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Ce mercredi, c'est le "jour du dépassement": toutes les ressources annuelles de la planète ont été consommées. Comment nourrir l'humanité de demain ? Laurence Tubiana, directrice de la Fondation Européenne pour le climat, et le chercheur Christian Huyghe sont les invités du Grand entretien.

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Transcription
00:00 Le grand entretien est ce matin consacré à la question de l'épuisement des ressources
00:04 que nous offre la planète pour vivre, car ce mercredi 2 août marque le jour du dépassement.
00:10 À partir d'aujourd'hui, tout ce que nous consommerons, énergie, nourriture, bois,
00:14 etc., le sera à crédit et ne pourra se renouveler en un an, ce qui à terme, conduira à épuiser
00:21 la Terre.
00:22 Alors comment faire pour reculer cette date ? C'est-à-dire consommer moins de ressources
00:26 tout en permettant la vie de 8 milliards, demain près de 10 milliards d'humains.
00:31 Comment les nourrir notamment ? Nous allons parler de lutte contre le gaspillage, mais
00:35 aussi d'éducation alimentaire avec nos invités que je vous présente.
00:39 Laurence Touiana, bonjour à vous.
00:41 Bonjour.
00:42 Vous êtes présidente de la Convention citoyenne pour la transition écologique.
00:47 Vous êtes également économiste.
00:49 Avec nous également, Christian Huig.
00:51 Bonjour.
00:52 Bonjour.
00:53 Vous êtes directeur scientifique à l'INRAE, l'Institut national de recherche pour l'agriculture,
00:58 l'alimentation et l'environnement.
01:00 Vous intervenez en direct de France Bleu Poitou.
01:02 Je remercie France Bleu pour cette liaison technique ce matin.
01:05 J'attends également vos questions, auditeurs, auditrices de France Inter, 0145 24 7000
01:13 ou via franceinter.fr.
01:15 Première question, Laurence Touiana.
01:17 Ce jour du dépassement, c'est évidemment une date symbolique.
01:20 C'est une alerte.
01:21 Elle est calculée par une ONG, Global Foodprint Network.
01:24 Mais il est aujourd'hui validé par la communauté scientifique.
01:27 C'est un bon indicateur ?
01:28 C'est un indicateur très utile puisqu'il permet de comprendre, de regarder l'intégralité
01:37 des ressources naturelles que nous utilisons.
01:39 Et au fond, on a toujours l'impression que la technologie, le développement économique
01:43 peut s'abstraire de ces ressources.
01:46 Mais en réalité, nous en dépendons totalement.
01:49 Que ce soit pour notre santé, notre alimentation, notre énergie.
01:52 C'est un indicateur intéressant puisqu'il n'a cessé de reculer.
01:58 C'est-à-dire qu'on consomme ces ressources à l'équilibre toujours plus avant dans l'année.
02:06 C'est tout à fait utile de se rendre compte qu'on ne peut pas consommer autant sans arrêt.
02:14 Il y a une limite.
02:15 Ce n'est pas nouveau.
02:16 La communauté scientifique le dit depuis longtemps.
02:18 Non seulement les climatologues, mais aussi les spécialistes qui travaillent sur la biodiversité,
02:26 les forêts, les océans.
02:27 C'est une manière très saine de nous rappeler qu'on ne peut pas vivre à crédit.
02:31 Si je prends votre domaine, Christian Huig, en matière agricole, ça veut dire quoi le
02:35 dépassement ?
02:36 Ça veut dire beaucoup de choses.
02:39 En fait, on doit à la fois regarder ce que l'on produit et ce que l'on consomme.
02:43 On ne consomme pas ce qu'on ne produit pas.
02:46 Ce que l'on voit aujourd'hui, mais aussi sur les trajectoires dans lesquelles on est,
02:50 c'est une augmentation de la demande mondiale en besoins alimentaires.
02:54 À la fois parce que la population augmente, parce qu'il y a des transitions alimentaires
02:57 qui se passent à l'échelle mondiale, qui demandent plus de produits animaux et moins
03:02 de produits végétaux.
03:03 Pour produire des animaux, il faut produire plus de végétaux.
03:06 Ça augmente globalement le besoin de production agricole.
03:12 Pour faire ça, soit on mobilise plus de ressources, plus d'engrais, plus d'énergie, avec les
03:19 incidences que l'on connaît sur le milieu.
