• l’année dernière
Il est des personnages dont il est difficile d’imaginer l’enfance. François Asselineau se raconte ici sur un ton détendu et amusé auquel ne nous avait guère accoutumé un homme politique qui, rappelant la France à ses "fondamentaux", use habituellement d'un registre plus grave : il évoque ses origines familiales, dispersées entre plusieurs régions françaises, ses grands-parents et ses parents, amateurs de voyages pédagogiques et toujours exigeants sur les résultats scolaires de leurs enfants, tenus d’être partout "premiers de la classe". Il relate ensuite ses études, à HEC puis à l’ENA, insistant sur un long séjour au Japon, d’où, parce qu’il la voit de loin, il découvre la France, son unité et son génie, la qualifiant même "d’œuvre d’art", au service de laquelle et se promet de vouer sa vie - c’est le début d’une longue série d’aventures qui feront la trame d’un second entretien.

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00:00:55 Bonjour à tout le monde.
00:00:58 Deux petites mises au point pour commencer.
00:01:01 D'abord, vous l'observez autour de moi, nous avons déménagé.
00:01:05 Le nouveau conservateur s'installe désormais non loin de l'Académie française.
00:01:10 En sorte qu'il rejoigne d'ailleurs le conservateur de Châteaubriand,
00:01:14 qui était installé à deux encablures d'ici, dans le 6e arrondissement de Paris.
00:01:19 Et ensuite, je voudrais dire une fois pour toutes que ce à quoi vous,
00:01:25 ou les anciens qui regardent ces émissions le savent, j'espère,
00:01:31 pour les nouveaux, je dis qu'il ne s'agit pas du tout d'interview,
00:01:34 mais si on veut bien faire attention au sens des mots, de conversation.
00:01:39 C'est-à-dire que j'invite mes amis à converser avec eux sur le sujet
00:01:42 qui est certainement le plus intéressant, leur vie, leur manière de voir le monde,
00:01:48 leur façon d'apprendre, leur façon de dire, leur façon de vivre.
00:01:52 Et j'ai souhaité pour cela que la conversation au sens ancien ait lieu,
00:01:59 soit chez eux, soit au siège du conservateur, où vous êtes ici.
00:02:02 Et je commence par l'un de mes plus anciens amis,
00:02:05 que je reçois aujourd'hui avec grand plaisir, qui inaugure ce nouveau lieu,
00:02:09 François Asselineau, à tout seigneur, tout honneur.
00:02:12 Je voulais quelqu'un de marquant pour commencer cette émission.
00:02:16 Cher François, nous nous connaissons depuis longtemps,
00:02:18 nous nous sommes rencontrés à la table de Charles Pasquoie en 1998,
00:02:21 et je vous ai retrouvé à de multiples périodes de l'année.
00:02:26 Cher François Asselineau, on ne vous connaît pas tout à fait,
00:02:30 si je puis dire, en chair et en os.
00:02:32 C'est-à-dire qu'on ne sait pas très bien où vous êtes né,
00:02:36 si vous avez une maison de campagne, quelles sont vos racines,
00:02:38 quelle est l'origine du mois Asselineau,
00:02:40 comment vous avez partagé votre vie dans les 20 ou 25 premières années,
00:02:44 avant d'entrer à HEC, puis à l'ENA,
00:02:46 puis faire la carrière administrative et politique que l'on sait,
00:02:49 que l'on sait bien, mais ce qu'on ne sait pas, c'est ce qui s'est passé avant.
00:02:53 Oui, les débuts. Qu'est-ce que je peux vous dire ?
00:02:56 Je suis né le 14 septembre, le jour de la Sainte Croix.
00:03:01 Le 14 septembre, la Sainte Croix.
00:03:03 Ça fait penser, vous savez, à ce que disait Churchill en parlant de De Gaulle.
00:03:07 « De toutes les croix que j'ai portées dans ma vie,
00:03:10 la plus lourde a été la croix de l'Homme ».
00:03:12 Alors la Sainte Croix.
00:03:14 Je suis né le 14 septembre 1957,
00:03:17 sous la présidence du conseil de Félix Gaillard,
00:03:21 et donc en fait la même année que le traité de Rome,
00:03:25 qui a été signé le 27 mars 1957.
00:03:29 Il était temps que vous arriviez.
00:03:31 Il était temps que j'arrive.
00:03:33 Je suis né dans une famille très, très française, en fait.
00:03:37 Mon nom de famille, Asselineau, alors je ne sais pas très bien d'où ça vient,
00:03:40 quand on regarde sur Internet, quand on Google-lise,
00:03:43 quand on fait des recherches sur l'onomastique et ce genre de choses,
00:03:47 il semble que c'est un nom qui est très ancien, qui remonte au moins au Moyen-Âge,
00:03:51 et qui serait un diminutif matronymique
00:03:55 d'un nom d'origine noble germanique,
00:03:59 qui serait Eidel, qui aurait donné Eidelsin, etc.,
00:04:04 d'où Asselin, A-2-S-E-L-I-N, ou A-S-C-E-L-I-N.
00:04:09 Et Asselineau, le E-A-U, serait un diminutif matronymique,
00:04:12 notamment dans la région d'où vient en fait ce nom,
00:04:15 c'est-à-dire le centre de la France.
00:04:17 Le nom de la Loire, il y a beaucoup de noms en E-A-U,
00:04:20 tout au long du cours de la Loire.
00:04:22 — Oui, Saint-Fargeau. — Par exemple, voilà, il y a beaucoup de noms de familles qui se terminent en E-A-U.
00:04:28 — La Charité sur l'Oie.
00:04:30 — Alors très précisément, c'est à la Nièvre où le Loirait.
00:04:34 Et donc mon père avait fait des recherches...
00:04:36 — Séparé par la Loire.
00:04:38 — Voilà. Mon père avait fait des recherches, comment dirais-je, généalogiques.
00:04:44 Il était remonté quand même jusqu'aux années 1680.
00:04:48 Et pour ce qui concerne mon nom, parce qu'évidemment, c'est toujours très arborescent,
00:04:51 parce qu'on a deux parents, quatre grands-parents, huit arrière-grands-parents, etc.
00:04:56 Mais pour se limiter au seul nom Asselineau, il était remonté donc jusqu'à plus loin que 1780.
00:05:03 Et il faut savoir que... Enfin il faut savoir...
00:05:05 Ça m'avait amusé d'apprendre que le 20 avril 1789,
00:05:13 un certain François Asselineau, qui semble être mon ancêtre direct,
00:05:17 avait signé le cahier de doléances du village de Saint-Denis-de-l'Hôtel face à Jarjo dans le Loirait.
00:05:24 Ça semble-t-il mon ancêtre direct. Et donc ça veut dire que d'abord au passage, il s'avait signé.
00:05:29 — Que faisait-il ? Il était paysan. — Il était paysan, oui.
00:05:31 — Et il se plaignait de quoi, d'ailleurs, dans ce petit village qui, face à Jarjo...
00:05:35 Jarjo, libéré par Jeanne d'Arc, d'ailleurs, avant d'aller ensuite à Compiègne...
00:05:42 — Aujourd'hui, dans le Loirait.
00:05:44 — Aujourd'hui dans le Loirait, oui. C'est un petit village qui s'enorgueillit, justement,
00:05:47 d'avoir été libéré par Jeanne d'Arc des Anglais. Et il se plaignait de quoi ?
00:05:53 Comme dans tous les cahiers de doléances, on découvre quoi ?
00:05:56 Que les gens se plaignent de ne pas avoir assez à manger, de ne pas pouvoir manger de viande.
00:06:00 En 1788, il y a eu des dizaines. 1789 aussi.
00:06:04 Et il y avait un château qui existe toujours, qui est le château de Chenailles,
00:06:08 qui était entouré de murailles, qui existe toujours,
00:06:11 et au-delà duquel les paysans voyaient qu'il y avait du gibier, des lapins, des garennes...
00:06:16 — Où ils ne pouvaient pas aller. — Et où ils ne pouvaient pas aller. Voilà.
00:06:19 Et deuxièmement, ils payaient des impôts, alors que le noble du coin ne payait pas d'impôts.
00:06:24 Donc c'est ce qu'on va retrouver, d'ailleurs, dans tous les cahiers de doléances à travers toute la France.
00:06:28 Voilà. Donc ça m'amuse, parce que c'est un ancêtre dont on a perdu évidemment la tradition familiale.
00:06:34 Mais ça veut dire que d'abord, il savait écrire, ce qui n'était pas si fréquent quand même à l'époque.
00:06:39 Il y avait peut-être 5% des gens qui savaient écrire. Et puis c'était – semble-t-il – une forte tête, parce qu'il avait longue signé ce...
00:06:45 Voilà. Et ce qui m'amuse, c'est que...
00:06:47 — Et c'est singularisé pendant la Révolution, ensuite, ou pas ? — Non, non. Mais ce qui est assez étonnant, c'est qu'on retrouve des fondamentaux,
00:06:54 puisque aujourd'hui, c'est toujours le tiers État qui paye... C'est les classes moyennes qui payent les impôts.
00:06:59 Et les plus riches échappent à l'impôt. On l'a encore vu récemment dans des statistiques qui sont sorties.
00:07:05 Les très très grandes fortunes ne payent quasiment plus d'impôts. Ils organisent leur optimisation fiscale.
00:07:11 — La majorité des Français ne payent pas d'impôts, soit qu'ils soient trop pauvres, soit riches et qu'ils aient mis leur...
00:07:16 — Oui. Pas la majorité. On parle d'impôt sur le revenu, d'ailleurs, au passage, parce que l'impôt de la TVA, tout le monde la paye.
00:07:23 Et puis deuxièmement, il y a aussi cette espèce de recherche de la viande, de la viande carnée, etc., qui a fait le mouvement
00:07:32 Chasse-pêche, Nature et Tradition, d'ailleurs, qui était assez coréal. Il y a une idée entre la Révolution française, manger de la viande,
00:07:43 voilà, la libération du peuple... — Pouvoir chasser. — Pouvoir chasser. C'est très ancien. Rappelez-vous quand même la fameuse phrase
00:07:50 qui est apocryphe mais que l'on attribue à Henri IV qui voulait permettre à tous les Français de mettre la poule au pot tous les dimanches.
00:07:58 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire justement de la viande carnée. C'est assez intéressant. Il y a toujours une espèce de lien très ancien,
00:08:05 très entré dans l'ADN – comme on dit maintenant – des Français. C'est pouvoir manger de la barbaque, manger de la bonne viande.
00:08:10 — L'idée, gagner son beefsteak. Travailler, c'est gagner son beefsteak. — Oui. Voilà.
00:08:15 — Alors François, où avez-vous donc vécu votre enfance ? — Alors moi, je suis né à Paris, parce que donc ça, je parlais à l'instant
00:08:24 de mon grand-père paternel, qui était né donc dans ce village de Saint-Denis-de-Lautel au bord de la Loire,
00:08:31 qui ensuite d'ailleurs est devenu la grande banlieue d'Orléans, a été dénaturée. C'est un petit village compagnable.
