• l’année dernière
Après l’accord historique trouvé en mars dernier, l’adoption formelle du traité pour protéger la haute mer aura lieu le 19 juin au siège de l'ONU. Un traité censé permettre de préserver la vie marine et limiter les activités humaines néfastes pour les deux tiers des océans.
Une émission préparée par Aziza Nait Sibaha, Mohamed Chenteur et Jessica Fahed 

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Transcription
00:00 Bonjour et bienvenue à tous dans cette 2e partie de Demain à la Une.
00:06 Les négociations ont duré près de deux décennies.
00:09 Un accord a été trouvé en mars dernier et finalement, le traité tant attendu pour protéger la haute mer et la biodiversité marine va enfin être adopté officiellement à l'ONU la semaine prochaine.
00:19 Un accord qualifié d'historique par l'ONG Greenpeace et salué par l'Union Européenne.
00:26 Pour débattre de ce deuxième sujet, j'ai le plaisir d'avoir avec moi, tout d'abord ici dans les studios, Dr Frédéric Lemanac, qui est directeur scientifique de l'association Bloom, une association qui travaille sur la protection de l'océan.
00:36 Bonjour. Merci d'être avec nous. Et puis, depuis New York, nous avons notre correspondante justement à l'ONU, Fanny Chevrin.
00:43 Bonjour Fanny et merci d'être parmi nous.
00:46 Dr Frédéric Lemanac, je vais commencer tout d'abord avec vous. On parle de ce traité, d'un traité historique, un traité qui va protéger les espaces marins qui ne le sont pas encore.
00:57 Tout d'abord, qu'est-ce qui est protégé aujourd'hui? C'est quoi l'état des lieux aujourd'hui?
01:01 Alors, en fait, la protection aujourd'hui, elle ne peut être faite que dans les zones économiques exclusives.
01:06 Donc, c'est les zones qui sont les plus côtières, en fait, qui dépendent des Etats, qui dépendent des Etats.
01:10 Et ce qui était en haute mer, donc au-delà de cette zone sous juridiction nationale, ne pouvait pas être protégé.
01:15 Donc là, ce nouveau texte devrait théoriquement permettre de mettre en place des aires marines protégées en haute mer.
01:21 Alors, justement, avec ce traité, ce qu'on lit quand on entend un traité historique, c'est qu'on passe un peu à la vitesse supérieure avec la création d'aires marines protégées en haute mer.
01:31 Une obligation pour les Etats d'évaluer l'impact environnemental des nouvelles activités.
01:35 J'ai envie de vous demander votre avis sur que contient ce traité réellement.
01:39 Alors, notre avis, il n'est pas aussi bon que ce qu'on a pu lire dans la presse au moment où l'accord a été...
01:44 Parce que Greenpeace aussi parle d'un accord historique.
01:46 Exactement. Tout le monde s'est un peu félicité, parce qu'effectivement, c'est historique dans le sens où ça a mis 20 ans à aboutir.
01:51 Donc tout le monde s'est empressé de féliciter le traité.
01:54 Mais en fait, quand on est rentré dans le texte et qu'on a regardé vraiment les mécanismes mis en œuvre pour, par exemple, mettre en place des aires marines protégées,
02:02 on se rend compte que, déjà, en préambule de la partie sur les aires marines protégées, on parle d'exploitation.
02:08 En fait, c'est des aires marines protégées dans le but de faire de l'exploitation durable.
02:11 Donc pour nous, de l'exploitation, déjà, c'est pas de la protection.
02:14 Donc on a quelque chose qui est complètement incohérent dès le départ.
02:17 Et ensuite, quand on rentre vraiment dans les processus de création de ces aires marines protégées, c'est l'ONU.
02:23 Donc on a du consensus.
02:25 Quand il n'y a pas de consensus, il faut avoir deux tiers des parties prenantes ou trois quarts des parties prenantes qui donnent leur accord.
02:31 Et si un État n'est pas d'accord avec la création d'une marine protégée, il peut alors faire objection.
02:36 Et si on a un certain nombre d'objections qui sont déposées, la création de l'aire marine protégée tombe.
02:42 Et de toute façon, ça ne s'applique pas à ceux qui font objection.
02:45 Donc en fait, on a vraiment quelque chose qui paraît historique sur le papier.
02:50 En fait, quand on commence à creuser, on se rend compte que la pêche industrielle n'est pas incluse.
02:55 L'exploitation minière n'est pas incluse.
02:57 Et quand on regarde les mécanismes de mise en œuvre, en fait, on se rend compte que c'est quelque chose un peu sans dents et assez mou.
03:02 Est-ce que vous pouvez nous expliquer quand vous dites que la pêche industrielle n'est pas incluse, qu'est-ce que cela veut dire ?