03:21 Soit on utilise plus de surface et on met à ce moment-là une pression sur les espaces
03:27 naturels et donc une pression sur la biodiversité.
03:29 Il faut jouer sur deux dimensions en même temps.
03:32 Une vraie transition alimentaire, à la fois en consommant moins et en évitant surtout
03:37 les pertes et les gaspillages.
03:39 C'est un énorme volume et on en parle très peu.
03:41 Et puis, avoir ce qu'on appelle de l'intensification agroécologique, c'est-à-dire réussir à
03:47 produire plus avec moins par une transformation des systèmes de production.
03:51 Alors, ce 2 août, c'est le jour du dépassement, mais c'est le jour du dépassement mondial
03:56 Laurence Toubiana.
03:57 Mais si on regarde dans le détail, on se rend compte qu'en France, par exemple, il intervient
04:00 beaucoup plus tôt dans l'année, dès le début du mois de mai, parce qu'en moyenne, un Français
04:06 consomme beaucoup plus que la moyenne des humains, c'est ça ?
04:07 Bien sûr, oui.
04:10 On regarde notre consommation alimentaire, notre consommation énergétique.
04:14 A tout point de vue, évidemment, on vit sur un grand pied, si on peut dire.
04:20 On vit richement vis-à-vis de ses ressources naturelles, alors qu'un habitant d'un pays
04:25 beaucoup plus pauvre sera, lui, beaucoup plus, par obligation et nécessité, beaucoup plus
04:30 frugal, beaucoup plus sobre.
04:31 Et c'est un peu ce pont entre une sobriété qui devrait être à la fois bien acceptée,
04:37 bien recherchée.
04:38 On pourrait tout à fait mieux vivre en France, et donc, d'une certaine manière, laisser
04:43 un peu plus de place aux autres, avec moins de consommation, moins de gaspillage, comme
04:48 l'a dit notre autre invitée, et aussi, tout simplement, un modèle alimentaire différent.
04:54 Alors, c'est tout à fait vrai, notamment concernant le problème important et sensible
05:00 de la consommation de viande, puisque on voit qu'une bonne partie de la production, notamment
05:05 de céréales, est destinée à la consommation animale.
05:09 On ne consomme pas directement ces céréales, elles passent, évidemment, par l'élevage.
05:13 Et c'est sans doute dans l'équilibre entre la consommation de calories, de protéines,
05:19 d'aliments directement, et la consommation de cette transformation qu'est l'élevage,
05:26 qu'il faut chercher un modèle alimentaire plus équilibré.
05:29 Ainsi qu'une agriculture plus soucieuse de son impact sur l'environnement, parce qu'aujourd'hui,
05:37 l'agriculture, il n'y a pas seulement ce qu'on mange, il y a aussi l'impact sur l'environnement,
05:41 on a parlé de la biodiversité, on devrait aussi parler de l'impact sur le changement
05:45 climatique, parce qu'aujourd'hui, l'agriculture, en France par exemple, est un contributeur
05:52 au changement climatique, et non une aide à la lutte contre le changement climatique.
05:57 - Laurence Tubiana, vous avez commencé à parler de l'alimentation, de l'agriculture,
06:03 et je rebondis sur ce que vous dites sur la viande, c'est l'un des aspects du problème,
06:08 Christian Wigg ? Consommer moins de viande ?
06:11 - De fait, on a en Europe des régimes alimentaires qui sont extrêmement carnés, pour la France,
06:19 c'est 60% des protéines que l'on consomme qui sont des protéines d'origine animale,
06:23 donc 40% de protéines d'origine végétale.
06:25 - Et c'est assez stable ?
06:27 - C'est relativement stable sur les dernières années, les modèles des grands scénarios
06:32 de prospective comme celui proposé par Lydry donnent un objectif à 50/50, mais globalement
06:39 on est aujourd'hui très stable autour de 60%, et là où ça met une pression, comme
06:43 le dit madame Tubiana, sur l'environnement, sur le milieu, c'est que en moyenne, compte
06:48 tenu de la diversité des protéines que l'on consomme, il faut 4 kilos de protéines végétales
06:52 pour faire 1 kilo de protéines animales, et là où ça fait un lien avec le changement
06:58 climatique, c'est que pour avoir des protéines végétales, il faut que vous apportiez de
07:02 l'azote, soit de l'azote minéral sous forme d'engrais, soit de l'azote organique sous
07:07 forme d'effluents, aux plantes pour qu'elles poussent, et chaque fois que vous apportez
07:11 de l'azote pour faire pousser les plantes, il y a une petite partie de cet azote-là
07:15 qui est réémis sous forme de protoxyde d'azote, c'est lié au fonctionnement de cet ombre
07:18 de bactéries du sol, et ce protoxyde d'azote a un pouvoir de réchauffement global qui
07:24 est 300 fois celui du CO2 et avec un temps de résidence dans l'atmosphère qui est
07:27 très très long.
