werner von Braun a demandé l'aide de la SS,
00:30:09 c'est-à-dire le travail des déportés.
00:30:12 Et grâce à cela, il est parvenu à ses fins.
00:30:14 -Pour moi, c'était un génie de la propulsion fusée
00:30:19 et de la maîtrise du vol des fusées.
00:30:22 Ce sont des calculs très pointus.
00:30:24 C'est le chef ingénieur le plus emblématique
00:30:27 de l'histoire de l'astronautique occidentale.
00:30:30 -Le prestige de von Braun n'a jamais été entaché
00:30:36 par son passé de nazi.
00:30:38 Qu'il soit américain, russe ou européen,
00:30:41 tout le monde lui pardonne.
00:30:42 Au Musée de l'Espace, à Toulouse,
00:30:45 l'ombre du savant allemand semble rôder partout.
00:30:48 Au détour d'un couloir, un moteur de fusée, son moteur.
00:30:52 -Ce moteur provient très certainement
00:30:56 de l'usine de Dora.
00:30:57 La chambre de combustion et la tuyère ont été créées.
00:31:01 Ce sont, pour une partie,
00:31:03 les grandes inventions absolument modernes
00:31:06 qui ont été réussies après de nombreux essais
00:31:09 et qui ont fonctionné très bien.
00:31:11 C'était la taille de la chambre de combustion,
00:31:14 son refroidissement, avec les petits trous
00:31:16 qui sont sous pression, qui envoient de l'alcool liquide
00:31:20 et qui refroidissent les surfaces de parois.
00:31:22 Tout cet ensemble-là, il n'y a pas quelques centimètres carrés
00:31:26 où on trouve les inventions qui ont permis de faire
00:31:28 un moteur fusée fonctionnel et parfaitement moderne.
00:31:32 Bruits de fusée
00:31:33 ...
00:31:41 -Van Braun n'était pas qu'un simple ingénieur
00:31:43 capable de faire voler des fusées.
00:31:46 Son autre talent était d'organiser le travail
00:31:49 pour produire au mieux les engins
00:31:51 qui devaient frapper les ennemis du Reich.
00:31:54 ...
00:32:00 -Van Braun est allé à Burenwald
00:32:02 pour sélectionner des prisonniers
00:32:04 qui ont ensuite été envoyés ici.
00:32:06 Ces hommes ont dû travailler sous terre
00:32:09 dans des conditions indescriptibles.
00:32:12 Van Braun a donc été très impliqué
00:32:14 dans les crimes commis dans ce camp.
00:32:17 ...
00:32:21 -J'ai vu une fois Van Braun qui passait dans le tunnel.
00:32:25 Oui, c'était un type qui sortait de l'ordinaire.
00:32:29 Mais enfin, à la base, c'était un Asie.
00:32:32 Il ne faut pas... Oui, oui.
00:32:35 Et il savait pertinemment tout ce qui se passait,
00:32:38 tout ce qui se passait dans les usines.
00:32:40 ...
00:32:44 -On était des milliers à travailler là-dedans,
00:32:47 avec des civils allemands, des meisters.
00:32:51 Les meisters faisaient...
00:32:52 Nous, on faisait la main-d'oeuvre, quoi.
00:32:55 Et puis les meisters faisaient les spécialistes, quoi.
00:32:58 ...
00:33:01 -Les Nazis ont doublé la hiérarchie des SS
00:33:05 par une hiérarchie des détenus.
00:33:07 Et généralement, pour cette hiérarchie des détenus,
00:33:10 pour les capots,
00:33:13 pour le doyen, le chef du camp détenu,
00:33:17 ils ont choisi des droits communs.
00:33:19 ...
00:33:22 La punition classique, c'était "fünfundfanzig".
00:33:26 "Fünfundfanzig", ça veut dire "25".
00:33:29 Ça voulait dire "25 coups de bâton dans les fesses".
00:33:33 Alors, évidemment, quand vous preniez...
00:33:35 Quand vous tombiez sur un type qui était un peu costaud
00:33:38 et qui avait envie de vous faire mal,
00:33:40 quand vous aviez reçu 25 coups de bâton dans les fesses,
00:33:44 j'aimerais autant vous dire que pendant pas mal de temps,
00:33:47 vous étiez un firme.
00:33:48 -Moi, j'en ai pris une fois, j'en ai pris 12.
00:33:51 Je ne peux pas me dire que j'ai pris les 12,
00:33:53 mais 12, c'était déjà pas mal.
00:33:56 ...
00:33:59 -On était mille sur la place.
00:34:01 Ils faisaient un commando, ce qu'on appelait des transports.
00:34:05 On était tous nus.
00:34:06 Il y avait un...
00:34:08 Avec un docteur,
00:34:10 je m'étais fait une hernie en travaillant sur les voies.
00:34:13 Alors, j'avais le boyau qui descendait
00:34:18 jusqu'au milieu de la cuisse, l'intestin grêle.
00:34:21 Puis le soir, quand je me couchais,
00:34:24 j'ai remonté le boyau dans le ventre.
00:34:26 Alors, si j'étais pas bourreau, c'est comme dans les journées.
00:34:30 Alors, quand il a vu ça avec sa badigne,
00:34:32 il m'a dit "Celui-là, c'est pas la peine qu'il le fasse dans le transport,
00:34:36 "il tiendra pas le coup."
00:34:38 C'est ce qui m'a sauvé la vie.
00:34:40 Parce que ce transport, une expérience de vie,
00:34:43 c'était une quinzaine de jours, pas plus,
00:34:45 15 jours, 3 semaines maximum.
00:34:47 ...
00:34:54 -Ce que les images des photographes ne montrent pas,
00:34:57 les dessins des détenus le décrivent.
00:34:59 Ce sont des oeuvres au péril de leur vie,
00:35:04 des témoignages uniques,
00:35:05 les plus forts de la vie à l'intérieur de Dora.
00:35:08 ...
00:35:14 -Il y avait ce qu'on appelait les capots et les faux-arbitres.
00:35:19 Le capot, c'est le patron, et le faux-arbitre, le contre-maître.
00:35:23 Et alors, on avait ces capots et ces faux-arbitres
00:35:26 qui se promenaient dans les ateliers
00:35:29 et qui surveillaient tout ce qui se passait.
00:35:32 -Il est très facile, si vous avez quelques pièces
00:35:34 qui sont déformées ou qui sont mal faites,
00:35:37 vous avez très facilement dans un moteur des instabilités
00:35:40 qui créent des phénomènes de précipitation technique, mécanique,
00:35:44 et qui peuvent faire éclater un moteur assez facilement.
00:35:47 Tout doit être absolument parfait.
00:35:49 Et ça, dans un système de concentrationnaire,
00:35:52 c'est tout de même gageur.
00:35:55 -Vous savez, quand on a tourné les boulons,
00:35:59 c'était bien le filetage qui correspondait.
00:36:02 Une boîte là et une boîte là.
00:36:05 Alors, je prenais toujours le même, j'ai toujours gardé le même.
00:36:10 Après, j'en ai pris une poignée, j'ai mis de l'autre côté,
00:36:13 et j'ai continué le système.
00:36:14 Mais ça a peut-être marché.
00:36:17 C'était une façon de saboter, bien sûr.
00:36:23 Mais le type qui était pris à faire des conneries comme ça,
00:36:26 il s'en sortait pas. Ah ouais.
00:36:28 -Le sabotage est considéré comme l'une des fautes les plus graves.
00:36:35 Le jugement est immédiat, la peine est toujours la même.
00:36:40 La mort.
00:36:43 -Quand ils faisaient les pendaisons, c'était public.
00:36:46 Il fallait que tout le monde voit.
00:36:48 Il y avait des palans dans l'usine,
00:36:51 il y avait des palans qui montaient.
00:36:53 Alors, ils prenaient une poutre,
00:36:55 une poutre qu'ils mettaient sur un palan.
00:36:58 Sur la poutre, ils mettaient 10 ou 12 noeuds coulants.
00:37:02 Et puis, ils prenaient les 10 ou 12 condamnés,
00:37:08 ils les mettaient sous le noeud coulant,
00:37:11 et ils faisaient monter le palan tout doucement.
00:37:14 -Et c'était pas de la pendaison, c'était de la strangulation.
00:37:18 Parce que la pendaison, c'est...
00:37:20 J'imagine, j'imagine.
00:37:23 Alors que là, tu parlais...
00:37:25 (Il fait des bruits de langue)
00:37:27 Il avait le temps d'y réfléchir.
00:37:29 -Ils s'arrangeaient, à la fin du travail,
00:37:32 pour faire défiler tout le monde devant les pendaisons.
00:37:37 (Musique douce)
00:37:39 (Bourdonnement)
00:37:41 (Musique douce)
00:37:43 (Bourdonnement)
00:37:45 (Musique douce)
00:37:48 (Bourdonnement)
00:37:50 (Musique douce)
00:37:51 -Dans tous les camps, il y avait un orchestre,
00:37:54 c'était les tiganes, généralement.
