Conférence d'Andrée Corvol-Dessert, directrice de recherche au CNRS, membre du conseil scientifique de l’ONF, élue à l’Académie d’agriculture ayant pour thème "La forêt bretonne, du passé au présent"
Non, non la forêt en Bretagne ne se limite pas aux légendes où les arbres têtards à la silhouette singulière, par les nuits de pleine lune ou les épais brouillards, évoquent maints personnages et alimentent le cycle des légendes arthuriennes.
Au-delà de cette histoire culturelle, il en est une autre : longtemps, ces forêts ont fourni le charbon de bois destiné à la sidérurgie, à la faïencerie et à la verrerie.
L’Ouest de la France est pauvre en massifs, mais riche en landes et arbres de bocage, riche aussi en ateliers et usines travaillant le bois.
Aujourd’hui, les espaces boisés conditionnent activités touristiques et préservation de la biodiversité. Mais demain, que seront-ils sous l’effet du réchauffement climatique ? En parcourant l’histoire, Andrée Corvol nous invite à y réfléchir ensemble.
Tout le mois d'octobre 2023 pour la troisième fois, dans le cadre de ses démarches actives d’adaptation au changement climatique et de protection de la biodiversité, la ville de Quimper organise « Le temps de l’arbre ».
Non, non la forêt en Bretagne ne se limite pas aux légendes où les arbres têtards à la silhouette singulière, par les nuits de pleine lune ou les épais brouillards, évoquent maints personnages et alimentent le cycle des légendes arthuriennes.
Au-delà de cette histoire culturelle, il en est une autre : longtemps, ces forêts ont fourni le charbon de bois destiné à la sidérurgie, à la faïencerie et à la verrerie.
L’Ouest de la France est pauvre en massifs, mais riche en landes et arbres de bocage, riche aussi en ateliers et usines travaillant le bois.
Aujourd’hui, les espaces boisés conditionnent activités touristiques et préservation de la biodiversité. Mais demain, que seront-ils sous l’effet du réchauffement climatique ? En parcourant l’histoire, Andrée Corvol nous invite à y réfléchir ensemble.
Tout le mois d'octobre 2023 pour la troisième fois, dans le cadre de ses démarches actives d’adaptation au changement climatique et de protection de la biodiversité, la ville de Quimper organise « Le temps de l’arbre ».
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00:11 Donc je vais aborder la seconde partie en faisant un bilan de ce que je viens de vous dire.
00:19 Aujourd'hui quand on se promène en forêt,
00:21 bon tout ça c'est bien lointain, on n'est pas toujours observateur,
00:26 ou plus exactement ce que l'on observe quand on se promène en forêt,
00:30 c'est essentiellement les cimes des arbres,
00:34 leur tronc, les champignons qui sont développés sur les troncs.
00:39 On ne regarde pas assez ses pieds et par conséquent le sol,
00:44 car lui il conserve l'empreinte du passé.
00:47 Dans les toponymes on voit toutes les strates qu'a laissées l'exploitation sinururgique.
00:53 Extraction du minerai, la fosse, le champ de la laverie,
00:58 c'est-à-dire l'endroit où on lavait le minerai avant son utilisation.
01:04 On voit les traces de la confection des charbons,
01:07 avec la place où les goudrons liés à la combustion du bois a laissé comme place.
01:18 On voit le clos de la loge, c'est le lieu où habitaient les charbonniers,
01:23 le port brûlé, qui est l'endroit où les meules étaient installées.
01:28 On voit aussi dans la toponymie la présence des forges,
01:32 le pré du fourneau par exemple,
01:34 ou encore la goule des forges, qui rappelle la gorge des forges.
01:39 On voit également les traces d'aménagement hydraulique.
01:42 Parfois il y a plein d'étangs, on se dit "c'est fou tous ces étangs",
01:45 mais en fait ces étangs c'était destiné à apporter la force hydraulique nécessaire
01:50 à la mise en mouvement des soufflets de la forge.
01:54 Dans ces traces d'étang, vous avez la chaussée du vieil étang,
01:58 ou encore le grand étang de la Hardouinée.
02:01 Donc la microtoponymie est en quelque sorte le reflet de l'archéologie
02:06 à partir du moment où on fait des recherches sur ce secteur.
02:10 Ce qui est certain, c'est qu'à partir de l'extinction du dernier haut fourneau en 1877,
02:17 on peut dire qu'on a un divorce entre la forêt et l'industrie,
02:22 alors que jusque là elles étaient imbriquées.
02:26 La forêt ne couvrait pas une grande surface en Bretagne,
02:29 mais elle était associée à l'industrie.
02:32 Ça c'est fini, fini de fini, après 1880.
02:37 Donc la question qui est posée, c'est comment va-t-on passer
02:42 de peuplement forestier qui fournissait du bois de feu
02:47 sous forme de bûches de chirurgie ou sous forme de charbon de bois à autre chose ?
02:53 Cette autre chose, c'est le marché anglais, avec les mines,
02:57 notamment du pays de Galles, qui a besoin de pins pour étayer les galeries,
03:02 puisque à la fin du 19e siècle, les galeries se font de plus en plus profondes
03:07 au fur et à mesure que les filons s'exploitent.
03:10 Et pour cela, il faut planter du pin, du pin, du pin,
03:14 parce que c'est ce qui est demandé par les Anglais.
03:18 Alors pour cette conversion, il y a deux techniques.
03:22 Une première technique, c'est qu'on interrompt toutes les coupes,
03:27 on laisse vieillir le peuplement, on constate là où il y a des vides,
03:32 et là où il y a des vides, on installe du pin par semis,
03:37 pin sylvestre par semis, parce que c'est ce qui coûte le moins cher.
03:40 On ne va pas se lancer dans l'installation de plans de pins, ça coûte trop cher.
03:45 Et il y a une autre technique, où là ce n'est pas seulement de l'enrichissement,
03:50 on coupe tout et on refait un nouveau peuplement,
03:54 en créant par conséquent une pineraie.
03:57 Alors attention, la pineraie, c'est un peuplement créé de main d'homme,
04:02 à ne pas confondre avec la pinède, qui est un peuplement naturel.
04:07 Alors ça c'est très joli, André Corvel, elle nous sort ça avec beaucoup d'assurance,
04:12 sauf qu'en réalité en Bretagne, ça ne s'est pas passé comme ça.
04:16 Parce qu'en Bretagne, comme dans d'autres régions d'ailleurs,
04:20 il y a eu l'effet des guerres, et par conséquent, un besoin accru de bois de chauffage,
04:27 dont beaucoup de propriétaires pouvaient réussir à écouler leur récolte sous forme de bois de chauffage feuillus.
04:36 Par conséquent, pourquoi se lancer dans des opérations qui paraissaient aventureuses,
04:40 parce qu'il fallait quand même préparer le terrain pour le mettre en état de recevoir les semis de pins.
