• il y a 11 mois
C’est une vision du monde de demain. Dans son livre, le psychiatre Raphaël Gaillard dresse le portrait robot de “l'homme augmenté”, l'idée “que nous puissions associer l'homme à la machine, que nous puissions augmenter l'homme en le mettant en interface avec la machine, le robot donc, l'ordinateur”. “Pas seulement son squelette, ce qu'on appelle l'exosquelette, pas seulement sa force physique, mais son organe le plus fantastique, celui qui nous définit, celui qui fait que nous sommes cette espèce particulière, celle des sapiens : son cerveau”, précise-t-il, ajoutant que ce que l’on veut aujourd’hui “démultiplier” est bien “la puissance du cerveau” humain.

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Transcription
00:00 - Grand entretien ce matin avec Marion Lourds, nous recevons un grand psychiatre, il est
00:04 directeur du Pôle Hospitalo-Universitaire de Psychiatrie de l'hôpital Saint-Anne à
00:09 Paris et de l'université Paris Cité.
00:12 Il est l'auteur d'un formidable livre qui vient de paraître et pour ouvrir la discussion
00:16 sur ce qu'il appelle l'homme augmenté.
00:19 Chers auditeurs, rappelez-nous 0145 24 7000, le standard est ouvert ou écrivez-nous sur
00:25 l'application France Inter.
00:27 Bonjour Raphaël Gaillard.
00:29 - Bonjour.
00:30 - Et bienvenue, c'est d'ailleurs cette question de l'écriture qui revient dans votre livre
00:35 et qui est intéressante, on va en parler dans un instant, c'est un essai l'homme augmenté
00:38 qui vient d'être publié chez Grasset et c'est une réflexion sur ce que vous appelez l'hybridation
00:45 du cerveau humain et de la machine, on va en reparler.
00:48 On croise dans ce livre Don Quichotte, Flaubert et puis aussi la pop culture, Matrix, Breaking
00:54 Bad, des personnages qui existent réellement même s'ils sont fantasques.
00:58 Elon Musk, des recherches sur les psychotropes et les drogues que vous connaissez parfaitement
01:04 bien.
01:05 Un mot d'ailleurs pour nous expliquer ce qu'est cet homme augmenté puisque c'est le titre
01:09 du livre, sans mauvais jeu de mots, est-ce qu'on peut en faire le portrait robot ?
01:12 - Et bien le portrait robot de l'homme augmenté ce serait de considérer qu'il y aura bientôt
01:18 quelque chose du robot dans l'homme justement.
01:21 Parce que l'hybridation technologique que vous avez évoqué, c'est l'idée que nous
01:26 puissions associer l'homme à la machine et que nous puissions donc augmenter l'homme
01:33 en le mettant en interface avec la machine, le robot donc, l'ordinateur en fait.
01:38 Et à quel niveau ? Pas seulement son squelette, ce qu'on appelle l'exosquelette, pas seulement
01:43 sa force physique mais son organe le plus fantastique, celui qui nous définit, celui qui fait que
01:48 nous sommes cette espèce particulière, celle des sapiens, son cerveau.
01:51 Et donc l'homme augmenté c'est avant tout celui dont on augmente le cerveau par les
01:56 interfaces cerveau-machine.
01:57 - Je disais, votre livre est parcouru par les références et notamment à la pop-culture.
02:01 Alors pour qu'on comprenne, l'homme augmenté, ce n'est pas une idée nouvelle, c'est une
02:04 idée ancienne.
02:05 On croise d'ailleurs la mythologie et Achille qui était le super-héros de l'époque et
02:09 de la guerre de Troie.
02:10 On croise aussi une série dont les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître l'existence
02:15 mais dont les plus âgés se souviennent parfaitement bien.
02:18 C'est l'homme qui valait 3 milliards, ça c'était l'image d'un super-héros et qui
02:23 justement a été augmenté par la mécanique, par la cybernétique.
02:29 Plusieurs décennies plus tard, c'est le « toujours plus » qui règne mais c'est devenu être
02:33 une meilleure version de soi-même.
