Dominique Seux et Thomas Porcher ont débattu vendredi 19 janvier autour de la thématique de la natalité, qui est en berne en France. Quelles sont conséquences économiques ?
Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
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00:00 France Inter, Mario Lourd, Alibadou, le 6/9.
00:05 7h48, le débat économique du vendredi.
00:08 Thomas Porcher, Dominique Seux, bonjour.
00:10 Bonjour.
00:11 Cette semaine, un débat qui n'est pas simplement économique et social, mais qu'il l'est aussi,
00:16 qui a traversé l'espace public et la conversation générale, et investi les conversations privées.
00:22 On parle évidemment de la démographie et de la chute de la natalité.
00:25 En 2023, le nombre de naissances est passé sous la barre des 700 000, au plus bas depuis 1946.
00:33 On l'apprenait mardi matin, et grâce à vous notamment, Dominique Seux.
00:36 Mardi soir, Emmanuel Macron annonçait donc sa volonté d'un réarmement démographique,
00:42 avec l'idée d'une prime de naissance.
00:43 On va rentrer dans le détail avec vous, dans les causes et les conséquences de ce qui
00:48 se joue sous nos yeux, éventuellement les remèdes.
00:51 Mais d'abord, la baisse de la natalité, est-ce un problème ?
00:53 Thomas ?
00:55 On n'en sait rien.
00:57 On n'en sait rien.
00:58 Non, non, on n'en sait rien, c'est pas parce que la natalité baisse depuis quelques années,
01:02 qu'elle va forcément baisser les prochaines années.
01:04 Vous savez, la natalité avait réaugmenté à partir des années 2000, là elle rebaisse.
01:07 C'est un indicateur qui n'est pas complètement fiable, parce qu'aujourd'hui, les couples
01:11 ont des enfants de plus en plus tard.
01:12 Donc on peut avoir des baisses de natalité pendant plusieurs années, puis après il
01:15 y a un effet de rattrapage les années d'après.
01:17 Ce qu'il faut regarder, c'est la descendance finale, c'est-à-dire le nombre d'enfants
01:20 qu'une femme va avoir tout au long de sa vie.
01:22 Quand on regarde les femmes de 50 ans aujourd'hui, elles ont deux enfants en moyenne.
01:25 Quand on prend les femmes de 40 ans, on est quasiment à deux enfants.
01:28 Donc en termes de fécondité, il n'y a pas de problème et personne ne peut dire aujourd'hui
01:32 si c'est conjoncturel ou structurel.
01:33 Dominique ?
01:34 Je ne suis pas d'accord.
01:35 À court terme, c'est vrai qu'il n'y a pas d'effet négatif.
01:39 Il peut même avoir un effet positif à court terme.
01:41 Il y a moins de crèches à payer, il y a moins de transports scolaires, vous avez
01:45 moins de dépenses d'école.
01:47 Mais évidemment, ça c'est à très court terme.
01:49 À moyen et long terme, il y a deux situations.
01:52 Il y a le cas des pays ouverts et le cas des pays fermés.
01:55 Dans un pays fermé, et l'exemple typique c'est celui du Japon, évidemment là il
02:00 y a des conséquences absolument considérables.
02:02 Décrivez-nous justement.
02:03 Je parlais hier avec notre correspondant au Japon, le correspondant des égos au Japon,
02:08 Yann Rousseau, qui m'expliquait que par exemple, on ne trouve plus de gens pour coder.
02:12 Il n'y a plus de jeunes, il n'y a plus d'innovation.
02:15 Quelles sont les innovations proposées par le Japon depuis une vingtaine d'années ?
02:19 Il n'y en a pas.
02:20 Sur le plan financier, il y a une dette absolument phénoménale, il y a un climat qui a totalement
02:26 changé dans ce pays.
02:27 Il y a des conséquences absolument considérables.
02:30 On ferme 500 écoles par an au Japon.
02:34 Quand on réfléchit sur le cas de la France, dans un système qui finance…
02:40 Donc Japon, pays fermé.
02:42 La France ce serait quoi ? Pays ouvert ?
02:43 La France est un pays plutôt ouvert à l'immigration, dont on peut se dire.
02:48 Il compense par l'immigration une natalité qui baisserait.
02:51 Le cas de la France est très particulier parmi les autres pays développés.
02:55 C'est que nous finançons nos systèmes sociaux par la solidarité intergénérationnelle.
03:00 Donc la baisse de natalité a des conséquences sur les retraites, l'âge de la retraite
03:05 évidemment.
