• il y a 11 mois
L'insomnie est un véritable fléau, et même pour ceux qui dorment, des études récentes ont montré que la durée et la qualité de notre sommeil se détériorent. L'explorateur-chercheur Christian Clot a voulu en avoir le coeur net,

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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Amusant
Transcription
00:00 C'est l'heure de la question de Maya Mazorette introduite aujourd'hui par la navigatrice Clarisse Kramer.
00:04 C'est un extrait du téléphone son du mardi dernier présenté par la seule et unique Fabienne Saint-Esse.
00:09 J'ai été scotché d'apprendre que vous aviez des hallucinations à cause du manque de sommeil
00:17 et que vous n'étiez pas toute seule. Est-ce que c'est vraiment un truc de marin ?
00:19 On va chercher tellement loin dans la fatigue.
00:22 C'est un coup à se jeter à l'eau non ? Non mais sérieusement ?
00:23 C'est assez dangereux.
00:24 Donc on était dans ma deuxième course en solitaire sur un petit bateau, un bateau de 6m50.
00:29 Moi c'était plus des hallucinations sonores pardon.
00:32 Et je suis persuadée d'entendre quelqu'un qui m'appelle au secours dans l'eau
00:35 et donc on raconte ce bug du cerveau.
00:37 On parle beaucoup des problématiques de sommeil et de ce que ça engendre quand on manque de sommeil.
00:41 L'avenir appartient-il vraiment aux gens qui se lèvent tôt ?
00:44 Une question apparemment hallucinante sur laquelle tout le monde a une opinion
00:47 et personne ou presque n'a de données.
00:50 Moi par exemple j'ai envie de croire que les lèves tôt sont les gagnants de l'histoire
00:54 déjà parce que j'en fais partie mais surtout parce que si on enlève le succès aux lèves tôt,
00:57 il ne leur reste rien.
00:59 La poésie, la nuit, la fête, le sexe, l'errance, le cool, tout ça appartient aux couches tard.
01:03 Même quand les matinaux et les oiseaux de nuit se croisent vers 5h du mat,
01:07 ils ne voient pas le même monde.
01:08 Pour les uns tout finit, pour les autres tout commence.
01:10 Enfin, tout commence.
01:12 Pour les lèves tôt c'est la journée de travail, de sociabilité, d'obligation,
01:15 bref la journée sérieuse, besogneuse qui commence.
01:17 D'ailleurs ça se ressent dans les carrières.
01:19 Quand t'es lèves tôt tu finis politicien, quand t'es couches tard tu finis artiste.
01:22 Le plus malheureux dans cette histoire c'est qu'on ne peut pas changer d'équipe.
01:25 Dès que je suis devenue ado, j'ai rêvé de faire des nuits blanches.
01:28 J'ai tout essayé mais je n'ai jamais réussi.
01:30 Et c'est ça aussi qui me rend jalouse des couches tard.
01:32 Ils ont réussi leur passage à l'horaire adulte,
01:35 alors que moi je suis voué à rester aux heures de l'enfance.
01:38 Remarquez, c'est peut-être grâce à cette part d'enfance que précisément les lèves tôt ont de l'avenir.
01:42 Maïa, aujourd'hui tu reçois le chercheur et explorateur Christian Clot.
01:46 Bonjour Christian Clot.
01:47 Bonjour.
01:48 Vous êtes explorateur, chercheur et directeur de l'Institut de l'adaptation humaine.
01:52 Jusqu'en septembre dernier, vous aviez le meilleur CV du monde
01:55 parce que vous étiez vice-président de la Société des explorateurs français.
01:58 C'est classe en terre à du Jules Verne.
02:00 Extrêmement cool.
02:01 Vous êtes habitué à survivre dans des conditions extrêmes.
02:04 Comment vous vous arrangez avec votre sommeil ?
02:07 Un peu comme le disait Clarisse tout à l'heure, on fait ce qu'on peut.
02:10 C'est-à-dire que quand on est dans des conditions extrêmes, c'est la condition qui dicte le moment où on peut dormir.
02:13 Parce que quand il y a une tempête, on ne dort pas,
02:15 quand les conditions deviennent trop bruyantes, trop complexes.
02:18 Et on a une charge mentale qui est très forte, c'est ça on en parlera un tout petit peu,
02:21 parce que c'est entre autres ce qui empêche le sommeil des gens dans la société de tous les jours.
02:25 On a donc une charge mentale d'attention, de devoir être en sur-écoute du milieu.
02:29 C'est comme être maman quoi !
02:31 C'est comme être maman, alors non, quand même pas.