02:35 Qu'est-ce qui a changé ? - Ce qui a changé par exemple, cette vieille
02:39 série « L'homme qui valait 3 milliards », c'était l'augmentation pour Steve Austin,
02:44 le colonel Steve Austin, vous vous souvenez de ce générique incroyable.
02:46 C'était sa force musculaire, un bras, les jambes et puis sa vue.
02:51 Finalement c'était assez périphérique.
02:54 Aujourd'hui l'enjeu, encore une fois, ce n'est pas le corps, c'est cet organe fantastique
02:59 qu'est le cerveau.
03:00 Ce que l'on veut démultiplier, la puissance de l'homme, c'est celle du sapiens, c'est
03:06 la puissance de son cerveau.
03:07 Et des personnages qui ne sont pas des personnages de cinéma, ou peut-être bientôt, un Elon
03:11 Musk par exemple, l'ont bien compris parce que ce à quoi il s'attaque, c'est le cerveau.
03:16 - Elon Musk par exemple, juillet 2016, vous racontez qu'à San Francisco, l'entreprise
03:20 du père de Tesla a injecté une puce dans le cerveau d'une truie, Gertrude, pour lire
03:26 son activité cérébrale.
03:27 Ce n'est pas un humain, c'est une truie, c'est la naissance de l'hybridation et vous
03:31 en parlez même avec une forme d'affection ou en tout cas d'admiration de Gertrude.
03:35 - Pour la truie bien sûr, pour Elon Musk, je ne sais pas.
03:40 Mais le projet d'Elon Musk, il peut se résumer à ça.
03:43 Il nous dit "l'intelligence artificielle explose, elle est extrêmement puissante aujourd'hui,
03:50 elle sera encore puisse demain et notre seule chance à nous humains d'y faire face, c'est
03:54 de nous hybrider avec l'intelligence artificielle.
03:57 Nous serons dépassés très vite, ce que certains appellent la singularité, et donc
04:00 notre seule chance c'est de nous hybrider".
04:02 Et donc, comme c'est un homme qui fait, c'est un homme pragmatique, il a l'habitude de transformer
04:06 l'essai, il crée une entreprise qui s'appelle Neuralink et le but c'est de mettre des implants
04:11 dans le cerveau pour créer concrètement des interfaces entre le cerveau et l'ordinateur.
04:16 Et il y arrive, donc il hybride des animaux, d'abord, donc Gertrude, la resplendissante
04:24 Gertrude, et puis des singes, et il fait beaucoup de choses.
04:27 Et il faut savoir qu'il a obtenu l'année dernière les accords de l'AFDA, les autorités
04:31 de régulation américaines, pour mettre chez l'homme des implants.
04:35 Mais sur l'homme, Raphaël Gaillard, donnez-nous des exemples.
04:38 Ça veut dire que mon cerveau pourra ou peut déjà d'ailleurs contrôler un membre robot
04:44 dont je serais amputé, qui serait remplacé par une prothèse, par exemple.
04:48 Alors c'est très important de dire que ça n'est pas de la science-fiction, c'est déjà
04:51 une réalité clinique, thérapeutique.
04:54 Pour le médecin que je suis, par exemple, on soigne tous les jours des patients qui ont
04:57 une maladie de Parkinson avec des électrodes intracérébrales qui viennent contrôler le
05:03 tremblement très invalidant de la maladie de Parkinson.
05:06 Donc on met des électrodes, c'est une invention française d'ailleurs, et ça vient restaurer
05:10 un courant électrique dans certaines parties du cerveau qui viennent supprimer le tremblement.
05:14 Ou bien un patient qui a perdu la motricité, par exemple un patient tétraplégique, qui
05:19 ne peut pas bouger, qui ne peut pas même écrire.
05:22 Une équipe de l'université de Stanford a montré assez récemment que grâce à des
05:27 puces à poser sur son crâne, il est possible de capter l'imagination que ce patient se
05:33 fait de l'écriture manuscrite.