07:28 Donc il faut utiliser moins d'azote ?
07:30 Donc il faut utiliser moins d'azote, et pour utiliser moins d'azote, il faut moins de
07:33 produits animaux.
07:34 Il faut consommer moins de produits animaux et donc plus de produits végétaux.
07:37 Et donc une vraie transition qui est à faire.
07:39 Alors il ne faut pas non plus tomber en disant "on ne mangera plus du tout".
07:42 En fait la question c'est la transition et c'est la question de l'optimum.
07:45 Et donc vous avez à la fois des transitions alimentaires en même temps que des transitions
07:50 de production.
07:51 Les deux sont totalement couplées et avec les choix des consommateurs, l'éducation
07:56 des consommateurs et la localisation des consommateurs qui va jouer sur l'ensemble de ces dimensions-là.
08:01 Alors économiser les ressources à l'échelle de la planète, en même temps il y a entre
08:06 600 et 800 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, donc elles, elles
08:10 devraient pouvoir consommer davantage et nous sommes de plus en plus nombreux sur la planète,
08:15 nous serons un peu moins de 10 milliards d'humains selon les estimations en 2050.
08:18 Laurence Toubianna, comment est-ce qu'on résout cette équation ?
08:21 Eh bien d'une part il y a une question d'équilibre mondial et de réduction de ces injustices
08:28 si on peut dire dans la consommation de nos ressources naturelles.
08:31 Ensuite on voit bien que la faim dans le monde qui a rebondi, la malnutrition, le manque
08:40 de nourriture a réaugmenté en particulier depuis le Covid et la crise économique qui
08:47 s'en est en suivi.
08:48 Donc la question de l'alimentation aujourd'hui, et on le sait depuis très longtemps, n'est
08:55 plus aujourd'hui un problème de production, ne serait-ce que quand on regarde le gaspillage
09:00 mais aussi cette façon de consommer notre alimentation.
09:04 On produit assez au fond ?
09:05 On produit tout à fait assez.
09:08 Absolument, mais simplement ce n'est pas bien distribué, en partie parce que la production
09:14 alimentaire aujourd'hui est concentrée de façon très élevée dans un petit nombre
09:19 de régions du monde et que par ailleurs on consomme énormément de cette nourriture,
09:26 soit pour l'alimentation animale, qui est donc plutôt pour les pays riches quand même,
09:32 et même s'il y a des transitions dans beaucoup d'autres pays, mais aussi pour l'énergie.
09:36 On brûle aujourd'hui des céréales pour produire de l'énergie, pour circuler de la bioénergie.
09:44 Donc on a un problème de distribution et d'allocation meilleur de ces ressources de
09:50 production alimentaire à l'échelle mondiale.
09:53 Et cette pauvreté, c'est un problème de revenus, c'est un problème de justice économique
09:58 à l'intérieur des pays et entre les pays.
10:00 Et quand on regarde, juste pour donner un élément, ce qui s'est passé depuis deux
10:05 ou trois ans, la concentration des richesses dans chaque pays a augmenté considérablement
10:10 depuis la crise du Covid.
10:11 On a de plus en plus de milliardaires, de plus en plus de millionnaires et on a aujourd'hui
10:17 de nouveau de plus en plus de pauvres, alors qu'on avait réussi au début des années
10:22 2000 à commencer vraiment une réduction de la pauvreté au niveau mondial.
10:27 Sur cette question des inégalités, Christian Wigg, est-ce que vous diriez qu'on pourra
10:32 nourrir autour de 10 milliards d'habitants dans un peu plus de 20 ans en produisant moins ?
10:37 Est-ce que c'est possible ?
10:38 Et en répartissant mieux ?
10:42 En fait, comme l'a dit madame Toubiana, on a plusieurs composantes dans cette histoire-là.
10:47 L'hétérogénéité que vous avez au sein d'une population, elle est à la fois une
10:53 question d'accessibilité financière et puis ça révèle aussi des organisations
10:57 structurelles dans les pays.