03:07 Ça veut dire qu'on peut continuer à faire comme aujourd'hui sans aucun problème dans ces hautes mers ?
03:10 Exactement. En fait, le traité, dans son texte même, explique que les choses qui sont déjà gérées par d'autres traités onusiens internationaux sont exclues.
03:21 Et par exemple, en 1994, on a eu un code minier sur l'exploitation minière des fonds marins.
03:26 En 1994, on a eu un accord aussi de l'ONU sur les stocks de poissons, chevauchons et migrateurs en 1995.
03:33 Et donc, en fait, on a déjà des textes onusiens qui gèrent l'exploitation de la pêche et de l'exploitation minière.
03:38 Mais qui restent actifs aujourd'hui. Ce traité ne les remplace pas.
03:42 Exactement. C'est exactement ça que le traité explique. C'est que quand on a déjà un outil international qui existe, le traité ne le couvre pas.
03:49 Et donc là, on a un traité qui couvre assez peu de choses, qui va couvrir par exemple le contrôle de tout ce qui est génétique,
03:56 l'exploitation génétique de la vie marine dans les océans.
03:59 C'est très bien, puisqu'actuellement, on a des entreprises comme BASF, par exemple, qui sont en train de déposer des brevets sur tout ce qui est vivant dans l'océan.
04:06 Et donc, on a aussi besoin de contrôler ça, puisque c'est un bien commun de l'humanité.
04:10 Donc, il faut s'assurer que tout le monde en bénéficie.
04:12 Donc, on a des choses qui sont bien dans ce texte-là, mais ça ne couvre ni l'exploitation minière, qui est un énorme enjeu actuel,
04:19 ni l'exploitation en termes de pêche, qui est le premier impact de l'université marine au niveau mondial.
04:24 Vous dites nécessaire, mais pas suffisant. On pensait un peu ça.
04:26 Alors, Fanny, justement, cet accord a été trouvé. Il y a eu l'annonce déjà en mars dernier, mais il a pris plus de 20 ans de négociations.
04:35 Qu'est-ce qui a pris autant de temps ?
04:37 Ce qui a fait durer les négociations, c'est notamment la question du partage des bénéfices de ce bien commun, la haute mer.
04:44 Chacun veut sa part du gâteau. On l'a compris, les fonds marins sont riches en organismes encore inconnus.
04:51 Et ça attise la convoitise des industries pharmaceutiques et cosmétiques, qui espèrent dénicher des molécules miracles.
04:59 Alors, pour le moment, seuls les pays occidentaux ont les moyens techniques, technologiques et financiers pour exploiter les fonds marins.
05:11 Or, les pays en développement ne veulent pas être mis de côté.
05:14 Ils se sont longtemps battus pour imposer une sorte de taxe sur les bénéfices, car ce marché représente plusieurs milliards d'euros.
05:22 Mais les pays du Nord militaient plutôt pour un système de licence d'exploitation à prix fixe et par année.
05:31 Au final, les pays du Nord et les pays du Sud ont trouvé un compromis, une sorte de combinaison des deux.
05:37 Reste à savoir si ces belles promesses seront tenues, car le chemin est encore long avant que ce nouveau traité entre en vigueur.
05:44 Alors justement, en parlant d'entrée en vigueur, quel est le processus normal ?
05:48 Une fois qu'on a signé un traité, il y a la ratification des États. Ensuite, la mise en application. C'est tout ça.
05:54 Et ça, ça va être fait en combien de temps ?
05:58 Alors, c'est assez long, mais déjà, tout d'abord, le texte ne doit pas bouger d'une ligne.
06:03 Le fonds est gelé. Il a été traduit dans les six langues officielles de l'ONU.
06:09 La semaine prochaine, il sera adopté ici, à New York, par les États membres.
06:14 Chaque pays va le signer, mais cette signature, c'est seulement une promesse d'intention.
06:19 Le texte n'a pas encore de valeur juridique.
06:22 Alors, pour le ratifier définitivement, il faut que chaque pays fasse approuver par son Parlement national ce texte,
06:30 ce qui peut prendre des mois, voire des années.
06:33 Au minimum, il faut 60 pays pour que ce texte, ce traité, soit ratifié.
06:38 Plus il y a de pays, bien sûr, plus ce texte aura du poids.
06:42 Quant à sa mise en application, il n'y a pas encore de date. Ça peut être long.
06:46 Et certaines conventions onusiennes ont mis plus de 10 ans pour pouvoir entrer en vigueur.
06:51 Alors, Dr Lemanac, aujourd'hui, on parle malgré tout d'une avancée avec ce traité.
06:58 Mais qui en serait le garant ? Qui sera le garant de son application ?
07:03 Qu'est-ce qui va se passer si quelqu'un viole, par exemple, ce qui est dedans ?
