Dans les camps de concentration nazis, la survie passait parfois par la musique. Être musicien dans un orchestre de camp ou chanter silencieusement une mélodie interdite pouvait permettre de résister à l’horreur.
Elise Petit, musicologue, historienne, et commissaire de l'exposition "La musique dans les camps nazis" au Mémorial de la Shoah, revient sur les particularités de la musique comme moyen de résistance pour les déportés.
#Musique #nazisme #resistance
Elise Petit, musicologue, historienne, et commissaire de l'exposition "La musique dans les camps nazis" au Mémorial de la Shoah, revient sur les particularités de la musique comme moyen de résistance pour les déportés.
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00:00 Dans les camps de concentration nazis, la musique pouvait aider à survivre.
00:04 Je suis bien sûr persuadé que c'est grâce à ce violon et grâce au fait que j'ai été
00:10 dans l'orchestre que je suis encore en vie certainement.
00:13 Et puis l'enjeu c'était aussi et avant tout de rester humain.
00:16 Quand on parle de résistance dans les camps, la résistance c'était survivre et rester humain.
00:21 Et la musique c'est aussi ça qu'elle permettait.
00:26 A Auschwitz, à Mauthausen, à Burenwald, la musique résonne quotidiennement.
00:31 On avait l'orchestre qui jouait ici chaque fois, le matin, le soir.
00:36 Dès 1933, ces orchestres de détenus sont constitués.
00:39 À chaque fois que nous allions au travail ou à chaque fois qu'on prenait des gens,
00:43 on jouait cette aire de cirque allemand avec musique et clochettes.
00:49 À Auschwitz I, l'orchestre compte 120 musiciens dès 1942.
00:54 Intégrer ces orchestres peut sauver une vie.
00:57 Je me rends compte au fil des recherches que plus le commandant du camp était mélomane
01:02 et plus on pouvait survivre en étant musicien d'un orchestre.
01:06 Parce que ça veut dire que le chef de l'orchestre ou la chef de l'orchestre
01:10 pouvait un peu négocier avec les autorités du camp pour avoir quelques privilèges.
01:14 Nous avions une douche par jour, ce qui était vraiment le comble du luxe.
01:20 Nous avions un lit chacune.
01:22 Nous n'étions pas volés sur la nourriture, ce qui n'était pas le cas des autres.
01:27 C'est toute cette somme de petits avantages qui sont néanmoins vitaux dans les camps
01:33 et qui ont permis à un certain nombre de musiciens d'orchestre de survivre.
01:37 Mais il ne faut pas oublier que dans certains camps,
01:40 les musiciens n'étaient pas plus privilégiés que les autres et la mortalité était également élevée.
01:46 Pour les détenus, la musique officielle contrainte, use et humilie.
01:51 Mais la musique joue aussi un rôle salvateur dans les espaces intérieurs du camp.
01:56 Des concerts dans les blocs peuvent être autorisés
01:59 ou on y joue des airs traditionnels ou folkloriques.
02:01 Ça pouvait être les 200 personnes d'un bloc qui se réunissaient,
02:05 mais parfois c'était juste un groupe de 10 personnes
02:08 dans un coin du bloc qui chantait des chansons de son pays.
02:10 Mais le répertoire est surveillé.
02:12 Impossible de chanter des chants patriotiques, comme la marseillaise ou l'international,
02:17 et impossible aussi de jouer de la musique yiddish.
02:20 Et puis il y a aussi des activités clandestines.
02:23 Les textes qui sont nés dans la clandestinité sont beaucoup plus dénonciateurs.
02:28 Et c'est pour ça que les textes étaient extrêmement bien cachés,
02:32 parce que s'ils étaient découverts, c'était la mort assurée.
02:35 Les répertoires clandestins sont souvent consignés sur des cahiers cachés.
02:39 André-Marie cachait ses carnets clandestins dans une couverture de Mein Kampf.