03:06 Donc c'est un cas, il faut vraiment distinguer le cas des pays qui vont compenser par l'immigration
03:15 la baisse de la natalité, ce que fait l'Italie en ce moment, ce que fait l'Espagne.
03:21 Les Etats-Unis sont dans une situation un peu différente parce qu'ils n'ont pas
03:24 ce problème-là.
03:25 C'est un des rares pays au monde qui n'a pas de problème démographique pour l'instant.
03:29 L'important sur ce sujet-là, c'est de se dire que l'ensemble des pays et quasiment
03:35 de la planète affrontent ce choc démographique, cet effondrement.
03:40 L'ensemble de l'Asie, quels que soient les niveaux de développement, l'ensemble
03:44 des pays d'Asie sont à peu près dans le même cas de figure.
03:47 Même la Corée du Sud, de Thomas Porche.
03:49 En fait, on a une courbe en J renversée.
03:51 En J renversée ?
03:52 Non mais la fécondité est très élevée dans les pays pauvres.
03:56 L'Angola, ce sont les pays où on a le plus d'enfants.
03:59 Et puis petit à petit, ça se stabilise.
04:01 Et là, dans la période où ça se stabilise, vous avez des rebonds de fécondité, ce qui
04:04 se passe en France, ce qui se passe au Royaume-Uni.
04:06 Et vous avez d'autres pays qui descendent, ce qui se passe au Japon, en Corée et en
04:10 Italie.
04:11 Comment on explique ces rebonds ? On l'explique par un certain nombre de facteurs.
04:14 On n'en est pas sûr à 100%.
04:16 Mais on voit par exemple que les pays où il y a un rebond, c'est les pays où le
04:18 taux d'emploi des femmes est le plus élevé.
04:20 Le taux d'emploi des femmes, là où il est le plus élevé, il y a un taux de fécondité
04:23 qui est le plus élevé.
04:24 Deux problèmes de l'Allemagne par exemple ?
04:26 Exactement.
04:27 De l'Italie par exemple, ou du Japon ou de la Corée du Sud.
04:30 Il y a aussi un problème sociétal.
04:31 Est-ce que les enfants hors mariage sont plus ou moins acceptés ?
04:34 Donc il y a plein de raisons qui expliquent à un moment qu'il y a des rebonds ou pas
04:38 de rebonds.
04:39 On ne parlait pas Dominique sur la solidarité intergénérale, mais sur les modèles justement.
04:44 Non parce que là, je pense que ce que le président de la République et peut-être
04:46 Dominique Seux en partie n'ont pas vraiment compris, c'est qu'un enfant ça coûte.
04:50 Un enfant ça coûte.
04:51 Donc on va se retrouver avec une génération…
04:53 C'est pas d'investissement.
04:54 Quand on va regarder la pyramide des âges, il va y avoir une génération qui va effectivement
04:57 assurer le financement des retraites, mais en même temps va devoir payer, parce qu'il
05:02 y a un coût, payer le fait d'avoir un enfant.
05:04 Donc on risque d'avoir une génération au milieu, dans les 30 prochaines années,
05:07 qui elle va avoir un double coût.
05:09 Il faut le dire également.
05:10 Après sur les retraites, vraiment le choc démographique…
05:12 Mais vous présentez ça comme un coût, pas un investissement.
05:14 Il vaut mieux avoir un taux de fécondité qui soit zéro si je comprends bien.
05:20 Non mais ça dépend, il n'y a pas que ça.
05:22 Vous savez, aujourd'hui, il y a la productivité aussi.
05:25 Pendant très longtemps, dans l'économie, on a cru qu'on allait avoir la démographie
05:28 qui allait faire qu'on allait tous s'appauvrir.
05:30 À partir du 19e siècle, on a mis cette idée au sud-côté, parce qu'il n'y a plus
05:34 de productivité.
05:35 Le fait que la France ait eu depuis une trentaine d'années un taux de fécondité supérieur
05:40 à celui de ses voisins a assuré un remplacement de la population active qui est important
05:46 et qui est beaucoup plus facile aujourd'hui, et on le voit d'ailleurs aujourd'hui,
05:50 qu'en Allemagne, en Italie, en Espagne.
05:53 C'est un sujet, je crois que je ne suis pas d'accord avec Thomas Porcher, on ne peut
05:57 pas balayer ce sujet en disant au fond finalement ce n'est pas grave, ce n'est pas important.
06:01 C'est un sujet important.
06:03 Je vais prendre un mot qui ne vous concerne pas, mais je trouve qu'un certain nombre
06:08 de réactions sont grotesques depuis mardi.
06:11 Lesquelles ?