05:35 Il s'imagine des lettres et on capte cette activité, on la convertit réellement en
05:40 lettres.
05:41 Et figurez-vous que cet homme, qui ne peut pas bouger les mains, s'avère écrire à
05:45 une vitesse qui est quasiment la même que la vôtre quand vous écrivez sur votre smartphone.
05:50 Il écrit à 18 mots par minute quand vous écrivez en moyenne à 23 mots par minute.
05:55 D'ailleurs vous restaurez l'image des électrodes et de la stimulation du cerveau par électrode
06:00 qui avait été mise à mal dans "Vol au-dessus d'un nid de coucou" où c'est plutôt une
06:03 forme de torture.
06:04 Là vous dites que ça peut augmenter même la mémoire par exemple ?
06:06 Oui, mais surtout ce qu'il faut entendre c'est que ça n'est plus de la science-fiction.
06:10 C'est une réalité clinique, c'est une réalité du soin.
06:13 Et la réalité du soin, la particularité, c'est qu'en même temps qu'on soigne,
06:18 qu'on répare, on peut s'en servir aussi pour augmenter.
06:22 Et d'ailleurs quand on soigne, ce n'est jamais très facile de définir la limite entre
06:28 la réparation et l'augmentation.
06:30 Si je restaure votre audition que vous n'aviez plus, est-ce que je ne vais pas la rendre
06:34 meilleure que ce qu'elle était avant ou par rapport à la population générale ?
06:40 Non, non, continuez parce qu'il y a une expérience que j'aimerais bien que vous
06:44 nous racontiez justement.
06:45 Elle s'est produite à Harvard avec deux groupes d'étudiants.
06:48 Est-ce que vous pouvez justement pour cette question de la mémoire et de l'augmentation
06:51 de la mémoire et du fonctionnement de notre mémoire et de notre cerveau nous dire cette
06:56 expérience qui a été menée sur deux groupes d'étudiants à Harvard ?
06:58 Alors c'est très important de dire avant cela une chose, c'est qu'on peut augmenter
07:03 les performances du cerveau mais on les augmente à chaque fois en regard des puces que l'on
07:09 implante.
07:10 Cela veut dire qu'on ne peut pas augmenter globalement le cerveau.
07:13 Ce qui reste dans la science-fiction encore, c'est cette idée qu'on pourrait augmenter
07:17 globalement le cerveau, qu'on pourrait le mettre à jour instantanément comme on met
07:20 à jour un ordinateur.
07:21 Et là, cela ferait trop de puces en fait ? Il faut augmenter toutes les zones ?
07:24 Exactement.
07:25 En fait, votre cerveau, c'est 85 milliards de neurones et il n'y a pas un port USB
07:31 qui permet d'accéder à l'ensemble.
07:32 Et donc, ça c'est de la science-fiction.
07:34 Dire que je peux mettre à jour l'ensemble du cerveau, dire que je peux mettre à jour
07:38 mes compétences, dire que je peux transférer mon ordinateur, mon cerveau pardon, dans un
07:42 ordinateur, ça c'est de la science-fiction.
07:44 Par contre, dire que j'amplifie ou que je modifie telle ou telle compétence, ça c'est
07:48 le cas.
07:49 Alors ensuite, sur l'effet de la mémoire.
07:50 Justement sur l'effet de la mémoire.
07:51 Et avant d'en venir à ce test, puisque vous vous êtes lancé dans cette définition,
07:56 il y a un passage et de nombreuses pages consacrées et c'est assez sidérant sous la plume d'un
08:01 psychiatre, aux drogues.
08:03 Aux drogues, c'est décupler ses performances.
08:06 Vous pensez les décupler en consommant des psychotropes.
08:09 Vous avez des mots quasiment tendres pour Freud qui parle de sa consommation effrénée
08:16 de cocaïne.
08:17 Vous parlez également de vous-même, le grand psychiatre que vous êtes et qui dirige un
08:21 pôle où vous recevez 12 000 patients par an.
