Ce samedi, une invitée rare : Kristalina Georgieva, la patronne du Fonds monétaire international. La pauvreté, le réchauffement climatique, la dette... Les pays du Sud doivent vivre avec ce triple fardeau. Comment les aider davantage et mieux ?
Plus d'infos : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-24-juin-2023-3558836
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00:00 -Invité exceptionnel ce samedi, la directrice générale du FMI.
00:03 Bonjour, Kristalina Georgieva.
00:05 -Bonjour à vous.
00:06 -Merci de cette interview exclusive.
00:09 L'ambition de ce sommet, c'est qu'aucun pays ne devrait plus
00:12 avoir à choisir entre sortir de la pauvreté,
00:15 protéger le climat et payer sa dette.
00:17 Est-ce que ces 48 heures ont permis d'avancer au-delà des maux
00:21 vers cet objectif ?
00:22 Est-ce que vous, la patronne du FMI, vous êtes optimiste ?
00:25 -Je suis optimiste.
00:29 Parce qu'il se trouve que, vraiment,
00:32 nous avons apporté de l'énergie dans cette salle
00:35 et nous sommes concentrés sur des sujets
00:36 qui, vraiment, sont importants.
00:38 Nous vivons dans un monde où le choc est plus fréquent.
00:44 Et les chocs, ils affectent les pauvres, pour commencer.
00:48 Et les pays, également, les pays les plus pauvres,
00:51 ils se sont affectés de manière disproportionnée.
00:54 Donc, on a fait un progrès en matière de dette,
00:57 puisqu'on a eu la chance de fêter ici même
01:01 l'achèvement des négociations qui concernaient la Zambie.
01:03 Ca, c'est une vraie réussite.
01:05 La Zambie a un potentiel exceptionnel.
01:08 C'est un pays qui est riche en ressources,
01:12 qui a des sols très productifs,
01:15 avec une population assez modeste et jeune,
01:20 et un leadership solide.
01:23 Obtenir le résultat de cette négociation ici, à Paris,
01:26 ça va permettre de dégager des perspectives pour la Zambie,
01:30 mais aussi, ça nous donne un modèle sur la manière de faire
01:33 pour d'autres périls par la suite.
01:35 Pour alléger la dette.
01:37 Au coeur du problème des pays du Sud,
01:39 il y a l'architecture financière mondiale,
01:41 c'est-à-dire le FMI et la Banque mondiale,
01:44 une architecture dont le président du Kenya a dit
01:46 qu'elle est punitive, inéquitable.
01:49 Le secrétaire général de l'ONU, lui, l'a dit,
01:51 elle est dépassée, dysfonctionnelle, injuste.
01:53 Ce sont des mots très sévères.
01:55 Comment est-ce que vous les recevez, vous, Cristalina Georgieva ?
01:57 Est-ce que vous êtes d'accord ?
01:59 -Bien évidemment, le monde a beaucoup changé
02:05 depuis que nos institutions ont eu le jour, en 1944.
02:10 Il n'y avait que 99 pays indépendants,
02:15 il y en a plus du double aujourd'hui.
02:17 La population mondiale a triplé,
02:23 le PIB a été multiplié par 10, PIB mondial.
02:28 Et puis aujourd'hui, nous sommes confrontés
02:31 à ce défi colossal, qui est celui du réchauffement climatique.
02:34 Donc nos institutions doivent s'adapter,
02:37 elles doivent être plus inclusives,
02:39 et aussi, il faut que nous orientions notre action
02:42 sur les problèmes d'aujourd'hui et ceux de demain,
02:45 et pas sur les problèmes de 1944, bien sûr.
02:48 -Les pays africains, à propos de l'inclusion,
02:51 de l'inclusivité, ont dit qu'ils n'avaient pas
02:54 voix au chapitre dans ces institutions.
02:55 C'est un problème. On demande plus de représentation,
02:58 que notre souveraineté soit prise en compte.
03:01 Est-ce que vous les entendez ? Et est-ce que vous allez y répondre ?
03:05 -Alors, commençons par reconnaître une chose,
03:09 si vous le voulez bien. C'est vrai que l'Afrique, après tout,
03:12 a voix au chapitre depuis toujours au sein de notre institution,
03:15 le FMI. Pourquoi ?
03:18 L'Afrique est le continent dont la population est jeune,
03:23 et c'est aussi un continent qui a été touché
03:27 de manière disproportionnée par la crise du Covid
03:30 et également par le choc qui est consécutif,
03:34 le choc des prises alimentaires consécutives
03:36 à la guerre en Ukraine.
