Mohamed Mbougar Sarr, écrivain, Goncourt 2022, Bernard Guetta, eurodéputé Renew, Ariane Chemin, journaliste au Monde, autrice de À la recherche de Kundera (Sous-sol), et Ulysse Manhes, producteur à France Culture de Voix d'Europe centrale, rendent hommage à Milan Kundera dans le Grand entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-13-juillet-2023-4546526
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00:00 Nous traversons le présent les yeux bandés, tout au plus pouvons-nous pressentir et deviner
00:05 ce que nous sommes en train de vivre.
00:06 Plus tard, seulement, quand est dénoué le bandeau et que nous examinons le passé,
00:11 nous nous rendons compte de ce que nous avons vécu et nous en comprenons le sens.
00:16 Un extrait de « Risible Amour » de Milan Kundera pour ouvrir ce grand entretien consacré
00:21 au romancier franco-tchèque qui est donc mort mardi après-midi à Paris.
00:25 Il avait 94 ans, géant de la littérature, romancier à l'immense succès, traduit
00:29 dans plus de 80 langues, pourfendeur des régimes communistes, puis critique de notre
00:34 modernité occidentale.
00:36 Nous allons explorer toutes ces facettes avec nos invités et avec vous, auditeurs et lecteurs
00:41 de Kundera.
00:42 Vous nous appelez 01 45 24 7000, vous nous écrivez aussi via franceinter.fr.
00:47 Je vous présente nos invités ce matin.
00:49 Bernard Guetta, bonjour à vous.
00:50 Bonjour.
00:51 Député européen Renew, ancien correspondant à Varsovie, Washington, Moscou.
00:56 Votre dernier livre « La Nation Européenne » c'est chez Flammarion.
01:00 Vous nous parlerez du Kundera que vous avez connu personnellement.
01:04 Avec nous également Ulysse Manès.
01:06 Bonjour à vous.
01:07 Bonjour Jérôme.
01:08 Vous avez 24 ans, vous êtes doctorant à l'école normale supérieure.
01:11 Votre thèse est consacrée à Milan Kundera que vous avez rencontré également.
01:16 Vous produisez chez nos cousins de France Culture l'émission « Voix d'Europe centrale ».
01:21 En ligne également avec nous, un écrivain, Mohamed Bougharsar, prix Goncourt 2021 pour
01:27 « La plus secrète mémoire des hommes ».
01:29 Bonjour à vous.
01:30 Oui, bonjour.
01:31 Merci d'être en ligne avec nous.
01:34 Avec nous également Ariane Chemin, journaliste au Monde.
01:37 Bonjour.
01:38 Bonjour.
01:39 Vous avez publié en 2021 à la recherche de Milan Kundera aux éditions du sous-sol.
01:45 C'est une enquête qui est aussi à lire, je le précise, en six volets sur le site du
01:49 journal Le Monde.
01:51 Ulysse Manès, je me tourne vers vous.
01:53 Kundera vous fait découvrir le roman à l'âge de 15 ans, depuis il ne vous a plus quitté.
01:58 Vous êtes même parti en pèlerinage sur ses traces à Breno, sa ville d'origine.
02:03 Racontez-nous ce choc de lecteur.
02:05 Oui, je ne suis pas le seul.
02:07 C'est une expérience assez partagée des lecteurs de Kundera.
02:09 J'avais donc 15 ans, j'avais entendu un débat à la télévision entre deux intellectuels
02:14 qui évoquaient la plaisanterie de Kundera.
02:16 Et je vais voir mon père, je ne lisais pas du tout à cette époque, et je lui dis écoute,
02:19 est-ce que je pourrais lire quelque chose de Kundera ? Il me tend la plaisanterie.
02:22 Il me dit vas-y.
02:23 A cette époque, j'étais un cancre et peut-être grâce à Kundera, j'ai été sauvé.
02:28 J'ai lu ensuite tout Kundera de manière boulimique et je l'ai relu et je n'en sors
02:33 jamais.
02:34 Et grâce à lui aussi, j'ai pu découvrir Vitol Gumbrovich, Karel Chapek, un large horizon
02:40 littéraire.
02:41 Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous hape dans sa littérature ?
02:43 D'abord, à l'origine, je pense que c'était des émotions de jeunesse, c'est-à-dire une
02:49 grande...