04:45 Et puis également, les deux guerres, ça signifie la caisserie.
04:49 La caisserie, c'est pour les rations des soldats, c'est pour les munitions, c'est pour la poudre.
04:56 Et par conséquent, on utilise des bois blancs pour faire ces caisses,
05:01 et comme ça ne suffit pas, on se met à planter du peuplier qui fournira le bois de caisserie.
05:08 Ça vaut pour la première guerre mondiale, ça vaut pour la seconde guerre mondiale,
05:12 où là en plus, on utilise des gazogènes.
05:16 De ce fait, on a différé les solutions.
05:21 Mais lorsque la paix revient, je dirais que le train est déjà passé.
05:28 On constate donc qu'après les années 2000,
05:31 que sous l'effet d'élotissement, sous l'effet de la dénaturation,
05:37 parce qu'on a mis en culture, je répète qu'on est dans une forêt qui est privée.
05:41 Et par conséquent, le droit de propriété s'est sacré depuis la Révolution française,
05:46 par conséquent les propriétaires, ils rentabilisent comme ils veulent.
05:49 Et s'ils veulent rentabiliser leur terrain en faisant autre chose que de la forêt,
05:54 il n'y a pas de texte qui leur interdit depuis le XIXe siècle de faire ça.
05:59 Donc la forêt caducifolier, c'est-à-dire qui perd ses feuilles,
06:03 c'est le terme savant pour dire que c'est une forêt feuille,
06:06 elle a perdu depuis les années 2000 près de 3000 hectares.
06:10 La forêt résineuse, près de 6000 hectares, là c'est beaucoup et ça étonne.
06:15 La forêt mélangée, c'est-à-dire mixte, qui correspond à la première phase de conversion,
06:20 feuilles résineuses, 2000 hectares, mais par contre, la forestation, 10 000 hectares en plus !
06:28 10 000 hectares, c'est quoi cette chose la forestation ?
06:32 Eh bien la forestation, à un moment donné au ministère de l'Environnement,
06:36 certains disaient en 1990 que c'était de la peste verte.
06:40 Je n'emploierai pas cette expression, mais cela veut dire que les arbres, les couverts, débordent.
06:48 C'est-à-dire que là où il y a des haies, elles ne sont plus entretenues,
06:52 donc elles se dilatent en largeur, elles peuvent constituer des bosquets,
06:57 et là où la forêt n'est plus exploitée, elle annexe les champs voisins
07:02 lorsque ceux-ci ont été abandonnés en friche,
07:05 parce qu'on n'a pas l'agriculture ou l'élevage pour le rentabiliser.
07:11 On a donc un gros problème de réflexion sur cette afforestation de plus de 10 000 hectares.
07:18 Qu'est-ce qu'on peut faire de ce machin-là ?
07:20 Alors en attendant de se poser la question "qu'est-ce qu'on peut faire de ce machin-là ?"
07:24 Voilà un bon exemple de travail en compascuté, c'est-à-dire où tout le monde s'y met.
07:30 Vous voyez dans un peuplement naturel en lisière une ragosse,
07:35 dont vous voyez cette forme très particulière qu'ont les arbres.
07:39 Vous voyez le travail en Haute-Bretagne, la corvée de bois de 1988,
07:45 et en Ile-et-Vilaine à Romillais, l'exploitation des ragosses
07:49 avec une coulée de rondins qui est prête à être enlevée au pied.
07:56 Alors comment se situer par rapport à cette afforestation ?
08:01 La forêt évolue, ça veut dire que la forêt évolue, ça c'est sûr,
08:04 mais pas forcément en fonction d'impératifs économiques.
08:08 Il y a d'autres facteurs qui la font évoluer.
08:11 Mais il y a une tradition qui demeure dans le paysage,
08:14 ce sont ces fameuses ragosses que je viens de vous montrer.
08:17 Le premier facteur, ça a été un traumatisme paysager qui est lié au débocagement.
08:24 Et là on n'y a pas été de main morte à partir des années 1960.
08:28 Au sortir de la guerre, il faut produire davantage du point de vue agricole,
08:33 parce qu'il faut nourrir les gens, et le moins cher possible.
08:36 On a le modèle américain, on bave d'envie devant les puissants tracteurs.
08:43 On voudrait pouvoir mécaniser cette agriculture,
08:47 mais pour cela il faut procéder à des échanges de parcelles,
08:50 pour avoir des champs de plus grande taille.
08:53 Il faut supprimer les chemins creux,
08:57 et par conséquent arraser les talus,
09:00 et en même temps arraser les arbres tétards qui sont dessus,
09:04 et qui constituent l'architecture maîtresse des haies.
09:08 De 1960 à 1980, 60% des forêts linéaires ont disparu,
09:13 et le mouvement a encore continué,
09:15 alors que déjà on commence à s'apercevoir qu'on a été quand même un peu fort en la matière.
09:21 De 1980 à 2000, 12% de forêts linéaires vont encore disparaître.
09:28 En 2008, il reste 182 500 km de forêts linéaires,
09:33 et en 2018, 114 500 km de haies.
09:38 La haie c'est quelque chose de très précis, c'est parfaitement défini.
09:42 Sa longueur doit faire plus de 25 m,
09:44 sa largeur être inférieure à 30 m,
09:47 et sa hauteur supérieure à 1,80 m.
09:51 Il y a donc une réaction qui est faite devant ces paysages
09:56 qui sont perçus comme dénudés, comme amputés.
10:00 Et ces réactions apparaissent essentiellement au tournant des années 1990.
10:06 L'association Terre et Bocage va commencer à recréer des brise-vents,
10:12 avec une hauteur de 7 à 20 m et une largeur de 3 à 5 m.
10:16 Il y a ainsi 900 000 arbres qui seront plantés à partir de 1990.
10:22 En même temps, en 2015, l'Union européenne accorde des aides
10:29 pour la reconstitution des haies coupe-vent,
10:32 mais avec des conditions environnementales très précises.
10:36 Le respect des vieux arbres, le respect des habitats naturels, etc.
10:41 Les aides qui sont données sont conditionnées par le respect des normes écologiques.
10:48 La même année, Brace Bocage, dans le nord du Finistère,
10:52 va lancer une opération extrêmement importante de 2007 à 2013,
10:58 et ça va être poursuivi ensuite avec un investissement de 20 millions d'euros
11:03 pour reconstituer 3500 km de haies.
11:06 Je fais une pause. 3500 km de haies.
11:11 Quand on voit les quantités qui ont été détruites à ce rythme-là,
11:15 il va falloir quelques siècles pour essayer de reconstituer,
11:18 non pas le Bocage, mais les brise-vents.