08:25 Vous êtes dévoré par le temps qui vous échappe, vous ingérez d'un psychédélique.
08:30 Quelle leçon est-ce que vous en avez tirée ?
08:31 D'abord, pour ce qui est de la cocaïne, il faut rappeler que c'est interdit, il faut
08:38 rappeler que c'est dangereux.
08:39 L'usage que Freud en faisait n'était pas effréné, mais il est touchant dans son utilisation.
08:46 Oui, vous envoyez le mot « touchant ».
08:47 Oui, puisqu'il écrit à sa fiancée en parlant des quelques grammes de cocaïne pour
08:53 se délier la langue.
08:54 Il raconte ses aventures parisiennes dans les salons parisiens et l'effet de la cocaïne.
08:59 C'est plutôt touchant de voir la façon dont il vit l'expérience de la cocaïne,
09:04 qui est une substance dangereuse et interdite.
09:06 Quant au psychédélique, les psychédéliques, nous, psychiatres, nous nous intéressons
09:11 particulièrement parce qu'il s'avère avoir des effets antidépresseurs majeurs.
09:16 La dépression, vous savez que ça touche une personne sur cinq sur vie entière.
09:20 Une personne sur cinq fera un épisode dépressif caractérisé au cours de sa vie.
09:23 C'est un enjeu majeur parce qu'en plus, une personne sur trois parmi celles-là n'aura
09:27 pas une réponse satisfaisante à nos traitements existants.
09:29 Donc, que les psychédéliques aient un effet antidépresseur, c'est majeur.
09:33 Donc, il faut qu'on puisse les utiliser.
09:34 C'est encore des substances interdites.
09:36 On ne sait pas encore tout de leurs effets.
09:38 Donc, c'est dans le cadre de protocoles très particuliers.
09:41 Il se trouve que dans le cadre d'un de ces protocoles, à l'étranger, c'est-à-dire
09:45 dans un pays où ces protocoles sont déjà en cours, on est en train de les mettre en
09:49 place en France.
09:50 J'ai pu en faire l'expérience et j'ai pu observer l'effet majeur, effectivement,
09:54 que ce type de molécule a sur la perception du monde.
09:57 - Par exemple, pour accompagner des patients en fin de vie, c'est ce que vous dites ?
10:00 - C'était la découverte initiale, en fait, de l'effet des psychédéliques.
10:04 C'est que le rapport à la mort, qui est un rapport très difficile, c'est un rapport
10:08 d'affrontement, c'est l'élément existentiel le plus marquant que celui de la confrontation
10:14 à la mort.
10:15 C'est vrai que ces molécules modifient complètement la perception de la mort.
10:19 Et je pense que c'est très important, dans les débats actuels sur la fin de vie, de
10:23 considérer ce que cet apprentissage, cet accompagnement peut apporter.
10:28 - Et vous dites, attention quand même sur ce genre de produit, ne pas essayer de s'améliorer,
10:31 de s'augmenter tout seul.
10:32 Vous citez un étudiant, notamment, qui parle de tous les produits qu'il ingère pour
10:36 essayer d'améliorer ses performances.
10:38 Il y a dix lignes de produits qu'il appelle des no-tropiques.
10:41 - Oui, alors on dit no-trope, ça veut dire que ça vise l'esprit.
10:49 On pourrait dire psychotrope, c'est la même chose, c'est essentiellement des psychotimants.
10:52 - Oui, on peut dire psychotrope, il y a champignon, cannabis, amphétamine, protoxyde d'azote,
10:55 kétamine, héroïne.
10:56 - Oui, alors il se trouve qu'aux Etats-Unis, c'est devenu assez terrible.
11:00 Une étude a montré par exemple que 60% des étudiants en licence de l'Université de
11:05 Maryland a utilisé des produits psychostimulants.
11:07 - Oui, mais en France, 33% des étudiants en école de médecine ont aussi utilisé des
11:12 psychostimulants et notamment des corticoïdes.
11:15 Le chiffre est effrayant.
