Retrouvez "Pascal Praud et vous" sur : http://www.europe1.fr/emissions/pascal-praud-et-vous
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00:00 - C'est une forme de résilience comme on dit aujourd'hui, on ne le disait pas jadis, mais c'est quoi le pire de votre vie ?
00:05 - Le pire c'est que moi je suis née au Vietnam, en Indochine, avec un papa qui était directeur d'une plantation de caoutchouc à Anloc.
00:11 Maman, toute la famille est médecin, née en Martinique, j'ai une cousine de Philippe Laville,
00:16 mais née en Martinique comme ma grand-mère et puis ils sont partis en Indochine parce que mon grand-père était un sage, c'était quelqu'un qui
00:22 était un élève de Pierre et Marie Curie et qui a installé tout le centre anti-cancérologie à Plumpen
00:28 et déjà pendant la première guerre avec les japonais, ils lui ont enlevé tous ses appareils protecteurs et il a quand même continué à
00:34 exercer, à soigner toute la population.
00:37 Moi je suis née dans une clinique qui s'appelle la clinique à côté de Saigon,
00:42 enfin à Saigon même, à Cholène,
00:44 et c'est mon grand-père qui m'a mis au monde et maman avait à peine 18 ans donc elle me mettait au fond de la classe à un
00:49 mois et tous les élèves me regardaient et puis finalement elle a trouvé une nounou chinoise qui s'occupait de moi mais la vie était merveilleuse
00:55 pendant deux ans et au bout de trois ans c'est le Vietcong qui est arrivé et comme moi j'étais une petite fille qui écoutait tout ce
01:00 qui se passait mais ne disait rien, j'entendais mes parents dire "ils viennent couper la tête des français".
01:04 "Ils nous couperont la tête, c'est catastrophique", j'entendais ça et puis un beau jour ils sont arrivés devant notre maison, une petite maison au milieu des
01:11 caoutchoucs, les vietnamiens qui étaient là étaient adorables, nous ont protégés, on dit "non il n'y a personne, les français sont partis"
01:16 et moi évidemment on m'avait caché mais moi je peux pas être cachée dans une cachette, c'est pas possible, je suis trop
01:21 je suis trop, comment dit-on, je dois être à l'air, c'est pas possible, je peux pas être cachée.
01:25 C'était une punition dans ma tête.
01:27 J'ai ouvert la porte et tous les Vietcong qui étaient là, j'en ai demandé d'attacher mon lacet de chaussure et j'ai vu mon papa arriver sur
01:32 une charrette attachée et directement je leur ai dit "vous ne couperez pas la tête de papa"
01:36 et là ils ont détaché mon père.
01:38 C'est une armée énorme qui nous regardait avec des yeux bridés et je me disais "mais qu'est ce que c'est que ces gens,
01:43 il faut pas qu'ils fassent ça à mon papa" et on a été sauvés, après on est parti très vite
01:48 à Saigon pour filer sur le pasteur et rentrer en France. - Évidemment ça raconte
01:53 la décolonisation d'après-guerre, bien sûr, ce qui s'est passé en Indochine, Marguerite Duras raconte ça également.
02:00 - Qui m'a pris sur ses genoux quand j'avais deux ans dans les beaux hôtels de la rue Katina à Saigon.
02:05 - Marguerite Duras ? - Ben oui forcément, elle était au milieu des français à cette époque.
02:08 Moi je savais pas qui c'était, évidemment j'avais deux ans, je trouvais qu'elle était gentille, c'est une gentille femme mais tout le monde était...
02:14 Bon alors comme ça, comme me disent souvent des personnes qui me connaissent bien ou Jean-Jacques, il me dit, Jean-Jacques Debout, mon mari, il me dit
02:20 "toi tu viens de très très loin et en fin de compte tu n'as pas l'esprit
02:25 en France de s'inquiéter, d'être angoissé, on dirait que tu es inconsciente de l'avenir"
02:31 et c'est vrai que je pense que mon inconscience m'a sauvée.