11:21 Or, les brise-vents sont très utiles parce qu'elles évitent l'érosion des sols,
11:26 elles empêchent l'eau de filtrer en profondeur,
11:30 elles ont un grand rôle également pour les différentes espèces qui vont utiliser les vieux arbres
11:37 qui sont dans les haies-brise-vents,
11:39 mais ce n'est pas la même chose du point de vue écologique que les haies de Bocage.
11:44 C'est pourquoi souvent on parle d'un néo-Bocage ou de néo-haies.
11:48 J'aime pas tellement l'expression "néo-haies", ça ne sonne pas très bien.
11:51 Je préfère l'expression "néo-Bocage".
11:53 Ça, c'était le premier facteur.
11:55 Il y a un second facteur, c'est l'accroissement démographique.
11:59 Et là, il y a une bidouille dans mon PowerPoint, n'en tenez pas compte.
12:03 Le premier aspect de la métropolisation, c'est l'augmentation démographique.
12:09 Il était temps, car depuis la Grande Dépression de 1873-1896,
12:15 la Bretagne avait perdu de la population par exode rural,
12:20 y compris d'ailleurs des femmes qui allaient ensuite chercher un poste à Paris.
12:27 La première génération, c'était comme domestique,
12:31 et la seconde génération, c'était dans le secrétariat.
12:35 Cette diminution de la population,
12:38 elle avait été à peu près stabilisée à la fin de la Première Guerre mondiale,
12:43 encore que beaucoup de paysans,
12:46 ils avaient été absents pendant les quatre ans de guerre,
12:48 ils ne retrouvaient pas leur place dans la ferme.
12:51 Et après un certain temps de non-adaptation,
12:54 eux aussi allaient chercher un emploi dans la ville moyenne ou bien dans la grande ville.
12:59 Ce mouvement des migrations s'était ralenti,
13:04 parce que c'est la grande crise de 1930 qui va durer jusqu'à la guerre,
13:09 et les choses sont restées coussis coussas jusqu'en 1975.
13:13 Mais à partir de là, la population recommence à augmenter.
13:17 Et en particulier, entre 1990-2005,
13:21 elle augmente très fortement, le gain est de 425 000 habitants.
13:26 C'est-à-dire que cette croissance est équivalente à celle de la PACA,
13:31 Provence-Alpes-Côte d'Azur,
13:33 et elle est même supérieure à la région Rhône-Alpes,
13:37 où il y a pourtant toute l'industrie chimique et l'énergie hydroélectrique.
13:42 Donc on fait très fort en Bretagne.
13:45 De 2014 à 2020, la croissance de la population est de +0,5%.
13:50 Alors qu'en France, la croissance n'est que 0,2%.
13:55 Et à ce train-là, en 2070, on devrait approcher les 4 millions d'habitants de la Bretagne.
14:02 Moi, ce qui m'intéresse, c'est la densité.
14:05 La densité de la population en 2020 est de 124 habitants au km²,
14:11 alors que la densité en France n'est que de 106 habitants au km².
14:16 On est donc dans une zone qui est de forte pression démographique.
14:22 Et de zone de pression démographique d'autant plus forte
14:25 que l'on a un déplacement démographique,
14:28 ce qui ne s'était pas vu jusqu'au 19e siècle.
14:31 On a une désertification de l'Argote, c'est-à-dire la Bretagne de l'intérieur,
14:37 et au contraire, une attractivité des zones littorales,
14:42 et en partie également de tout ce qu'on appelle la Haute-Bretagne,
14:46 c'est-à-dire la partie est autour de la capitale de Rennes.
14:51 Donc c'est là, dans cette zone, que se pose le problème du loisir des urbains.
14:57 En tous les cas, du coup, les besoins ont largement changé
15:01 parce que les citadins, ce n'est pas forcément la forêt au plan économique,
15:06 c'est même, c'est sûr, ce n'est pas la forêt au plan économique qui est la plus importante,
15:11 c'est le besoin au plan économique qui les intéresse,
15:13 mais c'est pour ce que l'on appelle joliment les aminités qu'apporte la forêt.
15:19 En gros, on a besoin de verre, on a besoin de biodiversité,
15:26 mais on a aussi besoin de bois et de bois local.
15:30 Alors comment tout ça va pouvoir cohabiter ?
15:33 Alors tout d'abord, quelques exemples sur la débocagisation,
15:38 vous voyez que c'est rude de voir ça, parce que quelque part, c'est malheureux Tétard,
15:43 vous avez l'impression de moignons qui se dressent sur le dessus du talus,
15:47 ça fait mal au cœur de voir ça.
15:49 Je sais que c'est utile sur le plan économique,
15:51 mais ça fait quand même un choc de voir ce paysage.
15:53 Alors vous voyez ici un des effets en Côte d'Amour de Bresse-Bocage,
15:57 avec la reconstitution d'un bocage,
16:00 et ici, on est aux confins de la Bretagne et du Perche,
16:03 l'action dans le bassin versant du Linnon,
16:06 où il s'agit de restaurer, non pas le bocage, mais le bocal,
16:10 c'est-à-dire le bocage qui était lié au bassin versant du Linnon.
16:17 En général, les opérations de bocage se font en fonction du bassin drainé par un courdon.
16:26 Alors tout ça, besoin de verre et besoin de bois, ça peut cohabiter comment ?
16:31 La forêt d'aujourd'hui, je dirais, en Bretagne, ça peut se résumer avec un seul chiffre,
16:38 c'est peut-être celui-là qu'il faudrait retenir d'ailleurs.
16:40 Si l'on prend l'ensemble des massifs bretons,
16:43 je dis bien l'ensemble des massifs bretons,
16:46 de la pointe la plus à l'ouest, aux marges les plus à l'est,
16:51 l'ensemble des massifs bretons, ça représente la moitié de la surface du département des Côtes d'Amour,
16:59 c'est-à-dire 3 800 km².
17:03 Ça vous indique donc que l'on va avoir sur le littoral et à l'est de la Bretagne,
17:09 une forte pression citadine pour l'usage "ludique" de la forêt,
17:15 alors que l'on a affaire à une forêt qui ne représente pas grand-chose en surface.
17:21 Cette forêt est essentiellement feuillue, feuillue à 76%, la part des résineux, 24%.
17:29 C'était le pourcentage que l'on avait pour la France du 19e siècle,
17:34 alors que la France du 20e siècle, elle est feuillue à 65% et résineuse à 35%.
17:41 Vous voyez donc une proportion résineuse qui a augmenté bien davantage dans la France entière que dans la Bretagne.
17:50 Le chiffre que vous avez pour le chêne, ça concerne uniquement le chêne pédonculé,
17:54 mais il y a plusieurs sortes de chênes et à ce moment-là, ça monte à 36% de chênes.
17:59 On est bien donc dans le paradis de Astérix le Gaulois, point de salut sans le chêne,
18:05 les sangliers qui mangent du chêne et les soldats romains qui reçoivent des chênes sur la figure,
18:12 heureusement ils ont des casques.