00:37:56 Et les orchestres étaient là sans arrêt,
00:37:59 soit pour une cérémonie quelconque, soit pour la pendaison.
00:38:03 Il y avait des orchestres tout le temps.
00:38:05 (Musique douce)
00:38:07 (Bourdonnement)
00:38:10 (Musique douce)
00:38:12 (Bourdonnement)
00:38:14 (Bourdonnement)
00:38:16 (Bourdonnement)
00:38:18 (Bourdonnement)
00:38:20 -12 janvier 1945.
00:38:23 L'armée rouge a percé le front de Pologne
00:38:25 et marche vers Krakow, à quelques kilomètres d'Auschwitz.
00:38:28 (Bourdonnement)
00:38:31 (Bourdonnement)
00:38:33 (Bourdonnement)
00:38:35 (Bourdonnement)
00:38:37 Quand les troupes soviétiques pénètrent dans le camp,
00:38:40 les SS ont déjà jeté sur les routes 56 000 déportés juifs
00:38:44 qui vont prendre la direction des territoires
00:38:47 à l'intérieur du Reich.
00:38:48 Un film tourné clandestinement
00:38:50 montre les convois de déportés évacués par train.
00:38:54 C'est l'hiver, les températures sont négatives,
00:38:57 les wagons sont découverts.
00:39:00 Pour une partie d'entre eux, le voyage va se terminer à Dora.
00:39:04 -Ils avaient fait le trajet en wagon,
00:39:08 en wagon plateforme, découvert.
00:39:10 Alors, il y en avait, je sais pas, je vais pas vous dire,
00:39:14 il y en avait 95 % qui étaient morts.
00:39:16 95 % qui étaient morts.
00:39:18 Et avant de mourir, ils avaient eu tellement froid,
00:39:21 ils s'étaient, comment dirais-je,
00:39:23 approchés les uns des autres,
00:39:26 ils étaient morts comme ça.
00:39:28 Alors, ils étaient morts par paquet de quatre ou cinq.
00:39:32 Et quand ils sont arrivés à Dora,
00:39:36 donc, le lieu final à Dora,
00:39:38 le totem de commando,
00:39:41 c'est-à-dire le commando des morts,
00:39:43 pour les sortir, était obligé de les scier.
00:39:46 Les scier pour les dégager.
00:39:50 Et puis, quand on est rentrés du boulot,
00:39:54 le soir, sur la place d'appel,
00:39:56 il y avait un paquet de...
00:39:58 de paquets de 2-3 m de haut sur 50 m de long.
00:40:02 Tout décalorme.
00:40:03 -Avril 1945.
00:40:13 Les Américains arrivent dans le secteur de la Turinge,
00:40:16 à quelques kilomètres de Dora.
00:40:18 Les Soviétiques se trouvent plus au nord et à l'est.
00:40:22 Entre le 1er et le 4 avril, Nordhausen est bombardée.
00:40:27 Plusieurs vagues d'avions se relaient
00:40:29 à la coupe de bombes incendiaires et rasent pratiquement la ville.
00:40:33 Le 11 avril,
00:40:34 les soldats de la 1re Armée américaine
00:40:37 entrent dans Nordhausen et découvrent l'horreur.
00:40:40 Musique sombre
00:40:43 ...
00:40:59 A quelques kilomètres de là, dans l'après-midi du 11 avril,
00:41:03 les Américains parviennent à Dora.
00:41:05 Le camp est vide.
00:41:07 Quelques jours plus tôt, devant l'avancée des Alliés,
00:41:10 les Nazis ont décidé d'évacuer les 40 000 détenus qui s'y trouvaient.
00:41:14 Ce seront les jours les plus durs que les déportés vont connaître.
00:41:18 L'histoire leur a donné un nom,
00:41:20 les Marches de la Mort.
00:41:22 Un long parcours, en train ou en marchant,
00:41:25 quand il n'y a plus de voie ferrée.
00:41:28 ...
00:41:31 Le voyage fut interrompu par une marche de 40 km,
00:41:34 où les traînards se voyaient impitoyablement exécutés.
00:41:37 Au bout de peu de temps, les esprits s'égaraient,
00:41:41 des rixes continuels se produisaient.
00:41:44 Épuisement total,
00:41:46 coups, manque d'oxygène, eurent vite raison des plus faibles.
00:41:50 ...
00:41:54 -On se tenait par cinq.
00:41:57 Ça va bien, mais quand il y en a un qui cède,
00:42:00 les autres ne veulent pas plus.
00:42:02 ...
00:42:06 -Tous ceux qui ne pouvaient plus monter,
00:42:09 qui avaient les jambes coupées, qui tombaient au bord de la route,
00:42:12 les SS leur tiraient une balle dans la nuque
00:42:14 et les mettaient dans le ravin.
00:42:16 ...
00:42:19 -On est restés dix jours,
00:42:21 dix jours dans les wagons,
00:42:24 sans aucun ravitaillement.
00:42:26 On avait de l'eau.
00:42:27 ...
00:42:31 Les nuits, c'était abominable.
00:42:33 C'était...
00:42:34 C'était la lutte pour la survie.
00:42:36 Ça faisait comme une mer.
00:42:38 Tantôt t'étais dessus, tantôt t'étais dessous.
00:42:41 Alors quand t'étais dessous, tu essayais de...
00:42:44 d'être débattu pour remonter à la surface.
00:42:47 Une nuit, il y a un gars qui voulait me strangler.
00:42:53 Alors j'ai pris ma soquette et je suis tombé dessus.
00:42:57 Et puis le lendemain matin, quand il a fait jour,
00:42:59 j'ai vu le gars, il était mort.
00:43:01 Et puis moi, j'étais vivant.
00:43:03 ...
00:43:11 -Enfin, alors que l'espoir allait aussi m'abandonner,
00:43:14 un jour, le convoi stoppe.
00:43:17 En pleine forêt, un camp, immense,
00:43:21 Ravensbruck.
00:43:24 Sera-t-ce-là notre dernière étape ?
00:43:26 ...
00:43:34 -Pendant que les déportés de Dora affrontent le pire,
00:43:36 l'armée américaine déménage,
00:43:38 ce qui a servi à construire les V2.
00:43:40 Les fusées, mais aussi les machines,
00:43:43 sont embarquées en direction des Etats-Unis.
00:43:46 L'enjeu est de taille,
00:43:47 car Dora va bientôt se retrouver en territoire soviétique.
00:43:51 La guerre froide a déjà commencé.
00:43:54 ...
00:44:01 Musique rythmée
00:44:04 ...
00:44:10 Juillet 1969.
00:44:12 L'Amérique en liesse fêtent ses héros,
00:44:15 Buzz Aldrin et Neil Armstrong.
00:44:17 ...
00:44:21 Depuis des années, l'Amérique fait de Wernher von Braun
00:44:24 le génie de son aventure spatiale.
00:44:26 ...
00:44:29 L'homme des V2 avait même l'oreille du président Kennedy.
00:44:32 ...
00:44:34 -Wernher von Braun, pour moi,
00:44:36 c'est un concepteur de fusées,
00:44:41 et c'est surtout celui qui sait créer l'équipe
00:44:44 et la structure organisationnelle pour la créer.
00:44:47 Sans von Braun, pas de programme Apollo.
00:44:49 Sans Apollo, pas de programme navette
00:44:52 et pas de vol dans l'espace.
00:44:54 ...
00:45:00 -Il n'y a pas que von Braun qui partira aux Etats-Unis.
00:45:04 Ce sont des centaines de scientifiques
00:45:06 qui vont quitter le Reich
00:45:08 et être partagés comme des prises de guerre
00:45:10 entre les vainqueurs, soviétiques, britanniques,
00:45:13 américains et français.
00:45:15 Un véritable trou noir de l'histoire.
00:45:18 ...
00:45:20 Explosion
00:45:22 ...
00:45:25 C'est un document rarissime, une vidéo amateur.
00:45:28 Deux historiens qui interrogent Karl Heinz Bringer,
00:45:32 un ingénieur allemand qui travaillait à Dora.
00:45:35 Il est un peu le von Braun français,
00:45:37 recruté en 1945 avec une trentaine d'autres scientifiques.
00:45:41 -Vous ne savez désigner rien ?
00:45:43 -On a noué la salle
00:45:47 d'un petit...
00:45:49 Un petit bistrot, si vous voulez.
00:45:51 Une terrasse, une grande salle.
00:45:56 Et dans cette salle, nous avons installé
00:45:59 les tables, les dessins, les bureaux.
00:46:03 Et là, nous avons travaillé.
00:46:05 ...
00:46:08 -L'équipe de Bringer va travailler main dans la main
00:46:11 avec les ingénieurs français.
