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 Maya Lauqué reçoit Ghada Hatem, fondatrice de la maison des femmes dans le cadre de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes. Elle revient sur les violences faites aux femmes qui ont augmenté de 15% en 2022 par rapport à l'année précédente. Nous rappelons que le 3919 est le numéro d'urgence pour les femmes victimes de violences. 

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Transcription
00:00 Bonjour Ada, merci d'être avec nous ce matin.
00:02 On va évidemment parler de votre mission au sein de la Maison des Femmes,
00:05 celle de réparer les victimes de violences.
00:08 Mais d'abord, ces chiffres, et ils sont implacables.
00:11 244 000 femmes ont été victimes de violences conjugales en 2022,
00:15 c'est 15 % de plus que l'année précédente.
00:17 Y a-t-il plus de violences ou davantage de femmes qui les dénoncent ?
00:21 Je pense que les deux réponses sont bonnes.
00:23 Il y a plus de dénonciations, c'est sûr.
00:26 Les femmes ont moins peur, les policiers sont mieux préparés.
00:29 Ils prennent les plaintes et plus de mains courantes.
00:34 Mais oui, il semblerait aussi qu'il y ait une exacerbation de la violence,
00:38 notamment depuis le Covid.
00:40 Et ce qui peut aussi s'expliquer par une anxiété énorme,
00:45 de la dépression, une santé mentale des Français très dégradée.
00:48 Aujourd'hui, ce sujet des violences faites aux femmes est présent
00:52 et prégnant dans l'actualité grâce notamment aux actions que vous menez.
00:56 Le gouvernement agit aussi et pourtant il y a toujours un chiffre qui ne bouge pas.
01:01 Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex.
01:05 Comment ça se fait ?
01:07 Alors parfois c'est tous les deux jours et demi.
01:10 Je pense que les actions que nous menons, que le gouvernement mène,
01:14 que toutes les associations mènent, sont du long terme.
01:17 Il n'y a aucune action qui permettrait d'arrêter cette hémorragie du jour au lendemain.
01:23 Il faut remonter aux racines de la violence,
01:25 il faut aller vers l'éducation, il faut aller chez les enfants.
01:29 Or on voit aujourd'hui que la question de l'enfance n'est pas encore correctement appréhendée,
01:34 ne serait-ce que les violences sexuelles avec tous les travaux de la civise,
01:36 et puis les violences éducatives ordinaires qui préparent le terrain de la violence.
01:41 Quand dans votre enfance vous avez appris que résoudre les choses,
01:45 ça passait par la violence, ça devient votre mode opératoire.
01:49 Et c'est là qu'il faut commencer à travailler.
01:51 Hier, le magazine Complément d'Enquête sur France 2 a diffusé un documentaire
01:55 sur les hommes violents parmi les forces de l'ordre.
01:57 910 agents sont mis en cause depuis 2021.
02:00 Certains frappent leurs femmes en même temps qu'ils recueillent la parole des victimes.
02:04 Est-ce qu'il y a un sujet spécifique sur les hommes violents parmi les forces de l'ordre ?
02:08 Est-ce que vous le constatez, vous par exemple, à la Maison des Femmes ?
02:12 Alors nous recevons peu de témoignages.
02:16 Souvent, ces femmes-là, elles ont des médecins qui sont des médecins spéciaux
02:23 dans les casernes, etc.
02:25 Elles déposent plainte et il y a un livre qui explique très très bien pourquoi elles sont empêchées,
02:30 pourquoi les plaintes disparaissent parfois, ça s'appelle "Silence on cogne".
02:34 De même, dans l'armée aussi, il y a des hommes violents.
02:37 C'est pas parce qu'on est engagé qu'on est vertueux.
02:41 Il y a des médecins violents, il y a... Voilà.
02:44 Et je pense que c'est plus difficile quand on est dans ce genre de contexte pour une femme
02:48 de témoigner, d'être crue.