02:50 Je découvrais d'abord la réalité décrite dans la plaisanterie, c'est-à-dire cet esprit
02:55 sérieux des camarades qui, face à un jeune plaisantin, Ludwig, qui envoie une carte postale,
03:02 envoie Ludwig dans un camp de travail de Moravie pendant 20 ans.
03:06 Mais surtout, ce qui m'a bouleversé, au-delà du contenu de ce roman, c'est la langue superbe,
03:11 sobre, déjà dépouillée.
03:13 Et puis Kundera est allé vers une langue de plus en plus dépouillée et minimale.
03:18 À cette époque, il écrivait en tchèque, évidemment, et ensuite il s'est mis au français.
03:22 Et puis, il y avait une continuité, une grande sensibilité et aussi la place importante
03:28 de la musique, je pense, dans la plaisanterie et dans tous les autres romans et essais de
03:33 Kundera.
03:34 Son père était musicien et lui-même était un pianiste émérite.
03:37 Mohamed Bougharsar, vous, c'est l'insoutenable légèreté de lettres.
03:41 Son roman le plus lu, 1984, vous dites "c'est un livre qui a beaucoup compté pour moi" et
03:47 c'est celui que vous offrez le plus, je crois.
03:49 Pour quelle raison ?
03:50 Oui, c'est le roman que j'ai le plus offert.
03:54 Je pense que je continue à l'offrir un tout petit peu encore parce que je crois que j'ai
03:59 autour de moi beaucoup d'amis, de personnes qui se posent des questions sur l'amour, en
04:06 réalité, sur les ambiguïtés de l'amour, les difficultés qu'il y a à être dans une
04:12 relation amoureuse et à gérer toutes les questions que cela implique, personnelles
04:16 mais aussi un peu plus en rapport avec l'autre.
04:20 Et je crois que Kundera est celui qui a le mieux, peut-être pas répondu à ces questions
04:25 mais qui a précisé ces questions-là, qui permettent d'y voir plus clair.
04:29 Ma rencontre avec lui s'est faite à une époque où j'avais à peu près 20 ans et où ces
04:34 questions-là me venaient sous une forme tout assez lyrique.
04:38 Pour ceux qui connaissent Kundera, c'est exactement ce qu'il pourfend d'une certaine
04:43 manière, cet âge lyrique-là.
04:45 Et le rencontrer m'a d'une certaine manière déniéré.
04:48 Et au fond, je crois qu'il faut être absolument reconnaissant à ce type d'écrivain-là.
04:54 Et par la suite, j'ai continué à le lire inlassablement.
04:57 Et dans tous ses romans, j'ai trouvé une intelligence, un rire qui ne renonçait non
05:05 plus jamais à l'émotion.
05:06 Son rire n'est pas un rire du tout méchant, ce n'est pas un rire au sens de celui qui
05:12 ricane, mais c'est un rire au sens où c'est quelqu'un qui tend les choses, qui dit que
05:18 rien n'est grave, mais que ce rien n'est grave est en même temps la tragédie même
05:22 ou la définition même de la condition humaine.
05:25 Donc c'est pour toutes ces raisons-là que Kundera est devenu un de mes écrivains de
05:32 chevet, un de mes écrivains, des écrivains avec lesquels j'aime non pas dialoguer,
05:39 mais juste auxquels j'aime retourner, en sorte de source sans fin.
05:43 Mais l'insoutenable légèreté de l'être reste le premier livre que j'ai lu de lui
05:49 et celui que je garde de mon œuvre précieusement.
05:56 Ulysse Manès, vous l'avez rappelé, naissance en Tchécoslovaquie, il écrit en tchèque
06:03 et puis il arrive en France dans les années 70 et il va beaucoup plus tard écrire en
06:09 français sur l'exil, sur le départ.
06:12 Je vous propose d'écouter Milan Kundera, 1984, l'émission Apostrophe.
06:16 Il répond à Bernard Pivot qui lui demande s'il n'y a pas un danger pour lui d'être
06:20 de moins en moins tchécoslovaquais, praguois et de plus en plus français et parisien.
06:24 Le paradoxe de ma situation est que j'ai perdu ma première patrie et que je suis en France
06:32 très très heureux et que par exemple dans mon travail de romancier, c'est un enregistrement
06:40 énorme.