00:46:13 Les Allemands sont venus avec leurs calculs et leurs savoir-faire.
00:46:17 Au centre d'essai d'Amagir, dans le Sahara algérien,
00:46:20 aucune image, aucune archive ne montre les ingénieurs allemands.
00:46:24 Pourtant, ils vont permettre la mise au point
00:46:27 des fusées et des avions à réaction français.
00:46:30 Sans eux, la France aurait tardé
00:46:32 à devenir la troisième puissance spatiale au monde.
00:46:35 -A Amagir, donc, la première base spatiale française
00:46:39 où ont été lancées les premières fusées françaises,
00:46:43 avant d'être transportées en Guyane,
00:46:45 à Amagir, nous parlions allemand.
00:46:48 Nous avons oublié cette histoire-là.
00:46:51 Je dis pas parce que nous ne voulions pas y penser.
00:46:56 Il y avait des enjeux où il fallait avancer nos programmes spatiaux.
00:47:00 Et quand on avance, on a tendance à oublier ce qui est derrière.
00:47:03 Ce n'est qu'après, et peut-être aujourd'hui,
00:47:06 que nous pouvons aussi, tout en avançant,
00:47:08 nous arrêter et nous interroger sur ce que nous avons fait
00:47:11 et ce que nos prédécesseurs ont dû faire
00:47:14 pour en arriver là et en tirer des leçons.
00:47:16 -C'est un étrange bunker dans le nord de la France.
00:47:22 Un lieu à l'image de Dora,
00:47:24 avec ses tunnels, son architecture froide.
00:47:27 C'est d'ici que les nazis avaient choisi
00:47:30 de tirer leur missile V2 pour bombarder l'Angleterre.
00:47:34 C'est devenu le musée de la Coupole.
00:47:40 Il y a, dans les coulisses,
00:47:42 plus de 9 000 fiches des déportés de Dora.
00:47:44 -Le rôle de la Coupole, c'est de faire le lien,
00:47:50 de faire réfléchir, que ce soit sur le parallèle
00:47:52 avec les armes aujourd'hui,
00:47:54 comme sur la conquête spatiale,
00:47:56 puisque des armes comme le V1 sont réutilisées sous d'autres formes.
00:48:00 C'est un peu plus sophistiqué, mais c'est le même objectif.
00:48:07 Là, on a quelques documents sur Roland Boisson.
00:48:10 Voilà.
00:48:11 Ça affiche d'identité, avec toutes ses informations
00:48:14 sur la Résistance,
00:48:16 et puis les différentes prisons qu'il a faites en France
00:48:19 et les différents camps qu'il a faits en Allemagne.
00:48:22 -A partir de ces fiches,
00:48:23 des parcours de vie ont été reconstitués.
00:48:26 A Paris, sous la direction de l'historien Laurent Thiry,
00:48:30 les bénévoles qui ont rédigé des fragments de mémoire
00:48:34 se réunissent pour corriger les notices
00:48:36 consacrées à chaque déporté.
00:48:38 C'est la fiche de Roland Boisson,
00:48:40 qui se retrouve aujourd'hui sous les yeux des correcteurs.
00:48:43 -Ce qui est intéressant, c'est que c'est un des premiers
00:48:46 à arriver dans les tunnels.
00:48:48 Il est arrivé en octobre 1943, dans le tunnel de Dora.
00:48:51 -Oui.
00:48:52 -Quand on écrit la vie d'un déporté,
00:48:55 d'un seul coup, tout se reconstitue,
00:48:58 tout prend du volume, prend du relief,
00:49:00 son enfant, sa famille, son trajet.
00:49:03 Il y a une trace, il y a un tombeau.
00:49:06 On disait, ce sera un tombeau de papier et un tombeau.
00:49:09 Et ça a un effet extraordinaire.
00:49:12 Musique sombre
00:49:14 ...
00:49:16 -Après plus de dix ans de travail,
00:49:18 le dictionnaire des 9 000 déportés de Dora
00:49:21 est devenu ce monument de papier
00:49:23 qui se transmet aux jeunes générations.
00:49:25 ...
00:49:29 -Quelle est l'édition de ça ?
00:49:31 Ce qui est pire, s'il est encore là pour en parler.
00:49:36 Là.
00:49:37 À côté de tous ceux que j'ai vus
00:49:42 qui étaient capables, comme moi,
00:49:45 de faire au moins si bien
00:49:47 et qui n'ont pas eu cette chance,
00:49:50 ils n'ont pas eu...
00:49:51 Ça, ça me...
00:49:52 Chiffonnait pas.
00:49:56 Mais enfin...
00:49:57 Pas de mérite à avoir de la chance.
00:50:03 Musique douce
00:50:05 ...
00:50:12 J'avais un tempérament plutôt optimiste.
00:50:15 Et puis, il faut dire que j'avais une santé qui tenait le coup.
00:50:20 Voilà.
00:50:21 Voilà.
00:50:24 ...
00:50:29 On n'avait plus de nom.
00:50:31 Ils nous appelaient des Stuck, des morceaux,
00:50:34 les Allemands.
00:50:36 On était des Stuck.
00:50:37 Ils nous apposaient jusqu'à qu'on meure, et c'est tout.
00:50:41 ...
00:50:43 Ils avaient aucune pitié.
00:50:45 ...
00:50:48 -C'est parfait. C'est parfait.
00:50:50 ...
00:50:52 Merci.
00:50:53 -C'est un souvenir épouvantable.
00:50:55 -Cette fameuse lettre, je l'ai relue,
00:50:57 puisque mon fils me l'a passée. -Oui.
00:51:00 -Premier août de quelle année ?
00:51:02 -45.
00:51:03 -45, ils sont...
00:51:05 -Après des années de recherche, Sylvie a enfin retrouvé
00:51:08 le destinataire de la lettre que son père avait écrite en 1945.
00:51:12 Elle ne connaissait qu'un prénom, Raymond.
00:51:15 -Trouver qui était le Raymond de sa lettre.
00:51:18 Regardez.
00:51:20 -Puis, un nom est sorti des archives.
00:51:22 Lecomte, Raymond Lecomte,
00:51:24 décédé depuis des années.
00:51:26 Retrouver la famille de Raymond a été un vrai travail d'enquête.
00:51:30 Je suis enchantée de vous rencontrer, vraiment.
00:51:35 -Ce sont des sujets qui me touchent,
00:51:38 d'abord par rapport à mon beau-père,
00:51:40 qui était un homme d'une douceur,
00:51:43 comme s'il portait la souffrance du monde
00:51:46 sur ses épaules sans le dire.
00:51:48 Là aussi, cette image-là, par contre,
00:51:51 c'est une image amateur,
00:51:53 devant la maison qu'ils avaient apertue, justement.
00:51:56 C'est probablement au cours de ses déménagements
00:51:59 dans la maison à l'arrière-plan qu'elle a perdu cette lettre.
00:52:02 -"Oui, d'ores et déjà, tu as un but, une famille à protéger,
00:52:08 "cela suffit pour remplir une vie."
00:52:10 -C'est pour remplir une vie, oui.
00:52:13 -Vous vous rendez compte ?
00:52:14 -Ils n'ont pas été punis, les gars.
00:52:26 Ils auraient dû finir en prison.
00:52:29 Au contraire, ils ont été cocottés.
00:52:33 Ils leur ont fait des ponts d'or
00:52:37 pour qu'ils viennent travailler pour eux.
00:52:40 Ici, mes frères,
00:52:42 on est désarmés,
00:52:44 on ne peut rien faire.
00:52:47 C'est comme ça.
00:52:56 -Nous en savons désormais beaucoup plus
00:52:59 à propos du camp de Dora Mittelbau, en Allemagne,
00:53:02 là où quelques 20 000 déportés,
00:53:04 dont bon nombre de Français, ont trouvé la mort
00:53:07 durant la Seconde Guerre mondiale, Dora,
00:53:09 là où le régime nazi concevait en secret,
00:53:13 vous venez de le voir, ces fusées V1 et V2,
00:53:16 l'occasion pour nous, maintenant, d'évoquer le martyr
00:53:20 à travers ce film vécu par les victimes
00:53:22 du système concentrationnaire nazi,
00:53:25 avec nos invités présents sur ce plateau de "Débat doc",
00:53:29 Laurent Thierry, pour commencer.
00:53:31 Bienvenue. Vous êtes historien
00:53:33 chargé de recherche à la Fondation de la Résistance.
00:53:36 On vous a vu, bien sûr, dans ce film,
00:53:38 et pour cause, vous avez dirigé cet ouvrage,
00:53:41 "Le livre des 9 000 déportés de France
00:53:44 "à Mittelbau, Dora,
00:53:46 "camp de concentration et d'extermination
00:53:49 "par le travail". C'est un ouvrage publié
00:53:51 au Cherchemini. Vous allez nous en parler.
00:53:54 C'est un formidable travail mémoriel
00:53:57 que vous avez réalisé, pas tout seul.