18:14 Le châtaignier 11%, proportion importante qui tient aussi à la culture de la ville,
18:22 je l'ai dit tout à l'heure, pour les piquets et les cercles,
18:24 mais également c'est un excellent bois de fente pour les meubles.
18:28 Beaucoup de meubles utilisent le châtaignier.
18:31 Et le haître 8%, on pourrait s'attendre à davantage,
18:36 vu l'importance qu'autrefois il a eue pour la saboterie.
18:40 Alors concernant les résineux, le pas maritime 14%.
18:44 Pourquoi ? Parce qu'au XIXe siècle, en particulier à partir des années 1900,
18:49 on a rêvé au succès qu'obtenaient les Landes ou la Gironde,
18:54 car la résine c'était de l'or en barre, puisqu'à partir de la résine,
18:58 on fabriquait de la térébenthine qui était un produit de base pour l'industrie chimique.
19:03 Et on le vendait d'autant plus cher que les pinerets et les pinèdes des Etats-Unis
19:10 avaient été ravagés par la guerre de sécession,
19:13 alors que jusque-là on importait notre résine des Etats-Unis.
19:17 Donc ce qui s'est passé aux Etats-Unis, ça a été tout bon pour les Landes et les Girondes.
19:22 Donc évidemment les propriétaires privés de la Bretagne ont rêvé à l'utilisation du pas maritime.
19:29 On a également une part non négligeable de l'épicéa de Sitka,
19:35 8% à l'époque et maintenant il n'y a plus que de 3%, on va voir pourquoi.
19:41 L'épicéa de Sitka, je dirais, elle a encore essence d'origine américaine,
19:49 elle avait été promue par le Fonds Forestier National créé en 1946.
19:56 En France, je dirais, ces bois avaient été pillés par l'occupation allemande
20:00 et puis de toutes les façons nous avions une forêt essentiellement feuille.
20:04 Donc on a aidé par le Fonds Forestier National qui était financé par une taxe
20:11 prélevée sur les produits de transformation.
20:14 Donc le Fonds Forestier National accordait des subventions en nature ou en argent
20:19 aux propriétaires, en particulier aux paysans,
20:23 qui laissaient leur exploitation, qui gardaient la partie qui était la moins bonne
20:28 parce que le jeune repreneur n'en voulait pas,
20:31 et il se constituait une sorte de complément de retraite
20:34 en en résinant ces parcelles jusque-là ingrates.
20:38 Et donc le Fonds Forestier National avait beaucoup encouragé la culture de l'épicéa de Sitka.
20:43 Pourquoi ? Eh bien parce que c'était un bois, un arbre qui apparemment n'avait pas de prédateur,
20:52 poussé vite et poussé droit,
20:55 donc c'était un excellent bois d'industrie pouvant servir non seulement
21:00 pour les poteaux télégraphiques d'électricité, etc.
21:03 mais surtout pour la pâte à papier, car ce que l'on cherche à l'époque,
21:06 c'est pouvoir être un peu plus autonome concernant la pâte à papier
21:11 que l'on apporte alors du Brésil, du Canada et naturellement de la Russie.
21:16 Alors je vais pas avoir un sourire béat en disant ça,
21:21 mais au cours d'une longue carrière, je me suis aperçu qu'il faut toujours se méfier
21:26 des essences qui paraissent sans défaut.
21:29 Je vous donne un exemple, le platane.
21:32 On l'a plébiscité à la fin du XIXe siècle et on l'a introduit dans nos villes massivement
21:38 à partir de l'entre-deux-guerres parce qu'on disait "il n'a aucun, aucun parasite".
21:44 Alors que l'orme capoute avec la graphiose, le marronnier, n'en parlons pas,
21:49 c'est un hôpital ambulant.
21:51 Donc le platane, il paraissait tout bon.
21:54 Ah oui, puis flûte !
21:55 A partir des années 1990, il y a le tigre du platane, le chancre coloré,
21:59 bref, j'en passe et des meilleurs.
22:01 Donc aujourd'hui, dans les villes, on introduit énormément de tilleul à feuilles argentées.
22:08 C'est très bien, moi j'ai rien contre le tilleul à feuilles argentées,
22:11 ça donne beaucoup d'ombre, c'est tout à fait sympathique.
22:14 Bon, écoutez, rendez-vous dans 30 ans, on verra s'il était sans défaut.
22:20 J'ai toujours connu ce type de phénomène. Pourquoi ?
22:23 Parce que quand on installe un arbre jusqu'à 20 à 30 ans, tout va bien.
22:28 C'est en vieillissant que les maladies apparaissent.
22:31 Pour les arbres, c'est comme les êtres humains.
22:34 C'est quand on est vieux qu'on consomme beaucoup d'argent de la sécurité sociale.
22:38 Et bien pour les arbres, quelque part, c'est pareil, ils ne sont pas immortels,
22:42 contrairement à ce qu'on espérait.
22:45 Alors face à ces peuplements, il y a le problème de l'accueil des citadins.
22:50 L'accueil des citadins, facile, concernant l'ONF.
22:55 Sauf que dans la région, l'ONF, ça ne représente que 10% des surfaces.
23:00 C'est l'héritière de l'ancien domaine royal.
23:03 En gros, c'est 37 000 hectares.
23:06 La forêt de Rennes, la forêt d'Aumagnal, 3 000 hectares, elle reçoit 400 000 visiteurs par an.
23:12 Sauf que la fringale verte des citadins ne peut pas être satisfaite uniquement par les forêts publiques.
23:22 Il faut donc faire appel aux forêts privées.
23:25 Alors il y a plusieurs possibilités de concertation avec les associations,
23:31 de conventions de passage pour que les gens puissent circuler dans la forêt,
23:34 afin qu'elle ne soit pas entourée de barbelés comme en Sologne.
23:37 Ou encore, encourager le propriétaire à ouvrir sa forêt.
23:42 Et là se pose la question, si c'est un mécène, un bienfaiteur de l'humanité, ça peut exister.
23:50 Il peut faire ça gratuitement.
23:52 Mais sinon, il peut essayer de rentabiliser ça en utilisant les nouveaux goûts de nos citadins et de nos ruraux.
24:03 Mais il y a un autre problème, c'est le besoin en bois et en bois local.
24:09 Parce que privilégier le besoin de verre, ça introduit une distorsion entre la nature et la récolte.
24:16 Le citadin ne veut pas entendre parler de récolte.
24:18 Le dimanche, il ne veut pas de tronçonneuse.
24:21 Et dans la semaine non plus, il n'a pas envie d'entendre des tronçonneuses.
24:24 Il ne veut pas voir des chemins qui sont défoncés par des tracteurs.