00:08:36 C'est devenu un truc un peu industriel, suburbain. C'était dans le même village qu'il y avait Maurice Genevoix, d'ailleurs.
00:08:41 Quand j'étais petit, je croisais Maurice Genevoix, qui avait une ville là au bord de la Loire.
00:08:46 — Alors vous avez connu Maurice Genevoix ? — Connu, ce serait exagéré de dire... — C'était un hasard.
00:08:52 — Je l'ai vu plusieurs fois. C'est un vieux monsieur... Vous savez, quand vous avez 7 ans, 8 ans, quand vous voyez des personnes âgées,
00:08:59 c'est toujours un peu impressionnant, surtout que mon grand-père me disait que c'est Maurice Genevoix.
00:09:04 Je sais pas qui était Maurice Genevoix. Il me disait que c'était un grand écrivain.
00:09:07 — C'était un littéraire, votre grand-père ? — Non. Mais il s'enorgueillissait qu'on parlait très bien de français dans le Val-de-Loire.
00:09:17 Et quelque chose qui me frappe à la réflexion, c'est qu'il roulait beaucoup les R, mon grand-père.
00:09:25 — Oui, mais la vieille France a roulé les R, comme le Québec aujourd'hui. — Oui, exactement. Donc quand j'étais un peu plus grand,
00:09:32 quand j'étais adolescent, avec mon frère, on se moquait un peu de lui dans son dos, parce qu'il roulait les R comme ça.
00:09:37 Mais enfin, j'ai découvert qu'effectivement, d'ailleurs, au début du XXe siècle encore, tous les Français, tous les discours officiels
00:09:44 ont roulé R, les chansons. — Oui. Hériault, il était pas spécialement... — Les Roses et des Roses blanches de Berth Silva, là.
00:09:50 — Ah oui, oui. — Les Roses blanches. Mais c'est quand même... C'est assez étonnant. — Sarah Bernhardt roulait les R.
00:09:57 — Oui, oui. C'est assez... Et au grand siècle, on disait « le roué de France », en parlant du roi. C'était le roué.
00:10:03 — Au Québec, on dit toujours « le roué ». — Oui, oui. C'est assez... — Le chemin du roué. — Le chemin du roué.
00:10:08 Donc voilà ça. Puis on allait pêcher dans la Loire. Évidemment, comme j'étais petit, avec ma canne à pêche, j'envoyais le fil
00:10:17 dans les arbres derrière, dans les peupliers. Donc mon grand-père se fâchait. Et puis... — Vous pêchez toujours ?
00:10:25 — Non. Non, mais j'en garde. Pour moi, c'est vraiment les souvenirs... Vous savez, quand on regarde une vie qui commence à s'écouler,
00:10:33 on repense à des souvenirs quand on avait 6 ans, 7 ans. Ça se part toujours des petits souvenirs.
00:10:39 Surtout, voilà, ça se passait souvent au début du mois de septembre. Et donc mon père avait repris le travail.
00:10:47 Et puis ma mère laissait ses enfants pour 15 jours, parce qu'on reprenait le travail en général... — Le 15 ?
00:10:53 — Autour du 14 septembre. C'était toujours... Moi, ma date de naissance, c'était quasiment toujours le retour au boulot.
00:10:59 Et donc les 15 premiers jours de septembre, on les passait souvent chez mes grands-parents. Et donc je garde des souvenirs.
00:11:05 Vous savez, quand l'été commence à avancer, la lumière est plus dorée. Le ciel est un petit peu plus blanc, plus doré.
00:11:12 — La tristesse de la fin de l'été. — Oui. Et puis il y a des couleurs dans le Val-de-Noire que vous connaissez,
00:11:17 qui sont quand même très douces. — C'est doux. C'est très tablisé. — Voilà. Et donc je garde des souvenirs comme ça.
00:11:24 C'est une espèce d'enfance un petit peu lumineuse. Bon, évidemment, avec tous ces drames enfantins, toutes ces...
00:11:31 Mais il y avait ça, quand même. Et ça, c'est vraiment quelque chose qui m'a beaucoup marqué. Et puis mon père...
00:11:35 — C'est très chasse-pêche, nature et tradition, décidément. Votre enfance. — Et mon grand-père avait aussi...
00:11:41 D'abord, il avait beaucoup beaucoup de personnalité. Il écrasait sa femme, si j'ose dire, qui était... Alors elle, elle venait de...
00:11:49 — Ça arrive, ça. — ...de Hauts-de-Saône. Donc elle était... — Vous n'écrasez pas votre femme, François Asselineau.
00:11:53 — Attention, parce que vous avez votre aplomb. — Non, non. — Il vient de votre grand-père.
00:11:57 — Ma grand-mère paternale était née en Hauts-de-Saône. Et son père était mort par la guerre de 14. Et donc elles avaient été élevées...
00:12:11 Elle était née en 1901, quelque chose comme ça. Donc leur mère s'était retrouvée veuve. Elle avait 4 enfants, je crois.
00:12:19 Et donc elles avaient fait ensuite... Je dis « elles », parce qu'elle était avec sa sœur. Elles avaient été élevées chez les sœurs.
00:12:27 — Cato, alors c'était une famille catholique. — Alors pas vraiment. Mon grand-père, lui, était devenu totalement agnostique.
00:12:33 Mais sa femme, elle avait été élevée chez les bonnes sœurs. Et elle en avait gardé quelque chose.
00:12:38 — Elle avait resté... — Très très très... C'est un mélange assez détonant. — C'est du côté de votre père, donc, si je comprends bien ça.
00:12:43 — Oui. Ça, c'est du côté de mon père. — Et de votre mère. — Alors du côté de ma mère, ça venait d'autres endroits.
00:12:49 Donc ça venait du Tarn pour mon grand-père maternel. Et ça venait de la Bretagne pour ma grand-mère, des côtes d'Armor,
00:13:04 comme on dit maintenant, des côtes du Nord. — C'est toute la France. La Bretagne, le Tarn, le Loiret, un peu la Bourgogne.
00:13:11 — Oui. C'est ce que je dis, d'ailleurs. Souvent, une fois, j'avais discuté avec une radio en Bretagne sur les autonomistes bretons.
00:13:20 Et quelqu'un me disait : « Oui, les Bretons, si, les Bretons, ça ». Et j'ai dit « Mais c'est quoi pour vous, un Breton, en fait ? ».
00:13:25 « Mais un Breton, on me dit que c'est un Breton ». Je dis « Attendez. Moi, j'ai un quart de 100 Bretons ».
00:13:30 — Bon. Suis-je Breton ? — Suis-je Breton ? Alors c'est pas... Et je dis « C'est important, parce que quand vous parlez des Bretons,
00:13:36 à partir duquel moment on devient Breton ? ». Et j'avais poussé un peu le bouchon. J'avais fait un point goodwin.
00:13:40 J'avais dit « Est-ce qu'il va falloir faire des lois de Nuremberg ? », comme les lois de Nuremberg, pour savoir qui était juif en 1935 en Allemagne nazie.
00:13:48 Je crois qu'il fallait avoir au moins 3 grands-parents juifs. — Oui. Il faut le chercher.
00:13:51 — Donc là, est-ce que si on a 4 grands-parents bretons, on est breton ? 3 grands-parents, on est breton ? Alors attendez.
00:13:57 Je termine mon histoire, parce que... — Ils sont pas nos ennemis, les bretons bretonnants, quand même.
00:14:02 — Ah mais c'est pas des bretons bretonnants. Moi, j'aime bien la Bretagne. J'adore la Bretagne, qui est un souci légitime de sa culture.
00:14:08 — Voilà. — Oui. Oui, mais ça va souvent au-delà. Au-delà, quand même. Morvan Marshall, le créateur du drapeau du Gouinadou...
00:14:16 Vous savez que le Gouinadou, ça a été fait dans les années 20. Et Morvan Marshall était frappé à la dignité nationale, à l'immigration.
00:14:22 Et il y avait l'Allemagne nazie qui était derrière. — Quelquefois, ça tournait mal, oui. — Oui, oui, oui.
00:14:25 — Et quelquefois, ils sont récupérés soit par l'Allemagne aujourd'hui pour les Alsaciens, soit pour d'autres... — Oui, oui, oui, oui.
00:14:31 — ...sont récupérés ou manipulés par des puissances extérieures qui ont de l'influence en France. Donc il faut faire attention.
00:14:37 — Bien sûr. — Moi, je suis assez favorable malgré tout à l'idée de retrouver des racines, parce que c'est un travail de racines, quand même.
00:14:45 — Alors c'est comme la langue des hommes. C'est le meilleur et le pire. Là, je reviens de Corse. On fait tout un tintouin en ce moment.
00:14:51 Enfin on parle pas beaucoup dans les informations nationales. Mais vu de Corse, il y a un projet de faire de la co-officialité
00:14:58 de la langue corse. Personnellement, je trouve ça extraordinairement dangereux, parce que s'il y a co-officialité de la langue corse...
00:15:05 Dans la Constitution, hein. Dans la Constitution, c'est la langue de la République. C'est le français. Si on fait co-officialité de la langue corse,
00:15:12 pourquoi est-ce qu'on ferait pas le reste ? On met le doigt dans un engrenage qui est celui de la charte...
00:15:16 — Co-officialité, on finira avec l'anglais, vous allez voir. — C'est la charte des langues régionales et minoritaires.
00:15:21 — Tellement poussée par l'Allemagne. — Poussée par l'Allemagne que l'Espagne a signé puis ratifié, et que la France, sous Jospin, a signé,
00:15:31 mais n'a jamais ratifié. Vous savez ce qui est passé en 1996 par là. — Parce qu'il y a eu une petite bronca, quand même.
00:15:37 — Oui, parce qu'il faut dresser la liste des langues à protéger. En Espagne, ils ont dressé la liste des langues à protéger.
00:15:43 Ils en ont trouvé 9. À part le castillano, ce qu'on appelle l'espagnol, il y avait l'andalou, le galicien, le basque,
00:15:51 la langue de la communauté de Navarre, le catalan, l'arabe aussi, puisqu'il y a les deux enclaves de ce taille millilia.
00:16:01 À l'époque, en Espagne, ils ont dit non, ça ne menace pas l'unité nationale. Il faut voir maintenant où est-ce qu'on en est en Espagne,
00:16:07 avec les référendums à répétition pour l'indépendance de la Catalogne. Lorsque Jospin a signé conformément à son programme...
00:16:13 — Le 87. — Le 87. Il a signé la Charte des langues régionales et minoritaires, qui est née dans la mouvance de la Cour européenne
00:16:22 des droits de l'homme, avec derrière... — L'Allemagne.
