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Selon un sondage Elabe, pour 91% des Français interrogés, le recul de l'autorité est un problème majeur dans la société française. Ils sont aussi très nombreux (87%) à considérer que la justice est trop laxiste et une majorité de Français (58%) à estimer que la violence se répand dans toute la société.

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Transcription
00:00 On en parle avec vous Artaud Cheté-Bakhtiari, vous êtes le maire d'Hiverdroite de Neuilly-sur-Marne en Seine-Saint-Denis,
00:08 ville touchée lors des émeutes de juin dernier. Vous aviez d'ailleurs mis en place vous-même un couvre-feu,
00:13 vous aviez même dormi dans votre mairie, barricadé avec vos adjoints.
00:16 Vous êtes forcément en première ligne dans cette insécurité grandissante.
00:20 Donc merci d'être avec nous ce matin, aux côtés de Laurent Neumann, Mathieu Croissando et Bernard Sananès,
00:26 président de l'Institut Elabe, avec ce nouveau sondage ce matin, qui nous donne l'image d'une France très morcelée, très fracturée.
00:35 Deux Français sur trois, Bernard, estiment que ce qui divise les Français est plus fort que ce qui les rassemble des Français.
00:40 Oui, les Français font un autoportrait finalement d'une société qui est fracturée, une société qui est sous tension,
00:46 et une société dont la cohésion sociale leur apparaît menacée.
00:49 Deux tiers des Français effectivement considèrent, vous savez cette phrase qu'on entend souvent dans les meetings politiques,
00:53 "ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise", et bien ils font le jugement inverse.
00:57 C'est dix points de plus exactement qu'il y a dix ans, mais ça va plus loin.
01:02 Une immense majorité donne raison à l'ancien maire de Lyon décédé cette semaine, Gérard Collomb,
01:06 quand il avait dit "aujourd'hui on vit côte à côte, je crains que demain on vive face à face".
01:09 Cette phrase, qui n'avait eu d'ailleurs un écho que modéré au moment de son départ,
01:12 elle résonne aujourd'hui parce qu'elle confirme le sentiment que les personnes que nous avons interrogées,
01:17 que le vivre ensemble est menacé.
01:18 Et puis surtout, on craint même que ces divisions, que cette France face à face,
01:24 que tout cela se transforme en affrontement.
01:26 On a peur que cette société fracturée devienne une société de l'affrontement.
01:30 - Laurent, ça fait peur ce constat dressé par Bernard Senanès,
01:34 le ressenti des Français par rapport à la situation qu'ils vivent.
01:38 - Oui, mais moi ce qui m'a frappé c'est deux choses dans ce sondage.
01:40 D'abord l'ampleur des chiffres, là on n'est plus sur moitié-moitié, un tiers de terre.
01:45 Non, c'est massif, premier point.
01:48 Et deuxième point, c'est la lucidité de ceux qui ont répondu.
01:51 Parce que oui, ils sont inquiets, oui, ils voient la fracturation de la société.
01:55 D'ailleurs, ils voient moins le face à face que le fait que tout soit sujet à conflit et à tension.
02:02 Mais surtout, ils sont, comment dire, prudents.
02:05 Ils disent "c'est à la justice, majoritairement, de rendre justice".
02:10 Ils se rendent compte quand des responsables politiques
02:13 essayent de fracturer la société eux-mêmes en montant les gens les uns contre les autres.
02:18 Ils sont extrêmement lucides.
02:20 Et je vais vous dire, il y a deux éditorialistes cette semaine qui ont été absolument formidables.
02:24 Pardon de le dire comme ça, le grand-père de Thomas à l'église,
02:28 quand il rend hommage à son petit-fils, qu'est-ce qu'il dit ?
02:31 Il dit "la police a fait son travail, maintenant c'est à la justice de châtier les coupables".
02:37 C'est exactement ce que dit ce sondage.
02:39 Puis il y a eu une deuxième intervenante cette semaine, c'était sur notre antenne,
02:43 c'est la maire de Romand, Marie-Hélène Thoraval.
02:46 Qu'est-ce qu'elle dit ?
02:47 Bien sûr, elle fait les mêmes constats que dans le sondage,
02:49 mais elle dit "c'est 100 personnes qui pourrissent la vie d'un quartier".
02:53 Et donc, du coup, on se tourne vers la justice ou l'État en disant
02:57 "comment on fait pour sortir ces 100 personnes qui pourrissent la vie de tout le monde
03:01 et qui exportent la violence jusque dans les campagnes ?"
03:03 - Monsieur le maire, est-ce que ça tient vraiment à une minorité,
03:07 comme l'a dit la maire de Romand, ou est-ce que le phénomène est plus grave, plus profond ?
03:12 - Moi, je pense qu'effectivement, ça ne tient qu'à une minorité.
03:15 On l'a vu pendant les émeutes.