06:41 Quand vous vivez sans cesse dans deux langues et quand vous contrôlez sans cesse votre
06:46 langue avec la langue dans laquelle vous êtes incessamment traduite, alors comme si deux
06:53 langues se voient dans un miroir et comme si chaque mot que vous utilisez, vous l'utilisez
07:01 d'une façon sémantiquement la plus exacte.
07:04 C'est-à-dire que je ne me sens absolument pas appauvri mais absolument enrichi.
07:10 Enrichi par ces deux langues, Bernard Guetta, je crois que c'est le roman L'ignorance
07:16 qui vous a frappé et c'est un roman sur le départ, sur l'émigration, sur l'exil.
07:21 Sur l'impossibilité de revenir, sur l'impossibilité de revenir dans une patrie qu'on a perdue
07:28 ou en tout cas quittée.
07:29 Et quand j'ai terminé ce livre, j'ai appelé Kundera parce que je ne pouvais pas attendre
07:37 de le voir pour lui crier, mais vraiment pour lui crier mon admiration et je lui disais
07:42 mais c'est ton livre le plus formidable.
07:44 Je ne sais pas si c'est son livre le plus grand, lui ne le pensait pas apparemment,
07:49 mais pour moi…
07:50 Qu'est-ce qui vous a parlé, vous, dans ce livre ?
07:52 Je vais vous le dire.
07:53 J'ai comme lui quitté, non pas définitivement, mais beaucoup de pays.
07:59 Et je savais d'expérience déjà à l'époque que quand on revenait, on ne retrouvait pas
08:04 le pays.
08:05 Parce que ce pays avait changé, qu'on avait soi-même changé, etc.
08:08 Mais surtout ce qui me frappe aujourd'hui, 20 ans après la parution de ce livre, c'est
08:13 que c'est un livre totalement prémonitoire sur ce qui s'est passé dans son Europe
08:18 centrale chérie, parce qu'on ne l'a peut-être pas encore assez dit, mais Milan Kundera,
08:22 c'est le romancier de l'Europe centrale.
08:24 Ce n'est pas un homme politique, ce n'est pas un dissident, non, c'est le romancier
08:28 de l'Europe centrale.
08:29 Et ce qui s'est passé dans cette Europe centrale, c'est qu'elle a oublié ce qu'avait
08:36 été sa période communiste.
08:38 Ou en tout cas, elle ne sait plus le dire, elle ne sait plus l'exprimer.
08:42 Pour une raison très simple, c'est qu'au moins la moitié de la population, en vérité
08:46 plus d'ailleurs, n'a pas vécu cette époque.
08:48 Elle n'a pas véritablement connu.
08:49 Les parents n'en parlent pas, parce que c'est très embarrassant, c'est très compliqué
08:54 d'en parler, de ce que c'était, etc.
08:56 Et véritablement, quand je repense maintenant aux mots qu'il a choisis comme titre de
09:03 ce livre, l'ignorance, à l'époque je me disais, mais pourquoi l'ignorance ? Mais
09:08 nom de Dieu, c'est évident, l'ignorance de ce qui fut.
09:13 L'ignorance de ce qui fut.
09:14 D'un peuple qui ignore son passé ?
09:15 Mais bien sûr.
09:16 Mais regardez d'ailleurs ce qui se passe en France.
09:18 Il a fallu attendre 40 ans ou 50 ans après la fin de la guerre pour nous retourner sur
09:26 la résistance, ce qu'avait été l'occupation, etc.
09:29 On n'en parlait pas.
09:30 On ne savait pas le réaliser, on ne savait pas le formuler.
09:33 Et bien en Europe centrale ex-communiste, on a exactement le même phénomène.
09:38 Et ce livre était totalement prémonitoire.
09:41 Ariane Chemin, vous êtes journaliste au Monde.
09:43 Vous aussi vous avez fait l'aller-retour entre la Tchéquie et la France.
09:47 Je voudrais qu'on parle de la personnalité de Milan Kundera.
09:50 Vous êtes partie sur ses traces.
09:52 C'était un homme extrêmement secret qui d'ailleurs détestait les biographies.
09:56 Travail difficile que de mener cette enquête.
09:58 Oui, parce qu'il a tout à fait effacé derrière lui Milan Kundera.
10:02 Il a passé avec sa femme à la broyeuse tous ses manuscrits, ses contrats.
