• il y a 11 mois
"Des milliers de femmes m'écrivent pour me raconter leurs histoires similaires à la mienne."

Dans sa mini-série "Icon of French cinema", qui rencontre un succès mérité sur Arte, l'actrice-réalisatrice Judith Godrèche retrace notamment ses traumatismes de l'enfance. Elle brise le silence sur l'emprise que le réalisateur Benoît Jacquot, de 25 ans son aîné exerçait sur elle lorsqu'elle était enfant, et le silence complice de tout un milieu.
Transcription
00:00 Ce qu'on me faisait comprendre,
00:02 c'est que la raison pour laquelle j'étais si spéciale ou si magique, différente,
00:08 c'est parce que j'étais avec cet homme plus âgé.
00:10 Je l'ai sûrement écrite pour la petite fille que j'étais,
00:15 pour la jeune fille que j'étais.
00:17 Je l'ai écrite dans un souci de transmission
00:19 et pour ma fille et pour les jeunes filles de sa génération.
00:23 Je n'aurais jamais écrit cette série si je n'avais pas été mère.
00:26 On se dit souvent, si j'avais su que ça allait m'arriver,
00:28 je n'aurais pas fait ça.
00:30 Je pense qu'en fait, ce que je dis, c'est si je t'avais eu,
00:33 ce qui est impossible,
00:35 si je savais qu'un jour, je me retrouverais face à une version de moi,
00:39 c'est-à-dire toi, ma fille, qui me renvoie à ma propre enfance,
00:43 je me serais rendue compte que je n'étais qu'une enfant.
00:45 Judith, garde bien tes marques.
00:48 Merde ! Merde !
00:49 Tu as acheté une maison avec ton copain de 40 ans quand tu avais 15 ans.
00:53 Tu ne m'as même pas allé prendre un café avec Marc.
00:55 C'est vrai que je ne lui ai jamais vraiment raconté mon enfance.
00:58 Il y a mon fils d'ailleurs.
01:00 Je veux être une mère protectrice et je veux être une mère qui est une mère.
01:04 Je n'ai pas envie de demander à mes enfants de me protéger
01:08 ou de se sentir une responsabilité vis-à-vis de moi.
01:11 Parce que malgré tout, la transmission, c'est aussi ça.
01:14 C'est-à-dire que les souffrances qu'on a vécues,
01:17 quoi qu'on en dise et quoi qu'on fasse, elles se transmettent.
01:20 C'est comme une lettre ouverte à ma fille qui lui dit
01:24 "Voilà ce qui m'est arrivé, je sais que tu veux être artiste, actrice,
01:28 danseuse et c'est un milieu, celui que je connais en tout cas,
01:32 parce que je pense que tous les milieux ont leur propre problème
01:35 et très similaire à celui-là.
01:36 C'est un milieu dans lequel moi j'ai dû faire face à ce système
01:41 et ce n'est pas facile de naviguer ce système.
01:44 Je pense que les enfants ont une force vitale.
01:47 Même si on est embarqué dans un truc qui est plus fort que nous,
01:50 les enfants, à un endroit de leur petit être, savent.
01:57 Dans la série, c'est ça que j'ai voulu filmer.
01:59 C'est cette jeune fille qui tout à coup se fait engueuler
02:03 de façon complètement arbitraire et subit la violence
02:07 verbale et physique de cette personne dans une scène à New York.
02:11 Et après, on voit qu'elle est toute seule dans une chambre d'hôtel
02:13 et on sent qu'il y a quelque chose de l'ordre de la...
02:16 Elle a un désir de vivre, elle a un désir de combattante,
02:19 mais en même temps, elle ne peut pas le formuler,
02:21 elle ne le formulera pas d'ailleurs.
02:23 La série montre quand même une évolution
02:25 et on espère à la fin qu'elle part.