03:38 Autant dire que nous avons concentré une part très importante
03:41 de notre attention sur l'Afrique,
03:44 et nous avons attribué des droits de tirage spéciaux,
03:50 des fonds donc particuliers à l'Afrique,
03:52 dans ce contexte-là,
03:54 et nous avons attribué aussi des fonds
03:58 sous forme de soutien d'urgence à tous ces pays d'Afrique.
04:02 Alors, j'ai le plus grand respect pour les dirigeants africains,
04:06 et je peux vous dire que vraiment, la situation me touche.
04:10 (Propos en anglais)
04:13 Ca, c'est aux membres qui appartiennent à décider.
04:15 Ce que moi, je peux vous dire,
04:17 c'est que mon équipe et moi, à titre personnel,
04:21 nous consacrons vraiment une attention significative à l'Afrique
04:27 en raison du potentiel, des perspectives,
04:29 et la dette également.
04:32 Et s'agissant de nos membres,
04:34 oui, je vais les inviter fortement à en parler
04:38 et à parvenir à une décision,
04:40 reparler de cette question de la représentation saine du FMI,
04:43 voir comment il y a matière d'amélioration.
04:45 N'oublions pas une chose.
04:46 Le fonds n'est pas une organisation
04:52 qui est scellée dans le marbre depuis 44 ans.
04:55 En 1990, mon pays, qui n'était pas membre à l'époque,
04:58 ainsi que d'ailleurs le Bloc socialiste et l'Union soviétique,
05:02 à l'époque, donc, nous avons rejoint le FMI,
05:04 et il se trouve qu'il en a été modifié.
05:08 Donc, je vous entends, il peut encore changer.
05:10 Et si nous entrions dans le concret ?
05:13 Les pays pauvres qui sont endettés ont besoin d'argent frais.
05:15 Ils ont besoin de 2 400 milliards de dollars par an pour le climat,
05:19 de 1 600 dollars par an pour le développement.
05:22 Est-ce que dans ce sommet,
05:24 il y a des outils très précis pour mettre plus d'argent sur la table ?
05:27 Quelques exemples.
05:29 Plus d'argent sur la table ?
05:31 Tout d'abord, je pense qu'il ne faut pas distinguer
05:36 le climat du développement,
05:38 parce qu'après tout, c'est un seul et même sujet.
05:40 Si le développement n'est pas durable,
05:42 et si il ne répond pas aux vulnérabilités
05:45 qui proviennent du changement climatique,
05:48 si on n'amène pas les pays à limiter les émissions de carbone,
05:53 c'est un développement qui ne sert pas
05:55 les besoins de la population.
05:57 Nous mobilisons des financements au FMI
06:02 sur des montants importants.
06:05 Par exemple, nous avons mobilisé
06:09 60 milliards de dollars supplémentaires
06:14 qui sont attribués aux pays vulnérables,
06:17 qu'ils soient des pays pauvres ou des pays à revenus intermédiaires.
06:22 Et ça permet en particulier
06:25 de permettre l'arrivée également du financement privé.
06:28 Nous avons ajouté 40 milliards de dollars
06:30 qui vont aller aux pays en développement.
06:33 Et si chacun fait ce qu'il a à faire,
06:36 et si chacun pense à la jouer collective
06:41 pour doubler, tripler, voire quadrupler les financements,
06:45 à ce moment-là, on aurait suffisamment d'argent
06:47 pour faire les choses. Je vous donne un exemple.
06:49 Par exemple, au Rwanda, en Barbade également,
06:54 notre contribution a doublé comment ?
06:57 Eh bien, en mettant en boule, en poule,
07:01 d'autres sources de financement international,
07:03 plus de financement privé.
07:05 Il faut tous qu'on fasse tout ce qu'il est possible de faire
07:08 et le plus vite possible.
07:10 -Kristalina Georgieva, je vous entends.
07:12 Et j'entends aussi que l'UFMI et la Banque mondiale
07:14 ne peuvent pas faire tout tout seuls.
07:16 Les entreprises privées, le secteur privé est encore frileux.
07:20 Emmanuel Macron dit qu'il faut une taxation internationale, mondiale.
07:23 Ça peut être sur le transport maritime,
07:25 sur les billets d'avion, sur les transactions financières.