00:53:59 62 rédacteurs vous ont accompagnés,
00:54:02 des bénévoles également, pour réaliser cet ouvrage,
00:54:05 qui est unicas, mais vous allez nous expliquer
00:54:08 pourquoi dans un instant.
00:54:09 Ce livre, ce travail mémoriel,
00:54:11 c'est vous qui l'avez préfacé, Aurélie Filippetti.
00:54:14 Trois de vos aïeux sont passés par ce camp,
00:54:17 dont votre grand-père, un seul,
00:54:20 un seul en reviendra, l'un de vos grands-oncles.
00:54:22 Vous nous en direz plus, évidemment,
00:54:24 dans un instant. Rappelons tout de même
00:54:27 que vous êtes ancienne ministre de la Culture
00:54:29 et vous êtes aujourd'hui la directrice
00:54:32 des Affaires culturelles à la mairie de Paris.
00:54:34 Et enfin, Johan Chapoutot est avec nous.
00:54:37 Bienvenue, historien, auteur, spécialiste du nazisme
00:54:40 et de l'Allemagne, professeur d'histoire contemporaine
00:54:43 à l'Université Paris-Sorbonne.
00:54:45 On vous doit, entre autres, nombreux ouvrages.
00:54:47 Celui-ci, "Comprendre le nazisme",
00:54:50 un ouvrage disponible aux éditions Talendier.
00:54:54 Laurent Thiry, on vous a vus dans ce documentaire
00:54:57 et on a surtout vu et compris avec ce film
00:55:01 le travail mémoriel que vous avez réalisé
00:55:04 grâce à cet ouvrage que j'ai amené avec moi en plateau.
00:55:07 Il est très volumineux,
00:55:09 avec, d'ailleurs, en couverture,
00:55:12 des dessins réalisés par des déportés.
00:55:18 -Oui, un ancien déporté,
00:55:19 Léon Delarbre, déporté résistant au camp de Dora.
00:55:22 Ce projet, c'est d'abord la volonté des déportés eux-mêmes,
00:55:26 des survivants, à la fin des années 90,
00:55:29 de pouvoir rendre hommage, identifier d'abord,
00:55:32 rendre hommage à tous les déportés de France
00:55:35 qui sont passés par ce camp et à leurs victimes.
00:55:38 C'est un long projet de recherche, 15 années de travail,
00:55:41 parce que c'est un projet mémoriel, mais aussi scientifique.
00:55:44 A partir des archives du camp, on a la chance
00:55:47 d'avoir des monuments qui ont été conservés.
00:55:50 -Des archives allemandes du camp.
00:55:52 -Les archives produites du temps de fonctionnement du camp.
00:55:55 On a une administration à l'intérieur de ces camps,
00:55:58 un fichage systématique de ces déportés
00:56:00 qui nous a permis d'aller chercher les informations,
00:56:03 d'identifier et donc d'écrire des histoires
00:56:06 de la manière la plus précise possible.
00:56:08 Vous le disiez, c'est un travail collectif.
00:56:11 C'est avant tout l'engagement de près de 70 bénévoles,
00:56:14 essentiellement des enseignants,
00:56:16 des professeurs, qui, à partir de ces données,
00:56:18 ont écrit ces histoires de vie, une par une,
00:56:21 près de 9 000 vies qui sont très détaillées.
00:56:23 Et puis, c'est enfin l'engagement d'un éditeur
00:56:26 qui a pris l'engagement de réaliser cet ouvrage.
00:56:29 -On va le reciter, c'est le Cherche Midi.
00:56:31 -Oui, et Philippe Heraclès.
00:56:33 -Cet éditeur a entièrement financé ce travail.
00:56:36 -Tout à fait. Il est même allé plus loin,
00:56:38 puisqu'il a décidé d'éditer 9 000 exemplaires,
00:56:41 pour 9 000 déportés, qui sont numérotés
00:56:43 et qu'aujourd'hui, nous avons un éditeur
00:56:46 qui nous offre à chaque famille que nous pouvons identifier,
00:56:49 à chaque famille de descendants.
00:56:51 Aurélie a pu recevoir cet exemplaire
00:56:53 lors de la cérémonie que nous avions organisée
00:56:56 à Montluc, à Lyon, en 2021.
00:56:58 -Alors, vous l'avez reçu,
00:56:59 et ce qui est formidable, finalement,
00:57:01 à travers ce travail mémoriel, c'est que ce travail
00:57:04 vous a permis d'en savoir beaucoup plus
00:57:07 sur vos aïeux, deux grands-oncles,
00:57:10 et votre grand-père, du côté de votre père,
00:57:13 et vous en avez appris...
00:57:15 Vous avez appris leur parcours, leur histoire,
00:57:18 en grande partie grâce à ce travail mémoriel.
00:57:20 -Oui, parce que le camp de Dora n'est pas connu, en fait,
00:57:24 dans ce qu'on apprend, aussi bien dans les familles
00:57:27 qu'à l'école. C'est vrai que moi, j'avais entendu ce nom,
00:57:30 mais ce nom, en plus, en soi, Dora, déjà, c'est très...
00:57:33 C'est un nom de femme. En fait, c'est pas du tout
00:57:36 un nom de femme, c'est un acronyme en allemand,
00:57:39 mais ça ressemble à un nom de femme.
00:57:41 C'est presque des sonorités douces,
00:57:43 et moi, je me souviens que quand j'ai entendu parler de Dora
00:57:46 pour la première fois, je comprenais pas,
00:57:48 j'arrivais pas à associer ça avec un camp de concentration.
00:57:52 -Vous l'associez, d'ailleurs, dans votre imaginaire,
00:57:55 je crois, davantage à un personnage de dessin animé
00:57:58 qui s'appelait Dora. -Oui, parce que c'est vrai
00:58:00 que c'est très étonnant, et en fait,
00:58:02 je connaissais pas du tout les spécificités de ce camp.
00:58:05 Moi, je connaissais le parcours de mon grand-père
00:58:08 et de ses frères, c'est-à-dire qu'ils étaient passés
00:58:12 à Metz, le Stroutov en Alsace, puis Buchenwald,
00:58:15 et de Buchenwald, ils avaient été dans ce camp
00:58:18 que je considérais comme une annexe de Buchenwald,
00:58:21 et puis mon grand-père a fait les marches de la mort,
00:58:24 et il est mort à Bergen-Belsen,
00:58:26 au moment de la libération du camp.
00:58:28 Mais ce que j'ai appris, notamment sur les V1 et les V2,
00:58:31 qui étaient fabriqués dans ces galeries souterraines,
00:58:35 qui étaient des galeries de mines,
00:58:37 et mon grand-père était mineur, et ses frères étaient mineurs,
00:58:40 et ils ont été sélectionnés pour travailler dans ces galeries.
00:58:44 Ce que j'ai appris et qu'on voit dans le documentaire
00:58:48 est vraiment fascinant, parce que c'était un lieu
00:58:51 qui était, en fait, complètement stratégique et crucial
00:58:54 pour le régime nazi.
00:58:56 -Ce qui donne un relief particulier à ce qui était votre travail,
00:58:59 c'est ce qu'était la spécificité de ce camp,
00:59:02 qui justifiait qu'on en a très peu parlé par la suite,
00:59:05 parce que tout ça était Secret Défense,
00:59:07 en tout cas du côté américain,
00:59:10 qui a exfiltré un certain nombre de savants,
00:59:12 de techniciens allemands, par la suite.
00:59:14 -Il y a une véritable chape de plomb.
00:59:17 -C'est ce qui explique qu'on en savait très peu, sur ce camp.
00:59:20 -Oui, oui. Et j'imagine que c'est ce qui a justifié votre travail.
00:59:24 -Oui, c'était une volonté des familles, des déportés,
00:59:27 justement, de sortir de l'oubli, ce camp.
00:59:30 Il ne faut pas oublier que, dès la sortie de la guerre,
00:59:33 il y a une véritable chape de plomb
00:59:35 qui est imposée sur l'histoire de ce lieu,
00:59:38 et une volonté politique, notamment de la part des Américains,
00:59:42 de cacher, de rendre inaccessibles les archives
00:59:45 qui concernent ce camp,
00:59:46 d'empêcher que les scientifiques,
00:59:48 qui ont été ensuite recrutés par les différentes puissances alliées,
00:59:52 puissent témoigner des crimes qu'ils avaient pu constater eux-mêmes
00:59:56 et auxquels ils étaient liés directement.
00:59:59 Donc, on a cette mémoire qui a été empêchée pendant des années,
01:00:03 malgré le travail des amicales et des anciens déportés,
01:00:07 notamment Dora Edrich, la principale amicale
01:00:09 qui réunissait ces familles et ces anciens déportés.
01:00:12 C'est elle qui portera et qui décidera
01:00:14 de réaliser ce dictionnaire biographique.