02:51 Et parce qu'aussi on demande aux femmes de ne pas faire de vagues,
02:54 notamment quand elles ont affaire à des gens qui représentent l'ordre,
02:57 qui représentent l'éducation, la santé.
03:01 On leur demande de prendre sur elles.
03:04 Autre sujet d'actualité, cette semaine une députée a accusé un sénateur
03:07 de l'avoir drogué à son insu pour abuser d'elle.
03:10 C'est ce que l'on appelle la soumission chimique.
03:12 On pense que c'est un phénomène qui est largement minoré en France.
03:15 Là encore, est-ce que vous avez affaire à des victimes de ce type de violence,
03:21 de soumission chimique, ou est-ce que les médecins commencent un peu à connaître ce phénomène ?
03:26 Alors nous avons clairement affaire à ce genre de drame,
03:30 notamment avec des histoires d'agressions sexuelles.
03:33 Ce qu'on commence à connaître, parce que jusque-là c'était la drogue du violeur,
03:38 balance ton bar, les filles, faites attention à ce que vous buvez,
03:43 ne buvez pas le verre d'un inconnu.
03:45 Ce qu'on sait aujourd'hui, c'est que bien plus que le verre d'un inconnu,
03:48 c'est au sein de la famille que se pratique cette soumission chimique
03:51 et qu'elle touche de manière vraiment importante les enfants,
03:56 et puis aussi les personnes âgées.
03:57 Alors évidemment il y a un pic à l'âge adulte, entre 20 et 35 ans je crois,
04:03 mais on oublie les enfants.
04:05 Et droguer son enfant en lui donnant une petite tisane le soir par exemple,
04:10 pour être tranquille, ensuite pour l'abuser,
04:12 ce sont des pratiques qu'on découvre de plus en plus.
04:14 Et ce qui est important et qu'il faut répéter,
04:16 merci de me donner la parole à ce sujet,
04:18 c'est que nous les médecins on n'est pas formés.
04:20 Et que quand on reçoit une victime qui dit "je me souviens pas,
04:25 j'ai des troubles de la mémoire",
04:26 on va penser Alzheimer, on va penser problème neuro,
04:30 jamais on va imaginer que c'est son mari, son grand frère,
04:34 qui a la drogue à son insu.
04:35 Et ça, il faut vraiment concentrer.
04:38 Accentuer la formation, y compris chez les soignants.
04:40 Complètement.
04:40 Vous avez créé la Maison des Femmes en 2016,
04:43 un lieu de prise en charge global.
04:45 Est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots ce qui se passe
04:47 lorsqu'une femme vous écrit, vous envoie un mail ?
04:50 Comment s'organise l'accueil de la victime ?
04:53 Alors nous sommes organisées pour déjà pouvoir évaluer son besoin.
04:57 Toutes les femmes n'ont pas besoin de la Maison des Femmes, ça c'est sûr.
05:00 Mais lorsque la détresse qu'elle nous révèle nous fait penser
05:05 que ce qu'on va lui apporter est utile,
05:07 nous l'hospitalisons, alors c'est une hospitalisation de jour,
05:10 ça dure une grosse matinée.
05:13 Et là, elle rencontre un médecin, une sage-femme,
05:16 un psychologue, une assistante sociale,
05:18 et ensuite elle a un cours collectif d'éducation thérapeutique
05:22 parce que souvent les femmes ne comprennent pas exactement ce qu'elles vivent.
05:26 Et il faut les aider à mettre des mots,
05:29 et puis aussi leur donner quelques outils
05:31 pour par exemple baisser leurs tensions,
05:34 des outils de cohérence cardiaque.
05:36 Et une fois qu'on a fait le tour du problème,
05:39 les soignants se réunissent l'après-midi avec la psychiatre
05:43 pour décider quel va être le parcours de cette femme.
05:45 Est-ce qu'elle va voir le psychologue ? Est-ce qu'elle va faire du yoga ?