24:27 Il ne veut pas voir ses routes défoncées par les camions grumiers.
24:30 Donc il faut réussir à s'arranger avec ça.
24:33 75% de la récolte prélève des bois résineux.
24:37 L'épicéa de Sitka, le Douglas, le pain maritime, essentiellement pour faire des cagettes et des palettes.
24:44 Cette fois-ci, ce n'est pas par rapport aux guerres, c'est par rapport aux besoins, notamment des cultures légumières.
24:52 Parce que ces légumes sont exportés non seulement vers l'île de France, mais également vers la Grande-Bretagne.
24:59 Alors on fait comment pour réussir à développer la ressource bois
25:05 sans gêner l'aspect forêt/nature que réclament nos citoyens ?
25:12 Entre 2019 et 2019 a été mis en place un plan régional forêt/bois,
25:18 mis en place par les producteurs forestiers, parce qu'au fond, ils sont le maillon de base de la filière.
25:25 Il était temps, parce que 2019, c'est l'arrivée à maturité des peuplements résineux
25:32 qui avaient été créés grâce au Fonds Forestier National à partir des années 1946.
25:38 Il faut donc préparer la relève, parce qu'une fois que ces résineux du Fond Forestier National seront utilisés,
25:45 on va faire comment pour créer, pour faire des palettes, des cagettes, etc.
25:50 Donc il y a eu l'objectif Brace Forêt/bois, avec l'idée de 5 millions d'arbres à planter d'ici 2025.
25:59 En gros, on voulait étendre la forêt au rythme de 3 à 4 000 hectares par an,
26:07 pour réussir à sortir de ce plafond de 15% et à se rapprocher du rêve des 30-31%.
26:16 Avec à la clé, d'ailleurs, 5 000 embauches dans le secteur bois.
26:21 D'ailleurs, beaucoup d'industriels pensent qu'ils n'arriveront pas à pourvoir ces postes.
26:30 Alors, il y a de la ressource, parce qu'en gros, il n'y a pas assez de ressources, justement.
26:35 Actuellement, la forêt bretonne, c'est 429 000 hectares au dernier recensement.
26:40 En production, vous avez 80 millions de mètres cubes sur pied, et on en récolte 870 000 mètres cubes.
26:49 Donc, on pourrait en prélever davantage.
26:53 Et c'est là où ça commence à se gâter, car les espaces forestiers représentent 38% des réserves de biodiversité,
27:02 et 60% des peuplements forestiers sont reconnus pour leurs valeurs biologiques.
27:09 Donc, dans quelle mesure ? En augmentant les prélèvements pour satisfaire aux besoins des industries du bois,
27:17 et quelque part aux nécessités de l'emploi local ?
27:20 Parce que pourquoi importer du bois qui vient de l'autre côté du monde, alors qu'on n'utilise pas nos bois locaux ?
27:28 Donc, comment faire réussir à cohabiter l'utilisation du bois local avec une augmentation de prélèvements
27:35 qui fait hurler un certain nombre d'associations qui ont l'impression qu'on va avoir une décapitalisation des forêts bretonnes ?
27:45 Ce besoin de bio est réalisé de deux manières.
27:50 Tout d'abord, concernant aussi bien les forêts privées que les forêts publiques,
27:54 par les zones Natura 2000 qui protègent les sites naturels européens
28:00 sont identifiées pour la rareté ou la fragilité des espèces sauvages.
28:06 Prenons le cas de la forêt de Loudeac. En 2018, 3400 espèces de batraciens ont été sauvées
28:13 par la pose le long des routes des filets routiers.
28:17 Évidemment, ça a un coût.
28:20 Si l'on prend le cas de la forêt d'Arez, en Ile-Vilaine, en gros c'est 1000 hectares,
28:27 c'est un sanctuaire ornithologique depuis 1974, en plus des zones Natura 2000 qui ont été installées dans cette forêt.
28:37 Et puis, vous avez également les forêts d'Uner qui sont gérées par l'ONF,
28:42 qui représentent en gros 520 hectares dans lesquels vous avez des réserves biologiques.
28:48 Certains sont des réserves biologiques que vous pouvez parcourir,
28:52 qui sont des réserves biologiques dirigées, qui protègent certaines espèces, certains habitats.
28:58 Et d'autres sont des réserves biologiques intégrales, donc là vous ne pouvez pas y aller.
29:03 Elles fonctionnent comme des laboratoires de la nature.
29:06 Et avec le réchauffement climatique, les réserves biologiques intégrales,
29:10 là je ne parle pas seulement dans les zones d'Uner, mais par exemple en forêt,
29:15 c'est très très important parce que ça permet de voir quel est le dynamisme naturel
29:21 compte tenu du réchauffement des essences qui sont présentes.
29:25 Donc on observe ce qui se passe, ce sont vraiment des laboratoires spontanés,
29:31 des laboratoires de la nature extrêmement importants pour les scientifiques.
29:37 Alors je vous dirais qu'on devrait être content quand même en Bretagne
29:42 d'un résultat que moi je trouve intéressant, c'est que si on compare par rapport à la France,
29:49 dans le reste de la France, dans les forêts bretonnes, 65% des peuplements sont indigènes,
29:55 c'est-à-dire d'essence locale, avec plus de trois essences.
30:00 Donc ces peuplements forestiers sont variés, on est très loin de la monoculture.
30:05 Alors qu'en France, les peuplements indigènes avec plus de trois essences ne représentent que 17%,
30:11 65% en Bretagne, 17% en France.
30:14 Donc le match, le point est en faveur de la Bretagne.
30:19 Et bien malgré tout, il y a quand même des critiques qui montent du côté de France Nature Environnement,
30:25 d'où le lancement d'un manifeste pour les forêts bretonnes le 7 décembre 2022, c'est donc tout récent.
30:34 Dans ce manifeste pour la forêt bretonne, il y a trois critiques essentielles,
30:39 il y en a beaucoup d'autres, mais j'en ai retenu que trois.
30:42 La première, c'est que la protection des espaces forestiers est insuffisante.
30:47 Et effectivement, il y a une norme européenne qui pousse tous les pays à atteindre, en mise en réserve,
30:55 10% qui permettrait de voir ce que sans intervention de l'homme,
31:00 ou avec une intervention, je dirais limitée de l'homme, on obtient.
31:05 Il faut atteindre 10%. Le seul problème, c'est qu'en Bretagne,
31:09 les parties mises en réserve, ça représente 0,75% de la surface.
31:16 Donc, il y a un petit truc qui manque, en gros il y a 9% qui manque.
31:22 Seconde critique, la plantation des peuplements forestiers est considérée comme aberrante.
31:29 Parce qu'effectivement, les mouvements de plantation encouragent les résineux,
31:36 parce que ce sont les résineux dont l'industrie a besoin.
