Mardi 14 novembre 2023, SMART PATRIMOINE reçoit Catherine Saint Geniest (Avocate associée en charge de la pratique de droit immobilier et comanaging Partner, Jeantet)
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Les dossiers de défaillance d'entreprise dans l'immobilier s'empilent.
00:08 C'est donc en toute logique que nous en parlons avec une avocate en charge de la pratique
00:12 de droits immobiliers.
00:13 Catherine Saint-Jeuniest, avocate associée et co-managing partner chez Janté.
00:17 Notre invité, bonjour.
00:19 Merci beaucoup de nous accompagner aujourd'hui.
00:21 Catherine, ces défaillances sont en hausse et en hausse rapide.
00:25 C'est une étude du cabine Altares qui le dit.
00:26 Dans la construction, c'est plus de 28% de défaillance au troisième trimestre 2023
00:32 par rapport à la même période de l'année dernière.
00:33 Les défaillances dans le secteur des agences immobilières continuent de doubler avec 98%
00:38 pour 172 unités, soit son plus haut niveau depuis 10 ans.
00:42 C'est ce que je disais.
00:43 Catherine Saint-Jeuniest, est-ce qu'on peut rappeler d'abord ensemble ce qu'on entend
00:46 par le terme défaillance d'entreprise ? C'est vrai qu'on entend beaucoup.
00:50 Procédure de sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire.
00:53 Est-ce qu'on peut remettre un peu les pendules à l'heure ?
00:56 Oui.
00:57 Très rapidement, parce que ce n'est pas spécifique au secteur de l'immobilier, évidemment,
01:01 il faut bien distinguer les procédures de sauvegarde et les procédures de redressement
01:06 judiciaire, liquidation judiciaire.
01:08 En matière de sauvegarde, on a deux types d'actions qui sont l'acconciliation ou le
01:15 mandat ad hoc.
01:16 Là, on a des entreprises qui se mettent sous procédure de sauvegarde, qui ne sont pas
01:21 en état de cessation des paiements.
01:23 Donc, elles sentent qu'elles ont des difficultés majeures et donc elles vont demander soit
01:27 un mandat ad hoc pour les aider, donc un tiers qui va être nommé par le tribunal de commerce
01:32 qui va les aider à résoudre une difficulté particulière, soit une procédure de conciliation.
01:37 Elles ont par exemple une catégorie de créanciers qui leur pose une difficulté et là encore,
01:43 il va y avoir un tiers à l'entreprise qui va intervenir pour les aider à négocier
01:48 avec les créanciers.
01:49 Donc, se mettre ainsi sous la protection du tribunal de commerce, c'est la première
01:53 étape.
01:54 On n'en arrive pas forcément toujours à la liquidation judiciaire.
01:57 Absolument.
01:58 La liquidation judiciaire, c'est le bout de la chaîne.
02:00 Donc avant, il y a éventuellement cette étape de conciliation, de sauvegarde qui n'est pas
02:05 obligatoire évidemment.
02:06 Si c'est la cessation des paiements, l'entreprise a l'obligation de déposer son bilan.
02:10 Ça veut dire que là, elle se place sous le régime du redressement judiciaire.
02:14 Redressement judiciaire, ça veut dire qu'il y a des perspectives de redressement.
02:18 Donc, on doit normalement en sortir par un plan de redressement.
02:21 Là aussi, protection du tribunal de commerce, un administrateur judiciaire, un commissaire
02:28 qui est un magistrat du tribunal de commerce qui va suivre l'évolution de la situation
02:33 de l'entreprise et la liquidation judiciaire, soit si on n'arrive pas à trouver un plan
02:38 de redressement, soit si le plan de redressement échoue ou procédure simplifiée, on va directement
02:43 à la liquidation judiciaire quand le tribunal de commerce considère que décidément, il
02:48 n'y a plus qu'à démanteler l'entreprise, céder les actifs, traiter les sujets de salariés, etc.
02:53 Est-ce que là, on sait dans le détail combien de pourcentages, là j'ai parlé de chiffres
02:56 qui étaient quand même assez impressionnants, voilà, tous ne vont pas jusqu'à la liquidation judiciaire ?
03:01 Non, non, non, on n'est pas, on est au début de ces difficultés.
03:05 On espère pouvoir les contenir justement par ces procédures de protection des entreprises.
03:12 Et c'est vrai, vous avez cité les entreprises de travaux, les promoteurs, les agents immobiliers,
03:18 évidemment, les notaires, on peut citer également, et d'autres acteurs qui sont en difficulté,
03:26 c'est certain.
03:27 Mais on n'est pas dans une vague de défaillance.
03:30 Il faut aussi rappeler tout de même qu'on a eu l'effet Covid, c'est-à-dire en 2020-21-22,
03:37 on a eu extrêmement peu de défaillance des entreprises, qui était soutenue par l'ensemble des mesures gouvernementales.
03:46 Et c'est normal qu'on ait un rebond.
03:48 Il y a un rattrapage.
03:49 Cette hausse des dossiers, est-ce que vous, vous la constatez, voilà, concrètement ?
03:51 Oui, oui, oui, on la constate, puisqu'on voit bien, par exemple, dans le secteur de la construction,
03:57 que on a des...
03:59 C'est bien de séparer les deux quand même, Catherine Sergéniaz, l'immobilier et le secteur de la construction.
04:04 Les sujets sont liés, on est dans un secteur où tous les acteurs se tiennent la main, c'est certain.
04:10 Mais dans l'action de construire, vous allez avoir les entreprises de travaux qui négocient des prix,
04:17 et qui se trouvent aujourd'hui dans une situation où elles ont, en général, des marchés de travaux à forfait.
04:23 Elles ont négocié un prix, elles ont négocié des délais.
