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L’édition 2022 du colloque de lutte contre les violences faites aux femmes a eu lieu le 22 novembre au Palais de la Musique et des Congrès. Portant cette année sur le thème de la pornographie, il a permis de rassembler plus de 1000 participant·es.

Les intervenantes : Céline Piques, Lorraine Questiaux, Alyssa Ahrabare, Sophie Jehel, Maria Hernandez-Mora et Laurence Rossignol.
Echanges animés par Marie-Sophie Kormann
Transcription
00:00:00 sur lequel on est resté comme ça à 11h,
00:00:02 ce sont des choses qui peuvent être traumatisantes pour certains d'entre vous,
00:00:06 parce que parfois ça nous choque par surprise cette violence là.
00:00:10 Il y a ici dans les lieux, au PMC, en salle Madrid, un espace sécure.
00:00:17 N'hésitez pas, si vous avez besoin de faire une pause avec des gens bienveillants qui sont là spécifiquement pour ça,
00:00:25 c'est possible jusqu'à la pause tout à l'heure à midi, peut-être un peu plus tard, on verra.
00:00:30 En tout cas, cet espace existe, utilisez-le si vous en avez besoin.
00:00:35 On va reprendre nos mises en dialogue avec l'interrogation cette fois de l'impact de la représentation des femmes et des sexualités dans la pornographie.
00:00:50 On a avec nous Sophie Géel, bonjour Sophie.
00:00:58 Vous êtes maîtresse de conférence en sciences de l'information et de la communication,
00:01:03 et chercheuse au CEMTI, le centre d'études sur les médias, les technologies et l'internationalisation à Paris 8.
00:01:10 Vos recherches portent sur les pratiques numériques des adolescents.
00:01:14 Entre 2015 et 2017, une de vos études s'est penchée plus spécifiquement sur la réception des images sexuelles violentes et haineuses par des adolescents de milieux sociaux différents.
00:01:25 Vous avez publié en 2019 avec Angélique Gosselin, "Les adolescents face aux images trash sur internet".
00:01:32 Vous êtes autrice également de "L'adolescence au cœur de l'économie numérique, travail émotionnel et risques sociaux" qui est sorti en 2022 aux presses de l'INA.
00:01:44 Pour nous accompagner dans cette thématique, nous avons le plaisir d'accueillir aussi Maria Hernandez Mora.
00:01:54 Bonjour à vous.
00:01:55 Bonjour.
00:01:56 Psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée dans les addictions comportementales,
00:02:01 vous travaillez depuis 5 ans avec des experts de toute l'Europe sur la question de l'addiction sexuelle à la pornographie.
00:02:08 Vous avez créé la consultation spécialisée sur cette thématique,
00:02:12 qui accueille des adultes et des adolescents à l'hôpital Simone Veil d'Aubonne dans le 95.
00:02:20 Votre travail de recherche à l'Université de Paris porte sur l'usage problématique de la pornographie et son impact sur la santé.
00:02:31 Vous avez une vie sans doute très remplie parce que vous êtes également cofondatrice de l'association Déclic,
00:02:39 "Sortir de la pornosphère" qui mène des démarches de prévention notamment en milieu scolaire.
00:02:45 Cette fois-ci, on va essayer d'avoir un peu de questions de la salle.
00:02:50 On va démarrer avec vous Sophie Jehel sur le sujet particulier de la réception des images sexuelles par les adolescents et adolescentes entre adhésion et évitement.
00:03:01 Merci, merci beaucoup de votre invitation.
00:03:07 Merci de la confiance que vous me faites.
00:03:10 Je suis contente de pouvoir évoquer avec vous les résultats, notamment les résultats de cette recherche sur la réception des images pornographiques ou sexuelles par les adolescents.
00:03:24 Les préoccupations que j'ai concernent donc principalement la question de l'accès des mineurs à la pornographie.
00:03:31 Et bien entendu, c'est un souci, c'est un interdit selon la loi française.
00:03:43 Et c'est un souci parce que dans la très grande majorité des images pornographiques ou des contenus pornographiques, les droits des femmes n'y sont pas respectés.
00:03:58 Alors, je poserai la question d'abord de savoir ce que font les médias.
00:04:04 En quoi la diffusion banalisée, hyper accessible de contenus pornographiques peut-elle affecter les jeunes ?
00:04:12 Et je vous en parlerai en m'appuyant sur deux secteurs si vous voulez de la sociologie.
00:04:21 D'une part la notion très importante en sociologie de socialisation.
00:04:28 Et puis aussi, je vous parlerai de mes recherches qui relèvent de ce qu'on appelle la sociologie de la réception.
00:04:36 Et qui vont m'amener à des propos parfois un peu plus nuancés sur la question de l'impact de la pornographie.
00:04:47 Nuancé et diversifié.
00:04:51 La socialisation, c'est le fait que les individus à tout âge sont amenés par leur fréquentation, aussi bien leur fréquentation médiatique que leur fréquentation familiale, professionnelle et amicale,
00:05:07 à apprendre des normes et des valeurs et à s'approprier des normes et des valeurs.
00:05:13 Donc la question qu'on peut se poser par rapport à la pornographie qui a été évoquée ce matin, c'est quels sont les modèles de rapports sexuels que des jeunes qui n'ont parfois aucune expérience personnelle vont apprendre à travers les images pornographiques.
00:05:29 Et les contenus audiovisuels constituent pour les adolescents des répertoires, pour les adolescents qui les ont regardés, des répertoires d'action, des répertoires de comportement.
00:05:40 Or, comme cela a été très bien dit ce matin, ils sont presque exclusivement structurés autour de rapports de domination dans lesquels les femmes sont des objets à consommer,
00:05:52 ou plutôt certaines parties du corps des femmes, parce que ce qui caractérise la pornographie, de mon point de vue, c'est pas seulement les violences qui ont pu être décrites ce matin,
00:06:03 mais aussi la réification des corps et le fait de considérer la sexualité comme réservée, fragmentée, hors de tout récit relationnel, et fragmentée autour des parties du corps,
00:06:22 en particulier des parties génitales, mais pas seulement. Alors, les adolescents vont-ils reproduire ce qu'ils voient, ce qu'ils ont vu ?
00:06:32 Vont-ils plutôt puiser, s'inspirer des contenus pornographiques pour leur propre pratique ? Et on sait qu'en partie, effectivement, ils s'en inspirent.
00:06:46 Mais les contenus pornographiques ne sont bien sûr pas les seules sources d'inspiration. Les films de fiction, la télé-réalité, les radiogènes sont aussi des sources d'informations, de scénarios de sexualité.
00:07:00 Donc, ces répertoires d'action, de sexualité, virilistes, violentes, comme cela a été, je ne vais pas reprendre des termes qui ont été expliqués ce matin,
00:07:12 et qui sont problématiques du fait de la banalisation des actes de violence sexuelle. Est-ce que, raisonnablement, ces répertoires d'action, de sexualité viriliste et violente,
00:07:26 peuvent-ils aider à construire des identités de genre ? Vous voyez bien que nous sommes dans une société extrêmement clivée entre des représentations ultra-violentes
00:07:36 et un progrès, la reconnaissance des droits des femmes, et les progrès qui sont faits de ce côté-là.
00:07:46 Comment comprendre, enfin je veux dire, il y a un effet aussi parfois de sidération que certains d'entre vous peuvent avoir en disant,
00:07:54 "mais attendez, on est dans une société qui promeut l'égalité des hommes et des femmes, qui promeut les droits des femmes comme probablement notre société ne l'a pas connue auparavant,
00:08:05 et comment est-ce qu'on peut en même temps, ça vous rappelle quelque chose, avoir des images et élever des enfants, et des garçons en particulier,
00:08:16 avec ce type, enfin laisser les enfants et les adolescents accéder à ce type d'image ?
00:08:23 Alors, qu'est-ce qui s'est passé depuis 20 ans ? Il se trouve que moi, j'ai rencontré, c'est pas mon sujet principal,
00:08:31 mais j'ai rencontré cette question de l'accès des mineurs à la pornographie depuis longtemps, et il y a 20 ans, je co-signais un rapport qui avait été remis à Ségolène Royal
00:08:40 par un collectif d'associations pluralistes, d'éducation populaire, de syndicats enseignants, d'associations familiales,
00:08:48 qui s'inquiétaient des insuffisances de la protection des enfants, des mineurs, dans l'environnement médiatique,
00:08:55 et qui posaient la question en termes de droit de l'enfant, et qui voulaient susciter des réactions des politiques publiques,
00:09:01 à la fois mieux protéger les enfants vis-à-vis des images violentes ou sexuelles, ou pornographiques,
00:09:07 mais aussi favoriser l'expression des jeunes, puisque ça fait aussi partie des droits de l'enfant,
00:09:12 et puis le droit aussi à disposer de médias de qualité, et nous étions, alors là aussi, clivage puissant de nos sociétés,
00:09:22 nous étions au début de la déverlante d'émissions de télé-réalité, qui allaient remplacer les fictions jeunesse,
00:09:29 dans toutes les cases auxquelles les jeunes accédaient à la télévision.
00:09:34 En 2002, Canal+ qui, depuis 1984, ça c'est une spécificité française quand même, a toujours diffusé un film pornographique par mois,
00:09:44 mais avec un système de cryptage, bon, assez relativement léger, mais c'était à l'époque une fois par mois, et c'était après minuit,
00:09:51 et puis en 2002, il y a eu une déferlante de chaînes pornographiques spécialisées,
00:09:56 mais l'ECSA à l'époque avait quand même réussi à contenir ces diffusions la nuit, mais c'était quand même très inquiétant,
00:10:03 cela nous semblait très inquiétant, parce que plus il y a d'offres, et plus il y a de diversification,
00:10:08 il ne faut surtout pas penser en termes de demandes, les gens ne demandent pas de torturer des femmes,
00:10:13 les gens sont surpris et peuvent consommer ce que l'industrie leur propose,
00:10:18 et ensuite l'industrie va aller dans la compétition, donc elle cherche à aller de plus en plus loin,
00:10:22 et donc déjà il y a 20 ans, ça allait déjà très loin.
00:10:25 Mais aujourd'hui, on a le smartphone, tous les jeunes en sont équipés,
00:10:29 on a un grand nombre d'accès gratuits à des sites spécialisés, YouPorn, RedTube, etc.