01:00:17 -Dora, Mitelbau, il faut peut-être resituer ce qu'a été ce camp.
01:00:21 Je crois qu'il a deux spécificités, ce camp,
01:00:23 au-delà de ce qu'on a appris dans ce documentaire.
01:00:26 Évidemment, on y fabriquait les V1, les V2,
01:00:29 ce qui explique le secret qui a entouré, par la suite, ce camp.
01:00:33 C'était, je crois, le 13e et dernier camp
01:00:36 de concentration mis en place par les Allemands,
01:00:39 et ça a été aussi le plus meurtrier.
01:00:42 Qu'est-ce qu'on peut dire de plus sur ce camp
01:00:44 pour mieux comprendre de quels camps de concentration
01:00:48 nous parlons dans cette émission ?
01:00:50 -C'est de brosser un panorama du système concentrationnaire nazi.
01:00:53 J'aimerais revenir sur ce que disait...
01:00:56 -On le fera tout à l'heure. -On a une carte.
01:00:58 -Oui, mais à propos du nom de Dora,
01:01:00 les noms des camps de concentration
01:01:02 sont souvent "Büchwichtigen", comme on dit en allemand,
01:01:06 doux et agréable.
01:01:08 "Buchenwald", par exemple, c'est la forêt des "Etter".
01:01:11 "Sachsenhausen", c'est un toponyme très courant.
01:01:14 "Bergen-Belsen", c'est un lieu bucolique.
01:01:17 Et Dora, effectivement, il y a ce jeu sur l'acronyme
01:01:20 et sur le prénom de femme pour...
01:01:22 C'est systématique et structuré,
01:01:25 chez les nazis,
01:01:26 d'adoucir les choses par la toponymie et par les noms.
01:01:30 Et pour ce qui est du système concentrationnaire,
01:01:33 c'est à l'origine un système de répression terroriste,
01:01:37 ouvertement terroriste.
01:01:39 C'est une terreur policière administrative
01:01:42 qui est mise en branle à partir de l'ordonnance d'exception
01:01:45 du 28 février 1933,
01:01:47 qui, au fond, déjudiciarise les procédures de répression.
01:01:51 Les juges sont écartés,
01:01:53 et désormais, c'est la police qui, sur acte administratif,
01:01:56 vous incarcère, c'est des choses qu'on connaît en France,
01:01:59 depuis les états d'urgence, sans contrôle du juge.
01:02:02 Ce ne sont plus des lieux de détention,
01:02:04 mais de rétention administrative.
01:02:06 La détention, c'est la prison, la rétention, les camps.
01:02:10 Les camps ne sont pas secrets, c'est public,
01:02:12 c'est même publicisé, ça montre la volonté du gouvernement
01:02:16 de relèvement ou de réarmement national,
01:02:18 comme on disait à l'époque,
01:02:20 de réprimer les éléments antinationaux.
01:02:22 C'est un système concentrationnaire
01:02:24 qui s'adresse aux Allemands.
01:02:26 Il n'y a pas de juifs ennemis de juifs allemands
01:02:29 dans les camps de concentration,
01:02:31 comme Dachau, Sachsenhausen, Buchenwald, etc.
01:02:34 - Dachau,
01:02:35 moi qui parle moins bien allemand que vous,
01:02:39 c'est le premier camp qui est vu le jour en Allemagne,
01:02:42 en 1933, mais il y a 110 camps
01:02:44 qui ont été établis en Allemagne dès 1933,
01:02:46 dès la prise du pouvoir nazi.
01:02:48 - En Allemagne, et au-delà des frontières allemandes,
01:02:51 dans tout territoire annexé,
01:02:53 la première chose que font les nazis,
01:02:55 c'est d'envoyer des unités de la police et de la SS
01:02:58 à Outhausen, en Autriche, quand l'Autriche est annexée,
01:03:01 Auschwitz, en Silesie,
01:03:04 le Strutthof, en Moselle,
01:03:06 et en Alsace-Moselle, annexée, etc.
01:03:08 Donc tout ça est très cohérent,
01:03:11 et la fonctionnalité des camps change
01:03:15 à partir du début de la Seconde Guerre mondiale.
01:03:19 On accueille toujours des Allemands
01:03:21 à des fins de rééducation.
01:03:22 On accueille désormais des Juifs,
01:03:24 ça, c'est depuis la nuit de Cristal,
01:03:26 sur la communauté juive, pour les forcer à partir.
01:03:29 On incarcère 30 000 Juifs dans les camps de concentration
01:03:32 pour la première fois en 1938, fin 1938.
01:03:34 Et à partir de 1939, les camps sont voués à l'accueil
01:03:37 de tous les ennemis du Reich,
01:03:39 définis comme ennemis du Reich de toute l'Europe.
01:03:42 Ce qui est très intéressant, c'est que le système des camps
01:03:45 devient à la fois hyper fonctionnalisé
01:03:47 dans la direction de la production économique,
01:03:50 ce sont des lieux qui doivent être rentables, performants,
01:03:53 ce sont des concepts nazis.
01:03:55 En Auschwitz, le complexe s'appelle la zone d'intérêt,
01:03:58 intérêt économique.
01:03:59 Et par ailleurs,
01:04:00 ça devient un lieu totalement dysfonctionnel
01:04:03 au fur et à mesure de la dégradation
01:04:05 de la situation militaire allemande
01:04:07 et de la faible... Comment dire ?
01:04:09 Du faible approvisionnement que l'on donne aux camps,
01:04:12 ça devient des mouroirs à ciel ouvert.
01:04:14 -On va voir une carte pour situer ce qu'étaient ces camps.
01:04:18 Regardez cette carte.
01:04:19 Là, vous n'avez que les principaux camps,
01:04:21 à la fois camps de concentration, qui figurent en noir,
01:04:25 nous avons situé, bien sûr, Dora, Mittelbau,
01:04:27 sur cette carte, en plus gras,
01:04:30 c'est au nord-ouest de Buchenwald.
01:04:33 Buchenwald, qui était le camp
01:04:36 dont dépendait, dans un premier temps, Dora,
01:04:38 puis ensuite Dora Mittelbau, a eu sa propre autonomie,
01:04:43 on l'a dit tout à l'heure,
01:04:44 puis en rouge, regardez, sur cette carte,
01:04:47 ce sont les six camps de la mort, d'extermination,
01:04:49 qui étaient tous situés en Pologne, on le voit sur cette carte.
01:04:53 On reviendra sur ce système concentrationnaire
01:04:55 dans un instant, simplement pour bien comprendre
01:04:59 pourquoi Dora Mittelbau était le dernier grand camp
01:05:02 de concentration mis en place par les nazis
01:05:06 et pourquoi a-t-il été le plus meurtrier de tous les camps.
01:05:09 C'est ce qui est dit sur ce fameux camp.
01:05:11 -Sur le caractère meurtrier, tu pourras plus intervenir.
01:05:14 En l'occurrence, c'est un camp qui est affecté,
01:05:17 dès le départ, à la production économique,
01:05:19 à une production économique stratégique,
01:05:22 qui est le développement de pointe,
01:05:24 les fameuses armes de...
01:05:26 Je sais plus comment on dit en français,
01:05:28 "F.A. Galtungswaffe"...
01:05:29 -Je ne peux pas vous aider. -De représailles.
01:05:32 -Merci. -Merci.
01:05:33 -Avec d'ailleurs la création d'une division de la Waffen-SS
01:05:37 vouée à cela, la division de représailles,
01:05:40 la "Fau-Division", dirigée par Hans Kammler,
01:05:43 dont on reparlera, c'est un type très important.
01:05:46 C'est un lieu secret,
01:05:47 car c'est une production stratégique qui doit être protégée.
01:05:51 En lien avec le ministère de l'Armement de Sperre,
01:05:54 vu l'intensité de la campagne aérienne britannique et américaine
01:05:58 contre l'Allemagne, il faut enterrer les usines stratégiques.
01:06:01 On le fait à Dora, dans des systèmes de tunnels invivables,
01:06:04 et on le fait également dans les Alpes.
01:06:07 Hans Kammler, lui aussi, est chargé de créer des usines souterraines
01:06:11 dans les montagnes des Alpes,
01:06:13 dans la fameuse forteresse alpine, notamment à Ebensee,
01:06:16 pour la production de Messerschmitt, avion de pointe,
01:06:19 les premiers avions en réaction.
01:06:21 - Pourquoi ce camp est-il le plus meurtrier
01:06:24 de tous les camps de concentration allemands ?
01:06:26 - La spécificité de Dora, c'est un des rares exemples
01:06:29 dans l'histoire du système, car ce camp est spécifique,
01:06:33 mais il s'intègre dans ce système,
01:06:35 avec des interactions entre ces camps,
01:06:37 des échanges, évidemment.
01:06:39 La particularité, c'est qu'il n'y a pas de camp.