03:16 Dans ma ville de 40 000 habitants, qui est une ville paisible de Seine-Saint-Denis,
03:19 contrairement à d'autres qui sont beaucoup plus agités,
03:21 dans ma ville paisible, on a une quarantaine, une cinquantaine de personnes
03:24 qui ont fait vivre un calvaire, un enfer à 40 000 habitants.
03:29 Faites le compte, c'est 0,01% de la population qui fait vivre un enfer à tout le monde.
03:34 Et face à cela, quelle est la réponse de la justice ?
03:36 Je vais vous le dire, les statistiques ont été présentées par beaucoup de personnes.
03:41 Il y avait 200 000 émeutiers.
03:43 Sur les 200 000 émeutiers, il n'y en a que 2 000 qui ont été interpellés,
03:47 que 1 000 présentés à un juge.
03:49 Et quand ils ont été présentés à un juge, une très large majorité a été libérée
03:53 et une quarantaine ont terminé en prison.
03:55 Vous voyez un peu le ratio ? 200 000 émeutiers, 40 qui terminent en prison.
04:00 Mais quel message ça renvoie ?
04:01 Ça renvoie un message d'impunité extraordinaire.
04:04 Je vous donne un petit exemple pour que vous voyez bien la situation.
04:07 Dans ma ville, on a un commissariat.
04:10 La deuxième nuit des émeutes, on a une bande de 13, 14, 15 ans,
04:14 c'est les mêmes qu'on retrouve un peu partout,
04:16 qui vont à 4h30 du matin, armés d'un cocktail Molotov, aller incendier le commissariat.
04:21 Mais dans quel monde on vit ? À 4h30 du matin,
04:23 que fait un gamin de 13 ans dehors ?
04:25 Ils vont lancer le cocktail Molotov, ils sont arrêtés,
04:29 présentés à un juge, libérés le lendemain sous les applaudissements du public.
04:34 Mais quel sentiment d'impunité règne dans cette société ?
04:38 Et là aussi, les Français sont extrêmement lucides, Bernard.
04:41 87% des personnes interrogées par Elhav pointent le laxisme de la justice.
04:45 Oui, c'est d'ailleurs paradoxal.
04:47 Les Français font le constat de leur division,
04:49 mais ils se retrouvent très largement sur leur jugement par rapport à l'insécurité.
04:53 Ils disent que ça s'est dégradé depuis 10 ans,
04:55 et ils donnent deux raisons majeures pour l'expliquer.
04:58 Le recul de l'autorité, c'est extrêmement consensuel,
05:02 et le laxisme de la justice à la fois sur l'effectivité des peines et sur la dureté des peines.
05:07 Et on voit bien, quand on est à des chiffres que vous avez évoqués, 80%, 85%,
05:11 ça transcende tous les courants politiques, y compris par exemple à gauche.
05:15 À gauche aussi, on pense que la justice n'est pas assez sévère.
05:18 Et donc c'est ce paradoxe entre une société qui est divisée,
05:20 mais qui sur les questions de sécurité qui empoisonnent son quotidien,
05:23 aujourd'hui fait le constat que ça ne peut pas continuer comme ça,
05:26 mais qui pour autant ne fait pas un constat défaitiste.
05:29 Vous savez, on dit souvent, on ne peut finalement rien faire contre l'insécurité,
05:32 c'est un phénomène que l'on observe partout.
05:34 Les Français ne partagent pas ce constat.
05:36 Ils sont 71% à penser que l'on peut agir pour faire reculer l'insécurité.
05:40 C'est un message à l'institution judiciaire, ça ?
05:42 Oui, c'est un message à l'État, et la perte d'autorité,
05:45 qui d'ailleurs touche tout le monde, ce n'est pas seulement l'autorité de l'État,
05:48 c'est aussi l'autorité dans les familles, l'autorité de l'école,
05:51 c'est l'autorité de façon générale.
05:53 Mais c'est tout le paradoxe, parce que,
05:56 oublions un peu le sentiment que ressentent les Français un instant.
05:59 En France, on a le code pénal,
06:01 sans doute le plus sévère de tous les pays occidentaux.
06:05 Je n'exagère pas, les peines de prison sont extrêmement élevées, le maximum.
06:10 On a eu, et pardon d'amender un tout petit peu ce que vous disiez,
06:13 au moment des émeutes, des comparutions immédiates
06:16 qui ont distribué des peines d'une sévérité qui n'a jamais été vue.
06:20 Mais je le répète, ce que vivent les élus et les gens au quotidien,
06:24 dans les zones qui posent problème en termes de sécurité,
06:28 ils le disent tous, et il faut l'entendre,
06:30 c'est une minorité, une centaine de personnes, et on ne sait pas faire.
06:34 On ne sait pas faire aussi, parce qu'on est dans un État de droit.
06:36 - Pardonnez-moi, pourquoi on ne sait pas faire ?