00:16:24 — L'Allemagne. Eh bien à ce moment-là, vous savez qu'il y a un arrêt aux pages de scientifiques, de linguistes qui se sont réunis
00:16:37 et qui ont dressé la liste des langues régionales et minoritaires à protéger en France au nom de cette convention.
00:16:44 Et de mémoire – je me trompe peut-être à une ou deux unités près – il y avait quand même 76...
00:16:49 — 76 co-officialités, ça nous met dans un état en lambeaux.
00:16:52 — Dont il faut avouer la moitié dans les départements et territoires d'Outre-mer. Il y en a par exemple deux simplement à Mayotte,
00:16:58 ou plusieurs... Il y en a au moins une quinzaine en Nouvelle-Calédonie, parce que les pays mélanésiens,
00:17:01 vous savez, c'est quasiment un idiome par valet. Mais enfin pour ce qui concerne la seule France métropétenne,
00:17:06 il y avait quand même – je crois – 30 à 35 langues. Et donc ça, c'est un engrenage extraordinairement dangereux,
00:17:11 parce que par exemple, on parle de la co-officialité de la langue corse. Moi, je n'avais pas d'idée.
00:17:15 Je reviens de Corse avec un chiffre à l'esprit. Il y a à peu près 280 000 habitants en Corse.
00:17:20 Il y en a 60 000 qui parlent de Corse. Mais s'il y a 60 000, c'est le tiers de la ville de Montreuil.
00:17:26 — Oui. — Mais à Montreuil, vous savez quelles sont les langues les plus utilisées.
00:17:30 — Alors François Asselineau, je vous connais assez pour connaître votre vertigineuse érudition.
00:17:35 Quel que soit le sujet, vous savez tout sur tout. Tout à l'heure, en venant ici, vous me parliez du porphyre, par exemple.
00:17:41 C'était très étonnant de vous entendre. Vous savez un nombre de choses incalculables. Mais donc votre enfance, vos études, c'est Paris, quand même.
00:17:49 — Oui. Je suis né à Paris. — Que faisiez-vous ? Parents, vous travaillez l'un et l'autre ?
00:17:52 — Alors ma mère ne travaillait pas. Elle s'est dévouée à ses 3 enfants.
00:17:57 — Vous avez un frère aîné et une soeur cadette. — Voilà. Et mon père, qui est le fruit de la République, en fait,
00:18:05 puisque mes arrière-grands-parents étaient des pauvres gens, en fait, des paysans. Mes grands-parents sont montés à Paris au début du XXe siècle.
00:18:15 C'est là qu'ils se sont rencontrés, d'ailleurs. Et mon père, qui était fils unique... Il était né en 1927.
00:18:22 Donc c'est l'époque où il y avait essentiellement des enfants uniques. Et donc il avait été remarqué par des instituteurs qui avaient dit
00:18:30 à mes grands-parents, qui étaient des employés, qu'ils avaient un fils qu'il fallait pousser. Et donc ce sont des instituteurs,
00:18:39 puis des professeurs du lycée qui ont poussé mon père à faire des... Daina, qui a été le premier de la famille à avoir son bac.
00:18:47 Ensuite, comme il était bon en maths, ils l'ont poussé à présenter les concours des grandes écoles. Mon père n'a pas obtenu polytechnique.
00:18:56 Il a eu l'École centrale de Paris, qui était la deuxième. — Oui, c'était pas mal.
00:18:59 — Ah oui, mais vous ne connaissez pas la mentalité des ingénieurs. Voilà. Rater polytechnique, c'est une souffrance.
00:19:06 — La centrale est magnifique. — Oui, c'est très bien. Mais donc mon père a été... Jusqu'au jour où il a fini par s'en faire une raison.
00:19:13 Mais son rêve était que l'un de ses enfants fasse polytechnique pour faire mieux que lui.
00:19:18 — Alors là, vous avez fait HEC pour commencer, vous ? — Oui. Mais alors...
00:19:21 — Et après, Daina, ça lui va pas ? Il était content, en fait. — Si, si, si. Si, bien sûr. Bien sûr, bien sûr. Mais je...
00:19:27 — Mais faire polytechnique, en plus ? — Non, non, non. Mais c'est pour vous montrer le milieu familial dans lequel je suis né.
00:19:32 J'étais né dans un milieu familial avec... — L'ascension sociale, vraiment.
00:19:36 — Et puis surtout, surtout, ce qui est très très très important, il fallait bien travailler à l'école. Voilà. Et puis les grands trucs du décalogue.
00:19:45 Il fallait pas mentir, il fallait pas voler, il fallait dire la vérité, il fallait bien travailler.
00:19:49 — C'est très classique. — Oui. Donc c'est très très classique. Mais avec quand même une grande... Non. Aujourd'hui, j'y vais...
00:19:58 — Plus qu'à l'époque. — Pfff... Non, j'y vais à la messe de temps en temps à Noël et à Pâques. Voilà.
00:20:06 — Quelquefois, c'est agréable, une messe du dimanche comme ça. Vous savez... — Oui, oui, oui. J'aime bien la messe de Pâques.
00:20:12 — On parle de fils de semaine. — La messe de Pâques. Mais bon, je peux pas dire que ça soit... Parce que d'entre-temps,
00:20:17 j'ai quand même aussi découvert énormément de choses. Mais si vous voulez vraiment bien me comprendre et me connaître...
00:20:22 — Ah, je le veux. — Il y a vraiment ça qui est chevillé au corps. C'est qu'on m'a mis dans la tête. Mes parents... J'avais une mère qui était
00:20:30 dans la maison, qui surveillait les devoirs, la façon dont travaillaient ses 3 enfants, et qui n'était pas...
00:20:35 — Elle était sévère. — Oui, elle était très sévère. Mes parents étaient sévères, vraiment. Ils étaient vraiment sévères.
00:20:40 Et j'ai des souvenirs vraiment d'enfants où... Voilà. Une fois, j'avais eu que 17 sur 20 à l'école, là, parce que j'avais oublié...
00:20:49 Il fallait compter le périmètre d'un champ. J'avais oublié de décompter la porte. J'en souviens encore que ma mère,
00:20:56 comme j'étais pas premier, m'avait... — Réprimandée. — Oui. — Pas de pétition, d'ailleurs. — Non, non. Mais réprimandée.
00:21:02 — Pas contente. — Pas contente que j'avais fait preuve des tours de riz. C'est quelque chose qu'on pouvait me reprocher.
00:21:09 Donc j'ai été vraiment indiqué dans un univers où, quand on travaille bien, on réussit, on est récompensé.
00:21:16 D'ailleurs, ça avait marché pour mon père, en fait, qui a fait sa carrière ensuite à Gaz de France, puis à EDF,
00:21:21 et qui a été ensuite chef de centre régional en France, donc qui allait terminer sa carrière comme ça, donc qui a été cadre supérieur.
00:21:30 Mais bon, il ruminait le fait que par exemple, dans cette grande... Moi, j'ai été élevé dans la dévotion de Marcel Boiteux,
00:21:40 grand comité de l'État et d'EDF et du nucléaire, et des services publics de façon plus générale. Voilà.
00:21:46 Qui est toujours vivant, d'ailleurs, qui a plus de 100 ans, et qui est un type génial.
00:21:52 — Constituée cette première entreprise d'électricité au monde qui est en si grand danger aujourd'hui.
00:21:58 — Vous savez qu'on disait... Ce qui est assez extraordinaire, c'est qu'EDF a été la seule société soviétique au monde qui marchait très bien.
00:22:06 (Rires) — Grâce à Marcel Boiteux. C'est bien de citer des grands noms qui ont fait la France, justement, au moment où elle se défait.
00:22:13 Votre frère a subi la même éducation. C'était dur comme ça. — Oui. Alors lui, il était frère aîné. Mais d'abord,
00:22:18 il avait pas le même tempérament que moi, parce que j'avais un tempérament d'être plutôt travailleur, un peu polar.
00:22:27 J'ai toujours beaucoup travaillé dans ma vie, alors que lui était plus... Il avait plus de facilité peut-être que moi.
00:22:32 Il était plus... Enfin il est toujours vivant. — Pourquoi vous étiez un peu scolaire, enfin ? Pas beaucoup de sorties ?
00:22:39 — Non. Il y a des mythes familiaux. Vous savez comme il y a toujours des mythes. Voilà. C'est-à-dire que lui, il avait marché – je sais pas –
00:22:45 10 mois. Moi, j'avais dû marcher 15 mois. Il avait... Comment dire ? Il avait dû parler plus tôt que moi.
00:22:55 Il avait une grande facilité de mémorisation. Alors que moi... — Mais moi aussi. — Oui, mais à l'époque...
00:23:02 Vous savez, en plus de ça, il était plus grand que moi. Donc il y avait toute une espèce de mythe qui était apparue sur le thème que...
00:23:12 — Et votre sœur avait moins de sévérité, était moins... — Oui, parce qu'elle est née 8 ans après, quand même. Donc c'était déjà...
00:23:17 Mais par contre, elle était plus... Voilà. Voilà. C'est ça. Donc moi, je prenais vraiment les choses très très au sérieux.
00:23:24 — Vous avez fait ça à Paris dans le XIXe arrondissement, je crois. — Non, non. J'ai été dans plusieurs lycées. Mais non, c'était à Paris...
00:23:35 Vraiment, c'était très important pour... Dans mon enfance, c'était la chose la plus importante, quasiment.
00:23:42 C'était d'apporter à mes parents des bonnes notes. — D'accord. Il y avait des distractions, quand même. Il y avait du sport.
00:23:48 Vous faisiez du sport. — Au sport, j'avais été un grand sportif. Bon, j'ai appris la natation, quand même. J'aime bien la natation.
00:23:55 — J'en fais encore ? — Ah oui. — C'est bien. — Quand j'essaye de maigrir... Alors parfois, vous savez, je fais de yo-yo.
00:24:02 Donc parfois, quand je reviens au mois de septembre, on fait des vidéos. Les gens disent « Ah tiens, il a maigri ». Voilà.
00:24:08 Mais après ça, ça... — C'est dans un peu de star, François. — Non, j'aime bien la natation. Mais puis... Non, les grandes passions,
00:24:13 c'était les voyages. Et ça, c'est aussi mes parents, parce que depuis que... Quand nous étions enfants, mon père, qui aimait beaucoup
00:24:22 les voyages... Alors à l'époque, l'avion, c'était pas envisageable. C'était très cher. C'était beaucoup moins répandu. Voilà.
00:24:28 En revanche, mon père nous a beaucoup fait circuler en voiture dans toute l'Europe. — Ah, en voiture, c'est bien.
00:24:34 — Je garde un souvenir vraiment d'enfance. En 1963... Donc j'avais... En juillet 1963, je n'avais même pas 6 ans.
00:24:42 Et j'en garde des souvenirs, pourtant. Nous étions allés passer des vacances au Portugal. Je peux vous dire que en 1963, c'était...
00:24:53 — C'était pas de grande route, hein. Ça va pas vite. — Non. Je garde des souvenirs. Ah non. Puis je garde des souvenirs.