00:10:36 Les images sexuelles pornographiques ne sont pas seulement accessibles sur ces sites-là,
00:10:41 et ce n'est pas toujours par ces sites que les jeunes vont, les adolescents vont les rencontrer,
00:10:46 ça peut être beaucoup sur les sites de téléchargement, mais c'est aussi beaucoup sur les réseaux sociaux numériques,
00:10:53 sur lesquels ils sont très largement présents, Instagram, Snapchat, TikTok, Twitter,
00:11:00 et moi j'ai régulièrement des étudiants qui m'expliquent comment, par exemple,
00:11:06 Méta tient un double discours, à la fois en ayant des conditions générales d'utilisation qui sont extrêmement puritaines,
00:11:14 ce qui fait que longtemps on a pu croire que sur Facebook il n'y avait pas d'images de nudité,
00:11:19 alors que la réalité est tout à fait autre.
00:11:23 Il y a quelques années, Mediapart avait fait une expérience de rétro-ingénierie montrant qu'au contraire,
00:11:28 la nudité sur Instagram favorise la circulation des images,
00:11:34 alors la nudité en soi, évidemment, absolument pas un problème, c'est un droit des femmes aussi de montrer leur corps,
00:11:41 mais les plateformes numériques valorisent à la fois des images de nudité très sexualisées et des discours haineux et sexistes,
00:11:50 pour la simple raison qu'ils sont plus affectants, c'est-à-dire qu'ils vont susciter plus de réactions,
00:11:55 et donc ils vont favoriser le modèle d'affaires de ces entreprises.
00:12:02 Ce qui s'est passé aussi, c'est la dérégulation par le numérique.
00:12:06 Il y a eu un renforcement en 2002 relatif des règles dans l'audiovisuel,
00:12:11 mais par contre, pour le numérique, nous avions jusqu'à très récemment assez peu de règles,
00:12:17 en dehors du code pénal qui interdit et qui sanctionne le fait de laisser des mineurs accéder à la pornographie,
00:12:24 et donc ce qui s'est passé pendant très longtemps, c'est que les juges français notamment considéraient suffisant,
00:12:29 comme mesure suffisante, le fait d'avoir un disclaimer qui renvoyait la responsabilité à l'enfant
00:12:35 qui déclarait avoir 18 ans, donc il n'y avait plus de culpabilité pour les hébergeurs, pour les fournisseurs de ces images.
00:12:44 Et une grande difficulté de la France, quand même, a posé des limites.
00:12:49 Dès 2010, on a quand même des rapports européens, European Kids Online,
00:12:54 qui montrent que l'exposition des adolescents et des enfants français est plus large,
00:13:00 quatre fois plus grande que celle des Allemands aux images pornographiques.
00:13:05 Alors, qu'est-ce qui s'est passé dans la société ?
00:13:09 Je suis désolée, je vais quand même faire un tout petit retour,
00:13:12 parce que je pense que ça peut nous aider à comprendre la situation présente,
00:13:15 qui encore une fois est extrêmement clivée entre les progrès des droits des femmes
00:13:19 et puis l'accès à ces images extrêmement humiliantes et violentes pour les femmes.
00:13:27 Sur le plan socio-historique, il y a un auteur que je trouve intéressant, c'est Norbert Elias,
00:13:31 et notamment pour ce qu'il nous dit de l'informalisation des mœurs.
00:13:35 Ce qui s'est passé, c'est au cours du XXe siècle, c'est une acceptation bien plus grande de la nudité,
00:13:40 mais progressive, de la nudité dans les sociétés européennes en particulier,
00:13:45 de la nudité des hommes et des femmes, avec la diffusion des bains de mer, etc.,
00:13:51 la diffusion des pensées aux années 70, les seins nus sur les plages, etc.
00:13:57 Et qu'est-ce qui se passe quand les femmes se dénudent, dans un régime où on respecte aussi les droits des femmes,
00:14:04 c'est que les hommes apprennent à regarder ailleurs.
00:14:07 Il y a un système d'autocontrainte qui se met en place face à des images pour concilier nudité et respect des droits des femmes.
00:14:18 A partir des années 80, ce à quoi on assiste, au contraire, c'est une reformalisation des mœurs,
00:14:25 avec une remontée des discours autoritaires, qui vont notamment être des discours politiques, autoritaires,
00:14:33 des discours religieux, des discours réactionnaires, des discours masculinistes.
00:14:38 Et donc on a une société française qui aujourd'hui, mais qui est aussi l'état de la société européenne,
00:14:43 qui est complètement clivée, entre d'un côté des revendications et des droits qui sont reconnus aux femmes,
00:14:51 et qui permettent la dénonciation des violences faites aux femmes, notamment avec le courant #MeToo,
00:15:00 et de l'autre côté, nous avons aussi une montée des discours masculinistes, virilistes,
00:15:05 dont je dirais que la candidature d'Éric Zemmour a été un exemple.
00:15:09 Alors, qu'est-ce qui se passe dans ce contexte complexe pour les adolescents ?
00:15:14 Moi, j'ai réalisé plusieurs enquêtes, je m'appuie chaque année, je traite pour l'association d'éducation populaire
00:15:21 Les Sémillas en Normandie, des milliers de données qui sont recueillies par eux,
00:15:26 et qui portent en 2022 sur 6 000 jeunes de 15 à 17 ans, en filière générale technologique ou professionnelle,
00:15:35 et ce que l'on peut mesurer, c'est l'augmentation de la consultation par les adolescents, garçons et filles, de sites pornographiques.
00:15:44 Pour vous donner un chiffre, en 2017, les adolescents et garçons déclarés à 32% consultés régulièrement des sites pornographiques,
00:15:54 on en est aujourd'hui à 39-40%. Donc, en l'espace de 5 ans.
00:16:01 Les filles, forte augmentation aussi de l'augmentation de la consultation de la pornographie,
00:16:07 on était à 3% des filles à 15-16 ans en 2017, on est aujourd'hui à 11%, donc il y a une banalisation, une normalisation de l'accès à ces programmes.
00:16:20 En même temps, les filles continuent à redouter les violences sexistes à un très haut niveau, les agressions verbales,
00:16:26 et dans les agressions qu'elles reçoivent sur les plateformes numériques, il y a notamment l'envoi d'images pornographiques,
00:16:34 de pénis en érection, etc., que les filles reçoivent non pas comme une invitation à la sexualité, mais comme une violence.
00:16:41 Si elles donnent des images d'elles, ou qu'elles acceptent des images de leur sexualité,
00:16:51 elles le donnent en général comme une preuve d'amour et de confiance, mais parfois, les garçons peuvent se permettre de le partager,
00:16:59 et ce qui nous pose problème, c'est que les filles vont être considérées comme coupables, non seulement par les institutions,
00:17:07 c'est beaucoup plus facile toujours de se retourner contre les victimes pour leur dire que c'était leur faute,
00:17:12 mais c'est aussi le cas chez les jeunes, et c'est ça qui est problématique.
00:17:19 Les études qualitatives que j'ai pu mener, dont vous avez parlé tout à l'heure,
00:17:25 montrent une diversité des stratégies des jeunes face aux images sexuelles.
00:17:31 Donc ça c'est important. Selon les médiations parentales, dont on n'a jusqu'à présent pas parlé, mais qui jouent un rôle très important,
00:17:39 les filles sont beaucoup plus assurées par rapport à la pornographie et au fait de pouvoir parler de sexualité
00:17:45 quand leurs mères leur ont transmis un regard, je dirais, féministe, ou un regard qui défend les droits des femmes,
00:17:51 et qui peuvent elles-mêmes parler de questions de sexualité, et donc de la nécessité de poser des limites,
00:17:59 et les pères jouent un rôle important aussi, notamment négativement, par leur propre consultation pornographique
00:18:05 qui banalise le fait qu'on puisse regarder ces programmes.
00:18:09 Les jeunes, donc, moi j'ai travaillé avec des psychologues cliniciennes, notamment Angélique Gauslan,
00:18:16 et nous avons défini quatre stratégies, isolées, quatre stratégies, quatre comportements face aux images sexuelles.
00:18:23 Une stratégie d'adhésion, sur laquelle je vais revenir, une stratégie d'évitement des images sexuelles,
00:18:30 une stratégie d'indifférence, et une forme d'autonomie.
00:18:34 Une forme d'autonomie, c'est quoi ? C'est un peu ce qui justifie justement le fait de vouloir développer de l'éducation à la sexualité,
00:18:41 mais aussi de développer de l'éducation à l'image, et de l'éducation aux émotions suscitées par les images.
00:18:47 C'est la capacité, je la définissais comme ça, c'est la capacité à expliquer sa propre position par rapport aux images,
00:18:54 à décrire sa position, à décrire aussi l'image, et à se positionner d'une manière qui ne soit pas une posture morale.
00:19:02 C'est à dire, c'est pas "c'est bien, c'est pas bien", la pornographie ou l'image sexuelle,
00:19:08 c'est pas "c'est interdit", mais c'est comment moi, en tant que personne, en tant que sujet, je me positionne par rapport à cela,
00:19:14 et je dirais que c'est un positionnement éthique, au sens où il est rapporté à l'individu, et non pas seulement à une norme du groupe.
00:19:22 Et à expliquer, donc capacité à expliquer pourquoi on refuse ou pas de regarder ces images, et ce que l'on fait soi-même.
00:19:31 L'adhésion, c'est une attitude que nous avons rencontrée de façon très majoritaire chez les garçons,
00:19:39 mais aussi bien l'adhésion que l'évitement ne facilite pas de posture éthique, au sens où ils empêchent en réalité l'accès à son propre positionnement
00:19:51 sur la réalité de ce qui se passe, de ce qu'on regarde, de ce qu'on peut en penser,
00:19:56 et même le fait de décrire un petit peu la nature des relations entre les personnages.
00:20:03 Alors, parfois, il y avait chez les jeunes qui étaient du côté de l'adhésion aux images,
00:20:09 c'est-à-dire une incapacité à se distancier de ces images et à en parler, quand bien même ils en regarderaient énormément,
00:20:16 ça pouvait aussi, ils étaient parfois submergés par leurs propres sensations corporelles, rien qu'à repenser à ces images,
00:20:23 et probablement aussi la gêne liée à l'enquête.
00:20:27 Et je reviendrai sur cette submersion.
00:20:33 Pardon, Sophie, on est presque au bout du fameux quart d'heure.
00:20:37 D'accord. Dans l'adhésion, il y a différentes formes d'adhésion.
00:20:46 Il y a différentes façons de regarder et différentes façons aussi d'adhérer,
00:20:50 c'est-à-dire d'être collé à l'image, de ne pas pouvoir en parler.
00:20:54 Il y a une adhésion que j'ai appelée adhésion croyance, c'est-à-dire on regarde, on croit que c'est vrai.
