300 000 personnes dorment à la rue en France, deux fois plus qu'il y a dix ans. Une étude d'avril 2023 montre que près de la moitié du tiers des français ayant les revenus les plus modestes se privent d'un repas quotidiennement. Les restos du cœur voient affluer de plus en plus de bénéficiaires alors que l'association annonçait en septembre dernier être en grande difficulté financière, réduisant de 150 000 le nombre de ces bénéficiaires du fait de l'inflation. Le nombre d'enfants sans-abris augmentent... Les signes de la grande pauvreté connaissent une pente ascendante. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-06-janvier-2024-9130526
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00:00 Comment sortir de la pauvreté plus vite ? Comment éviter la reproduction sociale ?
00:04 La présidente d'ATD Carmonde est l'invité du MAGECO.
00:07 Bonjour et bienvenue Marie-Alaine Graar.
00:09 Bonjour à vous.
00:11 C'est l'époque des vœux de bonne année.
00:12 Alors l'année 2024, comment est-ce qu'on la voit quand on est à la tête d'une association qui lutte contre la pauvreté ?
00:18 Pas simple. Pas simple, mais ce que nous voulons absolument,
00:23 c'est rester unis et s'unir à tous les autres dans notre pays.
00:27 Ce que nous voulons, c'est que les plus pauvres soient enfin entendus.
00:31 Parce que ce que nous croyons absolument à ATD Carmonde,
00:36 c'est que toutes les mesures qui sont prises à partir des plus pauvres vont pouvoir bénéficier à tous.
00:42 Et ce que nous voulons, c'est que notre cohésion sociale, notre démocratie aille mieux.
00:48 Nous voulons un pays apaisé.
00:50 Donc un pays apaisé, c'est un pays où les plus pauvres peuvent exercer leurs droits comme tous les autres.
00:56 Et sur l'état de la pauvreté, qu'est-ce qui s'est passé ?
00:58 On a beaucoup parlé dans l'émission juste avant de l'inflation.
01:02 Comment est-ce que vous voyez l'état de la pauvreté aujourd'hui ?
01:05 On a plus de 9 millions de personnes. Est-ce que c'est stable ?
01:07 Qui sont sous le seuil de pauvreté ? Est-ce que c'est stable ?
01:10 Est-ce que ça s'aggrave ?
01:12 On se souvient encore de l'appel au secours des Restos du Coeur à la rentrée.
01:16 Ce n'est pas stable, ça s'aggrave.
01:18 Et ça, c'est inquiétant.
01:20 Et il faut absolument arrêter cela.
01:22 Et arrêter cela avec des mesures structurelles, importantes.
01:26 C'est-à-dire des mesures qui vont vraiment changer la vie des personnes.
01:30 Parce que ce qui augmente, c'est aussi la grande pauvreté.
01:34 Je me permets d'insister sur la grande pauvreté,
01:36 non pas pour l'opposer à la pauvreté,
01:39 mais comme dit une personne qui vit dans la grande pauvreté,
01:41 elle donne cette définition-là de la grande pauvreté.
01:44 La misère, la précarité, c'est quand on a des gros problèmes de sous.
01:49 Et la misère, c'est quand plus personne ne vous regarde.
01:53 Et ce dont nous sommes persuadés, je reviens encore une fois là-dessus,
01:57 c'est qu'il faut absolument penser les mesures avec les plus pauvres
02:01 et à partir des plus pauvres.
02:03 Parce que si nous voulons que ces mesures profitent à tous,
02:07 il faut qu'elles soient pensées à partir des personnes les plus pauvres.
02:10 - Qu'est-ce qui fait que ça s'aggrave, Marie-Alaïde Graart ?
02:12 Qu'est-ce qui fait que vous nous alertez sur la grande pauvreté aujourd'hui ?
02:15 Pourquoi maintenant c'est plus grave qu'avant ?
02:17 - Pourquoi ça s'aggrave ? Parce que nous avons eu Covid.
02:20 Et qu'à la suite de Covid, nous avons eu l'inflation.
02:23 Covid, ça a étranglé les gens qui vivaient dans la précarité,
02:27 qui étaient déjà tout juste.
02:29 Vous savez, avec le RSA, on ne vit pas, on survit.
02:31 Donc les gens étaient déjà tout juste.
02:33 - 507 euros par mois, c'est ça ?
02:34 - 607.
02:36 Et en fait, les gens ne touchent jamais 607.