11:17 C'est avec des moyens un peu plus classiques, dont les corticoïdes en France, mais je crois
11:23 que c'est une vieille histoire que celle des rapports aux psychostimulants en France et
11:28 encore plus aux Etats-Unis.
11:29 - Faites-vous accompagner.
11:30 - On va refiler au Standard d'Inter.
11:32 Bonjour Chantal !
11:33 - Oui, bonjour.
11:34 - Merci de participer au Grand Entretien de France Inter.
11:38 - Merci d'avoir pris ma question parce qu'elle m'est très sensible et je pense qu'elle ne
11:43 l'est pas que pour moi.
11:44 Je voulais savoir ce que pensait la personne psychiatre qui est là.
11:52 - Raphaël Gaillard.
11:53 - Oui, Raphaël Gaillard, de ce terme d'augmenter dans son sens littéral parce que la technique
12:00 n'a pas de conscience.
12:01 Cette hybridation de la technique avec le cerveau me semble triste.
12:07 N'est-il pas plus judicieux, plus humain de laisser l'homme dans son évolution et la
12:15 conscience de son évolution plutôt que de lui administrer quelque chose de technique
12:22 qui n'a pas de conscience ?
12:23 - Réponse Raphaël Gaillard, cet homme augmenté.
12:27 - Merci pour cette question.
12:29 Moi, je ne serais pas pessimiste comme vous semblez l'être parce que je pense qu'en fait
12:35 toute l'histoire de l'humanité est celle de l'augmentation.
12:38 Aujourd'hui, c'est par la technologie, c'est par cette hybridation technologique autour
12:42 du cerveau.
12:43 Mais au fond, l'histoire de l'humanité est celle de l'augmentation.
12:46 Toute invention, tout avènement technologique a été celui de l'augmentation.
12:51 On y reviendra tout à l'heure, je pense.
12:53 - De l'appauvrissement aussi.
12:55 Je reviens à mon test, le test des étudiants à Harvard.
12:59 Décrivez-nous ces deux groupes.
13:01 On sépare deux groupes d'étudiants.
13:02 - Alors, on a parlé d'augmentation, mais il faut voir aussi les effets secondaires
13:06 de l'augmentation.
13:07 Et effectivement, augmenter, ça peut avoir des effets secondaires.
13:11 Alors, sur les drogues, on l'a rappelé tout à l'heure, prendre des psychostimulants,
13:16 au bout d'un moment, ça vide tous vos neurotransmetteurs et c'est des personnes, des patients qui
13:21 s'effondrent, qui sont comme terre brûlée, carbonisée.
13:24 Donc, il faut voir le coût que ça peut avoir sur la personne parce qu'on ne peut pas consommer
13:29 10 000 fois la même chose.
13:30 L'énergie, elle n'est pas inépuisable.
13:32 Mais, votre question sur la mémoire.
13:35 L'expérience est très simple, c'est une très belle expérience menée à Harvard,
13:38 chez des étudiants.
13:39 On leur fait répondre à des questions, des questions type trivial poursuite et répondre
13:44 sur un fichier informatique à toutes ces questions.
13:46 - Une question très emblématique, est-ce que l'œil de l'autruche est plus gros que
13:51 son cerveau ?
13:52 - Voilà, question type trivial poursuite, pas facile.
13:54 Est-ce que l'œil de l'autruche est plus grand que son cerveau ?
13:56 - Mais bon, ce sont les étudiants d'Harvard.
13:57 - Voilà, et c'est les étudiants d'Harvard, peut-être savent-ils mieux répondre aux questions
14:00 du trivial poursuite ?
14:01 Ils donnent leur réponse sur un fichier informatique et puis à la fin de la session, à la moitié
14:06 des étudiants, on dit "votre fichier est supprimé".
14:10 Puis après, on leur fait faire d'autres choses et puis après, on teste leur capacité
14:15 mnésique.
14:16 Qu'est-ce qu'ils peuvent récupérer en mémoire de toutes les questions et toutes
14:20 les bonnes réponses au questionnaire ?