00:20:59 Et donc j'ai des témoignages de jeunes qui disent, dans ma tête, c'était, il faut que je fasse comme dans le film,
00:21:04 j'avais peur de faire n'importe quoi la première fois.
00:21:07 Donc cette dimension de tuto ou de coaching, pseudo-coaching, elle existe.
00:21:12 Il y a aussi une adhésion dissociation, c'est-à-dire c'est un monde différent.
00:21:17 Ce que je vois, ce n'est pas ce que je fais, bien sûr.
00:21:20 Et ça, le discours sur "oui mais c'est des acteurs", ça permet ça, c'est vrai que ça facilite la diffusion et l'acceptation de la pornographie,
00:21:27 mais c'est aussi quelque chose qui, psychologiquement, permet aux jeunes de dire "non, je sais bien que ce n'est pas vrai".
00:21:33 Il y a aussi une adhésion sidération, Angélique Gosselin avait appelé ça le punctum shock,
00:21:39 c'est-à-dire le fait que certaines images vont bloquer la pensée et empêcher la réflexion sur la nature de ce qui est regardé.
00:21:48 Et puis il y a aussi une adhésion jouissance, qui parfois, elle-même, est clivée,
00:21:53 c'est-à-dire il y a des jeunes qui vont regarder beaucoup de pornographie, mais tout en conservant,
00:21:57 alors ça peut paraître un peu mystérieux, mais en conservant une image de pureté des femmes avec lesquelles eux-mêmes vivent.
00:22:04 Et c'est quand même relativement fréquent aussi, ce clivage.
00:22:08 Toutes ces postures-là, je les indique juste pour montrer qu'il y a des nuances,
00:22:14 ça ne veut pas dire qu'il y a une adhésion à la reproduction des schémas de torture décrits ce matin,
00:22:20 mais c'est pour dire aussi que toutes ces postures-là sont incapables d'articuler et d'analyser ce qui se passe,
00:22:30 et du coup la question de l'éducation, de la réflexion, elle me semble extrêmement importante.
00:22:36 La banalisation de la consommation de pornographie chez les garçons, elle est perçue comme normale pour les filles,
00:22:43 enfin les filles considèrent dans leur grande généralité que, oui, chez les garçons, c'est devenu normal dans notre génération.
00:22:49 Et ces filles-là sont souvent des filles qui vont s'interdire elles-mêmes de regarder cela,
00:22:54 ou bien vouloir l'éviter de façon autonome, c'est-à-dire "j'ai pas envie parce que c'est des dominations de femmes et j'ai pas envie de voir ça",
00:23:01 ou bien c'est "j'évite parce que si je regarde, je vais être moi-même considérée comme une prostituée", etc.
00:23:08 Donc cette omniprésence de la pornographie et de son accessibilité crée une très grande contrainte sur les filles,
00:23:18 soit qu'elles soient obligées dans leurs relations intimes de participer à des activités sexuelles comme dans le porno,
00:23:25 soit qu'elles soient obligées, c'est surtout cela que j'ai rencontré, de manifester une distance très grande par rapport à tout ce qui pouvait se rattacher à de la sexualité.
00:23:35 Et donc il faut éviter d'être en contact, parce que si on est en contact, on va être insulté, on va être harcelé.
00:23:42 Donc il y a un effet très grand qui peut aller dans des milieux plus intégristes vers un interdit absolu de toute référence à la sexualité
00:23:56 qui peut très bien s'accompagner du fait d'être en proximité de garçons qui eux sont en permanence dans ces images pornographiques.
00:24:03 Donc c'est dangereux pour les filles à ce moment-là de parler de sexualité, y compris évidemment à force du rite de pornographie,
00:24:10 pour leur propre sécurité ou leur propre sentiment de sécurité.
00:24:15 Mais ça ne crée pas non plus la moindre intelligence, je dirais, de ce qui se joue dans ces images ou dans ces reproductions.
00:24:22 Cet évitement rigoriste, elle est souvent de paire avec une adhésion aux images violentes.
00:24:28 Et c'est là où ça nourrit aussi les violences faites aux femmes, qui sont, voilà, une réinterprétation des images violentes
00:24:36 comme étant des formes de punition des femmes qui seraient infidèles, etc.
00:24:43 Donc j'arrête alors juste pour dire, ok, je conclue là-dessus.
00:24:49 Donc il y a deux manières dont la banalisation de l'accès à la pornographie favorise la violence faite aux femmes.
00:24:54 D'une part par la représentation dégradée et violente de la sexualité comme étant, soit disant, normale,
00:25:01 et donc associant jouissance et domination violente des femmes, et d'autre part, par le désir d'échapper à la malédiction de cette domination
00:25:10 et de la perte de réputation, par l'adhésion à la violence contre les femmes.
00:25:16 Pour moi ce sont deux voies de diffusion des violences faites aux femmes,
00:25:24 qui sont imputables à ces représentations pornographiques et surtout à l'accès des très jeunes à ces images.
00:25:32 Merci beaucoup Sophie.
00:25:35 [Applaudissements]
00:25:42 On va prendre une question dans la salle, parce que peut-être quand même ça peut... ou pas.
00:25:57 Est-ce qu'il y a une question dans la salle pour Sophie Géel ?
00:26:05 Bonjour. Un monsieur posait tout à l'heure la question de l'éducation,
00:26:12 mais le fait que l'homme avec un petit hache se masturbe et jouit en regardant une femme souffrir,
00:26:21 est-ce que ça relève pas de la psychiatrie ?
00:26:26 [Applaudissements]
00:26:33 Sophie, on vous écoute.
00:26:35 Je pense que c'est difficile d'aborder dans un cadre scolaire très directement,
00:26:41 en dehors des sessions qui sont prévues, d'éducation à la sexualité notamment,
00:26:45 avec les infirmières scolaires qui sont au courant de beaucoup de choses.
00:26:50 Et donc on en aimerait encore plus dans les établissements scolaires,
00:26:55 il y a une vraie demande et un énorme besoin d'infirmières scolaires.
00:27:00 Je pense que c'est difficile d'aborder directement cette question-là,
00:27:05 surtout celle de la masturbation, mais par contre, la question du rapport à l'image
00:27:09 et de l'interprétation des images, des rapports de pouvoir à travers les images,
00:27:14 je pense que ça peut s'aborder dans des objets qui sont un peu moins excitants,
00:27:20 un tout petit peu moins excitants, notamment dans un certain nombre d'émissions de télé-réalité.
00:27:26 Merci. On va enchaîner sinon Hélène, ça va être terrible pour toi.
00:27:32 Non, Maria, pardon. Maria Hernandez Mora.
00:27:38 Ça y est, je vous tutoie. C'est à vous qui revient de clore ce cycle de conférences,
00:27:43 dans une intervention que vous avez baptisée "Consommer la femme pornographique,
00:27:47 quels impacts sur la santé sexuelle et relationnelle".
00:27:52 Je crois que vous avez droit à votre quart d'heure.
00:27:56 Il le faut.
00:27:58 Voilà, quitte à sacrifier un peu les questions dans la salle, désolée.
00:28:02 Merci beaucoup. Merci beaucoup aux organisatrices de ce colloque.
00:28:06 Merci beaucoup pour votre invitation, parce qu'en effet, on a beaucoup parlé d'industrie.
00:28:10 Je trouvais que cette table ronde était quand même importante,
00:28:13 parce qu'il faut aussi se mettre à la place de tous ceux et de toutes celles
00:28:17 qui consomment, adolescents et adultes.
00:28:19 Mon but aujourd'hui, c'est de vous parler en me basant sur mon expérience clinique,
00:28:25 mon expérience aussi dans les établissements où j'ai pu rencontrer des milliers de jeunes,
00:28:30 et notamment et surtout sur les constats des études scientifiques
00:28:35 qui, depuis 20 ans, se déploient partout dans le monde et qui font des constats,
00:28:40 à nouveau, je suis d'accord, un peu traumatisants, un peu dramatiques,
00:28:44 mais heureusement, on est là justement pour réfléchir aussi à des réponses,
00:28:48 peut-être à des actions qui peuvent pallier tout ça.
00:28:51 Donc, mon plan, je vais vous parler, mon propos va se diviser en trois sections.
00:28:57 Alors, on a déjà beaucoup parlé quand même de ce que la pornographie propose.
00:29:01 Je vais juste, pour ceux qui sont dans la salle, qui connaissent un petit peu moins,
00:29:04 comment cette pornographie mainstream, c'est-à-dire cette pornographie dominante,
00:29:08 hégémonique, c'est la plupart de la pornographie qui existe en ligne,
00:29:12 est décrite par les études pour que vous puissiez comprendre ensuite
00:29:16 qu'est-ce qu'on apprend, qu'est-ce que le jeune ou qu'est-ce que l'adulte,
00:29:19 parce qu'il ne faut surtout pas oublier les adultes aussi,
00:29:22 absorbe, parce qu'en fait, vous comprendrez après comment le cerveau
00:29:26 est en situation d'apprentissage et d'absorption de beaucoup de choses
00:29:31 lors de la consommation de pornographie.
00:29:34 Et ensuite, quelles sont les conséquences, notamment en termes,
00:29:38 moi je ne veux pas tant parler de violences en termes sociologiques,
00:29:42 parce que ça a été très dit et c'est tout à fait vrai,
00:29:44 mais aussi en termes de santé et de relation à l'autre.
00:29:48 Donc, depuis l'apparition de la pornographie audiovisuelle,
00:29:52 les études se sont succédées, comme je disais, afin d'explorer ces contenus
00:29:56 et il convient qu'il y a quelques caractéristiques très spécifiques
00:30:00 de la pornographie en ligne.
00:30:03 La première, comme disait ma collègue, c'est qu'il n'y a pas de narration,
00:30:07 il n'y a pas de récit, il n'y a pas de désir raconté,
00:30:11 il n'y a pas de relation à l'autre.
00:30:13 Et cette narration absente donne une place absolue à l'image,
00:30:17 qui, comme on a déjà dit, est aussi très particulière.
00:30:19 Quelle est cette image ?
00:30:21 C'est une vision morcelée du corps, où il n'y a pas de visage,
00:30:26 il n'y a pas de personnalité, il n'y a pas d'individualité.
00:30:29 Donc la pornographie dépersonnalise le sujet, qui est réduit à sa fonction sexuelle.
00:30:35 De plus, il y a une annulation de la femme en tant que personne, en tant que sujet,
00:30:44 car la pornographie mainstream est pensée par l'homme, pour l'homme,
00:30:49 et pour que l'homme atteigne le plaisir.