02:40 C'est une allocation différentielle.
02:42 Donc on enlève toujours le forfait logement.
02:44 Donc ils touchent 527 au maximum.
02:47 Mais c'est différentiel.
02:48 C'est jamais tout à fait le même montant.
02:51 Et après Covid, il y a eu l'inflation.
02:53 Et cette inflation qui fait que chaque mois,
02:56 les personnes sont obligées de choisir.
02:58 Qu'est-ce que je vais pouvoir payer ?
02:59 Est-ce que je paie mon logement pour ne pas être mis dehors ?
03:02 Et du coup, je ne vais pas pouvoir manger correctement
03:04 et faire manger ma famille correctement tout au long du mois.
03:07 Les gens nous le disent, à partir du 10, 15 du mois, c'est la galère.
03:11 - Surtout les femmes, les monoparentes,
03:13 les femmes qui vivent seules avec leurs enfants, les plus âgées.
03:16 Est-ce qu'il y a un profil ?
03:18 - Un profil particulier, je ne le dirai pas comme ça.
03:21 Les femmes seules avec enfants, évidemment c'est très difficile.
03:26 Surtout quand vous avez un emploi extrêmement précaire
03:29 ou que vous n'avez pas d'emploi du tout.
03:30 Évidemment c'est très difficile.
03:32 Mais les personnes qui vivent à la rue,
03:34 le nombre de personnes qui vivent à la rue dans notre pays
03:36 a terriblement augmenté.
03:38 Dans les grandes villes en France,
03:40 on recense des milliers de personnes qui vivent à la rue.
03:43 Mais ce n'est pas possible, ça ne peut pas durer comme ça.
03:45 - Pourtant la France a quand même un modèle social généreux
03:48 au regard du reste du monde.
03:51 On a des boucliers tarifaires, on a des chèques énergie.
03:54 Ça ne suffit pas ?
03:56 - Alors nous avons un bouclier social,
03:58 nous avons des minima sociaux qui devraient permettre aux personnes
04:03 qui sont dans la grande difficulté de s'en sortir.
04:06 Or ces minima sociaux, par exemple le RSA dont nous parlions à l'instant,
04:10 qui est une allocation différentielle, je le répète,
04:12 qui est revu tous les trois mois pour les personnes,
04:15 n'a pas été revu de son montant depuis des années.
04:19 Au début c'était le RMI, le revenu minimum d'insertion,
04:22 et c'était indexé sur le SMIC, 50% du SMIC.
04:26 Aujourd'hui nous en sommes à 36% du SMIC.
04:29 Donc évidemment pour les personnes c'est très difficile, c'est la survie.
04:33 Non seulement cela, mais nous sommes dans un contexte dans notre pays
04:37 où même au plus haut sommet de l'État,
04:39 on montre sans arrêt les plus pauvres comme responsables des maux,
04:43 des problèmes de notre pays.
04:46 Toute loi qui est mise en place, qui est réfléchie dans notre pays,
04:50 actuellement depuis de nombreux mois,
04:53 montre les plus pauvres comme responsables,
04:56 comme vraiment des personnes qui sont des profiteurs.
04:59 Or ce n'est absolument pas le cas.
05:02 Et les économistes le montrent très bien,
05:03 vous le montrez très bien dans votre émission d'ailleurs.
05:05 Marie-Alaïde Graart, j'imagine que là, en poussant ce coup de gueule,
05:09 vous êtes en train de penser à la loi plein emploi
05:11 qui conditionne le versement du RSA à 15h de travail ou de formation obligatoire.
05:17 Vous dénoncez cela, et pourtant,
05:19 est-ce que vous n'êtes pas d'accord avec l'argument du gouvernement
05:23 qui est que finalement c'est le travail, c'est le retour à l'emploi
05:25 qui est la meilleure protection contre la pauvreté ?
05:27 Est-ce que cette philosophie-là, vous l'acceptez pas ?
05:29 Bien sûr que c'est l'emploi qui permet de se réinsérer dans la société,
05:34 d'avoir une vraie place, d'être reconnu.
05:36 Les personnes nous le disent très bien.
05:38 Et d'ailleurs, l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée
05:42 que nous menons avec d'autres depuis des années maintenant,
05:45 montre bien que ces plus de 2000 personnes qui ont été embauchées en CDI
05:51 ont retrouvé une vraie place dans la société,
05:53 et que leur quartier a changé.
05:55 Ça c'est très important.