07:28 Qu'en pensez-vous au FMI ?
07:32 -Je pense qu'il faut commencer à rechercher
07:34 de nouvelles sources de financement,
07:36 parce que les besoins sont considérables,
07:38 comme vous venez de le dire.
07:40 Il y a, en effet, des secteurs
07:43 où il n'y a pas eu de fiscalisation pour l'instant ni de taxation,
07:46 mais on pourrait se dire qu'après tout, pourquoi pas ?
07:50 Pour des raisons climatiques,
07:52 en raison de l'impact climatique en particulier.
07:56 Et pourquoi pas ? Il faut en parler.
07:59 On ne peut pas nous dire aux pays ce qu'ils doivent faire.
08:04 Mais de notre point de vue, selon nos analyses,
08:07 il apparaît très clairement que ce qu'il faut,
08:10 pour résumer, taxer la pollution.
08:13 Si on ne tarifie pas les émissions de carbone,
08:18 si on ne fait pas ça, on ne va pas réussir
08:21 à respecter les objectifs et les engagements
08:23 de l'accord de Paris.
08:24 -Plutôt oui pour une nouvelle taxation à étudier,
08:28 et en tout cas, un prix au carbone, certainement.
08:30 C'est ce que vous dites.
08:32 -Absolument.
08:35 Nous avons calculé que si, véritablement,
08:39 nous voulons réussir à modifier
08:43 le comportement des investisseurs,
08:44 il faut absolument que la tarification du carbone
08:50 soit de 75 dollars par tonne
08:55 à l'horizon 2030.
08:57 Actuellement, on en est à moins de 5 dollars par tonne.
09:00 -Madame la directrice générale du FMI,
09:02 on a entendu la défiance des pays du Sud
09:04 vis-à-vis des pays du Nord à ce sommet.
09:06 On sait qu'ils vont souvent se financer
09:09 de plus en plus vers la Chine,
09:10 qui n'impose pas de réforme,
09:13 qui n'est pas regardante sur le modèle politique.
09:16 Souvent, ils soulignent aussi que les Occidentaux
09:19 font beaucoup de promesses, mais ils savent vite
09:20 trouver les moyens pour l'Ukraine.
09:23 S'il est lent de ce sommet,
09:25 il n'est pas suivi d'effets.
09:27 Si on n'arrive pas à combler ce fossé Nord-Sud,
09:30 que se passe-t-il ?
09:32 -Alors, vous savez, moi-même, je viens de l'Asie.
09:36 Du Bourbon-Burguer, oui.
09:38 Il se trouve que moi, j'ai vécu
09:43 l'effondrement de l'économie bulgaire,
09:46 et ça a requis vraiment un programme musclé
09:49 pour se remettre en selle, et je peux vous dire
09:51 qu'il y a une différence entre les bonnes politiques
09:54 et les mauvaises politiques.
09:56 Et moi, j'admire les leaders, les dirigeants
09:59 qui savent mettre en oeuvre des vraies réformes
10:01 parce qu'ils donnent des chances à leur peuple.
10:05 Nous avons besoin de tout le monde, y compris la Chine.
10:09 Il faut qu'elle participe.
10:10 Elle a une grande expérience en matière d'éradication
10:13 de la pauvreté. Alors, bien évidemment,
10:15 ce qu'ils apportent à l'Afrique sous forme de financement
10:19 et de conseils, c'est quelque chose qui compte.
10:21 Et je dirais que plus on travaille ensemble
10:24 et plus on établit des passerelles les uns avec les autres
10:27 plutôt que d'essayer de créer des tranchées,
10:29 et bien plus on a de chances d'améliorer la vie des gens.
10:33 -Mais êtes-vous inquiète de la fragmentation du monde,
10:36 du fossé nord-sud qui, on le sait, s'est creusé
10:40 ces dernières années, surtout après le Covid ?
10:44 Ils l'ont dit au sommet.
10:46 -Oui.
10:47 Nous sommes très préoccupés
10:52 par les divisions qu'on observe actuellement dans le monde,
10:59 préoccupés parce que ces divisions,
11:02 elles mettent à mal les perspectives
11:05 de croissance des pays.
11:08 La fragmentation des activités commerciales,
11:11 des échanges commerciaux, ça pourrait coûter
11:14 de 0 à 2 % du PIB jusqu'à 7 % du PIB mondial
11:18 s'il y a cette fragmentation.