00:30:51 Et donc, dans ce sens, dans la pornographie, la femme, on le sait très bien,
00:30:55 est proposée comme un objet, et non pas comme un sujet,
00:30:58 et en plus son corps est exploité, mais aussi le corps proposé,
00:31:03 la femme pornographique a un corps qui est très souvent très loin des standards de la femme,
00:31:10 comme on est ici, nous toutes, très variés.
00:31:13 Et évidemment, on a beaucoup parlé aujourd'hui, donc je ne vais pas trop m'étendre,
00:31:19 mais évidemment, une dernière caractéristique fondamentale de la pornographie mainstream,
00:31:23 c'est la place de la violence.
00:31:25 Il y a une étude très intéressante qui vient d'être publiée
00:31:30 dans une des plus importantes revues, aujourd'hui, internationales, sur la sexualité,
00:31:36 qui est une analyse de contenu, il y en avait déjà une qui avait été faite dans les années 95,
00:31:40 et celle-là, qui est très récente, montre quand même qu'il y a presque 50% des vidéos
00:31:46 qui proposent une violence physique, il y a d'autres études qui parlent de beaucoup plus.
00:31:49 Cette étude s'est penchée sur plus de 4000 scènes des principes aux titres pornographiques,
00:31:54 comme par exemple le pornobe, choisi de manière aléatoire,
00:31:58 ils ne sont pas allés chercher spécifiquement ceux qui condamnent la violence.
00:32:01 Ils ont vu que 50% contenaient de la violence physique, la plupart de la violence verbale,
00:32:07 et ce qui est très important, c'est que 87% de ces scènes, la cible était la femme,
00:32:13 et ce qui est dramatique, ce n'est pas seulement qu'il y a de la violence,
00:32:16 c'est que la femme, elle aime, elle réagit avec une posture positive,
00:32:23 elle aime, elle en demande davantage, elle jouit.
00:32:28 Et c'est cette association qui est absolument dramatique entre violence et plaisir,
00:32:33 qui va être absorbée par le consommateur sans même s'en rendre compte,
00:32:38 parce qu'on parle beaucoup des femmes, les hommes peuvent aussi en certaines mesures
00:32:42 être victimes de cette pornographie consommée, parce que sans même se rendre compte,
00:32:46 ils sont en train, notamment les adolescents, d'absorber des schémas,
00:32:50 on va parler plus tard, pornographiques, qui peuvent avoir des attentes sur leur sexualité.
00:32:57 Donc de nombreux sociologues, notamment une équipe de sociologues espagnoles,
00:33:01 qui fait un travail extraordinaire sur la pornographie et l'impact de la pornographie
00:33:06 sur la santé et les relations humaines, vont parler de la pornographie
00:33:10 comme une exhibition d'une activité délictueuse, c'est-à-dire que, en général,
00:33:14 ce qui est publié en ligne devrait être aux normes aussi de ce qui est possible
00:33:21 ou pas de faire off-ligne, hors de ligne.
00:33:25 Et malheureusement, ce qu'on retrouve en pornographie, c'est beaucoup de choses
00:33:28 qui sont absolument condamnables par la loi, comme vous le savez.
00:33:30 Et donc il y a vraiment cette propagande de la culture du viol.
00:33:33 Vous savez, dans la plateforme Pornhub, en 2019, la vidéo la plus regardée,
00:33:38 c'était un viol en groupe.
00:33:41 Pourquoi ? Vous allez comprendre peut-être plus tard aussi quand je vais vous parler du cerveau.
00:33:46 Mais ce qui est certain, c'est lorsqu'il y a une jouissance, il y avait une question dans ce sens,
00:33:50 de la personne qui consomme de la pornographie.
00:33:53 Et là, cette association entre cette activité et cette activation corporelle,
00:33:58 ce plaisir corporel, et le produit qu'il consomme,
00:34:08 qui va s'imprégner très très bien dans son cerveau.
00:34:11 Et donc, il y a par l'intervention de plusieurs parties du cerveau,
00:34:15 une déconnexion morale et une déconnexion empathique.
00:34:18 C'est-à-dire, sans même se rendre compte, il est en train de jouir avec de contenus délictueux,
00:34:22 qu'il n'est même pas en train de juger comme délictueux au moment de la consommation.
00:34:26 Donc, comme disait Gilles Deines, qui a été déjà très cité dans la pornographie,
00:34:30 là où la femme devrait dire non, la pornographie dit oui.
00:34:34 Donc, qu'est-ce que l'on apprend ?
00:34:36 Déjà, il faut savoir que la pornographie est un produit culturel.
00:34:38 On en a beaucoup parlé, Gilles Deines, c'est un sociologue britannique,
00:34:41 parle de cerveau pornifié, c'est-à-dire que la pornographie influence, éduque,
00:34:47 si on peut utiliser ce terme, façonne la manière dont la société regarde le corps de la femme,
00:34:53 la femme, et donc entre en relation entre les hommes et les femmes.
00:34:58 Mais déjà, comment se fait ce processus d'absorption ?
00:35:03 Les études de neurosciences et de neurobiologie du cerveau montrent
00:35:07 que la consommation de pornographie a des corrélats neurobiologiques.
00:35:10 C'est-à-dire que, de un, les structures liées à l'apprentissage sont à l'œuvre
00:35:16 lors de la consommation de pornographie, et de deux, il y a une altération des fonctions cérébrales
00:35:20 lors de la consommation répétée, ce qui peut impacter le vécu de la sexualité des hommes et des femmes.
00:35:27 Donc, comment ? Par plein d'étapes.
00:35:29 Déjà, il y a une intervention des neurones miroirs.
00:35:31 Vous savez, ces neurones miroirs sont ces neurones qui nous servent pour apprendre,
00:35:35 depuis qu'on est tout bébé, on apprend par imitation, et grâce à ces neurones miroirs,
00:35:39 on développe la capacité de l'empathie.
00:35:42 Il y a eu une étude très très importante d'analyse magnétique fonctionnelle dans le cerveau
00:35:48 qui a montré que les neurones miroirs sont en activité lorsqu'il y a de la consommation de pornographie,
00:35:54 et vont altérer la capacité empathique de la personne ensuite,
00:35:59 ce qui va évidemment avoir une influence dans la reproduction aussi,
00:36:02 non seulement par l'imitation du contenu, mais aussi par la déconnexion empathique et affective
00:36:08 de la personne avec son partenaire lors de la sexualité agie.
00:36:12 Il y a en plus toute cette intervention de la dopamine, que vous connaissez peut-être,
00:36:15 donc cette substance du plaisir, mais qui peut, qui est d'ailleurs,
00:36:19 libérée à des doses immenses par le cerveau lorsque la personne consomme de la pornographie,
00:36:24 parce que la pornographie, c'est ce qu'on appelle un suprastimulus,
00:36:28 c'est-à-dire c'est un stimulus qui dépasse les standards de la sexualité réelle,
00:36:34 c'est-à-dire de la sexualité naturelle.
00:36:36 Donc la libération de dopamine par le cerveau va être beaucoup plus puissante,
00:36:40 beaucoup plus intense que face à la sexualité réelle,
00:36:43 et notamment quand il y a du contenu agressif,
00:36:45 parce que l'agressivité facilite la libération d'hormones du stress, de dopamine, etc.,
00:36:50 et donc facilite ensuite une consommation compulsive et déréglée.
00:36:55 Et puis la question aussi de la mémoire, qui est à l'œuvre de cet apprentissage optimum,
00:37:01 parce que quand la personne consomme, l'ado ou l'adulte, il y a une attention focalisée,
00:37:06 il y a une activation du corps, il y a toutes les structures qui sont en train de travailler,
00:37:10 et donc il est en situation d'apprentissage optimum,
00:37:13 c'est-à-dire dans une situation où le cerveau absorbe énormément d'informations,
00:37:18 et les fiches dans la mémoire, c'est pour ça que j'avais un jeune qui me disait
00:37:22 "Madame, j'ai un stock d'images sales dans ma tête que je n'arrive pas à enlever",
00:37:25 et les adultes d'aujourd'hui que j'accompagne me le disent aussi,
00:37:28 qu'ils ont vraiment des images qui reviennent, qui reviennent, qu'ils n'arrivent pas à enlever,
00:37:32 qui se sont figées de manière mnésique dans leur cerveau.
00:37:35 Donc quels sont les schémas, je ne vais pas parler longtemps parce que vous les connaissez,
00:37:39 mais quand même ces conséquences, ces idées reçues de la sexualité sont très très importantes,
00:37:45 notamment le fait que la femme est un objet,
00:37:49 voilà, ses rôles, ses stéréotypes, cette vision du corps qui est évidemment altérée,
00:37:54 et puis la question de l'érotisation de la violence incommune, je parlais,
00:37:58 ce sentiment d'impunité de la personne ou de l'adolescent qui consomme,
00:38:02 qui ne ressent absolument pas cette impression qu'il est hors-la-loi,
00:38:06 ou qu'il est en train de prendre du plaisir avec quelque chose qui est absolument puni par la loi et inhumain,
00:38:10 et puis cette disparition de la notion de consentement qui va donner des conséquences.
00:38:15 C'est très important parce qu'il y a aussi cette intériorisation des mythes du viol proposés par la pornographie.
00:38:20 Vous savez, les mythes de viol, c'est ces idées reçues,
00:38:25 comme quoi, en tout cas qui enlèvent de la responsabilité à l'agresseur,
00:38:30 et qui font la partager avec la victime.
00:38:33 Ça peut être "elle l'a voulue", "elle l'attendait parce qu'elle était trop sexy",
00:38:38 "elle a dit non mais en fait elle pensait que oui",
00:38:41 c'est sexuellement excitant pour la femme même s'il ne le dit pas ou elle ne le demande pas.
00:38:45 Pour arriver un peu à la partie des conséquences, qu'est-ce que cela peut donner ?
00:38:51 Ça a été dit récemment, c'est la question de la meute.
00:38:54 En effet, moi je viens d'Espagne, je suis espagnole, et j'ai bien suivi cette affaire de la manada.
00:39:00 Mais en fait, ce qui est intéressant, c'est que ces meutes, c'est-à-dire ce viol en groupe,
00:39:05 ne font que flamber depuis l'apparition de la pornographie mainstream.
00:39:09 C'est une étude qui a recensé que depuis 2016, je ne vois pas très bien d'ici.
00:39:14 Mais vous voyez qu'il y a eu une baisse en 2020, parce qu'il y a eu le confinement, tout simplement.
00:39:19 Et aujourd'hui, on est à 130 viols en groupe recensés, en tout cas en Espagne.