05:57 Cette expérimentation montre que c'est possible.
06:00 On peut changer le territoire
06:02 quand les personnes qui sont au chômage depuis très longtemps
06:04 retrouvent un emploi.
06:05 Et leurs enfants, leurs jeunes,
06:08 ils osent apprendre à l'école ces gens qui ont retrouvé un emploi.
06:11 Ça c'est les Territoires zéro chômage de longue durée
06:15 qui n'est pas à l'équilibre financier, on est d'accord.
06:18 C'est-à-dire le souci pour l'instant, c'est cette expérimentation.
06:22 Donc évidemment, on n'est pas à l'équilibre financier, c'est normal.
06:25 Mais le RSA sous condition.
06:27 L'idée est que travailler, le retour à l'emploi, aider ces gens,
06:31 enfin les accompagner, c'est ça qu'il faut faire maintenant
06:34 parce que le résultat depuis tant d'années de RSA n'est pas satisfaisant.
06:36 Ce que nous voulons, ce que nous pensons important pour les personnes,
06:41 c'est qu'elles soient accompagnées dans la confiance et dans la durée.
06:45 Accompagnées à pouvoir retrouver un emploi.
06:47 A pouvoir retrouver l'emploi qui leur correspond.
06:50 Pas un emploi où on va être obligés de faire 4 heures de transport
06:54 pour aller travailler 2 heures le matin et 2 heures le soir.
06:57 C'est ça qui va se passer selon vous ?
06:58 Non, ce qui va se passer là,
07:00 ce sont les 15 à 20 heures d'activité.
07:03 Mais c'est impossible à réaliser.
07:05 D'ailleurs, ce qui se passe actuellement,
07:07 c'est qu'avant que cette loi soit votée,
07:10 on l'a déjà commencé à l'expérimenter dans certains territoires.
07:13 Et ça a été transféré à des personnes de pôle emploi
07:18 pour gérer cela auprès des personnes qui sont au RSA.
07:22 Ce ne sont pas des travailleurs sociaux, donc c'est assez délicat.
07:25 C'est-à-dire que ces personnes de pôle emploi qui ont trop de travail déjà,
07:29 qui sont déjà débordées par le travail,
07:31 ont embauché des entreprises privées
07:35 pour appeler des personnes qui sont au RSA
07:38 pour savoir si elles veulent bien venir à un rendez-vous.
07:41 Mais ces entreprises, ces personnes d'entreprises privées
07:43 ne sont pas des travailleurs sociaux,
07:45 ne connaissent pas quelqu'un qui vit à la rue ou qui vit dans sa voiture,
07:48 qui est dans des conditions impossibles
07:50 et qui ne peut pas comme ça, du jour au lendemain,
07:53 venir à un rendez-vous le lendemain matin à 8h.
07:55 Donc qu'est-ce qui se passe ?
07:57 Vous ne répondez pas par téléphone à un coup de fil
08:00 qui vous demande des choses intrusives sur votre vie privée,
08:04 vous ne répondez pas et vous êtes radiés du RSA.
08:08 Vous ne pouvez plus recevoir le RSA,
08:10 c'est ça qui se passe dans notre pays.
08:12 On est dans une dichotomie totale,
08:14 c'est-à-dire qu'à la fois on expérimente ce que vous montriez tout à l'heure,
08:18 le territoire zéro non-recours,
08:20 qui peut être une très bonne idée,
08:22 et à la fois on va sanctionner les gens
08:26 s'ils ne font pas ces 15 à 20 heures de bénévoles-là,
08:30 on ne sait pas où d'ailleurs, c'est pas flou, c'est absolument pas clair.
08:34 Les territoires zéro non-recours,
08:36 est-ce que pour vous, on a parlé du "aller vers",
08:38 c'est-à-dire aller vers les personnes,
08:40 on a parlé de la solidarité à la source,
08:41 c'est-à-dire on va numériser, automatiser les infos,
08:43 est-ce que ça pour vous sont des leviers puissants qui vont s'être en place ?
08:46 Ça peut être un levier très puissant.
08:48 Et d'ailleurs nous participons à cette expérimentation
08:51 dans le département de Meurthe et Moselle,
08:54 parce que nous sommes mis d'accord avec les élus de ces départements,
08:57 d'ailleurs je veux souligner que l'ensemble des élus a voté
09:01 pour faire cette expérimentation,
09:03 il n'y a pas de droite et de gauche dans ces cas-là,
09:05 quand vraiment on pense que cela va changer la vie des gens sur un territoire.