00:24:57 Ça nous faisait un peu peur, parce que c'était vraiment très pauvre. Puis les femmes étaient tout en noir.
00:25:02 — Ah, ça, là, c'est encore... Oui. — Elles avaient des vases sur la tête. — C'est quoi ?
00:25:08 — Tu sais, elles portaient des cruches. — Ah, c'est ça. — C'est des ronroirs. Je regardais ça. C'est vraiment...
00:25:13 C'est des choses qui m'ont beaucoup beaucoup frappé. Il y a des choses qui m'ont frappé comme ça. C'est aussi ce qui m'a beaucoup frappé.
00:25:18 C'est que j'ai connu mon arrière-grand-père, qui était donc le père du grand-père dont je parlais, celui qui me faisait rencontrer Maurice Gennevoix.
00:25:27 Donc j'ai connu mon arrière-grand-père. Mais elle est morte en 1963. Donc je garde bien souvenir d'une dame,
00:25:33 une petite fille, une dame toute ratatinée, habillée toute en noir. Elle s'appelait Gabrielle, de son prénom.
00:25:40 Et son mari, donc mon arrière-grand-père, s'appelait Frédéric. Et il était né en 1870. Et il est mort en 1965.
00:25:50 Donc il est mort... Je me rappelle très bien. J'avais 7 ans. Et il me faisait très peur, parce qu'il avait 95 ans, quand il est mort,
00:25:58 ce qui était un âge vénérable, ce qui est toujours un âge vénérable, d'ailleurs, mais un petit peu plus...
00:26:02 — Encore plus rare à l'époque. — Plus rare à l'époque. Et alors il était comme mon arrière-grand-mère.
00:26:07 Ils étaient habillés tout en noir. Et il avait la moustache de Bismarck ou de Clemenceau, si vous voulez.
00:26:16 Et donc moi, je voyais ce très vieux monsieur qui était vraiment... Il me faisait très très peur quand j'avais 5, 6 ans.
00:26:22 Voilà. On lui devait le respect, mais je savais pas très bien qui c'était. Et j'ai des souvenirs.
00:26:29 Il avait quand même connu lui-même en 1870, donc en 1875, il avait connu des gens qui étaient nés sous la Révolution française.
00:26:40 — Oui, oui. — Vous voyez ce que je veux dire ? — Oui, c'est parce que... — Sur la monarchie. Donc finalement, l'épaisseur des siècles est assez...
00:26:45 — Non, elle est pas... Les siècles, c'est pas grand-chose. — C'est pas grand-chose, en définitive.
00:26:49 — Justement. C'est ce que nos contemporains ne savent pas. Un siècle, c'est pas grand-chose. Il faut sans cesse nous le redire.
00:26:54 — Et mon arrière-grand-mère, une fois... Ou c'était lui qui avait dit... Une fois, je comprenais pas. Je m'étais fait expliquer
00:27:00 ce que ça voulait dire. Il avait dit... Il y avait quelqu'un qui allait vomir, qui avait des nausées. Et c'était mon arrière-grand-mère
00:27:07 qui avait dit « Mais tu vas quand même pas rendre les canons comme Bazaine ». — (Rires) Comme Bazaine.
00:27:11 — Je comprenais pas ce que ça voulait dire. C'est une expression des années 1880, 1890. Alors pour ceux qui ne sauraient pas,
00:27:17 parmi nos auditeurs, c'est celui qui a rendu le mauvais général pendant la guerre de 1970, qui a capitulé face aux Prussiens.
00:27:27 Voilà. Donc c'est ça. Et c'était une famille très française. Et mon grand-père... — Très national.
00:27:32 — Très. Mon grand-père m'a vraiment appris beaucoup de choses, par exemple. — Politiquement, très national, droite ou...
00:27:37 — Oh, c'était compliqué. Si on met dans tout... — Bonapartiste, un peu ? — Non. Il y avait de tout, en fait, dans ma famille.
00:27:43 Et surtout, si je prends le côté de ma mère, j'avais un grandon, un des frères de mon grand-père...
00:27:50 — Le côté de Tarn, alors. Tarn et Bretagne. — Non, non, parce qu'il y avait de l'autre côté... Là, pour l'instant, je ne parle que...
00:27:56 — Le côté de votre mère, c'est Bretagne et Tarn. Si je vous dis bien. — Oui, oui, oui, tout à fait. Donc si je résume,
00:28:05 il y avait à peu près tous les 4 figures. J'avais une partie de mon côté de ma grand-mère maternelle. C'était quand même très à droite
00:28:14 et assez pétainiste. Mais ils avaient... — Je vais pas vous interrompre, parce que vous allez encore me le reprocher.
00:28:20 Mais la droite et le pétainisme, c'est pas la même chose. — Non, mais c'était en l'espèce. — Donc Pétain lui-même
00:28:24 n'était pas plus à droite qu'à gauche. — Mais en l'espèce, c'était ça. Mais j'avais une grand-tante qui, elle, était ultra-gaulliste.
00:28:32 Et alors elle avait... — Sacha Baye. — Oui. Et alors à l'âge de 17 ans, elle avait essayé de passer la ligne de démarcation
00:28:41 sans autorisation, parce qu'elle devait aller à un baptême, je sais pas quoi. Puis elle était très... C'était un peu Tati Daniel, hein.
00:28:48 Mais alors à 17 ans, bon... Mais je l'aimais bien. Mais elle avait quand même... — Elle avait du caractère.
00:28:53 — Oui. Et à 17 ans... Alors elle était également très confite quand même aussi en dévotion. C'était vraiment un personnage.
00:29:02 Et à 17 ans, elle avait été arrêtée à la ligne de démarcation par les Allemands. Et elle avait été mise au trou pendant 5, 6 jours
00:29:11 avec des prostituées. Moi, je me rappelle quand j'étais... En 1967-68, j'avais 10 ans, 11 ans. C'est-à-dire donc...
00:29:22 C'est d'ailleurs finalement pas si loin. Ça faisait entre 42 et 41. — Oui. La guerre était encore présente.
00:29:29 — En 67, ça faisait jamais que 25, 26 ans. C'est pas si loin. — Oui. Les Unis étaient très présents.
00:29:34 — Et alors elle ne pouvait pas dire le mot allemand. C'était « les Boches, les Boches, les Boches ». Elle faisait une fixation.
00:29:41 Et elle racontait... Voilà. — Les frites. — Elle racontait toujours, toujours, toujours qu'elle avait été... Elle, on l'avait mise avec les putes.
00:29:49 Enfin elle disait pas « les putes ». Elle disait pas comme ça. Mais c'était incroyable, quoi.
00:29:54 Donc voilà. Ça, c'était d'un côté. Puis de l'autre côté, de l'autre côté, de l'autre côté...
00:29:57 — La moitié de l'émission se peint. Vous n'avez toujours pas 20 ans. Je sais pas s'il ne peut pas vous demander
00:30:03 deux émissions, cher François. — Et alors du côté de mon père, c'était... Il y avait un de mes oncles qui était au Parti communiste français.
00:30:14 Et c'était plutôt à gauche. Et mes parents étaient plutôt... Plutôt on dirait des bobos aujourd'hui, des bobos de gauche. Voilà.
00:30:23 Ils étaient plutôt de gauche. — Ils étaient de gauche, quand même. — Mais enfin de gauche socialiste, pas des communistes. Voilà.
00:30:28 Donc tout ça pour dire que le dimanche... — On dit « gauche républicaine ». — Oui, c'est ça. Le dimanche midi, il y avait la famille.
00:30:35 S'il voulait, avec le gigot flageolet, il y avait vraiment des discussions parfois homériques politiques.
00:30:41 — Oui, parfois, ça pouvait monter dans les octaves, parce que c'était vraiment une famille... Enfin c'était la France d'avant, quoi, où les gens...
00:30:51 — Et ça existe toujours. Ça existe toujours. — Alors je sais pas si ça existe toujours, mais...
00:30:55 — Les repas de famille, quelque chose comme ça. — Il y a quelque chose qui m'a beaucoup frappé, beaucoup beaucoup frappé.
00:31:00 C'est qu'ils étaient assez volontiers, comme sont souvent les Français, c'est-à-dire très critiques de tout. Bon.
00:31:07 Et ils étaient... À part ma grand-ante, qui vouait une admiration absolument extraordinaire au général de Gaulle,
00:31:13 les autres membres de ma famille au niveau des parents, des grands-parents, etc., ils étaient quand même souvent très critiques de de Gaulle.
00:31:19 — Ils étaient pas contents. — Ils étaient pas contents. Ils protestaient. — Charles Odessaou. — Voilà. Mais...
00:31:23 — Non. — Il y avait quand même des choses qui me surprenaient. C'est que tout en étant critiques, quand il parlait de de Gaulle,
00:31:31 il y avait une espèce de... Ça baissait dans les octaves, comme si on parlait de quelque chose de...
00:31:37 — Quand même, on n'y touche pas comme ça. — Voilà. C'était quand même quelque chose de... Même dans les critiques,
00:31:42 il y avait quelque chose de feutré. Même lorsqu'il avait été opéré d'un adénôme de la prostate en 1966-1967.
00:31:50 Moi, j'avais 10 ans. J'entendais souvent critiquer de Gaulle. Mais là... Ah oui, alors... Non, il paraît que c'est pas grave.
00:31:58 — C'est quand même bizarre, vraiment. — Mais il n'y avait plus de... Ils se disputent là-dessus. D'ailleurs, vous dites 1966 et 1967.
00:32:04 Des choses comme ça, ça vous a marqué, la sortie de l'OTAN, 1966 ? — Non, ça, franchement...
00:32:09 — Parce que maintenant, pour vous, c'est important. Tout le monde le sait. Pour l'UPR, pour nous tous, d'ailleurs.
00:32:13 — Oui. Ce qui me frappait, c'est... — À cette époque, ça tiltait chez vous, ça ? — Alors il y avait des conversations dans ma famille.
00:32:19 Et il y avait quelque chose qui était... À la fois, ils critiquaient. Et puis ils étaient quand même secrètement admiratifs aussi
00:32:25 de voir que de Gaulle, il envoyait bouler les Américains. — C'était pas mal. — C'était quand même pas mal.
00:32:31 — Et Pnoppet ? Vous avez des souvenirs de ça, du sport de Pnoppet ? — Oui. Non, honnêtement, j'avais même pas 10 ans.
00:32:39 — Mais 68, quand même. — Ah oui. Mais 68, là, oui. Là, j'ai eu beaucoup de... Oui, parce que c'était vraiment la fin de...
00:32:45 — Il y a 12 ans, 11 ans, vous étiez partisan de ce qui se passait à Paris ?
00:32:50 — Ah bah mes parents étaient... Mon père pensait que le régime allait s'effondrer, que de Gaulle allait partir.