02:33 Parce que je pense qu'il n'y a pas pire que l'arrivée du premier enfant
02:36 qui chamboule complètement la vie des personnes, que ce soit les mamans ou les papas.
02:39 Mais c'est une condition où par contre on peut en mourir.
02:41 Ce que j'espère n'est pas le cas avec vos enfants.
02:44 Manquer de sommeil, c'est une situation de crise ?
02:47 Absolument, absolument.
02:48 On est en train d'avoir une des crises du 21ème siècle.
02:50 On dort de moins en moins, de moins en moins bien.
02:52 Donc bien sûr, comme Clarisse l'a dit très bien, quand on ne dort pas assez,
02:55 on commence à avoir des hallucinations.
02:57 Alors là, c'est le côté "rigolo" du manque de sommeil.
03:00 Mais le côté négatif, c'est que tout le système physiologique se décale.
03:04 On a des problèmes gigantesques, on n'est plus dans sa phase personnelle.
03:07 Et en fait, on n'arrive à un moment donné plus à réfléchir tout simplement.
03:10 Alors vous, en 2021, vous avez fait un projet qui s'appelle Deep Time.
03:13 Vous êtes parti sous terre avec 7 hommes, 7 femmes pendant 40 jours
03:16 sans aucun repère temporel.
03:18 Et entre autres, vous avez voulu savoir ce que cette expérience produirait sur le sommeil.
03:21 Oui, alors ça a été extraordinaire parce que justement, ça a remis en cause pas mal de choses sur le sommeil.
03:25 La première chose, c'est que nous, on est calés aujourd'hui sur des systèmes temporels.
03:29 C'est le soleil, les montres, tout ça nous dicte quand c'est qu'on va se coucher,
03:32 quand c'est qu'on se lève.
03:33 Il y a les lève-tôt, les lève-tard, comme vous le dites.
03:35 Quand vous n'avez plus d'horaire, il n'y a plus de question de lève-tôt, de lève-tard, en quelque sorte.
03:37 On va se coucher quand on est fatigué.
03:39 Et on se réveille quand on a assez dormi.
03:41 Et en fait, on n'a plus du tout ces notions de mal dormir, de phasage et autres,
03:44 parce que simplement, on est dans un cycle parfait par rapport à nos sommeils de besoin.
03:47 Pour moi, ça a été une révélation et je crois que pour les 14 autres personnes dans la grotte avec moi aussi,
03:51 où tout d'un coup, on retrouve un bien-être profond de notre sommeil.
03:55 Sauf que ce bien-être, il est en décalage avec les horaires dans lesquels nous on vit.
03:59 Avec le soleil, par exemple.
04:00 Ah non, il n'a plus rien à voir, puisqu'on peut dormir parfois 3 heures, mais parfois aussi 30 heures.
04:03 Avec le recul, vous aviez su d'ailleurs combien de temps vous aviez dormi ?
04:06 Oui, on a exactement toutes les données scientifiques, puisqu'en fait, on est suivi.
04:10 C'est tout le but de mon institut, c'est de suivre ce genre de conditions.
04:13 On sait tout ce qui s'est passé. La plus longue journée a fait 70 heures, par exemple.
04:17 Mais pour les 14 ?
04:19 Non, c'est variable.
04:21 Tout le monde a dépassé 48 heures de suite.
04:23 C'est-à-dire qu'on était tous à des phases de 40-48 heures.
04:26 Mais certaines personnes étaient jusqu'à 70 heures, avec encore une fois jusqu'à 30 heures de sommeil,
04:29 50 heures de veille, tout ça sans être épuisé.
04:32 Juste parce qu'on est dans des cycles de normalité par rapport à nos besoins.
04:35 Donc normalement, vous descendiez pour 40 jours. Et pour vous, c'était combien ?
04:39 On a passé une trentaine de cycles, donc on a considéré 30 jours, alors qu'on est à 40 à l'extérieur.
04:44 Mais ça, c'est très connu. Toutes les personnes qui se mettent en anomie temporelle
04:47 ont ce phénomène d'allongement de la période de veille et de sommeil.
04:51 Donc la solution, en fait, c'est d'aller vivre dans une grotte ?
04:53 Alors je ne recommande quand même pas ça. Non, la solution, elle est assez simple, en fait.
04:56 Elle est très compliquée à faire dans nos sociétés.
04:58 Mais ce qui empêche le sommeil correct, c'est d'abord de passer sur ses propres rythmes.
05:01 Encore une fois, on n'est plus capable de s'écouter puisqu'on écoute la montre.