05:48 Est-ce qu'elle est prête à déposer plainte ?
05:51 Est-ce qu'elle a besoin de voir le juriste ?
05:53 Et comme on a tous ces professionnels au sein de la Maison des Femmes...
05:56 Madame précise que l'on peut porter plainte au sein de la Maison des Femmes
05:58 parce que ça veut dire qu'encore dans certains commissariats
06:00 on n'est pas toujours bien accueilli quand on vient porter plainte
06:03 pour des violences.
06:05 On a progressé, mais on n'y est pas encore.
06:06 Et puis les commissariats sont rarement des endroits super sympathiques.
06:10 En général, il n'y a pas que de la violence conjugale et intrafamiliale,
06:13 il y a toutes sortes de violences.
06:14 Ça peut être un peu agressif pour les victimes,
06:16 alors que là, il n'y a que de la violence intrafamiliale, sexuelle et sexiste.
06:21 Il y a, je crois, 56 Maisons des Femmes aujourd'hui.
06:24 Le gouvernement espère doubler ce chiffre.
06:26 Est-ce que c'est la reconnaissance aussi d'une médecine de la violence ?
06:31 Clairement.
06:32 Il y a toutes sortes de choses qui s'appellent Maisons des Femmes,
06:35 des maisons historiques qui s'occupent d'émancipation, de droit,
06:40 mais il n'y avait pas, il y a 10 ans, ça n'existait pas une maison
06:43 où on vient parce qu'on va mal au niveau de sa santé.
06:46 Et aujourd'hui, le fait que le gouvernement promove notre modèle,
06:49 finance insuffisamment ces maisons,
06:53 évidemment, c'est une reconnaissance de l'importance pour la société
06:56 du mal que fait la violence à la santé de tous les humains.
06:59 Oui, on apprend à habiter son corps et à réhabiter aussi son esprit,
07:04 j'imagine, après la violence, parce que c'est un travail qui est long.
07:08 Depuis 2016 et l'ouverture de la première maison,
07:10 est-ce que vous avez reçu des témoignages de femmes qui s'en sont sorties ?
07:13 Heureusement.
07:14 Heureusement, nous avons nos fans qui reviennent,
07:17 et ça, c'est extrêmement...
07:19 Pour l'équipe, c'est le plus beau cadeau, une femme qui revient et qui dit
07:22 "Heureusement que je vous ai trouvées, heureusement que j'ai poussé cette porte,
07:25 parce que je ne m'en sortais pas, et là, j'ai trouvé
07:28 à la fois un accueil bienveillant, mais aussi des professionnels
07:31 pour tous les traumas que j'avais."
07:34 Y compris un trauma économique, je voulais juste qu'on dise,
07:37 pour terminer en mots, de cette mesure, à partir du 1er décembre,
07:40 les femmes qui souhaitent quitter leur conjoint violent
07:43 pourront contacter la CAF pour obtenir une aide financière d'urgence,
07:46 600 euros en moyenne, parce qu'aux violences physiques, psychologiques,
07:50 morales, parfois religieuses, ça joue aussi une violence économique
07:54 qui perdure après la séparation, parce que le conjoint violent
07:57 va garder le compte en banque ou le logement, et ça, il faut le prendre en compte.
07:59 Bien sûr, il ne va pas payer la pension alimentaire,
08:01 ou va, par différents moyens, continuer à contrôler
08:06 les finances de son épouse, de sa conjointe.
08:08 600 euros, c'est à la fois pas beaucoup, et c'est un bon début.
08:11 Rome ne s'est pas faite en un jour.
08:14 Merci beaucoup, Radha, d'avoir été avec nous.
08:16 On rappelle que les maisons des femmes, elles sont ouvertes un peu partout en France.
08:19 Bientôt, on l'inspire dans chaque département, y compris en zone rurale.
08:22 On rappelle aussi ce numéro d'urgence pour les femmes victimes de violences,
08:26 c'est le 3919. Merci encore.

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