14:22 Eh bien, on s'aperçoit que ceux pour lesquels on a annoncé la suppression du fichier ont
14:27 de bien meilleures performances de récupération des informations que ceux pour lesquels on
14:32 n'a pas supprimé le fichier.
14:34 Autrement dit, ceux qui savent qu'il existe un fichier, oublient.
14:39 C'est-à-dire, le seul fait de savoir qu'il existe un fichier qui contient les réponses,
14:44 c'est que...
14:45 - On délègue.
14:46 - Exactement.
14:47 On externalise, on délègue, c'est à l'extérieur et donc je n'ai pas à le retenir.
14:50 Et on peut appeler ça l'effet Google.
14:53 C'était avant...
14:54 - C'est ce qu'on appelle l'effet Google.
14:55 - Ça veut dire que je sais que c'est entreposé quelque part, je n'ai pas besoin de le retenir.
15:00 De même qu'avec mon smartphone, je sais que j'ai tous les téléphones portables de la
15:04 Terre, eh bien, par conséquent, je n'ai plus à retenir un seul numéro de téléphone
15:08 portable.
15:09 D'ailleurs, qui sait encore retenir aujourd'hui un numéro de téléphone ?
15:11 - C'est une très bonne question.
15:13 En tout cas, les smartphones le font plutôt pas mal.
15:15 Bonjour Yvan !
15:16 - Oui, bonjour !
15:17 - Bienvenue ! Et là, pour le coup, vous aviez une question pour le grand psychiatre qui
15:22 est avec nous ce matin, pour Raphaël Gaillard.
15:24 - Oui, en fait, je me posais la question de savoir si ces aides au cerveau qui sont en
15:29 train d'être testées pouvaient aider dans la réparation du cerveau de quelqu'un qui
15:36 est atteint d'une maladie comme la maladie d'Alzheimer ou la sclérose en plaques ou
15:39 ce genre de choses.
15:40 - Merci pour votre question, Yvan, Raphaël Gaillard.
15:43 - Merci pour cette question.
15:44 Je redis en fait qu'il n'y a pas de frontière qui puisse être clairement définie entre
15:49 réparation et augmentation.
15:51 Moi, j'ai cité la maladie de Parkinson, mais il y a aujourd'hui des travaux en cours
15:56 sur le même type d'électrones qui sont implantées dans les hippocampes cérébraux pour essayer
16:01 d'améliorer la mémoire dans la maladie d'Alzheimer.
16:04 Donc, la réponse est oui.
16:05 Mais je vais reprendre sur la question de la mémoire dont on a parlé et au fond, répondre
16:10 à la première auditrice de tout à l'heure sur nos trajectoires de augmentation.
16:14 Parce qu'au fond, ce que je vous ai décrit du fait que déléguer, externaliser, affaiblir
16:21 notre mémoire, en fait, on l'a déjà connu dans notre histoire.
16:25 - Ça s'appelle le livre.
16:26 - Ça s'appelle le livre.
16:27 Et de fait, quand vous avez la possibilité de reposer sur un livre, déléguer un livre,
16:35 c'est la même chose qui se passe.
16:37 C'est exactement la même chose qui se passe.
16:39 Je précise, vous déléguez vos connaissances à un livre et vous n'avez plus besoin de
16:43 les avoir en tête.
16:44 Et plus encore, vous réappropriez ces connaissances.
16:48 Ça passe par la lecture.
16:50 Et la lecture, c'est une drôle d'aventure.
16:52 Mais c'est une forme d'hybridation.
16:54 Quand vous lisez, c'est une forme d'hybridation.
16:56 Ça vient en vous.
16:57 Vous incorporez les choses.
16:58 - Expliquez-nous ça, justement.
16:59 - Alors, qu'est-ce qui se passe quand vous lisez ? Vous l'avez vécu.
17:02 C'est quelque chose de très étonnant.
17:04 Le texte rentre en vie.