10:06 Il a revisité tous ses livres, il a enlevé quelques petits paragraphes, il a changé
10:09 des noms.
10:10 Il voulait absolument avoir le contrôle sur son œuvre.
10:12 Il voulait que l'écrivain s'efface derrière l'œuvre.
10:15 Mais la vérité c'est que Milan Kundera il est aussi intéressant parce qu'il a
10:19 traversé un siècle.
10:20 C'est le XXème siècle.
10:22 Englouti désormais Milan Kundera.
10:24 Et j'ai écouté Bernar Guetta et j'ai aimé effectivement que cet homme à la fin de sa
10:29 vie, quand il ne sortait plus beaucoup de chez lui, il vivait quasiment enfermé, il
10:34 s'est mis à parler tchèque, il ne parlait plus français.
10:36 En fait il ne savait plus très bien qu'elle était sa patrie.
10:38 Et ça je trouve ça très intéressant parce qu'il a été au tout début des années
10:42 80, avant d'être naturalisé français, ce qu'on appelait à l'époque un apatride.
10:46 Il ne pouvait pas sortir de France.
10:47 Voilà pourquoi il passait ses vacances dans les Antilles ou à Belle-Île.
10:50 Il n'avait pas de papier Milan Kundera.
10:52 Et j'aime ça, j'aime aussi qu'il ait fait venir le président tchèque, que les gens
10:57 n'aiment pas beaucoup, ici chez lui, dans son appartement parisien, pour se faire redonner
11:01 la nationalité tchèque.
11:02 En fait Milan Kundera c'est l'inverse d'un défenseur de l'ordre au sens réactionnaire
11:07 du terme, c'est quelqu'un qui se moque, il défend l'irrévérence, la dérision
11:11 des pouvoirs.
11:12 Et d'ailleurs on a parlé de Ludwig, le héros de la plaisanterie, et bien quand il crie
11:15 effectivement « Vive Trotsky ! » devant les camarades, ce n'est pas très malin
11:19 et il a d'ailleurs plein d'ennuis dans le livre « La plaisanterie ».
11:21 Ce qui arrive dans ce roman, pour se rendre compte dans quel monde il a grandi, qui nous
11:26 paraît extrêmement éloigné aujourd'hui.
11:28 Ariane Chemin, vous avez retrouvé les comptes-rendus de la police tchécoslovaque, qui l'a suivi
11:33 à la trace pendant des années.
11:35 Ces comptes-rendus existent toujours, suivis jusqu'à Rennes où il enseignait dans les
11:39 années 70.
11:40 Oui, c'est un énorme dossier que j'ai réussi à consulter aux archives à Prague.
11:44 Et effectivement il est traqué avec sa femme, avec toute l'absurdité que ça veut dire.
11:51 Vous savez au moment du communisme tout puissant, c'est-à-dire qu'il est épié dans ses
11:55 fesses, ses gestes, on note le nom de son chien.
11:58 D'ailleurs parfois la police qui est nulle se trompe, on raconte dans quelle voiture
12:03 il se présente, il va avoir par exemple une cartomancienne, la cartomancienne va immédiatement
12:08 raconter aux policiers de la police secrète ce que Milan Kundera lui a raconté.
12:14 Donc il est à la fois traqué et puis après il est victime aussi d'autres accusations
12:18 où on dit "mais qu'est-ce que vous avez fait quand vous étiez jeune ? Est-ce que
12:21 vous n'auriez pas été comme les héros que vous racontez dans vos livres ? Est-ce
12:25 que vous n'auriez pas parfois trahi ? Il a été très blessé de ça, il a été
12:29 défendu en France mais pas du tout dans son pays.
12:31 Donc pour lui c'était très compliqué de se replonger dans son passé, c'est pour
12:34 ça aussi je pense que le fait qu'il ne voulait pas qu'on parle de lui et qu'on
12:37 fasse sa biographie, ce n'est pas seulement une posture littéraire comme le font bien
12:40 des écrivains français mais c'était aussi parce qu'il n'avait pas envie qu'on
12:43 retourne dans son passé.
12:44 Bernard Gaëta vous avez prononcé le mot de "dissident", il a été considéré
12:48 comme un dissident, lui il refusait cette étiquette.
12:52 Aragon dans la préface de la plaisanterie dont on parlait à l'instant l'a présenté
12:57 comme un écrivain engagé.
12:59 L'était-il selon vous ?