00:32:59 Il faut dire que... Rappelez-vous, il y a une chanson de... Je crois de Michel Delpech qui s'appelle justement sur...
00:33:06 Je ne sais pas, 1966, ou un truc comme ça. Il dit « Elle est toujours le même président ». — Ah, « Elle est toujours le même président ».
00:33:12 — Donc il y avait une ambiance qui avait été créée à l'époque. C'était que de Gaulle, c'était... Il y en avait même un qui disait
00:33:18 « Plus la modernité ». — « 10 ans, ça suffit ». — Voilà. « Il y a 10 ans, ça suffit ». C'est exactement ça.
00:33:22 Mais il y a un grand souvenir sur de Gaulle. Je me permets de le lire, parce que c'est vraiment ce qui me tient le plus à cœur.
00:33:27 C'est que mes parents ont voté non au référendum de 69. — Oui. — Bon. Je crois que la plupart de... Sauf ma grand-tante...
00:33:35 — Très majoritaire à Paris et très minoritaire en province. — Voilà. — En province, pardon.
00:33:38 — Ma grand-tante, à elle, avait voté oui. Mais elle devait être la seule parmi tous ses onctantes grands-parents.
00:33:44 Et puis donc de Gaulle dit « Dans le Gaulle, 120 ». Bon, Pompidou, c'était pas forcément la tâche de tête de mes parents.
00:33:51 Mais enfin bon, bref. Et puis arrive le 9 novembre 1970. — Ah bon. — Et je reviens du lycée.
00:34:02 Il n'y avait pas de téléphone portable. Il n'y avait rien. Donc je reviens du lycée.
00:34:06 — Comment, il n'y avait rien ? Il n'y avait pas de téléphone portable. Il y avait quand même quelques petites choses.
00:34:10 — Il n'y avait pas d'Internet. Il n'y avait pas de téléphone portable. Il n'y avait pas de France Info.
00:34:14 — Enfin on apprenait les nouvelles, quand même. Il était mort le matin. — Oui, mais pas avec cette immédiateté, si vous voulez.
00:34:20 Donc je rentre à la maison. Et je vois ma mère complètement consternée et qui dit « Tu sais ce qui est arrivé ? ».
00:34:31 Je dis « Ben non ». Elle me dit « Mais de quoi, les morts ? ». Et moi, j'étais... Donc c'était le 9 novembre 1970.
00:34:37 J'avais 12 ans. Non, je venais d'avoir 13 ans. Et donc dans ma tête, je me dis « Ah bon, ben oui, enfin bon... ».
00:34:49 D'abord, c'était pour moi quelqu'un de très très âgé. Deuxièmement, ils avaient voté non. Donc ils étaient bien contents
00:34:54 qu'il soit parti. — Mais beaucoup l'ont regretté, à ce moment-là. — Oui. Et après ça, mes parents ont regardé religieusement
00:35:02 les obsèques et puis les émissions de télé. — L'alarme à l'œil. — L'alarme à l'œil. Et moi, je me suis dit
00:35:10 « C'est quand même incroyable. Pourquoi ils ont l'alarme à l'œil ? ». Je me suis dit « Il y a quelque chose que je comprends pas ».
00:35:16 Moi, c'est quelque chose qui me... — Qui part et voilà qu'il va arriver à regretter ça.
00:35:19 — C'est-à-dire comme si... C'est ça que j'ai compris. C'est qu'en fait, c'était quelque chose de... Vraiment un personnage hors du commun,
00:35:27 et qu'ils regrettaient d'avoir fait ça, sans doute. — Et vous l'avez tout de suite aimé ?
00:35:33 — J'ai toujours... Alors j'ai un grand souvenir aussi avec deux côtés. C'est des trucs de gosses, hein. Vous me faites dire.
00:35:38 J'ai jamais rencontré ça. Personne. — J'en veux, j'en veux, j'en veux des trucs de gosses.
00:35:41 — J'étais à l'école communale, comme on disait, en primaire. J'ai sauté une classe. Ça se faisait beaucoup à l'époque.
00:35:49 — Ah, puis les parents étaient là pour veiller. — Voilà. Donc j'avais un an de moins que les autres, parce que j'étais bon élève et tout.
00:35:55 Et ça devait être... Bon, je devais avoir 8 ans. Il y avait de la gymnastique dans le préau de l'école à Paris.
00:36:02 Et puis il y avait – je sais pas si je vais se mettre en rang – dans le préau de l'école la photo officielle de De Gaulle.
00:36:10 Et moi, je savais pas qui c'était, en fait. J'avais 8 ans ou 7 ans et demi, si vous voulez. Et donc j'étais avec un petit copain ou un petit...
00:36:19 Je sais pas quoi. À l'époque, c'était séparé garçon et fille. Et donc un de mes camarades de classe, j'ai dit « C'est qui ? ».
00:36:26 Et l'autre, il était plus dégourdi que moi. Il dit « Mais c'est De Gaulle ». Et j'ai dit « Mais c'est qui ? ».
00:36:31 Parce que c'était tellement majestueux. « Mais c'est qui, ce vieux monsieur qui est habillé comme ça ? ».
00:36:36 — Mais vous ne me dites pas... Vous aviez spontanément de l'affection à 10, 15, 18 ans, je crois, De Gaulle.
00:36:40 — Non, j'ai pas eu spontanément de l'affection. Non, non. — C'est maintenant que vous êtes très gaulliste. Enfin, c'est une référence majeure.
00:36:45 — C'est là que j'ai découvert, avec les contradictions du comportement de mes parents et mes grands-parents, qui à la fois critiquaient De Gaulle,
00:36:53 mais au grand moment de la vie de De Gaulle, n'arrivaient pas à cacher soit leur admiration secrète avec le Québec libre,
00:36:59 avec les Américains, etc., soit pleurer quand De Gaulle a été... C'était bizarre. Voir ses parents pleurer, c'est toujours très très très...
00:37:10 Oui, c'est quand même... Et je ne comprenais pas. J'ai voulu comprendre. Voilà. Et puis après ça, avec la maturité venant,
00:37:17 j'ai fait des choses que je ne pensais jamais faire. J'ai lu les mémoires de guerre de De Gaulle. Après, j'ai tout lu.
00:37:25 J'ai lu le film de l'épée, etc. Plus tard. — Et à 18 ans, vous aviez des opinions politiques, un peu ?
00:37:30 — Oui, j'étais pour l'Europe. — Ah mon Dieu ! — Bah oui. — L'avez-vous jamais avoué ? L'avez-vous avoué jamais, François Asselineau ?
00:37:36 — Oui, je l'ai toujours dit. Mais oui, j'étais le bon élève. — C'est ça. — Donc j'apprenais. Vraiment, j'étais bon élève.
00:37:43 — Avec ce qu'il y a de conformiste. — Oui, j'étais très conformiste. J'étais très conformiste. Pas toujours, parce que j'avais aussi...
00:37:49 J'ai un petit côté chez moi, vous savez, parfois un petit peu dissipé, même en bien parfois un petit peu rigoler, faire des blagues,
00:38:00 des trucs comme ça. Ça, ça fait partie aussi de ma personnalité. Donc j'étais parfois un petit peu éventuellement...
00:38:10 Parfois un peu indiscipliné, même. — Ah bah écoutez, ça, je le sais, parce que beaucoup d'années plus tard,
00:38:15 vous faites mort Rodurif, dont j'étais président pour des péchés que je n'avais pas commis. Et vous étiez vice-président du RIF.
00:38:24 — Mais jamais, jamais. Ça, c'est vous qui racontez ça. — Non, non, je crois. Mais enfin bon. Et vous n'étiez pas le plus sage de la classe,
00:38:31 le petit RIF. — Non, non, non, parce qu'il y a un truc qui m'a... Non, il y a un truc. C'est que quand j'ai l'impression de mieux connaître les choses,
00:38:37 ça m'énerve. Donc j'ai un peu tendance à envoyer tout bouler. Bon, il faut que je me calme, maintenant.
00:38:42 — Alors revenons-en à ces 18 ans, ces 20 ans. J'ai un petit problème. Mais on va le résoudre, François, si vous le voulez bien.
00:38:48 La moitié de l'émission s'est passée. Et vous avez à peine 20 ans. Bon. Donc il va falloir faire 2 émissions, si vous le voulez bien.
00:38:56 Si vous voulez bien revenir en deuxième semaine, comme on dit. Mais je pense que ça intéressera beaucoup nos auditeurs.
00:39:02 Pourquoi HEC, après tout ça, alors ? C'est toujours pour... — Parce que j'étais... — Vous voyez pas dans le commerce du tout.
00:39:08 — Non mais pour une raison très simple. C'est que mon père voulait que je fasse maths sup, maths sp, polytechnique.
00:39:14 Ça, c'était son rêve. Et en fait, j'étais bon en maths. Mais j'étais pas un génie en maths.
00:39:22 Mais en revanche, j'étais vraiment bon dans toutes les matières. Et j'étais particulièrement attiré par l'histoire, le français,
00:39:30 les questions internationales. Voilà. — Ah, voilà. — Oui, quand j'étais... — Qui sont cardinales aujourd'hui encore, la pensée...
00:39:36 — J'étais petit. — Votre pensée et le programme de l'UPR part d'une conception de la France dans le monde, c'est-à-dire d'une politique étrangère.
00:39:43 — Voilà. — Maire de toutes les politiques. C'est une des choses qui nous a beaucoup rapprochés.
00:39:48 — Oui. Et ça, je le dois aussi à mes parents, puisque mon père, comme je vous l'ai dit, nous avait... Moi, je l'ai des souvenirs de personnes
00:39:55 de notre génération. À 5 ans, au Portugal, c'est quand même assez rare. À 8 ou 9 ans, il nous avait emmenés en Angleterre pour les vacances de Pâques.
00:40:05 Et moi, j'avais découvert qu'on pouvait, au petit déjeuner, boire du jus d'orange, manger du bacon... — Manger des oeufs.
00:40:13 — Des oeufs au bacon. C'était pour moi incroyable, en fait. On avait vu la Reine d'Angleterre. C'est en 1967. Donc ça m'a très jeune,
00:40:22 formaté. J'ai eu un immense goût pour les voyages. Et ça s'est continué, puisqu'après, vraiment, je dois beaucoup de choses à mon père,
00:40:30 de ce point de vue-là. — Vous avez été au ministère des Affaires étrangères, au cabinet de Charest.
00:40:33 — Oui, alors ensuite, ensuite, ensuite. Mais ça... — Vous avez été au Service international du trésor, chambre de l'Asie, je crois.
00:40:40 Vous avez le monde dans la tête. — Eh bien à HEC, il y avait un classement. On était 350. Et en deuxième année, on devait faire un stage
00:40:50 obligatoirement à l'étranger. Alors c'est un petit peu important, ce que je vous raconte. C'est minuscule. Mais dans le développement de ma vie,
00:40:57 c'est qu'il y a un classement. À la fin de la deuxième année, on doit faire un stage à l'étranger. Et je suis deuxième de la promo,
00:41:07 comme je suis sorti le 17 mai de l'ENARD. Je suis le poulidor à chaque fois. — Ah oui, poulidor. Oui, d'accord. Deuxième à l'ENARD,
00:41:11 c'est quelques années plus tard. — Et à ce moment-là, on pouvait... — Qui était le premier ? Qui était en...