17:05 - Parce que vous dites que ce n'est même pas la peine d'aller réfléchir à l'IA.
17:08 Si, c'est la peine de réfléchir à l'IA et aux nouveaux outils conversationnels.
17:14 Mais il y a déjà quelque chose qui se passe dans cette hybridation textuelle.
17:19 - Je pense que l'hybridation par la lecture, l'écriture, ça a été la grande hybridation
17:25 de l'humanité.
17:26 Et c'était déjà la grande augmentation de l'humanité.
17:29 Quand il y a cinq mille ans et quelques, on invente l'écriture et à cette occasion,
17:34 on sort de la préhistoire, on entre dans l'histoire, on s'hybride et là, on sort
17:41 d'une ère qui était celle de la préhistoire et on rentre dans l'humanité que nous connaissons
17:44 aujourd'hui.
17:45 Et le mécanisme n'est pas si différent.
17:48 Le livre, c'est déjà une forme de disque dur externe.
17:51 Et cette similarité entre l'hybridation par la lecture et l'écriture et l'hybridation
17:57 technologique, il faut s'en inspirer.
17:59 Il faut penser que ça a un sens parce que s'il y a quelque chose de commun entre les
18:03 deux, nous devrions peut-être considérer que l'une prépare à l'autre.
18:08 Il y a des risques, il y a des limites Raphaël Gaillard aussi à l'augmentation de l'homme,
18:12 même si vous êtes relativement optimiste.
18:14 Vous les évoquez, il y en a plusieurs.
18:16 C'est le risque par exemple d'un humain à deux vitesses.
18:18 Il va y avoir ceux qui peuvent se permettre, se payer une augmentation et puis ceux qui
18:23 ne pourront pas.
18:24 Ça aura un coût.
18:25 Puis c'est aussi éphémère, vous racontez l'histoire des patients qui ont été laissés
18:28 sur le carreau par la faillite d'une start-up qui leur avait fait des implants dans le cerveau
18:32 pour les libérer de la douleur liée à des fortes migraines.
18:36 La start-up a fait faillite, ils se sont retrouvés avec des implants dont ils ne savaient plus
18:39 quoi faire et que personne ne pouvait gérer.
18:41 Donc il y a des risques et des limites.
18:42 Bien sûr, ça c'est tous les enjeux économiques, c'est-à-dire ne pas avoir les mêmes moyens,
18:47 donc pas accéder aux mêmes technologies.
18:49 Et puis si une entreprise met votre disposition à un implant et finalement elle fait faillite,
18:54 vous êtes dans la difficulté, ça existe déjà.
18:56 Mais plus fondamentalement, au-delà de ces aléas économiques, je pense que la grande
19:02 question, puisque l'augmentation est là, c'est comment on s'y prépare ? Qu'est-ce
19:06 qu'on fait en fait ? Et je pense que puisque nous avons connu une grande aventure, qui
19:12 est l'hybridation par l'écriture et la lecture, et que dans l'ensemble cette aventure
19:15 elle est réussie.
19:16 Elle a eu des effets secondaires, Emma Bovary n'a pas très bien fini à force d'avoir
19:21 lu.
19:22 Don Quichotte, ça a été juste.
19:25 Et puis il y a eu quelques autres effets secondaires, mais dans l'ensemble ça a donné quand même
19:29 notre culture, ce que nous avons traversé.
19:31 C'est une aventure réussie.
19:32 Et vous dites qu'on risque une épidémie de troubles mentaux ?
19:34 Oui, je pense qu'on risque une épidémie de troubles mentaux parce que notre cerveau
19:38 est tellement puissant que par moment il ne se supporte plus.
19:42 Donc si on l'augmente encore, je pense qu'il y aura des bugs, il y aura quelque chose de
19:46 cette nature.
19:47 Mais je reviens à notre préparation.
19:49 Il faut limiter la case justement.
19:50 Voyons le côté positif.
19:51 Puisque nous avons connu cette hybridation réussie et qu'elle a précédé à l'échelle
19:57 collective, celle de l'humanité et de l'hybridation technologique, il faut s'en
20:00 inspirer à l'échelle individuelle.