09:10 Et nous réfléchissons et nous travaillons
09:13 avec les travailleurs sociaux de ce département,
09:16 avec des personnes très pauvres,
09:18 qui se forment en même temps que les travailleurs sociaux de ces départements,
09:22 pour aller à la rencontre des personnes qui sont dans le non-recours.
09:25 Donc là, ça va dans le bon sens ?
09:27 Ça va vraiment dans le bon sens.
09:29 Mais ce que je crains, ce que nous craignons,
09:31 c'est que Territoires zéro non-recours,
09:33 parce qu'il y a toujours un loup caché depuis quelques années,
09:36 nous le voyons bien, pour les plus pauvres, il y a toujours un loup caché.
09:39 Et ce Territoire zéro non-recours peut être aussi un moyen pour la CAF
09:45 d'aller changer des critères d'éligibilité pour les plus pauvres.
09:50 C'est-à-dire de faire qu'il y ait moins d'allocataires,
09:53 parce que Territoires zéro non-recours, il ne faut pas être non plus illuminé.
09:59 Ça va coûter très cher à la CAF.
10:01 Actuellement, il y a plus de 35% de non-recours au RSA.
10:06 Vos reporters le disaient tout à l'heure, moi je dis 50% au minimum vieillesse.
10:12 Vos reporters disaient plus de 60% sur les Territoires.
10:15 Donc c'est quand même le minimum vieillesse, c'est vivre avec le minimum.
10:18 Donc votre inquiétude c'est qu'on va faciliter l'accès,
10:22 mais qu'on durcisse les critères d'éligibilité ?
10:24 Bien sûr, c'est ça.
10:27 À propos de durcir les critères d'éligibilité, Marie-Alaïde Graar,
10:30 après le vote de la loi Immigration, c'était le 19 décembre,
10:34 nombre d'associations ont dit qu'elles étaient sidérées, en état de choc.
10:37 Là, vous avez eu du temps pour analyser précisément les nouvelles mesures,
10:41 celles qui portent sur les appels, les allocations familiales,
10:44 l'allocation autonomie. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
10:49 Que va-t-il se passer ?
10:51 Dans notre mouvement, à Tdc Armand, nous refusons l'inacceptable.
10:56 Et là, nous sommes face à l'inacceptable.
10:59 Nous refusons que des humains soient triés dans notre pays,
11:03 parce qu'ils sont différents, parce qu'ils viennent d'horizons différents.
11:07 Nous refusons cela.
11:09 Et ça, pour nous, ce qui est important, ce qui est vraiment essentiel
11:14 pour la cohésion, je le répète, de notre pays,
11:17 pour que notre démocratie soit une véritable démocratie,
11:20 liberté, égalité, fraternité, ce n'est pas rien.
11:23 Le mot « trier » est très fort, Maria Alekgraïre.
11:25 On trie quoi ? On trie...
11:27 On va trier les jeunes qui sont à l'aide sociale à l'enfance,
11:31 qui arrivent dans notre pays en étant mineurs,
11:35 et leur dire qu'une fois qu'ils sont à l'âge de 18 ans,
11:40 il va falloir qu'ils aillent voir ailleurs.
11:42 Et ça, ce n'est pas possible.
11:44 Parce qu'eux ont eu, pendant deux ans par exemple,
11:47 s'ils sont arrivés à 16 ans dans notre pays,
11:49 ils ont été soutenus par l'aide sociale à l'enfance,
11:52 pour pouvoir suivre des études, pour pouvoir...
11:55 Voilà, leur quotidien.
11:57 Et à 18 ans, on va leur dire « c'est terminé, vous devez partir ».
12:01 Vous allez vous mobiliser ?
12:02 Oui, nous allons nous mobiliser.
12:04 Nous sommes en train de réfléchir avec d'autres,
12:06 avec des syndicats, avec d'autres associations,
12:09 avec des partis politiques que j'espère larges,
12:11 dans l'arc républicain, pour nous mobiliser.
12:14 Avant la décision du Conseil constitutionnel ?
12:16 Oui.
12:17 Marie-Alaïde Graar, la présidente d'ATD Carmond,
12:20 la décision du Conseil constitutionnel,
12:21 ça devrait être avant le 26 janvier.
12:23 Merci d'avoir accepté l'invitation d'On n'arrête pas l'écho.