00:39:24 Et à cela s'ajoutent énormément d'études qui montrent, par des chiffres,
00:39:29 que les garçons et les filles développent des activités sexuelles à risque et violentes,
00:39:36 suite à leur consommation de pornographie.
00:39:39 Aussi, il y a eu des études méthodologiquement très robustes,
00:39:42 avec des échantillons représentatifs de beaucoup de pays.
00:39:45 Je pourrais parler davantage, mais je n'ai pas trop le temps.
00:39:48 Par exemple, cette méta-analyse, qui a été publiée en 2016,
00:39:52 il y a une autre qui va être publiée là en 2022, par une équipe avec qui j'ai travaillé, de chercheurs.
00:39:58 Qui étudie, en tout cas qui font un résumé de toutes les études méthodologiquement, statistiquement fiables,
00:40:06 pour voir s'il y a vraiment un lien entre pornographie et violence.
00:40:10 Il y a eu plein d'autres études depuis 2016 qui se sont succédées, vous voyez ici quelques-uns.
00:40:15 Et donc, quelles sont les conclusions de ces études ?
00:40:18 C'est que, à plus de consommation, plus de vision de la femme objet.
00:40:22 A plus de consommation, plus d'intériorisation des mythes de viol.
00:40:25 Plus de probabilité d'agression sexuelle ou de coercition sexuelle, lorsque la consommation est récurrente.
00:40:31 Et puis, chez la femme, et c'est ça qui est très intéressant, la femme qui consomme aussi,
00:40:36 notamment la femme adolescente, plus d'intériorisation, plus de consommation, plus de tendance à la victimisation.
00:40:44 Parce qu'elle banalise la violence, parce qu'il y a cette érotisation des violences,
00:40:48 parce qu'elle accepte que ce qui est proposé dans la sexualité pornographique est la réalité de la sexualité.
00:40:52 Et donc, elle-même va avoir du mal à avoir cette notion de consentement,
00:40:56 à mettre les filtres et les demandes adéquates, ou en tout cas les limites, ou le cadre à la sexualité qu'elle va vivre.
00:41:03 Et donc, elle va être en situation de victimisation et peut subir la violence.
00:41:10 Une étude espagnole qui vient d'être publiée là en 2022 montre quatre fois plus de probabilité chez la femme qui consomme de devenir victime d'agression sexuelle.
00:41:18 Donc, ces associations semblent être directes entre consommation et violence,
00:41:23 mais il y a des études qui montrent quand même qu'il y a évidemment des variables médiatrices,
00:41:27 c'est-à-dire qu'entre le fait de consommer et de mener de la violence sexuelle,
00:41:32 il y a quand même des facteurs comme des facteurs de personnalité, de l'impulsivité, des traits psychopathiques,
00:41:39 des antécédents d'abus et de maltraitance, des carences affectives, etc.
00:41:42 Le contexte juridique aussi peut-être ?
00:41:48 Oui, c'est ça le contexte juridique aussi.
00:41:52 Mais en tout cas, ce qui est certain, ce que les études montrent, c'est que le fait de voir la femme comme un objet qui est appris de manière vraiment implicite par la consommation de pornographie
00:42:01 est un des facteurs médiateurs fondamentaux entre consommation et violence.
00:42:07 Donc, quelles sont les conséquences qu'on observe ?
00:42:09 Il y a de nombreuses, déjà vis-à-vis de la relation à l'autre, les attitudes favorables au viol sont des prédicteurs de l'agression sexuelle, comme je disais.
00:42:21 Et on retrouve une montée des attitudes violentes parmi les adolescents, comme je vous ai montré avec les manadas,
00:42:27 mais il y a des juges de Danemark, de l'Espagne, qui disent que c'est assez frappant comment depuis l'apparition de la pornographie en ligne,
00:42:33 les plaintes pour de la violence entre adolescents, il y a aussi les directrices d'établissements, les infirmières scolaires, enfin, les éducateurs qui font quand même ces constats-là.
00:42:42 Donc, on peut parler de cette influence-là.
00:42:45 Mais aussi parmi les couples, ou en tout cas dans les relations symétriques, on va dire, entre hommes et femmes, ou entre couples homosexuels, mais surtout entre hommes et femmes.
00:42:55 Donc, la rupture entre l'affectivité et la sexualité entraîne la disparition de la notion de consentement, des altérations de l'intimité, des difficultés à communiquer entre partenaires,
00:43:07 de l'insatisfaction sexuelle, notamment chez la femme, mais aussi chez les hommes, qui disent très bien à quel point c'est beaucoup plus facile et efficace d'aller consommer de la pornographie pour s'exciter
00:43:17 que de retrouver leur femme, parce qu'en fait, elle ne fait plus du tout réagir au cerveau de la même manière que ce qui est proposé par la pornographie.
00:43:26 Ça, c'est des choses que j'ai souvent entendues.
00:43:28 Les hommes peuvent voir comme acceptable de forcer la partenaire, et les femmes peuvent avoir tendance à la victimisation, comme je le disais, parce qu'elles normalisent la violence.
00:43:39 De plus, le fait de consommer, la femme pornographique, le fait de consommer ce type de femme, habitue le cerveau, comme je vous le disais, au standard visuel pornographique,
00:43:49 qui provoque d'intenses libérations de dopamine.
00:43:51 Et donc, c'est important parce que toutes les questions de dysfonction sexuelle sont extrêmement importantes, parce qu'elles peuvent être liées.
00:44:00 Les sexologues, d'ailleurs, en parlent.
00:44:02 Moi, je le vois beaucoup chez mes patients. Après, c'est vrai que mes patients sont pour la plupart des personnes qui viennent parce qu'ils ont une compulsivité, une addiction sexuelle,
00:44:09 ou une addiction à la pornographie uniquement.
00:44:11 Donc, c'est vrai que c'est un peu différent de ce qu'on peut retrouver dans la population en général quand même.
00:44:16 Mais quand même, quand je vais voir des adolescents dans les écoles, ils me disent souvent que c'est beaucoup plus simple d'avoir une érection avec de la pornographie qu'avec une vraie femme.
00:44:24 Et qu'en plus, avec une vraie femme, ça prend beaucoup, beaucoup de temps.
00:44:27 Alors qu'avec la pornographie, c'est beaucoup, c'est très rapide.
00:44:30 Et puis l'érection est beaucoup plus puissante et l'orgasme peut l'être aussi.
00:44:34 Il ne faut pas généraliser, mais c'est quelque chose qui est quand même très présent.
00:44:37 Donc, au niveau des conséquences observées dans le rapport à soi, au-delà de la victimisation, il y a vraiment cette...
00:44:44 Ça a été mentionné ce matin, mais la disparition de l'imaginaire sexuel autonome est dramatique.
00:44:49 Parce que si on sait qu'une grande partie des images sexuelles sont violentes, ou sont avec cette idée que la femme est un objet et qu'elle aime tout à tout moment,
00:44:57 c'est les images que les personnes gardent dans leur mémoire et auxquelles elles font appel, ce qui est très courant lors des rapports sexuels.
00:45:03 J'ai beaucoup de personnes qui me disent, et d'ados, qui me disent "quand je suis en train d'avoir un rapport sexuel, j'amène à mon imaginaire les images sexuelles pornographiques,
00:45:11 comme ça j'arrive à m'exciter, sinon je n'arrive pas".
00:45:14 C'est normal, le cerveau, par le phénomène de tolérance, lorsqu'il y a une consommation fréquente,
00:45:18 est habitué à de tels niveaux de dopamine qu'il n'y a pas d'activation corporelle lorsqu'il est face à une femme qui ne répond pas du tout
00:45:26 à ce dont le cerveau a été habitué pour s'exciter.
00:45:29 Donc il y a vraiment cet envahissement de l'imagerie pornographique et de la femme pornographique dans le cerveau des personnes,
00:45:38 qui a des conséquences évidemment aussi au niveau de la distorsion corporelle.
00:45:43 Vous savez bien que les chirurgiens plastiques, je suis en contact avec quelques-uns qui me disent pareil,
00:45:52 ils me disent depuis l'apparition, il y en a qui ont 60-70 ans, et qui me disent "depuis l'apparition de la pornographie en ligne,
00:45:58 je n'ai jamais eu autant de demandes de chirurgie pour changer les lèvres vaginales, autant de chirurgie pour changer les seins,
00:46:04 autant de chirurgie ou de demandes d'hommes pour changer la taille ou pour leur aider à avoir un pénis plus costaud, plus important".
00:46:11 Donc toutes ces distorsions corporelles qui sont liées à cette imagerie proposée et absorbée,
00:46:17 peuvent avoir des conséquences évidemment sur l'estime de soi et sur aussi le rapport à l'autre,
00:46:22 l'exigence que la personne a de l'autre, il faut que tu maigrisses, il faut que tu changes, il faut que tu reboostes tes fesses,
00:46:27 combien de femmes vont au gym pour avoir des fesses bien comme il faut.
00:46:32 Et donc, ce qui est très bien en soi, mais ce que je veux dire c'est que c'est important,
00:46:37 cette perte de liberté et ce rapport à soi qui est absolument altéré, qui est biaisé, qui est abîmé, qui est blessé à cause de la pornographie.
00:46:46 Je vous ai parlé des dysfonctions sexuelles, des altérations érectiles,
00:46:51 toutes ces dysfonctions érectiles qui sont courantes aujourd'hui dès l'adolescence.
00:46:56 Je parlais avec un sexologue récemment qui me disait "mais l'adolescence n'a jamais été un âge où on retrouve autant de dysfonctions érectiles,
00:47:06 ça vient avec d'autres facteurs d'influence, c'est impressionnant que les adolescents de 16 ans n'aient plus d'érection face à une vraie femme".
00:47:14 Donc ça c'est dramatique, et en parlant aussi des filles justement, en suivant vos propos sur l'évitement, la fascination, l'adhésion,
00:47:24 et puis surtout les filles qui sont souvent dans l'évitement aussi, c'est très intéressant parce qu'on retrouve des taux de vaginisme qui montent.
00:47:30 Vous savez le vaginisme c'est ce périnée qui se contracte lorsque la femme a peur,
00:47:34 souvent c'est lié à des antécédents d'abus ou à des antécédents de souffrance sexuelle.
00:47:39 Et bien aujourd'hui on retrouve énormément de femmes que lorsqu'elles sont en situation de vie sexuelle, d'activité sexuelle, agit avec leur partenaire,
00:47:47 ont leur corps qui se ferme parce qu'elles ont peur, c'est pas du tout forcément obligatoire que leur partenaire mène des reproductions pornographiques,
00:47:57 mais elles ont peur que ce qu'elles vont retrouver c'est ça.