01:06:41 Pendant les 8 premiers mois d'existence de ce lieu,
01:06:44 les déportés sont directement logés,
01:06:47 doivent travailler à l'intérieur de ces galeries froides et humides.
01:06:51 C'est la responsabilité d'Hans Kammler
01:06:53 qui donne la priorité à l'installation de cette usine,
01:06:56 à n'importe quel prix, et au prix de la mort
01:06:58 de près de 6 000 déportés dans les 8 premiers mois.
01:07:01 C'est seulement une fois que l'usine de production des fusées
01:07:05 commencera à démarrer, au début 1944,
01:07:07 que Kammler donnera enfin l'autorisation
01:07:10 de construire un camp de baraque tel qu'on peut l'imaginer.
01:07:13 - On va écouter, avant de revenir vers vous,
01:07:16 Aurélie Filippetti, l'un des détenus
01:07:20 qui a été dans ce camp.
01:07:24 Il s'agit de Pierre Marc, et qui était, bien entendu,
01:07:27 dans le film que nous avons vu il y a un instant.
01:07:29 - On était entre nous, et puis on avait le moral, on disait,
01:07:33 ils vont nous envoyer en Allemagne,
01:07:36 on va aller travailler comme les STO de l'époque, quoi.
01:07:39 On va aller travailler en usine.
01:07:41 On ne se doutait vraiment pas du tout.
01:07:44 D'ailleurs, en France, personne ne connaissait
01:07:46 l'existence des camps de concentration.
01:07:48 Ca s'est découvert après la guerre,
01:07:51 mais pendant la guerre, personne n'en causait.
01:07:53 Personne n'était au courant.
01:07:55 - Trois anciens déportés, dont Pierre Marc,
01:07:58 ont témoigné dans ce film.
01:08:00 Malheureusement, l'un d'entre eux est décédé depuis ce tournage.
01:08:04 On ne le dit jamais assez,
01:08:06 mais il est encore temps de recueillir ces témoignages,
01:08:10 parce que ces personnes sont encore vivantes
01:08:12 et ils vont encore transmettre cette mémoire.
01:08:15 Vos aïeux avaient laissé des traces de ce passage,
01:08:18 avaient un temps soit peu raconté ce qu'a été leur martyr,
01:08:21 à l'occasion de ce passage, leur arrestation,
01:08:24 puis c'est arrivé à Dora Mitelbao.
01:08:27 - Non, on n'a aucune trace, en fait,
01:08:30 de celui qui est revenu sur les trois.
01:08:33 En fait, on n'en a jamais parlé, après la guerre.
01:08:36 - C'était le plus jeune des trois frères.
01:08:38 - Il était né en 1911,
01:08:41 et ils ont été arrêtés tous les trois en même temps,
01:08:45 le même jour, février 1944,
01:08:49 et ils avaient trois numéros successifs, d'ailleurs.
01:08:52 Tout ça, j'ai retrouvé, c'est ça qui est fascinant
01:08:54 dans le travail d'archives, des historiens,
01:08:57 c'est que j'avais entendu des récits dans ma famille,
01:09:02 qui étaient des récits oraux sur l'arrestation,
01:09:04 sur leur parcours, et en fait,
01:09:06 avec le travail de Laurent Thierry et des historiens
01:09:11 qui ont réalisé ce livre,
01:09:12 je me suis rendue compte que tout ce que j'avais entendu
01:09:15 était vrai, mais il y avait des preuves,
01:09:18 il y avait des papiers, il y avait des traces,
01:09:20 et donc ça, c'est très émouvant de retrouver dans les archives,
01:09:24 par exemple, les fiches qui donnent l'arrivée au camp,
01:09:28 et puis ils sont interrogés, et donc on dit,
01:09:30 "Voilà, mon grand-père, il avait quatre enfants",
01:09:33 donc ils donnent les âges des enfants,
01:09:36 et donc, mon père, il avait six ans, en fait,
01:09:41 donc ça, c'est vraiment, on voit la richesse de l'histoire
01:09:45 et ce côté bouleversant qu'on voit très bien
01:09:47 dans le documentaire "À travers cette dame",
01:09:50 qui a la lettre de son père,
01:09:52 qui témoigne sur ses conditions de vie et de travail dans ce camp,
01:09:56 et donc, il y a très peu de choses,
01:09:59 parce qu'il n'en est resté quasiment aucune trace,
01:10:03 et moi, j'avais juste connaissance de l'existence du camp
01:10:07 avant le travail de Laurent,
01:10:10 par une photo, qui était un peu la photo
01:10:12 qui était dans la famille, où on voyait
01:10:16 donc mon grand-père et ses deux frères,
01:10:18 et puis, pour l'un d'entre eux,
01:10:20 c'était marqué "Disparu à Dora",
01:10:22 et donc, j'avais que ça, en fait,
01:10:25 et finalement, j'ai appris que les trois ont été...
01:10:28 On fait vraiment le même parcours au même moment,
01:10:31 ils se sont suivis, donc il y en a un qui est mort en mars 1944,
01:10:35 à Dora, et...
01:10:36 -Ce qu'il faut peut-être préciser,
01:10:39 c'est que ce sont les 9 000 déportés de France
01:10:42 dont vous parlez dans votre ouvrage,
01:10:44 mais 700 d'entre eux étaient d'origine étrangère,
01:10:48 et 60 d'entre eux étaient d'origine italienne,
01:10:51 et c'était le cas de vos aïeux,
01:10:53 car en réalité, c'était des résistants antifascistes.
01:10:56 -C'est ça, et moi, ça m'a toujours fascinée,
01:10:58 parce qu'ils étaient italiens,
01:11:00 mais ils vivaient en France, ils travaillaient en France,
01:11:04 et ils ont été arrêtés comme résistants,
01:11:07 parce qu'ils ont été sans doute...
01:11:09 On a longtemps cru qu'ils avaient été dénoncés
01:11:12 par des gens mal intentionnés.
01:11:14 En fait, ils ont sans doute été identifiés
01:11:17 par les militiants fascistes
01:11:21 de l'allégation fasciste mussolinienne,
01:11:25 qui était à ce moment-là au Luxembourg,
01:11:27 et donc la Moselle annexée,
01:11:29 et c'était sans doute par les fascistes italiens
01:11:32 qu'ils ont été arrêtés par les nazis allemands.
01:11:36 Au fond de la mine, en France.
01:11:37 Et ensuite, ils ont été...
01:11:39 Quand mon grand-père est, en avril 1945,
01:11:43 sur la liste des détenus qui sont trouvés,
01:11:47 qui étaient encore vivants le 20 avril 1945,
01:11:51 au moment de la libération du camp de Bergen-Belsen,
01:11:55 et il est inscrit dans la liste des déportés français,
01:11:58 alors qu'en fait, il est italien.
01:12:00 Je trouve que c'est une très belle histoire européenne
01:12:03 pour montrer que ces gens se sont battus
01:12:06 pour notre liberté à tous,
01:12:07 notre liberté à tous les Européens et même tous les humains.
01:12:12 -Et vous disiez, c'est sans doute parce qu'ils avaient été mineurs
01:12:15 qu'ils ont été transférés dans ce camp,
01:12:18 pour les raisons que vous avez évoquées tout à l'heure.
01:12:21 C'est le cas. Il y avait déjà un tri qui était fait par les Allemands.
01:12:25 On va laisser Yohann Chapoutot en parler.
01:12:27 -A Bourenval, il y avait une sélection des détenus,
01:12:30 certains ingénieurs et scientifiques,
01:12:33 qui viennent à Bourenval et font une sorte de marché
01:12:36 pour sélectionner certaines professions.
01:12:39 Dans les premiers mois, on prend un peu tout le monde
01:12:42 parce qu'il s'agit d'aménager des galeries,
01:12:44 d'ouvrir des galeries,
01:12:45 d'avoir des mineurs, ces gens qui ont ces compétences.
01:12:48 Une fois que l'usine va fonctionner,
01:12:50 on va essayer de sélectionner des électriciens,
01:12:53 des serruriers, des gens qui ont des compétences propres,
01:12:56 des gens qui travaillent dans les télécommunications,
01:13:00 et on va spécifiquement les diriger vers ce camp.
01:13:02 Il y a tout ce travail.
01:13:04 -Sans dis-l'on sur l'organisation de ces camps
01:13:06 par le régime nazi, je vais citer un chiffre,
01:13:09 en tout cas une fourchette, parce que c'est celle dont je dispose.
01:13:13 Il y aurait eu 42 500 camps
01:13:15 allemands et nazis
01:13:18 d'installés durant la Seconde Guerre mondiale.
01:13:21 C'est un chiffre issu du mémorial de la Shoah de Washington.
01:13:24 J'ai vu le chiffre de 44 000 également.
01:13:27 D'où cette idée de parler d'une fourchette.