13:00 Moi je n'aurais pas à employer ces mots-là, c'était tout simplement un homme libre
13:06 et qui a exercé sa liberté dans un pays communiste qui ne tolérait pas cette liberté
13:13 et donc il est devenu de fait un opposant.
13:16 Et au moment du printemps de Prague, surtout dans l'année qui a précédé août 68,
13:22 et bien oui il était un opposant mais il n'était pas ce qu'on a appelé un dissident,
13:27 non il était un homme de la liberté.
13:28 Mais un mot, on s'interrogeait à l'instant sur sa patrie.
13:33 Milan a toujours eu une patrie et cette patrie s'appelait Vera, sa femme.
13:38 C'était un couple absolument incroyable que ma femme et moi aimions tendrement depuis
13:46 45 ans et on ne pouvait pas concevoir Milan sans Vera et on ne peut pas concevoir Vera
13:55 sans Milan.
13:56 C'est une très très belle histoire.
13:59 Et précisément parce qu'ils n'avaient plus de patrie, ils étaient l'un et l'autre,
14:06 la patrie de l'autre.
14:07 Oui, il avait une patrie Vera peut-être mais il avait aussi une patrie dans le roman.
14:12 Il ne s'agit pas de dire c'est sa patrie.
14:14 Et alors disons, ce qui me touche beaucoup aussi chez Kundera, c'est qu'il incarne
14:19 un petit peu l'idée qu'on peut se faire de l'honnête homme au sens du 18e siècle,
14:23 c'est-à-dire c'était à la fois un homme de grande culture, de grande sensibilité
14:27 aussi parce qu'il était pianiste, parce que la musique occupe une place fondamentale,
14:30 la peinture aussi.
14:31 Et vous vouez une grande admiration au 18e siècle, au siècle des Lumières à Diderot
14:36 notamment.
14:37 Absolument, au roman français Libertin, Vivant de Nom, Crébillon Fils, Sade qu'il cite
14:41 dans La Lenteur notamment, c'est même une variation là-dessus.
14:43 Il a fait une variation sur Jacques le fataliste et j'aimerais juste dire quelque chose sur
14:48 Kundera.
14:49 Vous disiez, il est dans l'opposition, il n'est pas dissident mais il est dans l'opposition
14:53 en effet mais je pense que c'est plus même un scepticisme vis-à-vis de la modernité
14:57 et pas que des régimes politiques.
14:59 C'est-à-dire, c'est quoi son regard sur la modernité, sur notre modernité ?
15:03 Les valeurs fondamentales qu'il est français.
15:05 Le privé, quand notre modernité est à vide de transparence, c'est la nostalgie, la nostalgie
15:10 qui est dans tous ces romans face au progressisme révolutionnaire, c'est l'amour et l'art
15:18 face à la politisation généralisée, c'est la sobriété et le scepticisme face au lyrisme,
15:24 c'est le rire face à l'esprit de sérieux et c'est l'âge adulte, la maturité face
15:28 au culte juvénile.
15:29 Donc c'est quand même un esprit qui est particulièrement sceptique vis-à-vis des
15:34 grands emballements de la modernité.
15:36 Vous nous dites que sa patrie c'est le roman ?
15:37 C'est ironique.
15:38 Ironique absolument.
15:39 L'ironie qui parcourt toute l'oeuvre de Milan Kundera.
15:43 Vous nous parlez, Ulysse Manès, de ce roman qui est sa patrie, Mohamed Bougharsar.
15:50 Est-ce que vous diriez que dans les années 70-80, d'une certaine manière, Milan Kundera
15:55 a contribué à donner un nouveau souffle, voire même à sauver cette idée du roman ?
16:00 Je crois en tout cas qu'il a contribué à rappeler les origines du roman européen
16:09 et la dette que ce roman européen devait...
16:11 Il disait d'ailleurs qu'un romancier n'avait de dette à rendre à personne sauf à servante.
16:17 Cela voulait dire qu'il indiquait déjà pour lui une certaine histoire du roman.
16:22 Non pas une histoire mondiale, mais au moins une histoire européenne.
16:25 Et je crois que c'était à une époque en Europe où nous étions, je pense, encore
16:32 dans l'aventure du nouveau roman.