00:41:16 — C'était Philippe Capron de ma promotion, qui a été... On a parlé de lui pour prendre la direction du général d'Air France.
00:41:21 Il a été boulé. Il a fait des... Il a été dans la scénarogie. — Vous êtes sorti dans la boite et vous êtes devenu inspecteur des finances.
00:41:28 — Alors lorsque... Lorsqu'il y a eu ce stage en deuxième année, il y avait une poignée de stages, 10 ou 12, qui étaient proposés par HEC
00:41:38 dans des services commerciaux dans des ambassades de France à l'étranger, qui étaient extrêmement demandés, parce que si le stage se passait bien,
00:41:45 on pouvait demander à retourner comme volontaire du service national actif pour le service militaire, qui était obligatoire pour les garçons.
00:41:53 — Il faisait une année de plus. — Et donc ça faisait une espèce d'année préprofessionnelle qui durait plus longtemps. J'étais deuxième dans ma promo d'HEC.
00:42:01 Première était une jeune fille qui, elle, a pris ce stage. Mais elle, elle voulait aller au Canada. Donc elle a pris la première en Montréal.
00:42:08 Et moi, j'ai pris un pays qui m'attirait depuis que je suis petit. C'est le Japon. — Ah, c'est comme ça que vous avez appris le japonais, alors.
00:42:15 — Oui. C'est pour ça que je suis... — Je comprenais pas pourquoi vous parliez japonais. C'est... — C'est encore une autre histoire.
00:42:20 Encore une histoire. C'est que j'avais 7 ou 8 ans, lorsqu'il y a une amie de mes parents qui était venue et qui m'avait offert un cadeau.
00:42:29 Et le cadeau, c'était un 45 tours illustré. Et c'était l'histoire d'un petit garçon qui avait mon âge, 7 ans, à qui on offrait un poisson rouge.
00:42:39 Et l'histoire, c'est que le poisson rouge, en fait, l'emmenait dans un pays étrange qui était le Japon. Alors je sais pas si ça vient de là.
00:42:45 Mais ce qui est vrai, c'est que j'ai toujours rêvé d'aller au Japon. Et la première fois que j'ai pu y aller, c'était donc à HEC. Pof !
00:42:50 J'ai fait mon stage de deuxième année. Je vais auprès de l'ambassade de France à Tokyo. Ça se passe très bien avec le conseiller commercial.
00:42:57 Et il m'a dit « Si vous voulez, je vous prends pour faire votre service national ». Donc ça a duré un an et demi. C'était pas comme le service militaire.
00:43:03 Un an et demi dans un contexte... C'était en 81. C'est un contexte très très différent d'aujourd'hui. Il n'y avait pas d'Internet, pas de téléphone portable.
00:43:10 On avait interdiction de téléphoner à l'étranger. — Interdiction de téléphoner à l'étranger.
00:43:14 — Oui. Ça coûtait très cher. Mes parents m'appelaient depuis la France. Mais à l'époque, une peine de minute entre Paris et Tokyo...
00:43:20 — Ça coûtait cher, oui. — C'était quand même peut-être de 15 € pour aujourd'hui. — Bonjour, ça va ? Oui, ça va. A bientôt.
00:43:25 — C'est arrivé. Et j'y suis retrouvé pendant l'année 80. J'ai été réveillé... — Et sans faire l'aller-retour Tokyo-Paris,
00:43:31 facilement, évidemment. C'était vraiment le... — Et donc le 11 mai 80, dans la nuit vers 4 heures du matin, j'ai reçu un appel téléphonique de mon père,
00:43:39 qui m'appelait. Il était 8 heures du soir heure de Paris. Et donc il m'appelait que Mitterrand venait d'être élu.
00:43:45 Et moi, j'étais sur mon... J'avais un petit studio avec des tatamis par terre à Roppongi. C'est vraiment dans l'hyper-centre de Tokyo.
00:43:52 C'était pas loin des services commerciaux. Et là, j'ai été réveillé en pleine nuit. Et mon père était très... Il avait le sentiment de vivre
00:44:00 un truc historique. Et puis Tokyo, c'était la nuit, tout en complet. — Et quelle fut votre réaction ? Ça vous a frappé aussi ?
00:44:10 — Oui, mais c'est ma réaction. Ça faisait depuis le mois de novembre que j'étais au Japon. Donc ça faisait déjà plus de 6, 7 mois.
00:44:17 Je m'étais habitué à ce que la France... On en parle très très peu dans les journaux japonais. C'était des schémas.
00:44:23 C'était... Voilà. C'était Catherine Deneuve, Alain Delon. — Pierre Mathieu.
00:44:30 — Ouais. C'était vraiment des trucs très schématiques. Une immense, immense prestige de la France.
00:44:35 — Immense prestige de la France. — Ah oui, oui, oui. En termes culturels, en termes de... Toutes les Japonaises rêvaient d'aller...
00:44:42 — Se marier à Paris. — Voilà, exactement. Bon, c'était vraiment très très impressionnant. Un peu déstabilisant, d'ailleurs,
00:44:48 puisque je me rappelle... Moi, j'étais dans les services commerciaux. Un jour, il y a un Japonais, un importateur qui vient
00:44:54 et qui me demande... C'est en produits alimentaires. Il me demande tout à trac. Mais en anglais, il me demande où est-ce que c'est
00:45:01 Roquefort pour le fromage. Et je sais pas. — Oh. — Ah oui. Je savais pas tout.
00:45:08 — Mais vous n'étiez pas allé à l'école, M. Asselineau. — Je ne savais pas où était Roquefort. J'ai corrigé ça.
00:45:15 — C'est pas loin du Tarn. — C'est près du viaduc de Mio. Mais bon, je ne le savais pas. Et je suis revenu de là en me disant...
00:45:22 Enfin d'abord, mon rêve, c'était de... Je me suis dit je vais préparer l'ENA. Mon rêve, c'était de sortir au Quai d'Orsay pour devenir
00:45:28 un jour ambassadeur de France au Japon. À l'époque, c'était occupé par l'ancien chef de cabinet de De Gaulle,
00:45:33 qui était Xavier Dauphin de la chevalerie. Et donc c'était vraiment mon rêve.
00:45:41 — Vous entendez bien avec l'ambassadeur. Vous vous souvienez qu'avec... — Mais aussi... Mais j'étais tout petit.
00:45:44 Moi, j'étais un petit coopérant. — Vous aviez 21 ans. — 24 ans. Et puis je me suis dit c'est quoi être français.
00:45:57 Qu'est-ce que c'est qu'être français ? Voilà. Finalement, pourquoi, dès que je dis... Enfin ce « jindez », ça veut dire « je suis français ».
00:46:04 Les gens... « Randonnir ». C'est vrai, c'était un succès énorme dès qu'on disait qu'on était français. Mais pourquoi, en fait ?
00:46:13 Qu'est-ce qu'il y avait donc dans ce pays ? Alors que par ailleurs, je savais pas où était Roquefort ou l'habit de ses noncles,
00:46:19 l'habit de Sylvaquin. Donc je me suis dit que c'était assez déstabilisant. — Mais est-ce que... François, je vous interromps, François.
00:46:26 Est-ce qu'il faut être – je le crois, d'ailleurs – rompu au regard lointain sur son pays pour le connaître, l'aimer et le servir ?
00:46:38 — Je crois profondément. — Moi aussi. — Je crois profondément que vivre à l'étranger... Et en plus, un pays comme le Japon,
00:46:46 c'est vraiment le monde à l'envers. Cet Écossais, là, qui a écrit beaucoup au XIXe siècle sur le Japon, c'est une autre totalement autre civilisation.
00:47:06 J'en suis revenu aussi avec cette conviction. C'est que les Français à l'intérieur de France ne se rendent pas compte de ce qu'est la France,
00:47:14 de ses vraies caractéristiques, de ses originalités, de son unicité. C'est presque une œuvre d'art, en fait, dont nous sommes redevables.
00:47:24 Et les Français ne se rendent... — Quand on a le nez dessus, on se rend pas compte. — Voilà. On se rend pas compte.
00:47:31 Et aussi, ce que j'ai découvert au Japon... Alors j'étais déjà formé un peu. Du moins, le terrain avait été prédisposé par mes parents,
00:47:39 qui nous avaient fait beaucoup voyager. Mais c'était en Europe. Mais cette idée aussi de l'altérité, de regard des autres, et de comprendre que ça, c'est très très...
00:47:48 — Que les civilisations sont pas si hermétiques... Enfin plutôt hermétiques les unes les autres, pas si visionnables.
00:47:54 — Et puis comprendre aussi l'extrême ignorance en fait de nos dirigeants. Aujourd'hui, si on veut, ce qui me frappe le plus dans le discours politique,
00:48:05 la scène politique, c'est qu'en règle générale... — Ils savent rien. — Ils ne savent rien. — Voilà. Moi aussi, ce que je répète tout le temps.
00:48:12 — Ils ne savent rien. Ils croient que... Enfin cette espèce de bonne foi... Comment dirais-je ? Les Français... Même des gens très très à gauche,
00:48:23 ils s'estiment de bonne foi en droit de dire à l'ensemble du monde ce qu'il faut penser. — Alors qu'ils vivent dans un bocal.
00:48:32 — Même les chante-gauches... Par exemple, sur la question des droits de l'homme, je me rappelle...
00:48:36 — Ils sont pas plus enfermés que les internationalistes. — C'est incroyable. Enfin la question des droits de l'homme, par exemple, que j'ai vue...
00:48:44 J'avais accompagné Chirac en Chine. On avait été reçus par le président de la Chine.
00:48:49 — C'est le président du Trésor, alors, plus tard. — Au Calorsay. — Au Calorsay. — Au Calorsay. La façon dont les Français viennent
00:48:57 dire aux dirigeants chinois... Alors voilà, on est très préoccupés par les dissidents. Je vais vous remettre une liste. C'est incroyable, en fait.
00:49:06 Alors on est absolument convaincus qu'on est... — Donneur de leçons. — Donneur de leçons, mais... — Sans savoir qui est l'autre.
00:49:11 — Et sans connaître l'histoire. Parce que vu de Chine, si vous voulez, la France a commis des exactions épouvantables avec les Anglais au XIXe siècle.
00:49:20 — C'est effrayant, d'ailleurs. — C'est affreux. Je pense que les gens comprendront mieux mon propos si je leur disais...
00:49:29 Par exemple, imaginons que l'Allemagne aujourd'hui donne des leçons de morale à Israël. — C'est ce qu'elle fait, d'ailleurs, je vous signale.
