Xerfi Canal a reçu André Lorentz, maître de conférences en sciences économiques à l'Université de Strasbourg, pour parler des trajectoires et paradigmes technologiques. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour André Lorenz.
00:09 Bonjour.
00:10 André Lorenz, vous êtes maître de conférence en sciences économiques à l'Université
00:14 de Strasbourg.
00:15 Exactement.
00:16 Au BÉTA.
00:17 Exactement.
00:18 Auteur dans les grands auteurs en management de l'innovation et de la créativité, ouvrage
00:22 dirigé par Thierry Burgier-Hemschel, Caroline Hüssler et Patrick Cohen-Dette, d'un chapitre
00:27 consacré à un grand auteur, Giovanni Dozi, qui porte sur les dynamiques du changement
00:32 technologique motrice de systèmes économiques complexes et évolutifs.
00:37 Alors j'ai envie de dire, on va parler ensemble de trajectoire technologique, on va parler
00:42 de paradigme technologique et d'approche évolutionniste des systèmes économiques.
00:47 Ça paraît un peu abstrait comme ça, mais en fait c'est de l'économie au concret
00:53 quand même l'approche évolutionniste.
00:55 Ça a été ça des apports de Dozi.
00:57 Alors oui, c'est des apports théoriques, c'est des réflexions théoriques, mais
01:03 qui reposent sur une volonté de rester attaché à l'histoire, attaché au réel, attaché
01:10 aux faits.
01:11 Donc c'est du concret qui nourrit une réflexion abstraite.
01:15 Et une réflexion abstraite sur l'innovation, mais sur tous les champs liés à l'innovation.
01:21 Le changement technologique, mais aussi toutes les adaptations des systèmes économiques
01:26 à ce changement technologique.
01:27 Alors c'est intéressant parce que concrètement il a pris le contre-pied finalement de visions
01:32 qui étaient assez linéaires.
01:33 Exactement, puisque la vision traditionnelle du processus d'innovation est soit liée
01:39 à cette vision dite schumpeterienne poussée par la technologie, ou une vision plus schmucklerienne
01:45 qui est tirée par le marché, et Dozy lui va proposer une approche qui est, je ne vais
01:52 pas dire entre les deux, mais qui va s'ouvrir sur une vision de la technologie comme étant
02:03 un objet technique, comme chez schumpeter, dont les aspects, on va dire, économiques,
02:10 socio-économiques entrent en jeu, comme chez schmuckler, mais les intégrer dans une
02:17 vision plus complexe.
02:18 Pour lui, la technologie c'est un objet qui va incorporer un ensemble d'idées, de connaissances
02:26 techniques, schumpeter, mais aussi socio-économiques, schmuckler, et c'est la combinaison de tous
02:33 ces éléments là qui va définir la technologie.
02:36 Cette technologie va être définie au travers d'un cadre socio-économique, scientifique
02:42 et technique qu'il va appeler paradigme technologique.
02:46 Et ce paradigme technologique va guider le changement technologique, sa direction, la
02:51 notion de progrès dans ce paradigme technologique et sa trajectoire, la trajectoire que va prendre
02:58 la technologie, c'est simplement la concrétisation des réponses apportées par la technologie
03:05 au travers de l'innovation à ses besoins sociétaux, économiques, mais aussi parfois
03:10 techniques.
03:11 Plusieurs conséquences très importantes, ça veut dire que la question des trajectoires
03:16 technologiques ne se résume pas à une question technologique, c'est la façon dont la technologie
03:20 va perfuser, percoler dans la société, la façon dont des acteurs vont s'en saisir,
03:28 qui va créer ce paradigme.
03:29 Quelque part on a tous en tête le smartphone par exemple, c'est l'usage qui va l'emporter
03:35 largement et finalement ça crée des trajectoires qui ne sont pas prédictibles a priori.
03:40 Et la notion de trajectoire chez Dozie n'est pas une notion balistique, c'est pas une
03:46 vision, c'est vraiment une concrétisation dans l'histoire de ce changement technologique,
03:51 c'est quelque chose qui s'observe ex post.
03:53 Par contre c'est le paradigme qui va guider la direction, c'est ses besoins sociétaux,
04:01 ses besoins économiques qui vont guider la direction du changement technologique.
04:04 Pas forcément sa trajectoire, la trajectoire ça va être la concrétisation historique
04:09 dans le temps.
04:10 Donc il y a une notion de temporalité qui est importante aussi chez Dozie.
04:13 C'est extrêmement intéressant.
04:15 Dans une approche évolutionniste, je résume pour faire simple, mais vous allez me corriger,
04:20 moi je ne suis pas spécialiste de ces questions.
04:22 Il y a des phases incrémentales, c'est-à-dire où finalement on est à l'intérieur d'un
04:27 paradigme dominant, etc.
04:29 Et puis il y a des moments de rupture à la cune, c'est-à-dire révolutionnaire,
04:33 on change de paradigme.
04:34 Oui, alors même si j'ai envie de dire que pour Dozie l'important n'est pas forcément
04:40 la rupture, c'est vraiment la mise en place du paradigme et la dynamique au sein du paradigme.
04:49 Mais ces ruptures vont pour lui correspondre à des changements de paradigme.
04:54 La rupture existe, la rupture va permettre à ce que la dynamique d'un système en
05:02 constante évolution se perpétue, mais dans sa représentation du changement technologique,
05:10 ce n'est pas forcément le cœur de son analyse.
05:13 Par contre, lorsqu'on s'intéresse plus tard au développement de sa vision plus
05:20 globale de l'économie évolutionniste, les transformations, les adaptations, les
05:25 ruptures au sein des systèmes économiques dans leur ensemble, là commence à prendre
05:30 de l'importance.
05:31 C'est pour ça que le capitalisme est par définition un système complexe et dynamique.
05:36 Et instable.
05:37 Et instable et que tout équilibre est illusoire, parfaitement illusoire.
05:41 Exactement.
05:42 Donc Indirez, c'est aussi pour ça qu'il récupère tout d'ailleurs en termes d'innovation,
05:46 cette capacité à se régénérer en permanence.
05:48 Il a besoin de se transformer pour pouvoir survivre lui aussi.
05:53 Donc non seulement le système capitaliste ou les systèmes de marché ont besoin de
06:01 dynamique, de transformation pour survivre, mais aussi le système lui-même a besoin
06:08 de continuer à muter pour survivre.
06:10 Donc les éléments du système doivent survivre au système, mais le système lui-même doit
06:16 muter, se transformer pour survivre.
06:18 Quelle soit l'agenda, comme on dit.
06:20 Exactement.
06:21 Merci beaucoup André Lorenz pour cet éclairage sur Giovanni Dozi, à retrouver dans les Grands
06:27 Auteurs en Management de l'Innovation et de la Créativité, édition EMS.
06:30 Merci à vous.
06:31 Merci à vous.
06:31 [Musique]