• l’année dernière
C'est l'été, les vacances (pour certains) et l'occasion de demander à Camille Tassel, professeure de philosophie et psychanalyste, de réagir à quelques affirmations sur la liberté.
Cet épisode répond à cette question : « Etre libre, est-ce ne dépendre de personne ? »

#Liberté #Philosophie #Culture #Pop

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Transcription
00:00 [Musique]
00:07 La liberté c'est ne dépendre de personne, c'est être seul.
00:10 Et en effet, qui n'a jamais rêvé de tout plaquer pour se retrouver sur une île déserte ?
00:14 Du Bouddha à Lady Gaga, qu'on soit une star ou un anacorette,
00:18 nous caressons tous cette douce illusion que l'herbe serait plus verte ailleurs
00:22 et que nous serions en effet d'autant plus libres si on ne dépendait de personne.
00:26 Mais cette liberté d'indépendance est néanmoins le degré le plus faible de liberté.
00:31 Car si on est seul sur notre île, nous encourons alors le risque de devenir esclave
00:36 non seulement de notre nature mais encore de la nature.
00:40 Car une liberté qui ne dépendrait de personne en viendrait à se perdre jusqu'à nous faire perdre la raison.
00:45 C'est d'ailleurs ce que le roman mondialement connu Robinson Crusoe, rédigé par Daniel Faux,
00:50 mais repris dans une version peut-être plus intéressante par Michel Tournier en 1967,
00:56 intitulé "Vendredi où les limbes du Pacifique nous laissent entendre".
01:00 Dans ce roman existentiel, Michel Tournier fait l'expérience de l'effroyable solitude.
01:05 Et en réalité, Robinson, sans Vendredi, en vient à perdre la raison.
01:10 Non seulement il perd conscience, mais connaissance du monde, des autres, voire même de lui-même.
01:17 Selon Michel Tournier, autrui serait la pièce maîtresse de mon univers.
01:22 Sans Vendredi, Robinson n'est plus rien.
01:25 Ainsi, une liberté qui ne dépendrait plus de personne serait tout au contraire la pire des alienations
01:31 car Robinson finit par s'animaliser, se végétaliser.
01:35 La liberté, ça n'est donc pas dépendre de personne.
01:38 Car si je ne dépends de personne, alors je ne dépends que de moi-même.
01:41 Or l'homme est cet animal le plus nu et dénudé qui, dans la nature,
01:45 se retrouve inéluctablement dépendant de la nature.
01:48 C'est précisément ce qu'illustre le film "Into the Wild",
01:51 inspiré d'une histoire vraie, qui suit dans ce road movie existentiel
01:55 le cri du cœur de cet adolescent incondescent qui souhaite tout plaquer pour pouvoir réaliser sa liberté.
02:02 Du Dakota en Alaska, après avoir surmonté toutes les épreuves que la nature lui imposait,
02:07 après avoir repoussé un ours, il n'en finit pas moins par mourir d'intoxication alimentaire
02:12 en ayant dégusté quelques graines naturelles.
02:15 La liberté, ça n'est donc absolument pas dépendre de personne.
02:18 C'est tout au contraire pouvoir dépendre de quelqu'un, mais selon une certaine dialectique.
02:23 Selon Hegel, dans "La phénoménologie de l'esprit",
02:26 il s'agit précisément de pouvoir réaliser ce qu'il appelle une dialectique du maître et de l'esclave.
02:31 Dès lors que le maître se pose comme le dominant,
02:33 il n'en demeure pas moins qu'il est dépendant des fruits du travail de son esclave.
02:37 Ainsi, le maître devient l'esclave de son esclave, et réciproquement, l'esclave lui devient le maître.
02:44 Le prof de la liberté, ça n'est donc pas dépendre de personne,
02:47 mais tout au contraire tendre vers un équilibre dans cette dialectique du maître et de l'esclave
02:51 pour pouvoir gagner sa liberté grâce et à travers l'autre, sans pour autant se réduire en esclavage.
02:58 Pour un grec, il n'y a aucun sens à penser la liberté comme ma liberté,
03:02 comme une citadelle intérieure qui viendrait s'opposer à la liberté d'autrui.
03:06 La liberté n'a de sens qu'à travers l'autre, et non pas du tout seulement pour moi-même.
03:12 Ainsi, il s'agit de renverser notre préjugé.
03:15 La liberté ne commence pas là où s'arrête celle d'autrui,
03:18 ma liberté commence là où commence celle d'autrui.
03:22 Et cette intuition que les grecs avaient tôt pressentie est me semble-t-il ce que nous avons perdu dans la politique.
03:27 Aujourd'hui, lorsqu'on parle politique avec mes élèves,
03:30 ils se crispent sitôt en pensant que la politique c'est quelque chose de barbant, voire même une alienation.
03:36 Alors que tout au contraire, pour un grec, la politique c'est la raison même d'être de la liberté.
03:42 C'est-à-dire que sans politique, il n'y aurait pas de liberté.
03:46 Pourquoi ? Car pour un grec, la police c'est la cité.
03:50 Ainsi, ce n'est qu'à partir de moment donné où on vit dans la cité qu'on peut faire l'épreuve de notre propre liberté.
03:56 Si bien qu'Anna Arendt est cette phrase magique, la raison d'être même de la politique, c'est la liberté.
04:02 Et son champ d'expérience, l'action.
04:04 Ainsi, à tous mes élèves qui prétendent ne pas vouloir voter, c'est eux-mêmes alors qui confisquent leur liberté.
04:10 Car ne pas faire usage de sa liberté de voter, c'est en soi confisquer sa propre liberté.
04:16 Ainsi, la liberté, ça n'est pas du tout dépendre de personne,
04:19 car alors on en finit par dépendre soit de soi-même au risque de perdre la raison,
04:23 ou de dépendre de la nature au risque d'être déterminée par elle.
04:27 Tout au contraire, il me semble que la liberté, c'est dépendre des autres en agissant sa liberté,
04:32 non pas contre l'autre, mais avec les autres.
04:35 [Musique]

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