10:58 Et quand on dit qu'il y a assez de production, c'est effectivement, on ne consomme pas ce
11:03 que l'on n'a pas produit.
11:04 Donc on a assez de production pour le moment, mais il n'y a pas forcément les réseaux
11:08 de distribution, les réseaux logistiques qui permettent de le faire.
11:11 Et entre la production et la consommation, il faut jamais oublier qu'il y a une composante
11:14 qui est absolument centrale qui est l'industrie agroalimentaire.
11:17 Dans nos pays d'y développer, on a 80% de ce que l'on consomme qui a été transformé.
11:23 Donc elle joue un rôle absolument considérable, à la fois pour produire des aliments qu'on
11:28 a envie de consommer, mais en fait, elle joue un rôle de logistique dans cette question-là.
11:32 Et donc, en fait, pour l'ensemble des pays du monde, cette question de l'ensemble de
11:36 la chaîne de la chaîne se pose.
11:37 Alors, est-ce qu'on pourra nourrir tout le monde en produisant moins ?
11:41 En fait, on a dans nos façons de réfléchir à la chose, réfléchir à cette question
11:47 de production.
11:48 On reste sur un modèle où chaque fois que l'on a moins d'intrants et on aura besoin
11:54 d'avoir moins d'intrants pour avoir moins d'impact sur le milieu.
11:56 On fait l'hypothèse que si on a moins d'intrants, on aura moins de production.
11:59 Les intrants, c'est par exemple les produits chimiques dont on va servir pour faire foncer
12:03 des plantes, des engrais ?
12:04 Les engrais, les pesticides, l'énergie pour faire avancer les tracteurs.
12:07 Et en fait, c'est cette question-là qui est… si on ne change pas de modèle de production,
12:11 effectivement, on met moins d'intrants, on produira moins.
12:13 Par contre, il y a d'autres modèles de production.
12:16 Quand on parle d'agroécologie, en fait, c'est ça que l'on cherche à exprimer.
12:19 On peut produire davantage avec moins d'intrants.
12:22 Et alors, comment on fait ça ?
12:24 En fait, on utilise ce que les régulations biologiques permettent d'apporter dans les
12:28 écosystèmes au service de la production.
12:29 Les régulations biologiques, c'est avoir moins de maladies et moins d'insectes parce
12:35 que dans la biodiversité, elle peut apporter des régulations.
12:38 Et il y a aussi l'accessibilité aux nutriments du sol, le phosphore et l'azote, qui est
12:44 rendu possible par le fait qu'il y a autour des plantes, ou soit dans la diversité des
12:49 espèces qui sont cultivées en même temps, soit les micro-organismes qui sont associés,
12:53 il y a une capacité à absorber davantage d'éléments.
12:56 Et c'est ces systèmes-là qu'il faut repenser.
12:58 Et il faut les repenser de façon adaptée à chacun des pays du monde.
13:02 Mais on sait déjà faire ça aujourd'hui, Christian Huyghe, moins d'intrants et plus
13:06 de production dans certaines régions du monde ?
13:08 On sait faire, oui.
13:09 On sait faire.
13:10 On peut mesurer ça par un gros mot qui s'appelle le Land Equivalent Ratio, la quantité que
13:16 vous produisez par rapport au système standard que l'on a aujourd'hui.
13:20 Et on a des systèmes qui sont testés dans différents pays du monde où on a des Land
13:24 Equivalent Ratio qui sont augmentés de 30%, par exemple, quand on fait des cultures mélangées.
13:28 Donc on mélange deux espèces qu'on cultive en même temps, il faut bien les choisir,
13:31 évidemment.
13:32 Ou alors des systèmes où on a des cultures chevauchantes, ce qu'on appelle du Relay
13:35 Cropping, où on fait 80% d'augmentation, sans augmentation de la quantité d'énergie
13:40 ou d'intrants consommés.
13:41 Et ça suppose en fait une vraie transformation.
13:43 Mais ça a aussi un autre élément, c'est que vous ne pouvez pas prendre le système
13:45 que vous avez par exemple en France ou aux Etats-Unis et l'appliquer dans les autres
13:48 pays du monde.
13:49 Il faut les adapter.
13:50 Et donc ce que l'on a, c'est ce qu'on appelle une augmentation de la dépendance
13:54 aux conditions locales.
13:55 Ce qui fait qu'il faut transférer et ce qu'il faut apprendre ensemble, c'est les
13:59 grands processus génériques.