00:48:01 Donc voilà, il y a vraiment toutes ces altérations dans le rapport à soi,
00:48:05 et puis finalement la question de la compulsivité ou de l'addiction, j'en parle très vite, je pourrais en parler des heures,
00:48:10 parce que c'est un peu mon terrain d'exploration fondamental,
00:48:14 mais je peux dire que la pornographie est dictogène,
00:48:18 que même s'il y a d'autres facteurs de vulnérabilité qui se mènent, individuels, contextuels, enfin familiaux, etc.,
00:48:23 qui favorisent le développement de la compulsivité, la pornographie est pensée pour accrocher le cerveau.
00:48:30 Et puis elle sollicite le système cérébral le plus puissant qu'on a, c'est le système de récompense,
00:48:36 qui est le système de la sexualité et de la reproduction.
00:48:39 Donc on a quand même des adolescents qui commencent très tôt avec les smartphones à consommer de manière plus ou moins fréquente,
00:48:46 mais qui peuvent devenir de plus en plus importants, et donc à des étapes de vie en plus chez les ados,
00:48:51 mais aussi ça arrive chez les adultes, mais chez les ados où la puberté est un âge où la difficulté de régulation
00:48:59 et la définition en tout cas va avec la puberté, l'impulsivité, la recherche de sensations,
00:49:04 la difficulté à gérer les pulsions sexuelles parce que trop fortes,
00:49:07 et parce qu'ils découvrent cet univers sexuel dont ils commencent à être plongés,
00:49:11 enfin il y a beaucoup de variables propres à l'adolescence qui facilitent l'addiction.
00:49:15 Et puis à l'âge adulte, on ne peut pas dire qu'une consommation fréquente n'a pas le risque de compulsivité,
00:49:22 de perte de contrôle, ou en tout cas de fonctionnement ou de développement addictif,
00:49:28 parce qu'il y a vraiment ces deux facteurs qui se mêlent,
00:49:31 les facteurs instrumentaux à risque propres de la pornographie,
00:49:34 et les facteurs personnels et cérébraux qui sont en jeu lors de la consommation.
00:49:40 Je termine avec une note très positive, donc 30 secondes,
00:49:44 mais ça me paraissait très très important de parler de cette définition de santé sexuelle de l'Organisation Mondiale de la Santé.
00:49:51 Je remercie à nouveau pour cette organisation du Colloque,
00:49:54 parce que finalement notre but c'est de favoriser l'égalité, évidemment, les droits de la femme,
00:50:00 mais la santé de tous, aussi la santé des hommes,
00:50:04 dans cette question de la consommation de pornographie, la santé sexuelle des hommes est aussi en jeu,
00:50:09 et a évidemment un impact dans la manière dont les hommes peuvent traiter les femmes.
00:50:13 Donc voilà, cette santé sexuelle qui est un état de bien-être intégratif, pas seulement corporel,
00:50:20 c'est pas juste l'absence de dysfonction sexuelle, c'est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social,
00:50:26 en matière de sexualité, qui exige une approche positive et respectueuse de la sexualité,
00:50:32 avec des expériences sécuritaires, sans coercition, ni discrimination, ni violence,
00:50:37 vous voyez bien qu'on est très loin de la proposition pornographique,
00:50:40 et puis évidemment où les droits humains et les droits sexuels de toutes les personnes sont respectés,
00:50:45 hommes et femmes, et notamment aujourd'hui, on est là pour protéger les femmes, les adolescentes,
00:50:49 donc voilà, merci beaucoup pour votre attention.
00:50:52 (Applaudissements)
00:51:10 Merci à toutes les trois pour la qualité de nos échanges ce matin,
00:51:17 nous n'avons pas le temps de prendre des questions suite à votre intervention, je m'en excuse,
00:51:24 mais on en aura très certainement par la suite.
00:51:27 C'est maintenant l'heure d'accueillir Laurence Rossignol,
00:51:31 elle est sénatrice de l'Oise, vice-présidente du Sénat, présidente de l'Assemblée des femmes,
00:51:38 (Applaudissements)
00:51:42 engagée de longue date en politique dans la défense de l'égalité des droits de toutes et de tous.
00:51:47 En 2016, elle a été ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes,
00:51:52 elle a pu participer à l'adoption des lois d'abolition du système prostitutionnel et de lutte
00:51:59 contre le délit d'entrave à l'IVG,
00:52:01 elle est aussi à l'initiative du premier plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants,
00:52:09 et aujourd'hui elle est avec nous, elle a été co-rapporteuse en 2022 du rapport sénatorial
00:52:16 autour de l'industrie pornographique intitulé "Porno, l'enfer du décor".
00:52:22 Laurence, je vous laisse la parole.
00:52:24 Merci, bonjour, d'abord merci aux organisatrices et à la communauté urbaine de Strasbourg, la métropole,
00:52:35 c'est ça, c'est la métropole et la ville de Strasbourg d'avoir organisé cette manifestation qui est rituelle,
00:52:43 puisque ça doit être au moins la troisième fois je crois que je viens à Strasbourg à l'occasion du 25 novembre
00:52:50 et du grand rassemblement que vous préparez à chaque fois.
00:52:54 Merci aux associations, parce que je sais que c'est comme ça que vous procédez,
00:52:57 qui ont choisi le thème de la pornographie cette année,
00:53:00 et puis je voudrais dire que j'ai beaucoup de plaisir à retrouver ici à la fois des visages connus,
00:53:05 des amis, des militantes, et puis l'ensemble des intervenantes que vous avez eues ce matin,
00:53:11 que nous avons toutes auditionnées dans la préparation du rapport du Sénat,
00:53:16 puisque c'est ce que je disais, je leur disais il y a un instant à Sophie et à Maria,
00:53:20 c'est qu'en fait ce rapport c'est un peu la compilation de tous leurs travaux.
00:53:25 Alors peut-être la première question c'est à propos de ce rapport du Sénat,
00:53:28 comme déjà ce matin elles vous ont largement exposé tout le sujet,
00:53:33 dire que c'est la première fois qu'une institution se saisit du sujet de la pornographie,
00:53:39 ça n'était jamais arrivé auparavant,
00:53:42 il n'y avait jamais eu de travaux ni gouvernementaux,
00:53:47 ni d'autres institutions parlementaires sur la pornographie.
00:53:51 C'est donc un rapport qui est totalement inédit,
00:53:53 et qui marque de ce point de vue la volonté que nous avons eue
00:53:57 de faire de la question de la lutte contre la pornographie,
00:54:00 une question de politique et de politique publique.
00:54:04 Parce qu'auparavant ça n'en était pas une, j'y reviendrai.
00:54:08 Pourquoi la délégation Droits des femmes du Sénat a choisi de travailler sur l'industrie pornographique ?
00:54:14 Parce que nous travaillons beaucoup sur la question des violences faites aux femmes,
00:54:20 et que nous avons décidé d'aborder l'industrie pornographique
00:54:25 dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes,
00:54:29 de la manière dont elles l'illustrent,
00:54:32 elles la représentent, et dont elles y participent.
00:54:35 Ça a été pour nous la première décision que nous avons prise,
00:54:39 c'est d'inscrire l'industrie pornographique dans l'édifice des violences commises à l'encontre des femmes.
00:54:50 C'est la première remarque, la deuxième remarque que je voulais faire,
00:54:53 qui nous a amené aussi à faire ce rapport,
00:54:55 c'est une réflexion que j'ai moi, parce que j'ai une observation
00:55:00 des évolutions des luttes féministes et des politiques publiques qu'elles ont impulsées,
00:55:06 et à un moment donné quand même, on se dit que la première loi sur l'égalité salariale date d'avant 1975,
00:55:13 la loi Rudy de 1982,
00:55:16 à un moment donné on se dit "mais comment se fait-il qu'au bout de 40, 50 ans,
00:55:23 nous en soyons pas au même point, ce serait pas juste de dire ça,
00:55:27 mais que nous butions autant encore sur autant de résistances,
00:55:31 comment se fait-il que les lois ne soient pas appliquées tout simplement,
00:55:33 toutes les lois qui prévoient l'égalité politique, l'égalité sociale,
00:55:38 l'égalité patrimoniale, l'égalité économique,
00:55:42 tout cela est dans la loi, nous n'avons plus de revendications législatives
00:55:47 sur les politiques d'égalité entre les femmes et les hommes,
00:55:50 et pour autant, nous sommes à une immense distance des ambitions et des objectifs affirmés.
00:55:58 Et donc c'est qu'il se joue quelque chose d'autre, ailleurs que dans le domaine de la loi,
00:56:04 qui est dans les rapports entre les femmes et les hommes,
00:56:08 et dans ce que la violence à l'encontre des femmes produit comme frein à l'égalité,
00:56:16 ou ce qu'elle manifeste comme résistance à l'égalité entre les femmes et les hommes.
00:56:21 C'est aussi dans cette réflexion-là que moi j'ai portée en 2016 avec d'autres collègues,
00:56:28 la loi sur l'abolition du système prostitutionnel,
00:56:31 que nous avons voulu inscrire dans l'architecture des violences faites aux femmes,
00:56:40 et c'est dans cet esprit-là que nous avons abordé la question de la pornographie.
00:56:45 Alors il faut dire que le Sénat n'est pas le lieu où on pense spontanément,
00:56:49 qui était le plus immédiatement, le plus spontanément candidat à travailler sur la pornographie.
00:56:56 Et je ne vous cacherai pas que quand nous avons annoncé que nous travaillions sur ce sujet,
00:57:00 il y a eu de la part de nos collègues, une certaine interrogation,
00:57:03 un petit mouvement de recul presque physique, vous savez.
00:57:06 Et pourquoi se mêler de ça ?
00:57:10 Je pense que sur la pornographie, on subit deux représentations.
00:57:16 La première c'est que c'est un tabou, car la sexualité est un tabou.
00:57:21 J'avais déjà rencontré ça au moment de la loi sur le système prostitutionnel,
00:57:24 et une représentation assez archaïque de ce qu'est le domaine du politique et le domaine de la sphère privée.
00:57:30 Et on considère que la pornographie relève de la sexualité,
00:57:34 qui elle-même relève de la sphère privée,
00:57:36 et que nous n'avons pas à aller intervenir ou même nous pencher sur ce sujet.
00:57:41 La deuxième représentation qui est quand même aussi importante,
00:57:46 c'est qu'il y a une association qui est faite entre pornographie et libération sexuelle.