00:49:35 — Oui. Mais donne des leçons de morale à Israël. — À l'Europe entière. — À Israël, non. — Pardon. Pas Israël, peut-être pas. Mais à l'Europe entière.
00:49:40 Alors Israël, en Palestine, c'est pas toujours très généreux, hein. C'est le moins qu'on puisse dire. — Il fallait se taire.
00:49:48 — Mais l'Allemagne ne peut pas dire un mot sur Israël. Le passé la condamne au silence. — Non, non, non. On n'en parle pas.
00:49:58 — Mais c'est pareil. Lorsque les pays occidentaux donnent des leçons... Et on le voit d'ailleurs avec la Russie en ce moment.
00:50:03 — C'est des leçons à l'Afrique. — Voilà. Lorsqu'on donne des leçons à la Russie, alors que Vladimir Poutine, dans cette affaire ukrainienne...
00:50:14 L'opposition à Poutine, en fait, c'est une opposition... Beaucoup de gens en Russie considèrent que Poutine est trop mou.
00:50:20 Ils le considèrent comme centriste. — Mais Poutine est amodéré, disons-le. — C'est vrai. — Je le crois.
00:50:25 — Et Poutine fait... Je suis pas là. Je sais qu'on va encore dire que j'ai des valises de Poutine, que je reçois des valises de bien.
00:50:30 — Mais la vérité oblige à dire que Poutine, dans cette affaire ukrainienne, a pris des mesures pour essayer d'avoir le moins de morts possible
00:50:42 des deux côtés, à commencer par les Russes mais aussi de l'autre côté, alors que les Américains vont bombarder des centaines de morts.
00:50:50 Vous vous rappelez Madeleine Albright qui avait dit que les 500 000 enfants morts, on dirait que ça valait la peine.
00:50:57 Enfin c'est des trucs incroyables. Et il y a toujours, toujours, toujours cette espèce de suffisance occidentale.
00:51:05 — De tout l'Occident, oui. — Alors ça, ça m'a beaucoup frappé aussi. — Les Français sont pas exemples. C'est pas par occidentalisme.
00:51:11 C'est un vieux travers français, ça aussi. — Alors c'est vrai. C'est vrai. — Encore que du temps de l'Ancien Régime, qui pour moi,
00:51:18 c'est ma préférence, vous le savez, il viendra peut-être dans du cours à sa survenir, la France était très tournée avec charité,
00:51:25 avec curiosité vers le monde. Louis XIV formant, vous savez, la création de l'école des Grandes Eaux, formant des jeunes Français
00:51:37 à l'usage de l'arabe, du chinois, etc., pour que les Français puissent s'aimer dans le monde et connaître le monde.
00:51:43 Ou bien même la fameuse expédition lancée – je crois – par Philippe Le Bel pour découvrir les Chinois et adresser un salut aux Chinois.
00:51:53 Enfin c'était... — Ah du coup, Guillaume de Rubruc. — Guillaume de Rubruc, oui, oui. — Donc la France a été ouverte sur le monde.
00:51:58 Mais elle s'est beaucoup recroquevillée, paradoxalement, après la Révolution française. Elle avait raison sur tout, non ?
00:52:03 — C'est-à-dire que le palaison a porté le message... — Après la Révolution française, on a donné des leçons au monde en permanence.
00:52:07 — Voilà. Et ça, c'est quelque chose qui est en train de nous retourner contre l'Occident en général, la France en particulier,
00:52:14 comme un énorme boomerang en ce moment, parce que je pense que l'évolution... — Le monde bascule.
00:52:18 — Le monde bascule. L'évolution des PIB, le pourcentage respectif des PIB, des populations, de la démographie fait que
00:52:25 l'ensemble de ce qu'on appelle maintenant le Sud global, l'Orient global, etc., supportent de moins en moins ces leçons.
00:52:33 — Vous savez, François Asselineau, que lorsque vous parliez de votre enfance, nous avons à peu près le même âge.
00:52:37 La France avait le 4e, 5e, 6e PIB par habitant. On est à 35e rang, maintenant.
00:52:44 — Oui. Ça dépend... — Des gringolades, il faut faire grand-part.
00:52:46 — Ça dépend de ce qu'on compte, si on met le Qatar, les Émirats, effectivement. Oui, oui. Soyez-y d'en passant, d'ailleurs.
00:52:52 C'est une anecdote. Enfin c'est pas une anecdote. C'est une petite remarque comme ça, en passant. Moi, j'aime bien ces petites remarques.
00:52:57 C'est que quand vous prenez la liste des pays du monde en PIB par habitant, ce sont souvent les plus petits pays qui ont les meilleurs PIB par habitant.
00:53:09 Alors que ce sont les mastodontes qui, souvent, sont en bas de l'échelle. C'est le contraire, s'il vous plaît, de la construction européenne.
00:53:14 On nous explique que plus on est gros, mieux c'est. — Mais nous, on fait la force. Pouf !
00:53:18 — Vous voyez que non, c'est pas vrai. — Vous savez, vous savez...
00:53:20 — Le Nigeria, le Bangladesh, le Pakistan... — Vous savez, François Asselineau, la conférence de Lisbonne de 2000, l'agenda 2000 européen...
00:53:27 J'étais député européen à ce moment-là. Nous connaissions déjà, puisqu'on s'est rencontrés je crois en 98 chez Charles Pasquoie,
00:53:33 auquel nous reviendrons dans une conversation à venir. Mais un sommet de Lisbonne... C'était pas celui de 2007. C'était celui de 2000.
00:53:42 A décrété que l'Europe devait être dans 20 ans le centre de la croissance mondiale. — Oui. La zone de plus forte croissance...
00:53:50 — Sous prétexte que l'Union faisait la force. Et comme vous dites, c'est exactement l'inverse. La masse taux d'ontes est fragile.
00:53:57 — Mais il s'est passé avec la construction européenne la même chose que ce qui s'est passé avec la construction du socialisme,
00:54:03 parce qu'il y avait effectivement la stratégie de Lisbonne qui prévoyait... Je crois que c'était à horizon 2010.
00:54:07 — 2020, 2020. — Après, il y a eu un autre truc. Après, ça a été l'horizon 2020.
00:54:14 — Oui. Il faut tout de suite s'en sortir, d'écarter l'horizon, comme les communistes. — Oui, comme le parti de M. Édouard Philippe,
00:54:19 horizon qui a passé de Portugal. Et plus on se rapproche, plus il s'éloigne. Mais je vous assure, en 1930, la Pravda annonce...
00:54:31 Parce qu'on annonçait aux gens l'arrivée de l'édification du communisme. Donc il y avait des gens qui disaient en 1930...
00:54:37 Ça faisait quand même déjà 13 ans depuis la révolution d'octobre. On allait avoir les grandes périodes de découlacisation.
00:54:45 Donc il y a des gens qui disent « Où est-ce qu'on va ? ». Et donc la Pravda annonce en 1930 que la Russie...
00:54:53 Enfin que l'URSS atteindra le stade du communisme en 1950. — Voilà. C'est pareil.
00:54:58 — Et puis en 1950, c'est sous Khrouchtchev. Et Khrouchtchev annonce qu'en fait, ça sera en 1980. C'est vrai. Tout ce que je dis,
00:55:05 c'est absolument certain. Et en 1960... Ça doit être aux alentours de 1979, par là, Andropov est interrogé.
00:55:16 « Bon, y allons au stade du communisme ? ». Et il dit « Non, c'est un processus complexe ». Et on ne donne plus de date.
00:55:22 — C'est l'UE, d'ailleurs. — C'est le même. — C'est pas mal de mes collègues au Parlement européen appeler Bruxelles « Brusco ».
00:55:28 (Rires) — C'est exactement le même. — Tous les Polonais et autres qui trouvaient que... — C'est le même phénomène. C'est vérifiable.
00:55:35 — Alors revenons à vous, parce que vous êtes quand même le sujet. Mais tout ce que vous dites est très intéressant.
00:55:40 Vous revenez du Japon, plein du plaisir de connaître le Japon, de connaître le monde, de voir la France telle qu'elle est,
00:55:49 magnifiée – il faut bien le dire – dans le regard des Japonais, et le désir de mieux connaître la France et de la servir,
00:55:54 de devenir ambassadeur de France au Japon. — Donc je prépare l'ENA. — Et donc vous préparez l'ENA. Voilà. C'est la fois qui l'a revenue.
00:56:01 — Donc je suis admis à l'ENA. — Facilement. — J'ai eu une... — Troisième éclos ? — Oui. Non, j'ai pas fait Sciences Po. C'était une de mes...
00:56:06 — Oui, vous êtes passé par l'HEC. C'est pas plus mal, parce que ça vous donne... — Non, mais surtout, j'ai préparé ça en candidat libre, en fait.
00:56:11 J'ai énormément travaillé. Et donc ça a marché. Donc je suis entré à l'ENA. — Vous êtes un bosseur, en fait, parce que...
00:56:18 — Ah oui. — Je vous ai toujours vu travailler comme une bête. Pardon l'expression. Mais vous savez... Vous travaillez la nuit, vous travaillez le jour.
00:56:24 Vous travaillez... Comment faites-vous ? Vous savez vous isoler, ne pas avoir trop d'enfants dans les pattes, parce qu'il faut dire
00:56:29 que vous avez une famille, malgré tout, et qui pourrait vous... — J'ai une capacité – je crois – de forte concentration.
00:56:34 — C'est ça. — Quand je suis dans mon truc, je suis dans mon truc. — Acquis de l'enfance, en fait. — Oui, oui, vraiment.
00:56:39 Et je pense – c'est ce que me dit ma femme, ce que me disent mes amis – qu'il y a des gens qui, physiquement, ne peuvent pas, par exemple.
00:56:46 Moi, je suis capable de travailler... Quand j'ai préparé l'ENA, j'avais un rythme... C'est-à-dire que j'étais arrivé...
00:56:51 J'avais fait le tour par le Pacifique sud. J'avais passé le janvier, février, mars en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu,
00:56:59 Nouvelle-Zélande, Polynésie. Et puis j'arrive début avril à Paris. Et le concours était au mois de septembre. Mais là, j'ai...
00:57:06 — À 4 mois de bossage. — Avril, mai, juin, juillet, août... — 5. — Ouais, 5 mois et demi.
00:57:14 — C'est en septembre, le concours d'entrée. Et puis les euros en décembre. — Et là, j'ai effectivement... Ça, c'était typique de moi.
00:57:21 C'est-à-dire que je me levais tous les jours à 7 h 30. Je prenais mon thé. Et je commençais à travailler... Je prenais une douche.
00:57:29 Je commençais à travailler vers 8 h 15. Je m'arrêtais à 13 h pour manger pendant 1 heure. — D'être capable de ça.
00:57:35 — Je recommençais à 14 h. Je travaillais jusqu'à 22 h. Et tous les jours, toujours pendant 5 ans. Non, c'est vrai.