01:13:30 On voudrait comprendre comment on distingue ces camps du côté nazi
01:13:34 à travers les personnes qu'on peut y trouver,
01:13:36 les détenus, et la vocation conséquente.
01:13:39 Peut-on faire des distinctions pour essayer de bien comprendre ?
01:13:42 -Un petit point de vocabulaire ou de terminologie.
01:13:45 Les camps de concentration existent administrativement
01:13:49 en tant que tels, avec ce nom-là,
01:13:51 "concentrations", "kl" ou "kz", l'abréviation.
01:13:56 Par contre, les camps d'extermination n'existent pas.
01:13:58 Je ne suis pas négationniste.
01:14:00 C'est une terminologie qui a été créée à Nuremberg
01:14:03 pour des raisons de lecture, de classification, de typologie.
01:14:08 Mais déjà, ce ne sont pas des camps d'extermination
01:14:11 de la mesure où on ne campe pas.
01:14:13 Quand on arrive dans un centre de mise à mort,
01:14:16 on est tué en 1h, 1h30.
01:14:18 Ce ne sont pas des camps de travail, où on réside,
01:14:20 on ne campe pas.
01:14:21 Donc ça, Treblinka, Helno, Belchek,
01:14:25 Sobibor, Birkenau ne sont pas des camps.
01:14:28 D'ailleurs, les nazis appellent ça "S.S. under commando",
01:14:31 "commando spécial", ce qui ne veut rien dire,
01:14:34 mais c'est une volonté terminologique.
01:14:36 Donc, ce qu'on appelle des camps, ce sont les camps de concentration,
01:14:40 et en l'occurrence, les "Stammlager",
01:14:43 les camps souche ou les camps source,
01:14:45 qui ont énormément, parfois des centaines,
01:14:48 de "Aus und Kommando",
01:14:50 c'est-à-dire des petits camps de travail
01:14:53 qui sont affectés à une mine, à une forêt,
01:14:55 à un ravin, à une rivière, etc.,
01:14:57 d'où la prolifération métastatique, au fond,
01:15:00 de cette nébuleuse des camps,
01:15:02 mais en l'occurrence, il y a très peu de camps principaux,
01:15:05 Buchenwald en fait partie,
01:15:07 et Doran fera partie in fine, une extrémiste,
01:15:09 au fond, dans la liste,
01:15:11 mais c'est bien à distinguer de ce que l'historien Raoul Hilberg
01:15:14 a appelé, dès les années 80, les centres de mise à mort,
01:15:18 car on y vient pour être tués,
01:15:19 ni pour travailler, ni pour camper.
01:15:22 - Mais l'extermination par le travail...
01:15:24 - Oui, ça, c'est très important.
01:15:26 - ...est symbolisé aussi par le film que nous avons de voir.
01:15:29 - J'ai travaillé sur le travail,
01:15:31 la conception nazie du travail, dans "Libre d'obéir",
01:15:34 et j'ai montré que les nazis s'inscrivent parfaitement,
01:15:37 et le profil de Hans Kammler le montre très bien,
01:15:41 dans une logique, au fond,
01:15:42 qui est celle du capitalisme contemporain,
01:15:45 et qui est celui de la ressource humaine,
01:15:47 comme on dit avec cette expression atroce,
01:15:50 que les nazis appellent "material", matériau humain,
01:15:52 qui est considéré comme un fond d'énergie
01:15:55 dans lequel on va puiser jusqu'à l'épuisement.
01:15:57 On considère que la matière humaine, la biomasse,
01:16:00 doit être épuisée jusqu'à la fin,
01:16:02 avec d'ailleurs aucune nécessité
01:16:04 de respecter les frais fixes habituels,
01:16:06 typiquement l'hébergement ou la nourriture,
01:16:09 puisque le turnover, comme on dit aujourd'hui,
01:16:12 est tel, avec le flux massif d'arrivée,
01:16:14 qu'on peut laisser mourir en masse
01:16:16 sans augmenter les frais fixes,
01:16:18 et donc en augmentant la plus-value.
01:16:20 Et ça, c'est pratiqué dans les camps de concentration,
01:16:23 à ceci près qu'on prend soin, quand même, parfois,
01:16:26 de certains types de travailleurs,
01:16:28 qui sont des travailleurs spécialisés,
01:16:30 et qui sont tout à fait répertoriés
01:16:32 dans un système informatique ou préinformatique,
01:16:35 avec des cartes perforées mécaniques,
01:16:37 technologie IBM, puisque IBM a beaucoup profité
01:16:40 de sa collaboration avec la Nazie,
01:16:42 comme toutes les grandes compagnies américaines et allemandes,
01:16:46 et la technologie Holerit,
01:16:47 qui sont des cartes perforées du système préinformatique,
01:16:51 qui permettait de localiser, de spécifier très bien
01:16:54 les spécialités des différents travailleurs
01:16:56 qui étaient affectés à tout nouveau camp.
01:16:59 Quand on créait Mauthausen en 38,
01:17:01 on faisait venir des charpentiers, des plombiers, des maçons,
01:17:04 qui sont répertoriés dans les technologies IBM.
01:17:07 -Deux choses pour compléter ce que disait Johan.
01:17:09 Il n'y a pas d'étanchéité entre ces camps et ces systèmes.
01:17:13 Le rapport à l'économie,
01:17:14 cette productivité au cœur du fonctionnement de ces camps
01:17:18 à partir de 1943,
01:17:19 va obliger la SS à revoir sa stratégie,
01:17:21 notamment dans le cadre de l'extermination,
01:17:24 et la sélection, à l'arrivée dans ces centres de mises à mort
01:17:27 et dans ces camps de concentration,
01:17:29 les deux statuts, va permettre de récupérer
01:17:32 une main-d'œuvre juive potentiellement utilisable
01:17:34 et d'être transférée dans ces camps pour être utilisée.
01:17:38 A partir de l'été 1944, on va voir aussi une population juive
01:17:41 arriver au candora pour être affectée
01:17:43 par un sentier extérieur de creusement d'usine.
01:17:46 -Et dernier point.
01:17:47 -Ceci leur permettait peut-être d'échapper à la mort,
01:17:50 au bout du compte. -Oui.
01:17:52 -Qu'ils auraient connu dans ces temps.
01:17:54 -Temporairement. -C'était temporaire.
01:17:56 De toute façon, ils avaient des durées de vie très courtes,
01:18:00 comme c'est dit dans le reportage.
01:18:02 -Ce qui renvoie à cette question d'une mort lente,
01:18:06 liée au travail forcé, aux conditions de détention,
01:18:09 à la violence permanente. On n'en a pas parlé,
01:18:12 mais ce genre de réformes est structurée par cette violence,
01:18:15 confiée souvent à des détenus de droit commun,
01:18:18 des Allemands qui étaient dans les prisons allemandes
01:18:21 bien avant l'arrivée du nazisme.
01:18:23 Dernier point, c'est la manière dont va se structurer
01:18:26 ce rapport à la productivité de ces détenus.
01:18:29 Tout ça est centralisé à Berlin, avec un système de fichage,
01:18:33 mais cela va très loin à l'intérieur de ces camps.
01:18:36 Dora, on est un peu l'archétype, comment va-t-on mettre en place
01:18:40 certains privilèges à certains détenus
01:18:42 pour augmenter cette productivité ?
01:18:44 Tout ça relève de directives envoyées de Berlin,
01:18:47 aussi, évidemment, sanctionnées.
01:18:49 On parle dans le documentaire de la question
01:18:51 de la répression des sabotages et des pendaisons.
01:18:54 A partir de l'été 1944, des directives sont envoyées
01:18:57 à tous les commandants de camp, y compris à Dora,
01:19:00 pour organiser les pendaisons, pour que les pendaisons
01:19:03 de saboteurs soient visibles de l'ensemble des détenus,
01:19:07 et pour que les saboteurs puissent se faire
01:19:09 des sabotages. C'est vraiment quelque chose
01:19:12 qui est organisé, préparé et inséré,
01:19:14 et on le voit au travers des archives,
01:19:16 qui, heureusement, on a la chance de pouvoir utiliser
01:19:20 et consulter aujourd'hui. On voit comment se met en place
01:19:23 ce mécanisme à l'intérieur de ces camps
01:19:25 et qui concerne chaque individu.
01:19:27 -Et l'horreur de ce système concentrationnaire nazi.
01:19:31 Je vais citer quelques mots que vous avez écrits
01:19:34 dans cette préface à propos de ce camp.
01:19:36 "C'est la mienne, parce que c'est celle de ma famille.
01:19:39 "C'est la nôtre à nous tous, qui vivons après eux,
01:19:42 "habités de questionnements, hantés par leurs fantômes.
01:19:46 "Nous en sommes les dépositaires.
01:19:48 "Or, que pouvons-nous transmettre si nous n'en savons rien ?"