00:57:53 Qui date des années 70, et qui fait que concomitamment dans les années 70,
00:57:59 on a vu à la fois la libération sexuelle et la revendication liées au corps,
00:58:05 et à la sexualité, l'affirmation d'une sexualité, des femmes en particulier,
00:58:09 et puis la révolte, la rébellion contre la morale puritaine.
00:58:14 Et en même temps, on a vu émerger les films pornos,
00:58:19 de manière à ce qu'on a dû légiférer à ce moment-là,
00:58:24 et il y a une association comme quoi la pornographie, les films pornos,
00:58:29 seraient liées, composantes de la libération sexuelle.
00:58:34 Et en fait, à partir de là, j'ai quand même...
00:58:39 On a une réflexion qu'il faut ajouter à cette histoire de libération sexuelle,
00:58:42 c'est que si effectivement il y a eu dans les années 70 un mouvement de libération sexuelle,
00:58:47 ce mouvement de libération sexuelle s'est fait sans déconstruction des rôles des femmes et des hommes,
00:58:55 et sans déconstruction de la domination masculine dans la sexualité.
00:58:59 Et pour être brève dans cette partie-là de mon propos,
00:59:03 je dirais simplement que la libération sexuelle des années 70
00:59:09 s'est faite au grand profit de la sexualité des hommes,
00:59:13 au grand profit de la domination sexuelle des hommes,
00:59:17 [Applaudissements]
00:59:20 et qu'aujourd'hui nous portons encore dans les représentations de la sexualité
00:59:27 cette lacune des années 70 qui était celle de prendre la libération sexuelle
00:59:35 comme pour ce qu'elle était, c'est-à-dire portée par les hommes,
00:59:38 et pour les femmes plus simplement l'accès à la contraception et à l'avortement
00:59:44 qui a suffi d'un certain point de vue à faire la libération sexuelle des femmes.
00:59:48 D'où le regard que nous portons aujourd'hui et qui a été largement décrit
00:59:53 par toutes les intervenantes précédentes sur la pornographie.
00:59:58 Donc on a décidé de faire de l'industrie pornographique un sujet de politique publique.
01:00:02 Dans un premier temps il y a eu une espèce de consensus,
01:00:05 parce que nous sommes quatre rapporteurs, quatre femmes rapporteures,
01:00:08 moi j'ai dit rapporteur avec un E, rapporteuse il y a toujours un petit côté école primaire,
01:00:13 quatre femmes rapporteures qui sont l'une qui est sénatrice du groupe communiste,
01:00:21 l'autre qui est sénatrice du groupe centriste, l'autre qui est sénatrice du groupe LR,
01:00:24 Les Républicains, et moi-même qui suis sénatrice socialiste.
01:00:28 Et donc on a voulu faire un rapport qui soit consensuel.
01:00:31 Ce n'était pas gagné au départ, parce que chacune arrivait, on est deux abolitionnistes,
01:00:36 par exemple avec Laurence Cohen qui est sénatrice communiste,
01:00:39 on était très engagés sur la loi de 2016, et les deux autres beaucoup moins.
01:00:43 Et au début il y a eu une petite tentation qui était de restreindre nos travaux à l'accès des mineurs,
01:00:48 puisque le Sénat avait voté en 2020 la loi imposant aux sites porno d'empêcher l'accès des mineurs.
01:00:55 Et puis en faisant le choix qu'on a fait, de travailler sur l'industrie,
01:00:59 c'est-à-dire les conditions de recrutement, les conditions de tournage,
01:01:04 les contenus et l'influence des contenus sur la société,
01:01:09 nous avons pu produire un rapport qui englobe l'ensemble de la question
01:01:13 de ce qu'est l'industrie pornographique dans nos sociétés aujourd'hui.
01:01:19 Je voudrais dire, parce que tellement de choses ont été dites,
01:01:23 j'ai écouté depuis ce matin, avant moi, peut-être plusieurs remarques
01:01:26 que nous faisons nous en conclusion de ce rapport.
01:01:30 La première c'est que non, toutes les activités humaines ne relèvent pas de la sphère marchande.
01:01:35 Il faut poser ceci en postulat. Non, la sexualité n'est pas une activité humaine
01:01:43 qui peut entrer dans la sphère marchande. On ne monnaie pas la sexualité
01:01:49 comme on vend sa force de travail. Les unes et les autres, vous, vous travaillez aujourd'hui,
01:01:53 donc vous vendez votre force de travail à une collectivité.
01:01:57 Les salariés vendent leur force de travail. La sexualité n'est pas une force de travail
01:02:02 commercialisable comme les autres. C'est peut-être la première chose qu'il faut dire.
01:02:06 Parce que sinon, on se trouve embarqués dans des discussions très compliquées
01:02:13 sur le fait que chacune fait ce qu'elle veut de son corps.
01:02:16 Chacune fait ce qu'elle veut de son corps, dont si les femmes veulent être actrices
01:02:21 dans des films porno, c'est une liberté du corps et c'est une activité marchande
01:02:26 comme les autres. Donc, moi j'ai des postulats philosophiques et moraux.
01:02:31 Je le dis très clairement, il n'y a pas de droit sans morale et il n'y a pas de société sans morale.
01:02:37 Une société sans morale, c'est la société de l'individuation paroxysmique
01:02:43 dans laquelle chacun vit et organise uniquement en fonction de lui-même.
01:02:49 Si nous sommes un collectif, nous avons des règles communes et ces règles communes
01:02:53 sont notre morale partagée. Donc, effectivement, nous avons une approche morale
01:02:58 qui n'est pas la même chose que le moralisme ou le puritanisme.
01:03:01 Ça, c'était la première remarque que je voulais faire. Donc, non, la sexualité n'est pas une activité
01:03:06 qui relève de la sphère du domaine marchand. Deuxième chose, oui, il y a des atteintes
01:03:13 à la dignité des êtres humains et le respect de la dignité des êtres humains est une obligation
01:03:18 qui est dans le droit français également. Donc, nous pouvons dénoncer les atteintes
01:03:25 à la dignité humaine qui sont promues par l'industrie pornographique.
01:03:31 Troisièmement, les contenus de l'industrie pornographique, ça a été dit mais je tiens à le redire,
01:03:37 sont des infractions pénales. Ce sont des infractions pénales dans le sens où ce sont des mises en scène
01:03:45 qui relèvent de l'apologie, du viol, du racisme, de la lesbophobie, de l'homophobie.
01:03:54 Ce sont donc des infractions pénales que nous devons traiter en tant que telles.
01:03:59 J'observe, et c'est le dialogue que nous avons aujourd'hui avec le gouvernement,
01:04:03 qu'il y a un discours sur l'impuissance technologique. On ne pourrait pas,
01:04:08 on ne peut pas limiter l'accès au site porno. Ce n'est pas possible technologiquement.
01:04:13 L'internet est un monstre tentaculaire qui laisse les états totalement désarmés.
01:04:19 C'est faux. C'est faux. C'est faux pour une bonne et simple raison.
01:04:24 J'étais ministre en 2015. J'étais ministre chargée de l'enfance.
01:04:30 J'ai vu comment un gouvernement mobilisé et volontaire s'est attaqué à l'apologie du terrorisme en ligne
01:04:40 pour en protéger les enfants. Ce que nous pouvons faire contre l'apologie du terrorisme,
01:04:46 nous devons pouvoir le faire contre l'apologie du viol et des violences infligées aux femmes.
01:04:53 (Applaudissements)
01:05:03 Nous devons le faire, nous avons la responsabilité de le faire.
01:05:06 Je crois que ça a été dit tout à l'heure très clairement par Sophie.
01:05:11 Il y a quelque chose qui... Il y a une dissonance entre le niveau de mobilisation de nos sociétés
01:05:18 contre les violences faites aux femmes, post-me too, et la complaisance, l'indifférence ou la complicité
01:05:27 avec la pornographie. Il y a là une grande dissonance. Et je vais prendre un autre exemple.
01:05:33 Je disais que j'avais été ministre chargée de l'enfance, je me suis donc mobilisé sur la question de l'inceste.
01:05:41 Et aujourd'hui, le gouvernement actuel, je dois le concéder, a lancé aussi des processus qui sont avec la civise,
01:05:52 avec le travail que fait Édouard Durand. Il y a aujourd'hui un vrai travail qui est fait sur la dénonciation
01:05:59 et le recueil de la parole des victimes d'inceste. N'importe qui qui va sur un site porno, clique dans les rubriques
01:06:05 et trouve la rubrique "En famille". La rubrique "En famille", c'est une rubrique dans laquelle l'inceste est le coeur,
01:06:13 est le sujet des vidéos qui sont mises en ligne. "Le beau père avec la belle fille", "Le casifrère avec la casisseur",
01:06:25 "Le grand père", ce n'est que de l'inceste. Donc comment peut-on à la fois lutter contre l'inceste,
01:06:33 inviter les victimes à s'exprimer, poursuivre les auteurs et en même temps accepter que l'inceste soit mise en scène
01:06:42 et banalisée comme ça l'est ?
01:06:44 (Applaudissements)
01:06:52 L'autre sujet que je voulais aussi aborder avec vous, c'est celui du porno éthique, ça a été évoqué ce matin.
01:07:04 A chaque fois qu'on présente notre rapport ou qu'on en parle, il y a toujours au moins une personne qui ose le dire
01:07:13 et probablement plusieurs qui le pensent, "Oui mais le porno éthique, on ne peut quand même pas le traiter
01:07:21 comme vous traitez l'industrie pornographique". Il existe un porno éthique, nous dit Tonton, toujours.
01:07:26 Le porno éthique, c'est une niche minuscule dans la production et la réalisation de films porno aujourd'hui.
01:07:33 Et c'est un porno qui est hors du business du porno. Le porno, c'est que de l'argent, ce n'est pas du sexe.
01:07:40 Ça a été très bien dit ce matin à plusieurs reprises. Le but de l'industrie pornographique, c'est de générer de l'argent.
01:07:47 C'est pour ça d'ailleurs que c'est si addictogène, comme ça a été expliqué il y a un instant.
01:07:51 Parce que les réalisateurs et les propriétaires des sites porno sont juste des dealers.
01:07:58 Ce sont des dealers de porno et eux, leur but est d'accrocher le client et que le client revienne, revienne, revienne,
01:08:04 revienne, revienne, revienne, augmente la dose continuellement. S'il y a du porno éthique, c'est totalement à la marge de tout ça.