06:38 - Eh bien justement, parce que nous sommes dans un État de droit,
06:41 qu'il y a des recours, qu'il y a des avocats, qu'il y a le contradictoire,
06:45 et donc on ne prend pas des gens pour les mettre en prison.
06:48 Ce n'est pas aussi simple que ça.
06:50 Et parfois on se dit qu'on pourrait au moins les mettre à l'écart.
06:53 C'est pour ça que certains parlent de centres de rétention,
06:56 de centres d'éducation fermés.
06:58 La question c'est que fait-on pour empêcher qu'une ultra-minorité
07:04 pourrisse littéralement la vie de milliers de gens
07:07 dans des quartiers que par ailleurs, on montre du doigt,
07:09 on fait l'amalgame, on dit "c'est le quartier de la monnaie à Romand".
07:12 Non, c'est une centaine de personnes dans ce quartier.
07:16 Mais du coup, tout le quartier est montré du doigt.
07:18 Donc là, pour le coup, les responsables politiques
07:20 n'ont pas de réponse précise à cette question
07:23 que posent tous les Français qui ont répondu au sondage de Bernard.
07:25 - Dans votre sondage, Bernard, il n'y a pas non plus de fatalisme, de résignation.
07:30 71% des interrogés pensent qu'on peut lutter contre la violence.
07:35 - Oui, effectivement, c'est le point qu'évoquait Laurent.
07:37 Ils ne mettent pas en cause d'ailleurs la police.
07:39 C'est-à-dire que la police, globalement,
07:41 s'il y a souvent des commentaires, fait son travail,
07:43 mais il pointe ce recul de l'autorité dans la société
07:46 et aussi cette difficulté de la justice.
07:48 Ce qui est intéressant, Laurent parlait de lucidité, c'est extrêmement juste.
07:51 On a demandé aux personnes interrogées
07:53 "est-ce qu'on en fait trop pour les banlieues ?
07:54 Est-ce qu'on en fait trop pour les zones rurales ?"
07:55 Vous savez, cette personne qui a interpellé Olivier Véran mardi.
07:58 Eh bien, là-dessus, ils n'opposent pas
08:00 ce qu'on fait pour les banlieues ou ce qu'on fait pour les zones rurales.
08:02 Ils disent "il faut en faire plus dans les deux territoires qui sont en difficulté".
08:07 - Olivier Véran dit que si rien ne change, il y a un risque de bascule.
08:09 Bascule vers quoi ? Je ne sais pas.
08:11 Mais pour vous, ce risque, c'est lequel ?
08:14 - Je partage totalement le risque de bascule.
08:17 Par contre, Olivier Véran est aux commandes,
08:18 donc c'est sa responsabilité d'agir.
08:20 - Bascule vers quoi ?
08:21 - Bascule vers quelque chose de très simple,
08:23 c'est que les gens se constituent eux-mêmes en milice
08:25 et fassent justice eux-mêmes.
08:27 - Il y a des mouvements de ce type chez vous aussi ?
08:30 - Chez moi, non, mais on le voit, on sent les choses.
08:32 Moi, je reçois des personnes qui se sentent totalement délaissées.
08:37 Je vais vous donner un exemple.
08:39 Il y a deux jours, j'ai reçu une associative,
08:41 une dame d'une soixantaine d'années qui est elle-même investie,
08:44 qui habite un logement social très modeste
08:47 et qui ne peut plus rentrer chez elle,
08:49 qui elle-même donne, alors qu'elle a peu de moyens,
08:51 elle donne de son temps pour aider les plus démunis
08:54 dans des associations de redistribution alimentaire.
08:57 Embête chez elle, elle ne peut plus rentrer chez elle.
08:59 Pourquoi elle ne peut plus rentrer chez elle ?
09:01 Parce qu'il y a des dealers qui, en bas,
09:03 lui demandent des comptes à chaque fois qu'elle rentre chez elle.
09:05 Elle, elle vit dans la peur.
09:07 Son fils est intervenu, est intervenu de manière un peu violente,
09:11 mais parce qu'en fait, la police passe tous les jours,
09:14 mais ça ne suffit pas.
09:16 Ces personnes-là sont interpellées, sont présentées au juge
09:18 et remis en liberté.
09:19 Donc, au bout d'un moment, qu'est-ce qui va se passer ?
09:21 C'est qu'on a des groupes de personnes qui vont se constituer
09:23 pour se faire justice eux-mêmes.
09:25 Et quand on se fait justice soi-même,
09:26 dedans, il y a les innocents qui trinquent.
09:28 C'est le scénario à l'irlandaise et il est essentiel,
09:31 essentiel que l'État, l'autorité soient rétablis
09:34 et fassent son travail pour éviter que chacun se fasse justice soi-même.
09:38 – Merci d'avoir été avec nous ce matin dans Première Édition.

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