11:20 Donc les choix que nous faisons vont ensuite définir
11:25 ce qui va se passer. Imaginez un monde
11:27 où l'économie de l'Allemagne, du Japon aurait disparu,
11:30 s'aurait rayé de la carte, ça va être un monde
11:32 qui sera plus pauvre et c'est aussi un monde
11:34 qui sera moins stable.
11:36 Donc nous sommes d'avis qu'il faut impérativement
11:40 renforcer la coopération.
11:44 Et je suis très fière que le FMI soit le lieu
11:49 où tous ces pays se retrouvent, justement.
11:51 -Ma dernière question, vous parliez de l'Europe.
11:55 Les taux d'intérêt ont un effet très violent
11:58 sur les pays du Sud.
11:59 Ils ont un effet brutal dans les pays du Nord.
12:01 L'Allemagne est entrée en récession.
12:02 La France, elle, on voit que certains secteurs,
12:04 je pense à la construction, aux bâtiments, souffrent.
12:07 Il va y avoir des plans sociaux.
12:09 Est-ce qu'il n'y a pas un risque, vous qui êtes responsable
12:12 de la stabilité ou qui observez la stabilité financière,
12:14 est-ce qu'il n'y a pas un risque que les banques centrales
12:16 aillent trop loin dans le resserrement monétaire ?
12:19 -Malheureusement, l'inflation est plus stable
12:29 et plus constante que ce qu'on aurait imaginé.
12:33 Et quand elle est élevée, bien sûr,
12:35 elle limite les possibilités de croissance
12:38 puisque les gens ne savent pas où investir.
12:40 C'est une sorte de taxe de l'inflation
12:44 qui frappe le plus durement les plus pauvres.
12:48 Les banques centrales n'ont pas le choix.
12:50 Il faut bien qu'elles essayent d'enrayer l'inflation.
12:53 On voit des signaux positifs
12:55 puisqu'elles commencent à marquer le pas, cette inflation.
13:00 Je n'ai peut-être pas les meilleures nouvelles,
13:01 mais je dois vous dire que ça va prendre un peu de temps.
13:04 Selon nos prévisions, c'est à la fin de 2024,
13:07 début 2025, que l'inflation va atteindre
13:12 et redescendre au niveau qui était ciblé
13:14 par les banques centrales.
13:15 Entre-temps, qu'est-ce qu'il faut faire ?
13:17 Le mieux à faire, probablement,
13:20 c'est d'utiliser les ressources qui sont à disposition actuellement
13:27 pour aider ceux qui vraiment ont besoin de cette aide.
13:30 Il faut cibler l'accompagnement, le soutien
13:33 et le cibler sur ceux qui sont les plus vulnérables.
13:36 Parce que si nous utilisons l'argent pour le saupoudrer
13:39 et le donner à des gens qui en ont moins besoin,
13:41 de toute façon, ça va alimenter l'inflation.
13:43 Donc il faut que les gouvernements soient disciplinés
13:46 et qu'ils aident les banques centrales
13:47 à atteindre leurs objectifs
13:49 afin qu'à terme, l'économie soit gagnante.
13:51 Alors la bonne nouvelle pour l'Europe,
13:54 c'est que l'Europe a fait preuve d'une résidence exceptionnelle.
14:00 La croissance pour la zone euro est prévue autour de 0,8%.
14:05 Elle devrait s'établir à 1,4% l'année prochaine,
14:08 selon les prévisions.
14:10 Et on parle de quelque chose qui se passe après le Covid
14:14 et après la guerre brutale que la Russie mène
14:20 contre l'Ukraine.
14:22 Ca relève quasiment du miracle.
14:24 Donc les Européens,
14:27 ils l'ont prouvé, ils sont solides, ils sont résilients.
14:32 Et les économies s'en sortent plutôt bien.
14:40 Toutes choses égales par ailleurs, bien sûr.
14:42 Et compte tenu des circonstances,
14:44 qu'est-ce qui aide des pays comme la France, l'Italie, la Grèce ?
14:48 C'est qu'après le Covid, tout le monde a envie de voyager.
14:52 Tout le monde va aller au restaurant avec sa famille, avec ses amis.
14:57 Et pour ces économies qui sont liées et qui sont dépendantes des services,
15:01 c'est un facteur positif.
15:03 - Cristalina Georgieva, directrice générale du FMI,
15:07 merci d'avoir été l'invitée de "N'en arrête pas les cours".
15:10 - Merci à vous.