14:01 Et puis trouver et imaginer les systèmes locaux les plus efficaces.
14:06 Mais on peut produire plus.
14:07 Vous pouvez nous donner un exemple d'un pays où ça fonctionne, Christian Huig ?
14:10 En fait, en France, on a un certain nombre de travaux là-dessus.
14:13 Il y en a en Chine, aux Etats-Unis.
14:15 Et puis en Afrique, puisque c'est quand même un continent où la tension sera particulièrement
14:19 forte, il y a des expériences en cours, par exemple au Rwanda ou dans certaines régions
14:24 du Kenya où on a ces systèmes, ou au Nigeria par exemple, des systèmes où on a des espèces
14:31 associées, voire du relay cropping, c'est-à-dire plus qu'une culture par an et qui produisent
14:35 davantage.
14:36 Mais encore une fois, en ayant une vraie réflexion sur ce que sont ces systèmes et donc systématiquement,
14:42 par exemple, c'est une utilisation maximale des légumineuses qui font partie de ces espèces,
14:47 qui sont capables d'aller piéger de l'azote, prendre de l'azote de l'air pour faire leur
14:51 propre croissance.
14:52 Il faut systématiquement les associer à des cultures qui ne sont pas des légumineuses
14:56 pour avoir la maximisation de ces services-là.
14:59 Donc, il y a des expériences à différents endroits dans le monde.
15:03 Ça va aussi avoir comme conséquence de faire rentrer des nouvelles espèces dans les chaînes
15:07 alimentaires.
15:08 Et c'est pour ça que je disais tout à l'heure qu'il faudra réfléchir à la question des
15:10 industries agroalimentaires, parce que quand vous produisez quelque chose de nouveau, il
15:13 faut aussi pouvoir le transformer pour l'amener jusqu'au consommateur.
15:16 - Laurence Tubiana sur ce point ?
15:18 - Bah écoutez, d'une part, effectivement, il y a des options, il y a des choses qui
15:25 sont en train de se passer, soit au niveau local, il y a tout à fait des innovations
15:29 et d'ailleurs en liaison entre la recherche de la meilleure qualité possible et aussi
15:34 des expérimentations par les agriculteurs eux-mêmes dans beaucoup, beaucoup de régions
15:38 du monde, que ce soit dans les grands pays émergents, on trouve de l'agroécologie au
15:42 Brésil, en Chine, en Inde, mais aussi on voit dans les pays comme nous, comme ceux
15:48 de l'Union Européenne, des pays qui, comme le Danemark par exemple, ont vraiment réduit
15:54 la consommation de pesticides alors que c'était un pays extraordinairement consommateur.
15:59 Donc, il y a des évolutions possibles.
16:01 Et ce qui me paraît, au fond, compliqué, c'est qu'on n'arrive pas à voir ce débat
16:06 de façon apaisée, en particulier en France.
16:09 Mais pas seulement.
16:10 On oppose l'agroécologie à l'agriculture qui serait fonctionnelle et capable de nourrir
16:17 le monde entier, alors qu'en fait les choses sont plus nuancées, qui fait effectivement
16:22 du temps pour que les modèles agricoles qu'on a développés depuis la guerre et perfectionnés
16:27 depuis et qui répondaient vraiment à un besoin de production alimentaire maximale,
16:33 et c'est aussi possible notamment pour les pays européens.
16:36 Aujourd'hui, cette position doit changer puisqu'on doit s'adapter à un contexte
16:42 complètement différent.
16:43 Et donc cette transition aujourd'hui, elle est présentée souvent dans le débat contre
16:48 l'agroécologie, contre la production, l'agroécologie qui va créer de la faim dans le monde.
16:55 Et du coup, on ne peut pas avancer tranquillement, je dirais, et dans le débat de la politique
17:01 publique, parce que quand même notre agriculture, elle est très largement façonnée par la
17:05 politique agricole commune.
17:07 Et là, on atteint des registres extraordinairement émotionnels, que ce soit sur l'idée
17:12 "on va priver les consommateurs français de viande", évidemment, ça n'est pas le
17:17 sujet.
17:18 On va encore une fois faire mourir de faim la planète entière parce qu'on ne sera
17:23 pas capable d'exporter.
17:24 Tout ça demande aujourd'hui une réflexion apaisée avec le milieu professionnel, avec
17:31 les consommateurs, avec la société française en général.