16:36 Et je pense que son arrivée sur la scène littéraire européenne, sa défense simplement
16:44 d'une littérature européenne, a contribué à un tout petit peu relativiser une idéologie
16:51 du roman qui commençait à se soucier d'une certaine manière.
16:54 Et c'est en cela qu'il a été, je pense, tout à fait vivifiant, sans oublier qu'il
16:59 a toujours eu une certaine attention pour les autres histoires du roman, c'est-à-dire
17:04 les histoires du roman d'autres espaces.
17:06 Il a été très intéressé par la Caraïbe, il a été très intéressé par l'Amérique
17:11 latine, par les Antilles, on l'a aussi dit.
17:14 Et je crois qu'il a eu des dialogues extrêmement féconds, aussi bien avec Patrick Chamoiseau
17:19 qu'avec Octavio Paz, par exemple.
17:22 - D'Arnaud Fuentes ?
17:23 - On a aussi dit qu'il a été du côté de l'Amérique du Nord un grand ami de quelqu'un
17:29 comme Philippe Trott.
17:30 Donc c'est à la fois un esprit extrêmement européen dans son art du roman, mais aussi
17:35 un esprit extrêmement ouvert, presque comparatiste dans sa manière finalement de dialoguer.
17:42 - Ariane Chemin sur ce point ?
17:44 - L'âge d'or de Milan Kundera, c'est 1984, sa dernière apparition télévisée à Apostrophe
17:51 chez Bernard Pivot.
17:52 Et à l'époque, il ne faut pas oublier que dans les facultés françaises, dans les Pocaynes,
17:59 on explique que le roman est mort, on explique que la seule chose qui peut le sauver, c'est
18:03 le nouveau roman, on parle de structuralisme.
18:05 Et tout d'un coup arrive Kundera, avec des livres qui ont un début, une fin, une intrigue,
18:09 mais qui ne ressemblent pas à ce qu'on a pu connaître.
18:11 Et il leur fait renaître ce roman, et c'est pour ça que toute une génération s'est
18:17 retrouvée dans lui d'abord, aussi, parce qu'on garde en tête, et on gardera toujours
18:20 en tête, ces personnages, ces situations qui se nichent dans cette petite partie du cerveau
18:26 qu'on appelle la mémoire poétique, et Kundera sera toujours là, dans notre mémoire.
18:30 De nombreux messages sur l'application France Inter.fr.
18:32 Luc, qui nous parle de sa lecture du livre du rire et de l'oubli, choc pour lui à 18
18:39 ans.
18:40 Lola, qui nous dit qu'elle a découvert Kundera grâce à votre livre, Ariane Chemin,
18:44 et qui a pris une claque, nous dit-elle, en lisant l'insoutenable légèreté de lettres,
18:48 ce qui amène ce qui sera ma dernière question, pourquoi pas le prix Nobel ?
18:52 Eh bien, pourquoi pas, en effet.
18:56 Mais vous savez, je voudrais…
18:58 C'est oubli !
18:59 C'est incroyable, c'est même scandaleux.
19:00 Mais juste une indication.
19:02 Hier, en plénière du Parlement européen, j'ai proposé à la plénière d'observer
19:09 une minute de silence à la mémoire de Kundera.
19:12 Et tout le monde s'est levé, la salle l'a applaudi, la salle l'a applaudi, et ensuite,
19:18 j'ai eu une trentaine de collègues de toutes les nationalités, des huissiers, venus me
19:23 voir.
19:24 Merci, je l'ai tellement aimé.
19:26 Merci, je l'ai tellement aimé.
19:28 Ulysse Manès, d'un mot, le livre à lire pour rentrer dans l'œuvre de Kundera ?
19:33 Je pense…
19:34 Moi, je donnerais évidemment l'insoutenable légèreté de lettres, peut-être commencer
19:37 aussi par les nouvelles risibles amours, et si vous voulez lire un essai, l'art du
19:41 roman ou les testaments trahis.
19:42 Merci à tous les quatre d'avoir participé à ce grand entretien ce matin.
19:46 Si vous voulez plonger dans l'œuvre, allez-y, lisez la presse ce matin, il y a énormément
19:51 d'excellents papiers, et allez sur l'application Radio France, c'est très simple, et vous
19:54 allez réécouter Milan Kundera, et vous allez découvrir des émissions qui lui sont consacrées.
20:00 Merci beaucoup d'être passé par le grand entretien ce matin sur Inter.