06:12 Quand on entend dire que le président de la République veut absolument forcer les femmes
06:16 à avoir des enfants, c'est le même président de la République qui va mettre l'IVG dans
06:19 la constitution.
06:20 C'est purement grotesque.
06:21 Qui a été le premier, il y a une soixantaine d'années, à pousser à une politique de
06:28 natalité ? C'était Michel Debré, ce n'est pas Vichy non plus.
06:31 Emmanuel Macron a été critiqué par de nombreux féministes.
06:35 Oui, c'est ce que j'entends.
06:36 Mais l'ensemble des pays doivent réfléchir au sujet.
06:39 Évidemment, ce qui est important c'est la liberté de chacun.
06:41 Et la clé sur ce sujet, c'est qu'il y a un rapport à la vie professionnelle, à
06:47 la vie privée, à l'individuel et au collectif qui est différent de ce qu'il était il
06:52 y a 20 ans, 30 ans.
06:54 C'est très bien ou c'est très mal, peu importe, mais c'est une réalité.
06:57 Il n'est pas question de changer les choses.
06:59 Mais l'important c'est de lever les freins pour qu'il y ait une corrélation entre
07:07 le taux de fécondité réel et le taux de fécondité de chacun souhaité.
07:12 C'est cet espace-là qu'il faut combler.
07:14 Mais il n'y aura pas de miracle.
07:16 Dans la plupart des pays développés, la fécondité va constituer ABC.
07:20 D'accord.
07:21 Alors, il ne faut pas inventer un problème là où il n'y en a pas.
07:23 La fécondité est stable depuis 40 ans en France.
07:25 Elle rebaisse, elle réaugmente parfois, mais elle est grosso modo stable depuis 40 ans
07:29 en France.
07:30 Ça c'est la première chose qu'il faut dire.
07:31 Il ne faut rien dire que c'est au plus bas depuis 1946.
07:32 Non, non, non, non, non.
07:33 C'est-à-dire depuis une quarantaine d'années.
07:34 Autant que je ne peux pas confondre la fertilité et la natalité.
07:37 D'accord, mais la fécondité, c'est-à-dire, là je l'ai donné avec les exemples de la
07:42 descendance finale, on a à peu près deux enfants.
07:45 Il faut voir après la suite, on ne sait pas.
07:47 Mais pour le moment, rien n'indique qu'il y a un problème de natalité.
07:50 Ça baisse, mais ça peut remonter après, on ne sait pas.
07:52 La deuxième chose qu'il faut quand même que le président de la République entendre,
07:57 c'est qu'on ne décrète pas une hausse de la natalité.
07:59 On ne demande pas à un couple de faire des enfants comme on passerait un projet de loi
08:01 en 49-3.
08:02 Ça ne se passe pas comme ça.
08:03 Non, mais on peut inciter.
08:04 Non, mais la fécondité, je lis, mais je n'ai pas entendu le président de la République.
08:09 Non, mais réarmer la natalité, il y avait quelque chose de, voilà, il faut faire des
08:16 enfants.
08:17 Et ce n'est pas comme ça qu'il faut poser le problème.
08:19 Le vrai problème qu'il faut poser, c'est est-ce que les couples ont le nombre d'enfants
08:22 qu'ils désirent ? Je veux dire, si c'est le cas, si c'est
08:26 le cas, il n'y a pas de problème.
08:28 Et donc la société va vieillir et il faudra faire avec.
08:30 Ça, c'est la première chose.
08:31 Si ce n'est pas le cas, il faut aller chercher les facteurs qui expliquent pourquoi les gens
08:35 n'ont pas les enfants qu'ils veulent.
08:36 Alors pourquoi il y a des facteurs sur l'organisation du travail ? Est-ce que le travail paie suffisamment ?
08:40 Est-ce qu'il permet de combiner vie professionnelle, vie personnelle ? Est-ce qu'il y a une politique
08:44 publique qui aide la petite enfance ou qui accompagne les familles ?
08:47 Il y a des questions médicales et ainsi de suite.
08:51 Le coup de l'enfant, je veux dire, si demain vous n'avez pas de crèche, si demain vous
08:56 n'avez pas de quoi libérer du temps pour pouvoir continuer à travailler, il va y avoir
09:04 un problème, c'est clair.
09:05 On va repousser le fait d'avoir un enfant.
09:06 Mais alors Dominique, les solutions possibles, en tout cas pour interrompre la chute de la
09:11 natalité, ça passe par quoi ? Ça passe par une politique fiscale ? Ça passe par
09:15 des chèques ? Ça passe par la construction de crèches par exemple ?