01:19:51 Sur ce travail mémoriel effectué par Laurent Thierry
01:19:56 et tous ceux qui ont travaillé avec vous,
01:19:59 pourquoi est-il aussi nécessaire aujourd'hui, à vos yeux ?
01:20:02 Vous étiez directement concerné,
01:20:04 au même titre que toutes les autres familles de déportés
01:20:08 et qui sont passées par Dora.
01:20:10 Qu'est-ce que vous pouvez nous dire
01:20:12 sur tout l'intérêt de ce travail mémoriel,
01:20:15 aujourd'hui, en 2024 ?
01:20:17 -Moi, ce qui me frappe, quand je lis,
01:20:19 parce que j'ai beaucoup lu des livres,
01:20:22 soit d'historiens, soit des témoignages, des récits,
01:20:26 évidemment, Primo Levi, par exemple,
01:20:28 mais à chaque fois, il y a cette obsession.
01:20:32 Évidemment, ces gens, comme le dit ce monsieur,
01:20:34 se témoignent, "Pourquoi j'ai survécu et pas les autres ?"
01:20:38 Le sens qu'il donne à ça, c'est toujours témoigner, raconter,
01:20:42 pour que cela n'arrive plus jamais.
01:20:45 C'est ce que dit Primo Levi dès les premières pages.
01:20:48 Il ne faut plus jamais que ça puisse se produire.
01:20:51 Or, ça s'est produit, et il n'y a pas si longtemps.
01:20:54 Ca peut un jour recommencer sous une autre forme.
01:20:58 Et évidemment, raconter cette histoire,
01:21:01 essayer d'en faire sentir toute la douleur,
01:21:05 toute l'horreur et tout l'aspect innommable et incommunicable,
01:21:09 mais on essaye de s'approcher de ça,
01:21:12 eh bien, ça permet quand même de se dire,
01:21:16 "Faisons attention et soyons extrêmement vigilants
01:21:19 "pour que jamais ça ne puisse se reproduire."
01:21:22 Ca s'est passé dans un pays qui était l'Allemagne,
01:21:25 un pays tout à fait développé, cultivé,
01:21:28 qui était à la pointe de la science.
01:21:30 On le voit avec des personnages comme ce Von Braun,
01:21:33 qui est une horreur, qui est un nazi,
01:21:35 et qui est en même temps un immense scientifique,
01:21:38 récupéré par les Américains après la guerre.
01:21:40 Ca aussi, c'est une histoire terrible.
01:21:42 Donc, des gens comme ça ont été capables
01:21:45 de participer à la pire barbarie, sans doute,
01:21:50 l'une des pires barbaries de l'histoire.
01:21:52 Donc, c'est ça, la leçon qu'il faut en tirer,
01:21:55 et c'est pour ça que ce travail est indispensable.
01:21:57 -On va rappeler qu'il n'y a pas que les Américains
01:22:00 qui ont exfiltré des ingénieurs, des savants nazis.
01:22:04 Nous aussi, Français, nous avons exfiltré
01:22:06 entre 4 000 et 5 000 de ces savants ingénieurs,
01:22:10 techniciens, et qui ont largement contribué,
01:22:12 ça a été dit dans le documentaire,
01:22:14 à réarmer la France à travers l'industrie balistique,
01:22:18 la fusée Ariane, et aux Etats-Unis,
01:22:20 c'était bien sûr, concernant Von Braun,
01:22:23 les programmes Mercury et Apollo.
01:22:26 C'est unique, ce travail,
01:22:29 qui a été réalisé sur les camps dits de concentration,
01:22:33 parce qu'il y a eu beaucoup de travaux
01:22:36 autour des camps d'extermination,
01:22:39 et ce qui a été...
01:22:40 Oui, tout le travail autour de la Shoah,
01:22:46 qui a été réalisé pour...
01:22:47 -J'aimerais embrayer sur ce que disait Aurélie Filippetti,
01:22:51 "Ce qui se produit, ça peut se reproduire",
01:22:53 d'autant plus que les fondamentaux qui ont permis cette horreur
01:22:57 sont toujours là. Après 1945,
01:22:58 on l'avait vu dans le débat sur la dénazification,
01:23:01 qui a été inexistante, en RFA,
01:23:03 on est parti à une configuration de guerre froide.
01:23:06 On a plus lutté contre les nazis, puisqu'on avait besoin
01:23:09 des nazis pour combattre le communisme.
01:23:11 Vous parliez des ingénieurs et techniciens
01:23:14 du programme Ariane, qui ont été transférés en France,
01:23:17 mais il faut parler des milliers de Waffen-SS
01:23:20 de la Légion étrangère française,
01:23:22 le champ de la Légion, c'est le champ de la Waffen-SS,
01:23:25 encore aujourd'hui.
01:23:26 Et ça, c'est visible, si vous voulez,
01:23:29 au profil et au destin d'un type comme Hans Kammler,
01:23:32 le grand ingénieur en chef, docteur ingénieur,
01:23:35 architecte et responsable, au sein de l'office central
01:23:38 de l'économie et de l'administration,
01:23:41 de tout ce qui est construction.
01:23:42 -Qu'on a vu dans ce film.
01:23:44 -Hans Kammler est tout à fait représentatif
01:23:47 d'une élite, on va dire, technocratico-mécanique,
01:23:50 technocrato-managériale, très bien formé,
01:23:52 donc ingénieur, docteur des universités,
01:23:54 et c'est quelqu'un qui fonctionne dans un univers mental
01:23:58 qui est le nôtre, en fait,
01:23:59 performance, rentabilité, efficacité, utilitarisme.
01:24:02 Dans la manière de traiter la main-d'oeuvre,
01:24:05 le nazisme est un extractivisme, ça dévaste tout,
01:24:08 et ça dévaste également les individus
01:24:10 qui sont assignés au simple rôle de fond d'énergie
01:24:13 dans lequel on va puiser,
01:24:14 on extrait de la valeur ajoutée jusqu'à la mort.
01:24:17 Par ailleurs, les coordonnées mentales
01:24:20 sont celles de l'efficacité, de la productivité,
01:24:23 de la performance, et Hans Kammler,
01:24:25 ce qui est très intéressant,
01:24:27 il est censé s'être suicidé le 9 mai 1945,
01:24:29 les sources surabondent en témoignage,
01:24:32 en disant qu'on l'a bien vu se flinguer,
01:24:34 sauf qu'on le retrouve dans des documents américains
01:24:37 jusqu'en novembre 1945, et qu'il est fort possible,
01:24:40 c'était son projet, d'ailleurs, de partir avec ses dossiers,
01:24:43 ses fichiers et son carnet d'adresse
01:24:46 pour se vendre aux Américains.
01:24:47 Il est possible qu'il ait été exfiltré aux Etats-Unis,
01:24:50 en tout cas, il ne s'est pas suicidé,
01:24:52 contrairement à ce que les sources nazies disent,
01:24:55 et ensuite les jugements judiciaires ouest-allemands.
01:24:58 Il fait partie de ces gens qu'on a,
01:25:00 au-delà des scientifiques et des techniciens,
01:25:03 on a utilisé des managers, des technocrates,
01:25:05 pour réarmer l'Occident face au communisme.
01:25:08 -Ce travail, et ça sera la toute fin,
01:25:10 que vous avez réalisé autour de ce camp d'Oran Mitelbaou,
01:25:13 concernant les camps de concentration
01:25:15 mis en place par les Allemands ?
01:25:17 -Il y a eu un certain nombre de monographies
01:25:20 sur l'histoire des camps.
01:25:21 Là, on est sur une approche individu par individu,
01:25:24 mais en même temps, cette histoire qui rend hommage
01:25:27 au parcours de ces gens, qui permet d'incarner
01:25:30 le parcours de ces gens, qui étaient des gens engagés
01:25:33 et qui ont souffert à l'intérieur de ce système,
01:25:36 permet de mieux comprendre le fonctionnement des camps
01:25:39 et nous éclaire sur l'histoire de ces camps de concentration.
01:25:42 Ces trouvages peuvent le faire.
01:25:44 Ils doivent se rendre à la Fondation de la Résistance.
01:25:47 -Ou dans toutes les librairies. -Ou dans toutes les librairies.
01:25:51 Un grand merci à tous les trois d'avoir participé
01:25:53 à ce "Débat doc" aujourd'hui.
01:25:55 Vos réactions, ça sera sur #Débatdoc, bien entendu.
01:25:58 Nous les attendons. Vous serez là, j'imagine,
01:26:01 pour réagir à ce que seront ces réactions.
01:26:04 Merci à Selma Salih, Sarah Eudeline,
01:26:06 qui m'ont aidée à préparer cette émission.
01:26:09 Prochain rendez-vous avec "Débat doc",
01:26:11 à la même place, la même heure,
01:26:13 avec son documentaire et son débat.
01:26:15 A très bientôt.
01:26:16 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
01:26:19 Générique
01:26:21 ...
01:26:29 Merci.
01:26:30 [SILENCE]