20:02 Ça veut dire qu'à l'échelle individuelle, l'hybridation par la lecture et l'écriture
20:07 précède l'hybridation technologique.
20:09 Ça veut dire que quand on s'intéresse à un enfant, au développement d'un enfant,
20:14 l'hybridation par la lecture et l'écriture précède l'hybridation technologique.
20:17 Et dire ça, ça n'est pas dire "la technologie c'est affreux, ça fabrique des crétins
20:22 digitaux, c'est horrible".
20:23 Non, même si vous parlez des écrans.
20:25 Oui, mais je pense que c'est aberrant de condamner la technologie.
20:29 Si vous dites ça à un enfant, vous enterrez la culture dans des musées.
20:33 C'est une aberration.
20:34 Il faut aller vers la technologie, mais il faut s'y préparer.
20:37 Et la meilleure façon de s'y préparer, c'est de faire ce qui a réussi à l'échelle
20:41 de l'humanité, la grande hybridation, la grande augmentation de l'homme par l'écriture
20:45 et la lecture.
20:46 Et d'où l'importance aussi de la psychiatrie, vous en montrez l'importance, notamment à
20:50 travers votre travail depuis des années.
20:52 Maintenant, Raphaël Gaillard, vous avez soigné tous les types, ou essayé de réparer
20:57 tous les types de maux, de troubles psychiatriques.
21:00 Vous avez, dans des cas les plus extrêmes, comme après les attentats du 13 novembre
21:05 2015, pu accompagner des patients rescapés qui étaient confrontés à une mémoire traumatique.
21:13 Vous êtes à la tête d'un pôle hospitalo-universitaire qui est sans doute celui qui est le plus
21:17 emblématique de notre pays.
21:19 C'est Sainte-Anne.
21:20 Tout le monde connaît Sainte-Anne.
21:21 Pourquoi est-ce que la psychiatrie en France se porte si mal, Raphaël Gaillard ? Pourquoi
21:25 est-ce qu'elle est un vrai malade ? Certains parlent d'un immense abandon de ce qui est
21:30 pourtant absolument indispensable.
21:32 Je pense qu'aujourd'hui, la santé mentale c'est probablement le plus déterminant,
21:41 le risque le plus déterminant de nos sociétés.
21:43 D'ailleurs, l'OMS considère que la dépression sera bientôt la cause de handicap au travers
21:48 du monde la plus importante.
21:50 Je pense que c'est le risque systémique le plus important et il faut en prendre la
21:55 mesure.
21:56 Ça c'est le premier point.
21:58 Deuxième point, l'hôpital public est en difficulté et vous savez qu'on a une pénurie
22:03 de soignants qui est terrible.
22:05 Par exemple dans mon pôle, on a 30% des postes infirmiers qui sont vacants.
22:09 Ce qui est évidemment très difficile à vivre.
22:12 Mais c'est plus grave que dans d'autres disciplines parce que nous, ce que nous faisons,
22:17 c'est avec les êtres humains.
22:18 Et donc ne pas avoir la personne qu'elle a pour soigner, par sa présence, parce qu'elle
22:23 est en tant qu'être humain, c'est terrible.
22:25 Et donc oui, la psychiatrie souffre davantage de l'abandon que toute autre discipline.
22:31 Et en même temps, elle est porteuse de plein d'espoir parce que, j'espère le transcrire
22:37 aussi ici, ce dont nous parlons là, la santé mentale, les enjeux de notre cerveau, c'est
22:43 absolument fascinant.
22:45 Et c'est les enjeux majeurs de notre société pour demain et aujourd'hui.
22:49 Et pour en prendre conscience, il faut lire l'homme augmenté, l'essai que vous publiez
22:53 chez Grasset.
22:54 Merci infiniment Raphaël Gaillard d'avoir été l'invité du Grand Entretien à suivre
22:58 sur Inter la Revue de Presse.

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