01:08:12 Sur les sites internet, vous ne trouvez pas le film porno. Le monsieur va dire "Bonjour madame, est-ce que vous prendriez bien une tasse de thé,
01:08:18 un cunnilingus, si vous êtes d'accord ?". Ça n'existe pas. Non mais, il faut casser cette idée de l'existence d'un porno éthique.
01:08:25 Il y a une fille qui fait un film lesbien, qui fait un porno lesbien, une fois tous les deux ans.
01:08:30 Elle ne le fait pas pour l'argent, elle le fait parce qu'elle a envie de faire un porno lesbien qui soit un joli film érotique.
01:08:36 Sinon, ça n'existe pas parce que tout le fonctionnement de l'industrie pornographique est fondé sur l'addiction,
01:08:44 l'addiction à la violence et augmenter constamment le nombre de consommateurs et augmenter parallèlement le nombre de femmes
01:08:57 qui sont recrutées pour ces films parce que le consommateur de porno se lasse vite également.
01:09:02 Donc il lui faut toujours plus de tubes, toujours plus de films et toujours plus de violence.
01:09:07 Et on avait auditionné pendant la préparation du rapport une réalisatrice, ancienne actrice, devenue réalisatrice,
01:09:16 donc bien entendu défendant, promouvant le porno, la charte éthique, etc.
01:09:22 Et je lui pose la question, je dis "ok, j'ai bien compris votre affaire de contrat, vous voulez l'inspection du travail sur les tournages,
01:09:28 vous avez des agents de la confidentialité, tout ça j'ai compris, je suis perplexe mais j'ai compris,
01:09:33 mais sur les contenus, comment votre réflexion sur le porno éthique, votre ambition de porno éthique rencontre la question des contenus ?
01:09:44 Et en bonne libérale, qu'elle est-elle ? La fille m'a répondu "mais en matière de contenu, c'est le marché, c'est le client qui fait".
01:09:52 Donc je suis très étonnée de voir à quel point cette activité, qui est une activité excessivement libérale,
01:09:58 vraiment installée sur les fondements du libéralisme le plus débridé, se trouve parfois défendue par des gens
01:10:07 qui par ailleurs pensent qu'ils sont des grands rebelles de la société telle qu'elle est aujourd'hui.
01:10:12 Il y a là un problème politique que nous devons traiter et affronter, qui est un problème que nous avons dans les organisations féministes également,
01:10:21 et moi je parle ici en tant aussi président d'une association féministe de l'Assemblée des femmes,
01:10:26 et nous avons un débat dans le monde féministe sur la question de la marchandisation de la sexualité,
01:10:32 du business qui est fait là-dessus, des profits et de l'influence que ça a sur les violences faites aux femmes.
01:10:39 Et je conclurai là-dessus. Ce que je vais dire n'est pas une analyse scientifique comme celle qui a été précédemment présentée
01:10:46 par les universitaires et les chercheuses qui étaient avant moi. C'est une conviction.
01:10:51 Il y a un lien entre ce que les hommes voient des femmes dans le porno et le rapport qu'ils ont au quotidien avec les femmes.
01:11:05 Ce n'est pas possible de consommer toute la nuit des films de viols de femmes déshumanisés,
01:11:13 et d'arriver le lendemain matin au bureau et de regarder sa chef de service en se disant que c'est son égal,
01:11:19 et qu'elle est légitime à être la chef de service. Il faut qu'à un moment donné on soit en mesure de faire le lien
01:11:26 entre la banalisation des violences sexuelles par le porno, par tout ce qui relève du système prostitutionnel,
01:11:38 où on parle des actrices, où on parle des personnes prostituées, mais il y a quand même l'angle mort.
01:11:44 C'est le consommateur et l'effet sur le consommateur dans le porno, et le client en matière prostitutionnelle.
01:11:51 Que nos sociétés tolèrent comme elles le font, que des hommes puissent se doper, se gargariser de films pornos
01:12:03 humiliants et portant un teint à la dignité des femmes, ou considérer que le corps des femmes peut s'acheter,
01:12:09 est une tolérance immense à l'égard des violences sexistes et sexuelles en réalité.
01:12:15 Et il faut que nous racommodions, que nous retricotions ce lien qui est essentiel entre la marchandisation du sexe,
01:12:25 les représentations, le droit des hommes à acheter le corps des femmes, soit par image, soit directement,
01:12:35 et la persistance des violences sexistes et sexuelles à l'égard des femmes.
01:12:41 (Applaudissements)
01:12:56 Alors, nous pouvons garder quelques minutes, quelques petites minutes pour prendre quelques questions.
01:13:04 Est-ce qu'il y en a dans la salle ?
01:13:07 Deux questions, on me dit.
01:13:11 Alors, toujours...
01:13:21 Tout le monde a faim.
01:13:22 Tout le monde a faim, c'est ça.
01:13:24 Donc, s'il n'y a pas... Ah, je vois une question. Est-ce qu'on a un micro ?
01:13:29 Quelque part...
01:13:32 Le micro arrive.
01:13:36 (Silence)
01:13:42 Est-ce que c'est bon, là ?
01:13:43 Bonjour. Merci beaucoup pour votre intervention.
01:13:46 Moi, j'avais une question par rapport au rapport que vous avez fait pour le Sénat.
01:13:50 Comment est-ce que vos collègues hommes cis ont accueilli ce rapport ?
01:13:58 Alors, vous savez, au Sénat, on ne fait pas trop la distinction entre les hommes cis, les hommes pas cis et tout ça.
01:14:04 On ne fait pas trop ça.
01:14:07 Nous, on a des hommes qui ont des sexualités diverses, inconnues et tant mieux.
01:14:12 Moi, j'en sais sur la sexualité de mes collègues, mieux je me porte.
01:14:17 Ce n'était pas une question de sexualité, mais plus pour faire la distinction entre les hommes cis et les hommes trans.
01:14:22 On a fait peu au Sénat, mais on n'a peut-être pas suffisamment l'occasion de le faire.
01:14:29 C'est pour ça que mes collègues hommes du Sénat ont accueilli leur rapport avec d'abord beaucoup de contentement du fait que le Sénat ait produit ce rapport.
01:14:45 En fait, le président du Sénat, qui est, je crois, un homme très cis, nous a félicité, nous a demandé quelle suite nous voulions donner.
01:14:57 Et le Sénat est fier de ce rapport. Le Sénat est fier d'avoir fait un rapport qui concerne la société française et qui apporte quelque chose de nouveau.
01:15:06 Voilà, ça c'est la première remarque.
01:15:08 Après, individuellement, ils ont tous accueilli ça, comme souvent les hommes dans ce genre de sujet que je traite moi depuis quelques années,
01:15:17 avec un regard un peu de distance, l'impression de ne pas bien savoir comment prendre le sujet,
01:15:24 et tellement la peur de dire un truc qu'il ne faudrait pas dire qu'ils ont dit "c'est bien". Voilà.
01:15:29 (Rires)
01:15:31 Merci.
01:15:32 (Applaudissements)
01:15:40 Non mais, pardon, un peu plus loin, on a proposé au président du Sénat de faire une résolution,
01:15:47 c'est-à-dire que le débat a eu lieu en délégation des droits des femmes sur notre rapport, il a été adopté à l'unanimité.
01:15:51 Il y a des hommes dans la délégation, on doit le présenter en séance publique et faire voter une proposition de résolution,
01:15:58 c'est-à-dire un projet cadre sur la suite.
01:16:03 Mon point de vue sur quelle est la suite de ce rapport, qui fait beaucoup de préconisations,
01:16:07 je n'ai pas insisté dessus parce que le rapport est en ligne sur le site du Sénat,
01:16:13 il fait des propositions pour, en fait, déstabiliser l'industrie porno,
01:16:19 permettre à l'Arkom de retirer des vidéos,
01:16:23 permettre à Pharoz, tout ça a été évoqué ce matin, je suis parvenu dessus,
01:16:27 de retirer des vidéos comme les vidéos sur le terrorisme.
01:16:30 Voilà, on fait toute une série de recommandations pour...
01:16:34 Moi je suis dans une posture abolitionniste, donc à défaut de pouvoir interdire le porno, ce qui n'a pas de sens,
01:16:41 je souhaite qu'on déstabilise cette industrie au point qu'elle ne soit soit plus rentable,
01:16:47 soit plus accessible par le plus grand nombre.
01:16:50 Et je ne pense pas qu'il y ait une liberté constitutionnelle, j'ai bien relu le préambule de 46,
01:16:54 j'ai cherché le droit au porno, je ne l'ai pas trouvé,
01:16:58 le droit à regarder des films porno n'est pas une liberté constitutionnelle,
01:17:01 donc je n'ai aucun état d'âme à déstabiliser l'industrie pornographique,
01:17:05 parce que c'est toxique pour toute notre société.
01:17:08 Voilà ce que nous allons faire, nous sommes allés voir les ministres concernés,
01:17:12 on a vu les deux ministres droit des femmes et protection de l'enfance,
01:17:16 on a vu le ministre chargé du numérique,
01:17:18 et on fait le tour du gouvernement avec notre rapport sous le bras,
01:17:22 on va le présenter au ministre, on dit voilà maintenant c'est à vous de faire.
01:17:24 Nous du point de vue parlementaire, on a fait tout ce qu'on pouvait faire,
01:17:27 on a mis le sujet sur la table, on a levé le voile sur l'enfer du décor,
01:17:32 on a ouvert les yeux à tout le monde,
01:17:34 maintenant il faut prendre des mesures législatives, administratives, techniques,
01:17:40 et c'est au gouvernement de les prendre,
01:17:42 et on vous donne quelques mois, 5-6 mois,
01:17:45 pour nous produire un noyau cadre, un plan,
01:17:50 un plan de lutte contre l'industrie pornographique en France.
01:17:54 C'est au gouvernement de faire.
01:17:56 Et puis il y aura un rapport du Haut Conseil à l'égalité,
01:17:58 je ne sais pas si Céline a dit ce matin,
01:18:00 quand Céline Picq l'a dit ce matin,
01:18:02 il y aura un deuxième rapport qui va sortir,
01:18:04 qui va compléter le nôtre, parce qu'on n'a pas tout traité,
01:18:07 et avec ces deux rapports, normalement le gouvernement a tout sur la table
01:18:11 pour prendre les mesures qui sont adaptées à ce qu'attendent
01:18:15 la majorité des gens avec lesquels on a pu parler de ce rapport.
01:18:19 Un grand merci Laurence Rossignol d'avoir conclu cette matinée.
01:18:31 Merci pour votre témoignage.
01:18:33 Nous allons donc enfin faire la pause,
01:18:37 retour en salle à 13h45.

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