31:39 Si on utilisait à fond pour la construction, pour les plaquages, etc., les feuilles, tout irait bien,
31:46 mais les industries ligneuses utilisent surtout des résineux.
31:50 Donc effectivement, les programmes de plantation comportent à 75% des résineux.
31:54 Et ça, c'est très critiqué, puisque sur les 1,2 millions d'arbres qui sont déjà plantés,
32:01 75% étaient des résineux, et en particulier du Douglas,
32:06 qui remplace peu à peu les piscéas de Sitka, qui a été une grosse déception, j'y reviendrai après.
32:12 La troisième critique, c'est la régression du stockage du gaz carbonique.
32:18 Pourquoi ? Eh bien, il diminue tout simplement parce qu'il y a une augmentation des prélèvements.
32:23 En gros, on voudrait augmenter de 50% les prélèvements.
32:27 Alors je vous dirais que là, c'est une fausse querelle,
32:29 parce que lorsqu'on fait des prélèvements pour construire une maison en bois,
32:35 ou pour l'ameubler de meubles en bois,
32:38 le bois, ça stocke le carbone jusqu'au moment où vous mettez le feu à la maison,
32:42 ou vous mettez le feu à votre mobilier.
32:45 Or, en général, vous ne construisez pas une maison en bois,
32:48 et vous n'achetez pas des meubles en bois pour y mettre le feu.
32:51 Donc, il y a stockage, évidemment.
32:54 Mais c'est surtout régression du stockage par la mortalité des arbres
33:00 que l'on observe depuis les années 2015.
33:03 Et c'est sur ce point que je voudrais insister.
33:07 Regardez la façon dont se présente ce diagramme.
33:13 Vous avez affaire à des essences forestières de la région Bretagne, Pays de Loire,
33:18 ce qui explique un peu la différence des chiffres,
33:20 qui était essentiellement feuilleux, avec une domination des chênes.
33:24 La partie résineuse, elle est dans les roses pâles,
33:29 et dans la catégorie où tout est mélangé, autres feuilleux,
33:33 où vous avez des essences secondaires, mais qui maintenant sont très appréciées,
33:36 comme le merisier ou l'érable, ça rentre dans cette catégorie.
33:40 Mais moi, ce qui m'intéresse, c'est ça.
33:43 Car, en gros, 18% + 29%,
33:47 à vue mée, ça devrait faire 37%,
33:50 37% des surfaces sont de plus de 25 hectares,
33:55 dont 29% ont plus de 100 hectares.
33:58 Mais ça ne concerne qu'une toute petite poignée d'individus.
34:01 Ça correspond, dans un cas, à 0,9% de propriétaires,
34:05 et dans l'autre, 0,2% de propriétaires.
34:09 C'est donc sur cette frange-là que vous devez les convaincre
34:14 d'ouvrir leurs forêts au public, de faire davantage de biodiversité,
34:19 parce que ce n'est pas à ce niveau-là,
34:21 c'est-à-dire 92% des propriétaires qui ont des parcelles
34:25 qui ont à peine la taille d'un potager,
34:28 parce que vous avez les 40 cousins de l'oncle Jules qui en ont hérité,
34:31 donc c'est complètement morcelé, que vous pouvez faire quelque chose.
34:35 Donc il faut agir essentiellement de ce côté.
34:37 Et ça, ce n'est pas très facile.
34:39 Ce n'est pas très facile parce qu'il n'y a que 24% de la récolte bois
34:44 qui soit certifiée.
34:46 24%, c'est peanuts.
34:50 Si vous prenez le cas de la France,
34:52 53% des bois commercialisés en France sont certifiés.
34:57 Cela indique que les propriétaires des forêts
35:01 ne sont pas motivés par la commercialisation des bois.
35:05 Dedans, il y a beaucoup de fonctionnement autarcique
35:08 où c'est entre voisins qu'on se passe des bûches, etc.
35:12 Autre signe d'ailleurs du même genre,
35:14 les documents de gestion durable,
35:16 ce que l'on appelle le plan simple de gestion
35:19 qui est obligatoire à partir du moment
35:21 où vous avez 25 hectares d'un seul tenant.
35:25 Mais attention, la législation va changer.
35:27 Il est question que ce soit 25 hectares tout court,
35:30 même si c'est morcelé.
35:32 En Aquitaine, les propriétaires forestiers
35:35 à 42% ont un plan simple de gestion
35:39 qui permet pour les 20 prochaines années aux propriétaires
35:43 de prévoir quels sont les volumes de bois qu'ils vont récolter,
35:48 quels sont les investissements qu'ils vont faire,
35:51 quels sont les équipements nécessaires,
35:53 notamment par exemple en amélioration de voiries.
35:56 Alors qu'en Bretagne, il n'y a que 34% des propriétaires
36:00 et uniquement dans cette catégorie-là
36:03 qui a un plan simple de gestion.
36:06 Ça vous explique au fond le taux d'accroissement que l'on constate.
36:10 De 2015 à 2019, la forêt bretonne a augmenté de +2,3%,
36:17 mais ce n'est pas accru, c'est-à-dire par afforestation
36:21 sur des terres qui sont en déshérence agricole ou pastorale.
36:27 Or ce dont on aurait besoin, parce qu'avec le réchauffement climatique,
36:30 les choses vont très vite, c'est de faire des plantations
36:34 adaptées au réchauffement climatique de façon à permettre à ces forêts
36:39 de s'adapter et de répondre aux demandes des populations.
36:47 Car au fond, il y a deux groupes qui se chevauchent d'ailleurs.
36:51 Il y a d'une part ceux qui regardent la forêt comme un espace vert ludique.
36:56 Alors bienvenue aux cabanes dans les arbres,
37:00 en particulier dans les forêts de la zone littorale,
37:03 mais également à cause de la densité urbaine à l'est de la Bretagne,
37:08 en île et vilaine.
37:10 Certaines de ces cabanes dans les arbres sont luxueuses.
37:13 Dans ces cabanes dans les arbres, certaines vous devez monter avec une échelle,
37:18 dans d'autres vous avez un escalier.
37:21 Quand vous lisez le mode d'emploi au moment de vous inscrire,
37:25 il est prévu que l'échelle qui monte sur l'équivalent de deux étages
37:31 est quand même déconseillée aux femmes enceintes.
37:33 Donc ne louez qu'une chambre en cabane perchée,
37:38 qui vous donne l'impression d'être un ermite au milieu des arbres,
37:41 qui écoute les écureuils, les oiseaux, etc.
37:44 que si vous n'êtes pas enceinte de huit mois
37:46 et si la cabane en question est pourvue d'un escalier.
37:49 Et puis il y a ceux qui se sentent des âmes de rond-baissons.
37:53 Alors là, bienvenue au circuit à Cro-Blanche.
37:56 J'ai pris la photographie en forêt de Camorres,
37:59 forêt qui avait été célèbre pour ses sabots.