09:17 Il faut tout tester.
09:20 Est-ce que ça marche ?
09:21 Personne ne dit que les femmes et les hommes vont être forcés à avoir des enfants, évidemment.
09:25 Non.
09:26 Parce qu'une des grandes nouveautés, c'est que…
09:28 Mais les chèques, est-ce que ça incite à faire des bébés ?
09:31 C'est très bien.
09:32 Il n'y a plus de culpabilité sociale à ne pas avoir d'enfant.
09:34 Voilà, c'est la proportion.
09:36 Au Japon, je suis obsédé par le Japon, manifestement, au Japon, 40% des femmes n'auront jamais
09:42 d'enfant.
09:43 C'est un changement, j'allais dire, considérable, civilisationnel.
09:47 Et ça concerne toute l'Asie.
09:50 Donc, en fait, est-ce que l'Asie est ce qui va arriver à l'ensemble du monde ?
09:53 En fait, aujourd'hui, l'Afrique subsaharienne est probablement le seul continent qui est
09:57 un peu à part sur ces sujets-là.
09:59 Donc, comment arriver à combler l'écart entre le taux de fécondité réel et le taux
10:05 de fécondité souhaité par chacun ? Là, ce sont les politiques, effectivement.
10:09 Depuis des années, tout le monde teste que ce soit les politiques fiscales.
10:12 La clé, c'est probablement aussi le logement.
10:15 C'est évidemment les crèches.
10:16 C'est évidemment le fait que les hommes, d'une manière générale, prennent un peu
10:20 plus la responsabilité dans les foyers.
10:22 Ce sont des choses, j'allais dire, aussi simples que ça.
10:25 Et dans un pays où le bâtiment ne va pas, ça pose un vrai problème, en l'occurrence.
10:29 La prime de naissance, Thomas Porcher.
10:33 On n'a pas encore abordé, mais la mesure déterminante.
10:36 C'est le projet de naissance.
10:37 C'est une variable favorable.
10:39 Mais il faut prendre le problème à l'envers.
10:40 C'est-à-dire qu'il ne faut pas regarder les conséquences économiques de la baisse
10:43 de la natalité.
10:44 Il faut se poser plutôt la question des raisons économiques qui ont entraîné la baisse
10:47 de la natalité.
10:48 Parce que qu'est-ce qui se passe depuis 15 ans ? Vous avez la crise de 2008, la crise
10:51 des dettes souveraines, les attentats, la crise du Covid, l'inflation.
10:55 Vous avez derrière la crise écologique.
10:57 Vous avez la hausse des prix de l'immobilier.
10:59 Vous n'avez peut-être pas un environnement qui est favorable pour que les couples fassent
11:03 un enfant peut-être du rock'n'roll.
11:04 Mais jusqu'à l'après-Covid, il n'y avait pas d'effondrement de la natalité.
11:07 Ça a commencé quand même à partir de 2010.
11:09 La natalité a baissé à partir de 2010 alors qu'elle avait réaugmenté au début
11:13 des années 2000.
11:14 Donc il y a un certain nombre de conditions qu'il faut mettre en place.
11:16 Effectivement, tout ce qui sont les allocations versées à la naissance, c'est plutôt positif.
11:21 Les accès aux services de garde, c'est plutôt positif.
11:24 Et aussi l'organisation du marché du travail, qui est également un aspect positif pour
11:28 que les couples puissent faire un enfant.
11:29 Ce qui me frappe, c'est la grande modestie et les horizons des démographes sur ces
11:33 sujets-là qui rarement disent "c'est à cause de ça, c'est à cause de ci".
11:39 Ils font très attention.
11:40 Le point important, et nous avons un point de désaccord, je ne pense pas, quand on regarde
11:46 un phénomène qui concerne le monde entier, que ce soit les raisons économiques qui dominent.
11:49 Ce sont les raisons sociétales, philosophiques, civilisationnelles.
11:53 C'est évidemment un sujet très difficile à régler.
12:00 Moi j'ai juste envie d'ajouter que c'est assez sympathique d'avoir des enfants.
12:03 Voilà, c'est tout.
12:04 - Eh bien écoutez, merci.
12:05 Thomas Porcher sourit.
12:06 Faites des bébés ?
12:07 - Oui, je n'ai pas eu l'occasion de le faire.
12:08 J'aime bien regarder les conditions pour qu'ils puissent les faire dans la joie.
12:18 - En tout cas le débat ne fait que commencer.
12:20 Merci de terminer sur cette note de joie justement.
12:22 Merci Thomas Porcher, merci Dominique Seux.
12:24 C'était le débat écho.