04:25 Les prix flambent.
04:27 L'approvisionnement en matériaux est un secteur tout à fait tendu.
04:33 Et également, on a du mal à trouver de la main-d'oeuvre.
04:36 Donc cela fait pour les entreprises de travaux des délais qui dérapent et des prix qui flambent.
04:41 Donc elles essayent de les répercuter sur les promoteurs, avec des difficultés quand on a un marché à forfait, évidemment.
04:48 Les promoteurs reçoivent les biens immobiliers à commercialiser avec retard, parfois avec des surcoûts.
04:56 On a donc des difficultés liées aux pénalités de retard qui doivent se négocier entre les différents intervenants.
05:02 Et en plus, ces promoteurs-là, une fois qu'ils ont reçu les produits dans ces conditions difficiles, ils ont du mal à vendre.
05:10 Et là, on passe au sujet vente. Et les ventes, on le sait.
05:15 – C'est plutôt dans ce sens-là que ça marche.
05:16 C'est pour ça que vous avez commencé par le secteur de la construction
05:19 et les difficultés dans le secteur de la construction.
05:20 – Alors là, c'est le neuf dont on parle.
05:23 L'immobilier a des difficultés dans le neuf, mais aussi dans l'ancien, c'est certain.
05:28 Mais globalement, on sait qu'on a des ventes qui sont ralenties
05:33 parce qu'on a des gros problèmes de financement, et pas seulement dans le résidentiel.
05:37 C'est pareil, une entreprise qui aujourd'hui veut construire une unité de production,
05:41 elle a exactement les mêmes difficultés.
05:43 Il faut qu'elle trouve un investisseur pour acheter le terrain.
05:46 Et il faut ensuite que celle-ci négocie le marché de travaux, ce qui est difficile.
05:50 Chacun va prendre des risques dans cette opération de temps instable.
05:55 Et on va avoir aussi des difficultés forcément au cours du chantier.
06:00 – C'est la question que je posais en préambule de cette émission.
06:02 Comment les acteurs, vous les suivez d'ailleurs, en suivant ces dossiers-là,
06:06 comment les acteurs du secteur aujourd'hui s'organisent pour réagir à ça ?
06:09 – Alors dans le secteur de la construction,
06:13 ils s'organisent un peu a posteriori pour ce qui a déjà été conclu.
06:17 Donc selon la règle qu'un arrangement vaut mieux qu'un procès,
06:22 c'est évident, puisqu'il faut aller vite.
06:24 Quand on a un chantier en cours, qu'on a une entreprise qui est défaillante,
06:28 qui ne va plus pouvoir commander, par exemple, les matériaux pour poursuivre le chantier,
06:33 le promoteur a intérêt à trouver une solution.
06:36 Donc on essaye de trouver des solutions, de négocier les pénalités de retard,
06:41 de voter des prix complémentaires,
06:44 pour essayer en tout cas de ne pas bloquer le chantier, ça c'est impératif.
06:49 Mais on voit aussi que certaines opérations finalement ne se font pas,
06:53 on a des échecs de négociations,
06:55 et on a des contrats pour les nouvelles opérations qui sont ralentis,
06:59 parce que chacun va regarder les clauses à la loupe.
07:02 On n'est pas encore dans le retour de ce qu'on appelle les "Mac clauses",
07:06 qui vient du droit anglo-saxon,
07:08 et en droit français sont les clauses d'événements imprévus,
07:13 qui sont au détriment de l'une des parties,
07:16 donc qui permettraient de négocier,
07:17 ce n'est pas l'usage dans ce secteur-là,
07:21 où on privilégie les marchés à forfait,
07:24 pour que les parties sachent exactement où elles vont.
07:28 Donc tout ça donne une crispation générale dans les opérations.
07:32 Une crispation générale, et pourtant j'ai l'impression que vous n'êtes pas non plus si pessimiste que ça.
07:36 Vous dites qu'on sent une tendance, qu'on est au début,
07:40 moi j'aimerais quand même vous poser la question,
07:42 je le disais, peut-être une suite logique d'une crise qui dure aussi,
07:45 ces défaillances d'entreprises,
07:47 quelles sont selon vous les conséquences,
07:49 quelles pourraient être en tout cas les conséquences à long terme
07:52 de toutes ces défaillances dans un secteur qui est donc déjà bien impacté ?
07:57 Il y a beaucoup d'éléments qui nous font penser à la crise post-Lehman Brothers,
08:01 2009-2010, juste après septembre 2008,
08:05 et à l'époque on s'était dit on va tout régler en un ou deux ans,
08:11 et on va repartir.
08:12 Ça a été évidemment beaucoup plus long que ça,
08:14 on a mis pratiquement dix ans à revenir là où on était avant la crise.
08:19 Ici la situation est quand même pas la même.
08:21 D'abord on a appris, mais on a certains éléments,
08:25 on a par exemple la hausse des indices,
08:29 qu'on retrouve comme on l'avait eu fin 2008,
08:35 avec des valeurs locatives qui se tassent,
08:38 voire qui s'effondrent,
08:40 et des taux d'intérêt qui augmentent.
08:43 Donc ces disparités-là, il faut absolument qu'on trouve un moyen de les aplanir,
08:48 et il faut que les différentes parties qui sont face à face trouvent des solutions.
08:56 Et aujourd'hui elles semblent plus disposées
08:59 qu'il y a une vingtaine d'années finalement à le faire.
09:03 Merci beaucoup Catherine St-Jeunesse d'avoir répondu à nos questions.
09:05 Je rappelle que vous êtes avocate associée et co-managing partner chez le cabinet.
09:09 J'en tais, merci beaucoup d'avoir été avec nous dans Smart Patrimoine.
09:12 Tout de suite c'est en jeu Patrimoine.