38:02 C'est le parc Ludana avec le circuit à Cro-Blanche.
38:06 Je vous dirais que vous me paieriez,
38:08 vous ne me feriez pas passer d'un arbre à l'autre,
38:10 j'aurais un vertige absolument épouvantable.
38:13 Mais il y en a certains, ils sont à la fois Robinson, des aventuriers,
38:18 en même temps c'est un côté entraînement militaire.
38:21 Bref, ça plaît beaucoup.
38:23 Or, en forêt privée, naturellement,
38:28 la jouissance de ces installations est payante.
38:32 Vous payez un droit d'entrée.
38:34 Et bien ça permet de rémunérer au moins autant que la récolte des champignons
38:39 des forêts qui appartiennent aux milieux privés.
38:42 Et puis en bas, vous avez une forêt privée et une forêt domaniale.
38:47 La forêt de Rennes, 2900 hectares avec une superbe allée forestière.
38:52 Et dans les côtes d'Amors, la forêt de Koh-i-Thanos
38:56 avec une coulée de grumes de hêtres.
38:59 Les grumes de hêtres, quand elles ne sont pas transformées sur place,
39:01 ce qui est souvent le cas,
39:03 elles sont exportées en direction de la Chine.
39:05 C'est la Chine qui est notre premier acheteur de hêtres.
39:09 Et grâce à ça, nous importons de Chine des meubles,
39:13 et notamment des fauteuils et des chaises en hêtres.
39:18 C'est-à-dire que nous fonctionnons comme un pays sous-développé.
39:21 Nous vendons une ressource brute et nous achetons un produit qui est fini,
39:26 la plus-value, elle est là-dessus.
39:28 Mais naturellement, quand on est propriétaire forestier,
39:31 on a parfois des déceptions
39:36 qui sont liées aux problèmes des tempêtes, des incendies
39:40 et des invasions de parasites.
39:42 C'est là-dessus que je voudrais terminer.
39:44 Vous vous rappelez tous, puisque vous êtes de Cap-Per,
39:48 la tempête de 1987 qui a détruit l'éboisement du mont Ofruji.
39:55 Cette tempête de 1987, ce n'était pas la première.
39:59 Depuis les années 1970, il y avait des tempêtes qui s'étaient succédées.
40:04 Juste la précédente, c'était celle de 1982.
40:07 Et beaucoup de forêts que l'on voit aujourd'hui,
40:10 parce qu'elles se sont reconstituées avec des peuplements un peu différents,
40:14 elles avaient été complètement mises à bas par cette tempête de 1987.
40:19 La tempête de 1987, c'est 6,5 millions de mètres cubes par terre.
40:25 6,5 millions de mètres cubes, ça ne vous dit pas grand-chose.
40:28 Le pourcentage que je vais vous donner, ça va vous faire réfléchir,
40:31 ça représentait 20% du volume de bois sur pied.
40:34 Donc c'était vraiment une catastrophe.
40:36 Ce qui veut dire que du coup, les industries du bois
40:40 qu'on avait développées depuis 1946 jusque dans 1980,
40:48 d'un coup, elles ont été privées de ressources.
40:51 Et c'est toujours le problème des tempêtes,
40:53 c'est obtenir le débordage et l'envoi le plus loin possible de ces bois
41:00 pour qu'ils ne plombent pas le marché et reconstituer au plus vite.
41:05 Et ça, c'est une opération qui naturellement est beaucoup plus longue qu'on ne le pourrait.
41:09 En tous les cas, les industries du bois qui ont été créées pour utiliser une ressource bois,
41:14 lorsqu'il y a une tempête, elles mettent la clé sous la porte,
41:17 c'est la rupture des approvisionnements.
41:19 Mais il y a également le problème des incendies.
41:22 Alors précédemment, à propos de la forêt de Lanouë, je ne l'ai pas détaillée,
41:27 mais la forêt de Lanouë à la fin du 19e siècle et début du 20e siècle,
41:32 elle a connu plusieurs incendies d'envergure, avec 800 hectares qui partent d'un coup.
41:38 C'était lié d'ailleurs un peu aussi à des questions d'assurance.
41:42 Ce n'était pas seulement totalement innocent.
41:46 Aujourd'hui, on reparle des incendies en Bretagne.
41:49 En mai 2022, en forêt de Rennes, en juillet 2022, dans les forêts des Monts d'Arrée,
41:55 en août 2023, en forêt de Brocéliande.
41:58 Alors pour le moment, ce ne sont pas des surfaces considérables.
42:02 Il faut quand même être capable de relativiser.
42:05 Je crois que c'est une chose qui est importante.
42:08 Si vous prenez l'incendie en 2022 dans les Landes,
42:12 c'est 30 000 hectares qui sont partis en fumée.
42:16 Et c'était encore peu par rapport à la grande fournaise de 1946-1949,
42:23 où là, c'est presque la moitié du massif des Landes qui a disparu en fumée.
42:30 Mais c'est vrai que ces incendies font que certains se disent
42:33 peut-être qu'on a laissé trop de bois sauvage se développer.
42:40 On aurait peut-être intérêt à créer des coups de feu, à revenir à la Lande.
42:44 C'est d'ailleurs un modèle, le retour à la Lande, mais ça demande des sous,
42:48 qui est pratiqué par nos amis suisses.
42:51 Ou alors peut-être que le feu prendrait moins si on avait une conversion en fumée irrégulière.
42:57 Mais en fait, on ne voit pas que l'on est actuellement devant un problème,
43:03 je dirais, de cercle vicieux.
43:06 En effet, avec le réchauffement climatique,
43:09 vous avez des insectes qui se reproduisent plus vite qu'avant.
43:15 Là où vous aviez 3 à 5 générations dans l'année,
43:18 vous pouvez en avoir 6 à 8 générations dans l'année.
43:21 Et là, il y en a un que j'ai particulièrement dans le collimateur,
43:25 c'est le dendroctone, qui est un infâme petit coléoptère.
43:32 Ce petit coléoptère, il vole comme tous les coléoptères,
43:36 donc il va batifoler sur la cime de l'épicéa de Cigtat.
43:42 Il fait souche, union joyeuse avec sa femelle,
43:48 qui pond des tonnes et des tonnes d'oeufs,
43:51 enfin des tonnes c'est une façon de parler,
43:53 qui vont donner des larves,
43:55 et ces larves sont pourvues de dents absolument gigantesques,
43:58 qui vont creuser le bois dans la partie somitale,
44:04 et en particulier sectionner les canaux par où transite la sève montante et la sève descendante.
44:11 Du coup, mes malheureux arbres ne peuvent plus procéder à la photosynthèse,
44:17 c'est-à-dire à la fixation du carbone,
44:20 et au rejet d'oxygène et la précieuse vapeur d'eau,
44:26 qui en ville vous donne par les vapours à transpiration,
44:29 l'impression qu'il fait plus frais sous les arbres.