02:28 Les mots qu'on met sur les choses,
02:30 des années, des années, des années, des années, des années plus tard,
02:33 c'est un cheminement intérieur,
02:35 c'est un cheminement qui est extrêmement long,
02:39 extrêmement compliqué, fait de toutes sortes de rebondissements
02:42 et qui passe par des moments où on a aussi envie
02:46 de repeindre les murs de la chambre en rose
02:49 et de réimaginer les choses de manière presque...
02:53 En les revalorisant.
02:54 Je pense que personne, pas plus vous que moi,
02:59 a envie de penser à son vécu, à son passé
03:03 de manière négative dans le fond.
03:06 C'est un aveu qu'on se fait à soi-même,
03:10 qui n'est pas évident de s'avouer avoir vécu des choses difficiles.
03:13 Ce n'est pas... Voilà.
03:14 Moi, comme vous le voyez dans la série,
03:15 j'utilise beaucoup l'humour justement comme garde-fou.
03:18 L'humour, c'est ma façon de négocier avec la gravité,
03:21 de négocier avec la tristesse,
03:23 de ramener de la fantaisie et de l'imagination
03:25 dans des moments difficiles,
03:28 de m'échapper un peu, de partir en courant.
03:31 Je pense que les États-Unis ont définitivement une longueur d'avance.
03:34 Les agences, les très grosses agences notamment,
03:38 dès qu'il y a un Me Too qui sort,
03:41 ou immédiatement, on se dissocie de cette personne, etc.
03:46 En France, c'est très différent à toutes sortes de niveaux.
03:50 Dans le cinéma français, il y a cette espèce de...
03:52 Il y a cette omerta,
03:54 mais il y a aussi une forme de conversation un peu mondaine
03:57 qui est de l'ordre de...
03:59 "Ah bah avant, c'était comme ça, mais bon...
04:02 Après tout, c'était comme ça, c'était cette époque-là."
04:04 Et comme si, d'une certaine manière,
04:06 on ne prenait pas de position morale,
04:09 parce que de toute façon, c'était une époque
04:11 et qu'elle faisait partie d'un ensemble.
04:13 Et que de remettre cette époque en question,
04:15 ou de remettre ces choses-là en question,
04:17 ce serait comme de se remettre soi-même en question.
04:19 Et ça, je pense que malgré tout, ça fait très peur
04:22 à ce milieu de se remettre en question.
04:24 Dans tous les cas de figure que j'avais imaginés
04:26 liés à cette série, à la façon dont elle serait reçue,
04:28 et à tout ce qui pouvait m'angoisser
04:31 lié à ce que je racontais dans la série,
04:33 je ne m'attendais pas à cet engouement,
04:36 à ce soutien féministe, à ce soutien de femmes,
04:40 à cette sororité.
04:41 Des femmes qui ont vécu des histoires similaires,
04:44 qui me les racontent.
04:45 D'ailleurs, j'ai demandé conseil
04:47 et de l'aide à la Fondation des femmes,
04:50 parce que c'est vrai que je pense que c'est important
04:52 que j'ai aussi des outils, des numéros de téléphone
04:54 à donner à toutes les femmes qui m'écrivent,
04:56 parce que c'est vrai que c'est des milliers de femmes
04:59 qui m'écrivent pour me raconter ce qu'elles ont vécu,
05:02 pour me raconter des choses qu'elles n'ont pas encore dites publiquement.
05:06 Je comprends très bien que cette image-là de moi
05:09 et de cette personne plus âgée ait pu créer
05:12 une forme d'identification,
05:14 comme si on était un couple de cinéma.
05:16 Maintenant, on était un couple de la réalité,
05:18 pas un couple dans un film.
05:20 Et je comprends d'autant plus tout ça,
05:22 c'est que je pense qu'il y a beaucoup de gens
05:25 qui ont une très, très mauvaise interprétation
05:27 de Lolita Dnabokov,
05:29 y compris la personne avec qui j'étais.
05:30 Sous-titrage Société Radio-Canada

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