17:36 Et je trouve qu'il est vraiment temps d'y arriver.
17:39 Et je crois qu'aujourd'hui, il y a suffisamment de maturité de tous les côtés pour qu'on
17:44 arrive à soutenir cette transition dans un milieu qui est, il faut aussi le rappeler,
17:49 les agriculteurs français sont en particulier dans des situations économiques très difficiles
17:54 pour un grand nombre d'entre eux.
17:55 On a beaucoup de questions sur franceinter.fr autour de la responsabilité des industries
18:01 agroalimentaires.
18:02 Solène, au lieu de blâmer sans cesse les gens, ne serait-ce pas aux industriels alimentaires
18:07 de réduire leur production ? Martine, pourquoi ne parle-t-on pas assez des dégâts causés
18:11 par l'industrie agroalimentaire ? Christian Huig peut-être sur ces interpellations ?
18:16 Je pense qu'on les connaît relativement mal, les industries agroalimentaires.
18:21 En fait, on a la représentation de très grands groupes qui ont permis d'avoir accès
18:28 à une alimentation peu chère, de qualité très standard, de très forte qualité, de
18:34 très grande qualité sanitaire, et en réduisant les coûts grâce à la recherche d'économie
18:41 d'échelle.
18:42 On peut peut-être les blâmer sur certaines dimensions, mais elles ont permis d'avoir
18:46 une sécurité dans l'accès à l'alimentation dans nos pays d'y développer.
18:51 Il y a un vrai enjeu de réussir à avoir les mêmes logiques sans pour autant avoir
18:58 un écrasement des prix.
19:00 Parce que comme le disait madame Toubiana, le soutien à la transition passera par le
19:05 fait que les agriculteurs auront des revenus décents.
19:07 Il faut avoir ça dans tous les pays.
19:08 Et puis, ça pose aussi la question du type de produits et du type de process agroalimentaire
19:16 que l'on va avoir demain.
19:18 Et on a en France, par exemple, en ce moment, un grand projet qui démarre sur la réflexion
19:23 sur les ferments du futur.
19:24 Donc comment les processus de fermentation, qui sont des processus extrêmement efficaces
19:28 pour transformer les produits et rendre les aliments accessibles, et puis permettre aussi
19:33 leur conservation, comment demain on imagine des processus de transformation nouveaux
19:37 avec des ferments nouveaux.
19:38 Très rapidement avec vous Christian Huig, question de Véronique.
19:41 Est-ce que manger des insectes pourra remplacer le fait de manger de la viande et résoudre
19:45 le problème des impacts écologiques de cette industrie ?
19:47 Alors ça, il y a un grand fantasme autour de manger des insectes.
19:51 Alors il y a une vraie différence entre manger des insectes à l'apéritif, des crispies,
19:57 et se nourrir exclusivement à partir de là.
19:59 Si vous voulez faire des très grandes masses, il se pose deux questions.
20:03 La première, c'est est-ce que les insectes intrinsèquement sont plus efficaces que les
20:06 autres animaux pour convertir des produits végétaux en produits animaux ?
20:11 Il y a assez peu d'études là-dessus, mais il y a des travaux notamment néerlandais
20:17 qui ont porté là-dessus sur quelques insectes élevés en grande quantité.
20:21 Ils ont montré qu'en fait, les insectes étaient à peu près aussi efficaces que
20:24 les poulets pour convertir des produits végétaux en produits animaux.
20:28 Donc vous devez choisir entre un nuggets de poulet et un nuggets d'insectes et vous
20:32 aurez à peu près la même efficacité.
20:33 Le deuxième élément, qui n'est pas simple du tout, c'est que vous devez faire des
20:38 élevages en très grande quantité.
20:40 Et en fait, les insectes ne sont pas des choses qui sont faciles à élever en très
20:43 grande quantité.
20:44 Comme tous les animaux, vous avez des risques de maladie quand vous avez de très grandes
20:48 quantités.
20:49 Donc il y a des grands défis, mais ce n'est pas forcément très efficace.
20:51 Par contre, ça fait partie des logiques de diversification et qui sont tout à fait
20:55 intéressantes.
20:56 Merci à tous les deux.
20:57 Laurence Toubiana, président de la Convention citoyenne pour la transition écologique.
21:00 Merci également à Christian Huig, directeur scientifique à l'INREE, qui est intervenu
21:04 ce matin en direct de France.
21:05 Bleu Poitou, excellente journée à vous.

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