05:04 Et puis on a une charge mentale qui est devenue hallucinante.
05:07 Et quand je parle de charge mentale, ce n'est pas seulement toutes les contraintes qu'on a,
05:10 mais c'est toutes les informations qu'on reçoit dans une seule journée.
05:12 On reçoit un nombre d'informations considérables avec la publicité, les notifications, les mails, les téléphones, les machins.
05:17 Ce qui fait que quand on arrive le soir, si on n'a pas réussi à couper quelques heures avant d'aller se coucher,
05:21 le cerveau continue de bosser à fond pendant toute la nuit pour résoudre tout ce qu'il a eu dans la journée.
05:25 Et ça, c'est terrifiant pour le sommeil.
05:27 Ça a changé votre routine au quotidien ? Pour vous endormir par exemple ?
05:30 Est-ce que vous coupez votre téléphone portable à 19h ?
05:32 Moi, personnellement, ça fait longtemps que je n'ai plus aucune notification,
05:35 que je n'ai plus d'informations sur mon téléphone portable, sinon c'est le que je décide d'aller chercher.
05:39 Et ça, je crois que ça devrait être une loi nationale, voire internationale.
05:43 On doit interdire la notification sur le téléphone portable qui nous oblige à aller regarder quelque chose
05:46 qu'on ne veut pas regarder à un moment donné.
05:48 Et ça, c'est terrifiant pour le cerveau.
05:50 Apparemment, dormir pendant la nuit, toute la nuit, c'est devenu une norme seulement au 19e siècle.
05:55 Il faut faire attention avec ça.
05:57 On a dit beaucoup de choses ces derniers temps.
05:59 Il faut savoir qu'à l'époque, on suivait les cycles de prières,
06:01 qui étaient 5 prières par jour, dont celle de minuit,
06:04 où on se réveillait pour prier au milieu de la nuit, entre autres.
06:07 Et puis, il y avait d'autres contraintes.
06:09 On n'avait pas certaines facilités qu'on a aujourd'hui.
06:11 On se réveillait à cause du froid, on se réveillait à cause de la chaleur, et ainsi de suite.
06:14 Il y avait plein de choses qui obligeaient le réveil durant la nuit.
06:16 Et puis, on devait s'occuper des animaux à certains moments pour les personnes qui étaient fermières.
06:19 Il y avait quand même 90% de la population qui l'étaient.
06:21 Donc, c'était très, très différent.
06:23 Il ne faut pas chercher à reproduire ce genre de choses.
06:25 La seule chose qu'il vous faut produire, c'est deux choses.
06:27 Essayez de retrouver un rythme qui vous est propre.
06:29 Si vous êtes du matin ou du soir, comme on le disait tout à l'heure, respectez ça.
06:32 Parce que ça vaut la peine.
06:33 Et puis ensuite, vraiment faites des efforts pour réduire la quantité d'informations dans la journée.
06:37 Et surtout, les quelques heures où on allait dormir, évitez de faire des activités les plus folles.
06:41 On comprend bien que si je fais 150 pompes, 18 burpees, et que je vais courir 10 km juste avant de dormir,
06:46 mon corps ne voudra pas dormir.
06:47 Si mon cerveau est soumis à autant de pression dans la tête, forcément, il ne veut pas dormir non plus.
06:51 Mais là, ce que vous proposez, c'est de reprendre énormément de liberté par rapport aux contraintes dans lesquelles on vit.
06:55 Enormément de liberté.
06:56 Moi, je n'ai pas le sentiment d'avoir forcément le choix de l'heure à laquelle je me couche, par exemple.
06:59 Je suis complètement d'accord.
07:00 C'est toute la difficulté sociétale qu'on a aujourd'hui.
07:02 Je dirais qu'on ne résoudra pas le problème du sommeil si on ne fait pas œuvre collective de raisonner
07:06 que veut-on pour notre société et quelles informations on veut recevoir par jour.
07:10 On doit aujourd'hui légiférer sur la quantité de charge mentale que reçoit une personne tous les jours.
07:15 Et ça, c'est des sujets pour le futur.
07:17 Très bien, on garde ça en tête, mais on n'en fait pas de la charge mentale.
07:20 Pour autant, merci infiniment.
07:22 Christian Clot, je rappelle que vous êtes explorateur professionnel, mais aussi chercheur.
07:25 Et pour ceux qui veulent tout savoir de votre expérience Deep Time, il y a un livre paru chez Robert Laffont en 2021,
07:30 un documentaire du même nom et des podcasts.
07:32 Merci.
07:33 Toutoutoutoutou ! Toutou !

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