44:32 Juste petite, ce n'est pas qu'une impression,
44:34 c'est une réalité, que si la place n'avait pas du tout d'arbre,
44:37 cet affreux insecte tue les épicéas de Sitka,
44:41 ce qui fait qu'on n'en met plus,
44:44 on est passé de 8% à 3% d'épicéas de Sitka,
44:48 et on le remplace par le Douglas.
44:51 Sauf que ceux d'Indoctone ne se contentent pas de l'épicéa de Sigtat,
44:57 ils aiment tous les pains, tous les pains,
45:01 même les pains les plus mal fichus qu'ils soient, ils les adorent.
45:04 C'est une véritable catastrophe sur les pains maritimes dans le Sud-Ouest,
45:08 même chose ailleurs.
45:10 Alors, à l'Indra, on cogite,
45:14 et on a trouvé une parade que l'on a expérimentée en forêt de l'Angolaine,
45:19 en lâchant un autre coléoptère, le Rhizophagus,
45:24 qui est l'ennemi farouche du Dindroctone.
45:27 Je ne vous dis pas que ça va être la panacée,
45:30 mais on peut espérer que les résultats soient prometteurs.
45:34 En tous les cas, on a tout de même un cercle vicieux,
45:37 c'est-à-dire que l'on a des arbres qui sont morts sur pied,
45:42 qui sèchent, qui constituent par conséquent de la matière éminemment combustible,
45:48 qui s'enflamment pour un rien,
45:50 il suffit d'un geste malheureux d'un promeneur,
45:53 ou tout simplement d'une bouteille de Coca-Cola cassée,
45:56 la réverbération sur le verre, ça suffit à déclencher un incendie.
46:01 Donc on a des forêts qui, avec le réchauffement climatique,
46:04 sont de plus en plus fragiles.
46:06 Pour terminer, je vous ai mis le fameux chêne de Tronjoli,
46:11 à Bula, Pestivien, en côte d'Armor,
46:15 qui aurait 1500 à 1700 ans,
46:18 et si je vous le mets, ce n'est pas parce que le Tronjoli, ça fait joli.
46:23 Non, c'est parce que les vieux arbres, les très vieux arbres,
46:26 les arbres les plus vénérables, intéressent les scientifiques.
46:29 Parce que tous ces arbres, ils en ont vu des verges et des pâmures,
46:33 ils en ont vu des réchauffements et des refroidissements brutaux.
46:36 Or eux, ils ont résisté, contrairement à ceux de la même génération qu'eux.
46:42 Ça veut dire que dans leur patrimoine génétique,
46:45 il y a des choses à étudier pour savoir pourquoi ils ont réussi
46:48 à traverser une histoire climatique passablement chamboulée.
46:53 Alors au centre, je vous ai mis la forêt de Fougères,
46:57 c'est une étrée pure, dans toute la partie du centre-ouest,
47:02 la forêt de Fougères, c'est 670 hectares,
47:05 et on l'observe avec soin,
47:07 et là c'est un programme européen qui est concerné,
47:10 d'études pour les étrées, car le hêtre est un arbre qui aime le frais.
47:16 C'est une essence sciatique, c'est-à-dire une essence d'ombre,
47:20 et par conséquent, à l'ombre des hêtres,
47:23 il y a toute une série de champignons et d'espèces qui y sont afféodées.
47:27 Sauf qu'avec le réchauffement climatique,
47:30 et notamment les sécheresses de printemps,
47:33 le hêtre a des vapeurs.
47:36 Toutes les étrées sont actuellement sous surveillance,
47:39 notamment la grande étrée, qui est quasiment une étrée pure également,
47:44 qui est celle de la forêt de Soigne, au sud-est de Bruxelles.
47:47 On a fait de nombreux colloques concernant l'étude de l'évolution de ces étrées pures,
47:53 en se demandant comment on pourrait les aider à s'adapter aux nouvelles conditions climatiques.
47:59 Et alors, dernier clin d'œil, vous avez compris que je suis quelqu'un qui ne s'amuse dans rien,
48:04 dans le Morbihan, c'est la forêt de Camor,
48:07 qui a été dévastée par la tempête de 1987.
48:13 Donc je vous ai mis un ménhir, qui est post-5000 ans,
48:17 et puis des plantations de Douglas, post-1990.
48:22 Et vous voyez qu'il y a un côté très sombre avec le Douglas,
48:26 ça tient à la coloration de ses aiguilles.
48:29 Alors certains disent que c'est affreux, d'abord que ce n'est pas de chez nous,
48:33 ça vous donne une forêt très sombre, il n'y a pas d'animaux, il n'y a pas de cervidés,
48:38 il n'y a pas d'oiseaux là-dessous, c'est pas tout à fait examen, admettons.
48:42 Mais ce qui est certain, c'est que lorsque l'on fait une étude sociologique par génération,
48:48 on s'aperçoit que ça dépend du passé paysager des gens.
48:53 Si vous prenez des gamins de 15 ans dans le Beaujolais,
48:57 où l'on a maintenant, le Beaujolais c'est entièrement une forêt de Douglas,
49:00 ils trouvent ça très bien, ils vont en colonne de vacances là,
49:04 ils trouvent qu'il fait frais sous les Douglas, ils font plein d'amusement,
49:08 vraiment ça ne les choque absolument pas.
49:11 Alors que si on prend les générations qui ont plus de 50 ans,
49:15 alors là, le Douglas, ils n'ont jamais vu, eux ce qu'ils aiment c'est le chêne,
49:21 le Douglas c'est un corps étranger.
49:25 Et ce n'est pas la peine de leur dire que les industries ligneuses,
49:28 c'est du Douglas qu'elles veulent parce que ça ne passe pas.
49:32 Alors cela dit, la génération des 50 ans, et a fortiori la génération des 70 ans,
49:38 je ne veux pas vous choquer, moi j'en ai 75,
49:41 lorsqu'elle aura disparu, on pourra se donner à cœur joie avec le Douglas.
49:46 Sauf qu'à ce moment là, peut-être qu'on aura découvert
49:51 que le Douglas a des parasites qui sont pires que le dendroctone.
49:57 Encore que à mon avis, ça va être difficile.
50:00 Parce que le dendroctone, je vous signale, c'est le premier responsable
50:04 des grands incendies dont vous avez entendu parler cette année au Canada,
50:10 où la masse de combustible liée à la surmortalité des arbres était énorme,
50:16 et vous avez vu que c'est une surface équivalente à la surface de la Belgique
50:21 qui a disparu en fumée à cause de ce fichu coléoptère.
50:26 Merci de votre attention, je vous remercie vivement. Au revoir.
50:30 (Applaudissements)
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