00:57:42 — D'être capable de ça. — Oui, je suis capable de ça. — Et là, c'était où, alors ? C'était chez vos parents ?
00:57:46 — Non, non, non. Mon père était en province. — Vous aviez 25 ou 26 ans, là, cette fois-là.
00:57:49 — Oui, oui. C'était des amis qui m'avaient prêté un petit studio sur l'habitement Martre. Et je... Non mais je suis très très polar,
00:57:56 comme on disait à l'époque. — Ah mais oui. Je vois. — Oui. — Et d'ailleurs, Aléna, quand vous êtes Aléna, vous bossez encore,
00:58:01 puisque vous sortez... — Oui. Oui, parce qu'une fois que j'étais entré Aléna... — ...à l'Ultra-Vote.
00:58:05 — Une fois que j'étais entré Aléna, vous savez, la hontise de ma sortie. Parce que j'avais toujours mon objectif. Mon objectif,
00:58:12 c'était toujours sortir... Je savais que pour sortir au Kellersteff, il fallait quand même sortir plutôt très bien classé.
00:58:18 — Pas nécessairement dans la botte. C'était pas les grands corps. — Non, mais c'était pas les grands corps. Mais c'était juste après.
00:58:22 — Tous ces corps qui n'existent plus. Les uns après les autres supprimés par le gouvernement.
00:58:26 — Et donc j'ai beaucoup... Non, non. J'ai vraiment beaucoup beaucoup travaillé. Ça, c'est vrai.
00:58:30 — Qu'est-ce que vous pensez de l'ENA, alors ? Il faut la garder. Il faut la... — De toute façon, maintenant, ça s'appelle l'Innspe, l'Inspe.
00:58:37 — Il faut revenir à Michel Debré, tout simplement. Non ? — Le problème qu'il y a... Je vous l'apprends pas,
00:58:42 puisque vous êtes un ancien de l'ENA aussi. C'est que... C'est plutôt pour nos auditeurs. Le problème qu'a eu De Gaulle
00:58:49 pendant la Seconde Guerre mondiale, il a lancé son appel du 18 juin. Et puis il s'est rendu compte que ça marchait pas, en fait.
00:58:55 La vérité, c'est qu'à la fin de l'année, il y avait... Non, il a vu... À la fin de l'année, comme il avait dit, il avait avec lui
00:59:01 quelques Juifs, quelques poètes... — Des aristocrates. — Et puis des pêcheurs de l'île de Seine.
00:59:06 — Et des aristocrates d'action française. — Enfin il en avait quelques-uns. Mais il n'y avait pas beaucoup de monde.
00:59:10 Et ce qui avait beaucoup choqué De Gaulle, c'est d'apercevoir que les hauts fonctionnaires manquaient à l'appel.
00:59:14 Donc De Gaulle, à la fin de la guerre, dit à Debré comment ça se fait, en fait. Et le diagnostic, comment ça se fait,
00:59:22 se fait-il qu'il y ait tant de hauts fonctionnaires français qui, au lieu de se battre pour la souveraineté et l'indépendance de la France,
00:59:30 se sont pliés à l'étranger. — D'où l'ENA. — Voilà. Le diagnostic... — D'où la nécessité de refaire l'ENA.
00:59:35 — Oui. Le diagnostic qui a été porté à l'époque, c'était qu'il n'y avait pas l'ENA. Et donc pour entrer dans les grands cohorts de l'État,
00:59:41 c'étaient des concours séparés, qui étaient parfois extraordinairement confidentiels et qui n'étaient connus que...
00:59:48 C'était de l'endogamie, où c'était vraiment de la reproduction sociale à la bourdieu, par exemple pour entrer à l'Inspection générale des finances.
00:59:54 Grand corps de l'État créé par le baron Louis, je crois, en 1815, ou à moins que ce soit le même concours...
01:00:01 — Sous la Restauration, oui. — Sous la Restauration. Il y avait un concours de l'Inspection générale des finances qui se passait déjà...
01:00:08 Il fallait... C'était inscrit nulle part. Mais il fallait le savoir. Il fallait arriver en habit, donc avec la queue de pie, etc.
01:00:16 Donc un fils d'ouvrier, à supposer qu'il ait su ce qu'était l'Inspection générale des finances, qu'il y avait un concours,
01:00:23 quelles en étaient les dates, etc., il fallait qu'il sache aussi qu'il devait venir en habit. Voilà.
01:00:29 Et puis il y avait une espèce de conversation mondaine, où l'on vérifiait que le jeune impétrant utilisait convenablement
01:00:36 les imparfaits du subjonctif, etc. Ça, c'était... Il y avait le concours de la carrière, ce qu'on appelait.
01:00:41 Donc ça, c'était le quai d'Orsay. Et là, il y avait une surreprésentation d'aristocrates jusque dans les années 60.
01:00:47 — Ça vous choque, ce genre de choses ? — En tout cas, ça a été jugé par De Gaulle comme explicatif du fait que les hauts fonctionnaires français
01:00:55 ne représentaient pas la population française. — En tous les cas, ils ne sont pas attachés à la souveraineté...
01:01:00 — Voilà. D'où la création de l'ENA, où on a fusionné tous les concours, et où il y avait – nous l'oubliez jamais –
01:01:09 dans les épreuves d'entrée comme de sortie, une part très importante donnée aux épreuves physiques et le courage physique.
01:01:16 Ça représentait jusqu'à 25%. Les premières – comment dirais-je – promotions, France combattante, etc., c'était ça.
01:01:24 Il y avait 40 personnes. Et c'était vraiment... — Il fallait prolonger la génération de la résistance.
01:01:28 — Voilà. C'était exactement ça. — C'était l'idée. — Et alors ce qui est...
01:01:32 — Et il faut maintenant la reprendre et recréer l'ENA. — Ce qui est un peu terrifiant, c'est de s'apercevoir qu'en fait,
01:01:38 les fondamentaux de la société française ont phagocyté ce truc, et que désormais... C'est vrai que dans les années 50
01:01:45 du XXe siècle, il y avait beaucoup de fils d'ouvriers... Enfin « beaucoup ». Il y avait une proportion significative
01:01:51 de fils d'ouvriers ou de fils de petits employés qui entraient à l'ENA, et que c'est allé décrécher.
01:01:57 Donc comme d'ailleurs c'est le cas en polytechnique. Polytechnique, en 1950, il y avait 27% de fils d'ouvriers.
01:02:02 Aujourd'hui, c'est 2%. — Maintenant, il y en a presque plus. — Voilà. Donc il y a ce phénomène de reproduction sociale. Donc...
01:02:07 — Mais c'était de belles années pour vous, l'ENA. Parlez-moi de vous un peu à 25 ans, 28 ans.
01:02:12 — Il y a quelque chose que je trouve qui me frappe chez l'ENA. C'est que d'abord, c'est devenu pour un certain nombre de personnes
01:02:19 le symbole même de la France qu'il faut abattre, c'est-à-dire une certaine morgue des élites.
01:02:24 Ils ne se rendent pas bien compte souvent que l'ENA, ils ne connaissent... Il n'y a qu'une centaine d'anciens élèves de l'ENA
01:02:30 sur plus de 4 000 qu'ils connaissent. C'est-à-dire que les gros bataillons de l'ENA, ce sont des gens qui sont sous préfet, préfet...
01:02:39 — Sous directeur. — Sous directeur, chef de bureau, rédacteur aux affaires étrangères...
01:02:44 — Qui tiennent l'État. — ...qui sont dans un tribunal administratif, une chambre régionale des comptes.
01:02:49 Donc ce sont des fonctionnaires dont ils n'entendront jamais parler. — Mais qui tiennent l'État.
01:02:52 — Et qui tiennent l'État. Ceux dont ils entendent parler, ce sont effectivement ceux qui font carrière, mais qui, eux,
01:02:59 souvent, malheureusement, versent dans le péché mignon de la politique, c'est-à-dire de se transformer en politicard
01:03:06 plus ou moins véreux, plus ou moins baratineur. Voilà. — Et là, à cette époque, vous étiez de quel côté ?
01:03:11 Vous vouliez faire une grande carrière administrative à 30 ans, par exemple. — Ah oui, oui, oui. Non, mais c'était...
01:03:15 — Vous vouliez faire une grande carrière administrative... — Ah mais moi, c'était le Quai d'Orsay, le Quai d'Orsay.
01:03:17 — ...sortant de l'ENA en n°2, le Quai d'Orsay. — Mais ça a été un drame.
01:03:19 — Vous n'avez pas appris pourquoi. Vous avez pris l'Inspection générale des Finances. Vous avez fait quand même
01:03:23 une carrière internationale en se sortant par votre trésor. — Oui, mais parce que ça a été un vrai cas de conscience pour moi.
01:03:29 D'une certaine façon, j'aurais presque préféré sortir moins bien. Non, c'est vrai. Si j'étais sorti 8e ou 9e, j'aurais pris le Quai d'Orsay.
01:03:37 — Vous le considérez pas. — Et là, j'étais 2e. Et donc... — Il fallait pas faire de sa carte.
01:03:42 — Donc j'ai pris l'Inspection générale des Finances. — Alors voilà. Nous sommes rendus à une étape de votre vie.
01:03:48 Vous entrez dans la vie active. Vous allez devenir inspecteur, puis inspecteur général des Finances.
01:03:53 Vous allez un peu faire de la politique, ne serait-ce pas que vous serez élu conseiller de Paris...
01:03:57 — Mais plus tard, nettement plus tard. — Plus tard, que vous serez directeur de cabinet de Charles Pasquois,
01:04:02 et qu'on finira par vous connaître de mieux en mieux. Et j'espère que cette notoriété ne cessera de croître.
01:04:10 François Asselineau, en attachant votre vie à des combats... On dit toujours qu'on contrôle l'UE.
01:04:16 En fait, c'est pour le rétablissement de l'indépendance de la France, aussi bien contre l'UE que contre l'OTAN,
01:04:23 ce qui prêtera de nombreuses conversations. Nous n'avons pas du tout atteint le terme de ce à quoi je m'attendais.
01:04:30 Nous allons donc couper notre conversation en deux. Et je vous remercie de votre fréquence, de votre gentillesse
01:04:36 pour vous prêter à cet exercice. Je suis très heureux. J'espère que nous serons très heureux de vous connaître un peu mieux.
01:04:41 L'autre François Asselineau, celui qui a été jeune et celui qui est derrière, celui que nous connaissons et qui nous connaîtrons mieux
01:04:49 après notre prochaine conversation. À bientôt, François. — À bientôt. Et la prochaine fois, je vous expliquerai finalement
01:04:56 pourquoi j'ai été finalement conduit à créer l'UPR. — Ah. Vous nous expliquerez beaucoup de choses, d'ailleurs.
01:05:03 — Merci de m'avoir reçu. — Nous vous attendons. À bientôt, François Asselineau. Merci.
01:05:06 (Générique)

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