02:45 Certains textes sont enterrés, d'autres circulent de main en main,
02:48 avec une grande précaution.
02:50 C'est le cas de l'opérette Le faire-fougue-barre aux enfers,
02:53 écrite dans le camp de Ravensbrück par Germaine Tillon et ses co-détenus.
02:57 Et c'est Germaine Tillon qui explique très bien
03:00 que ce qui l'a menée à écrire Le faire-fougue-barre aux enfers,
03:03 c'était qu'elle voyait que ses co-détenus étaient extrêmement démoralisés,
03:07 et elle a essayé de trouver une solution pour leur remonter le moral.
03:11 Alors quand on voit le texte du Faire-fougue-barre aux enfers,
03:13 c'est un texte à l'humour extrêmement cynique,
03:16 c'est une ironie vraiment mordante.
03:17 Ça a malgré tout permis aux co-détenus de prendre de la distance par le rire.
03:27 Toute la journée, il nous arrivait de ne pas pouvoir rire une minute.
03:32 Et une fois couché sur cette paillasse, rire un coup, c'était merveilleux.
03:39 Pour chanter ces textes à l'humour noir,
03:41 les déportés détournent des airs populaires.
03:44 Ce système de parodie est alors courant dans les camps.
03:47 Donc il est écrit sur l'air d'eux.
03:50 Et ça, ça permet de se faire une représentation musicale silencieuse,
03:55 puisque finalement, on chante dans sa tête.
03:57 D'autres textes et chants résonnent dans les camps.
04:20 L'un d'eux devient le chant de mémoire des déportés après-guerre.
04:23 C'est le Burger-mourlid, qu'on appelle aussi le chant des marais.
04:27 C'est un chant qui a une histoire absolument incroyable.
04:42 Il a été donné dans un camp en 1933 par des prisonniers communistes
04:48 qui avaient eu l'autorisation du commandant du camp
04:50 d'organiser un spectacle de cirque un dimanche après-midi.
04:54 Ce spectacle a été conçu par Wolfgang Langhoff
04:58 pour remonter le moral des prisonniers,
05:00 puisqu'il y avait eu un événement extrêmement violent
05:03 quelques jours auparavant, où des SS avaient frappé des détenus pendant la nuit.
05:08 Et pour remonter le moral de ces co-détenus,
05:11 Langhoff a demandé l'autorisation d'organiser ce spectacle.
05:14 Ça lui était accordé.
05:16 Ce spectacle, qui est assuré par les prisonniers,
05:19 se termine par le chant des marais.
05:20 Il décrit le dur labeur des soldats du Marais
05:23 et l'espoir d'un retour à la maison.
05:25 Ce chant a eu un retentissement énorme auprès des détenus,
05:33 mais aussi auprès des SS, parce qu'il parlait des soldats du Marais.
05:38 Les soldats du Marais, dans l'esprit des auteurs,
05:41 c'était ces détenus qui devaient travailler toute la journée pour assécher les marais.
05:45 Mais pour les SS, c'était eux les soldats des Marais.
05:48 Les SS demandent aux musiciens des partitions illustrées
05:51 qu'ils envoient à leur famille, et dans le même temps,
05:54 le chant se diffuse grâce aux détenus qui sont relâchés ou transférés.
05:58 C'est le premier hymne de camp,
06:00 et c'est le chant qui va servir de modèle aux autres hymnes de camp.
06:08 Dans un système déshumanisant, la musique est un soutien pour certains déportés.
06:14 Ou d'autres chants, ou d'autres chansons d'ailleurs,
06:16 qui étaient souvent des bluettes,
06:18 qui nous portaient plutôt et qui nous raccrochaient à notre passé,
06:22 qui nous permettaient de franchir le cap du présent
06:25 pour mieux nous préserver et nous préparer à l'avenir.
06:28 (La Marseillaise)
06:43 Merci.
06:44 Merci.
06:45 [SILENCE]