07:07 Alors, normalement, il y a des garants au niveau international. L'ONU a aussi son tribunal de la mer.
07:13 Donc, normalement, on peut s'assurer que ce traité est respecté.
07:17 Mais bien sûr, ce sera aussi la volonté des États, comme pour tous les traités, toutes les conventions,
07:22 tout ce qui puisse signer au niveau régional, international, mondial.
07:26 C'est une question de volonté politique.
07:29 Ce qu'on a vu sur le traité de la Haute-Mer, c'est que la France a créé, par exemple, une haute ambition,
07:35 un groupe de haute ambition lors du sommet qu'Emmanuel Macron a tenu à Brest en 2022.
07:43 Et en fait, le secrétaire d'État à la mer, pardon, Hervé Berville, a annoncé, par exemple,
07:49 que la France était contre l'arrêt du chahutage de fonds dans les armes marines protégées.
07:53 Donc ça donne un petit peu, si vous voulez, l'idée qu'on a en France, en tout cas, de la haute ambition.
07:58 En fait, c'est pas beaucoup de protection, clairement pas.
08:01 Donc malheureusement, si on n'a pas des États qui vont vraiment prendre pied de la lettre
08:06 et aller plus loin que ce qui est demandé par ce traité-là, on n'aura pas grand-chose
08:10 en termes de protection de la biodiversité au niveau mondial.
08:13 – Ce que vous disiez tout à l'heure, c'est qu'il y a quand même plusieurs lobbies qui sont concernées,
08:16 qui finalement se félicitent aussi, parce qu'en 20 ans, on a peut-être réussi à dégraisser un maximum le traité
08:22 pour qu'il soit acceptable de tous.
08:24 – Bien sûr, et d'ailleurs, c'est explicité dans le traité, par exemple, page 7 du traité,
08:28 il est mis noir sur blanc que la pêche n'est pas incluse dans ce traité-là.
08:33 Pourquoi ? Parce qu'il y a bien sûr eu un combat du lobby industriel de la pêche
08:37 pour exclure la pêche du traité, au titre que c'était déjà couvert par un autre traité onusien,
08:43 mais qui est complètement dysfonctionnel.
08:45 Donc en fait, on a un traité qui se repose sur d'autres traités, qui ne fonctionnent pas,
08:49 qui sont très vieux, qui devraient être mis à jour, et qui ne sont pas respectés,
08:52 notamment parce qu'il y a un manque vraiment de volonté des États.
08:57 Et donc on se retrouve effectivement avec quelque chose qui est dégraissé,
09:01 c'est comme vous disiez, c'est totalement… il faut ce traité-là,
09:06 mais clairement ce traité-là ne va pas faire en sorte que le monde ne partira pas en torche.
09:11 Donc on a vraiment besoin d'avoir de la volonté politique,
09:14 actuellement on ne l'a pas, il y a vraiment des discussions qui sont très très intenses
09:18 au niveau européen avec une loi qui s'appelle la restauration de la nature.
09:21 On a la droite et l'extrême droite qui se sont alliées avec les libéraux
09:24 au Parlement européen pour complètement torpiller ce texte-là
09:27 qui est d'une importance majeure au niveau européen.
09:29 Donc on voit très bien qu'actuellement on est plutôt sur des demandes de pause environnementale,
09:34 M. Macron l'a fait, le Premier ministre belge l'a fait,
09:37 et donc on n'est pas du tout sur quelque chose qui est ambitieux au niveau international.
09:40 Donc on se félicite d'avoir des accords parce que c'est bien de dire qu'on a…
09:44 – Ce n'est pas encore une priorité en tout cas pour beaucoup de pays.
09:47 – Vraiment pas.
09:48 – Alors j'ai envie de savoir aussi, parce que Fanny en parlait tout à l'heure,
09:51 par rapport aux pays les plus pauvres, on va dire,
09:54 qu'est-ce qui est prévu justement pour pouvoir au moins les compenser
09:59 s'il y a des choses qui se passent autour d'eux, mais surtout comment les aider ?
10:03 Parce qu'on a parlé tout à l'heure des études d'impact environnemental,
10:06 c'est quelque chose qui coûte de l'argent, comment financer tout ça ?
10:09 – Alors l'argent existe, on est capable de sortir des milliards d'euros
10:14 pour développer la tech ou je ne sais pas quel secteur, donc l'argent existe.
10:18 – Mais ce qu'il existe pour la haute mer ?
10:20 – Alors il n'existe pas pour la haute mer, puisque par exemple,
10:22 lorsque l'accord a été trouvé en mars 2023, l'Union européenne a annoncé
10:27 mettre sur la table 40 millions d'euros pour le fonds de compensation
10:30 justement pour les pays du sud notamment.
10:33 40 millions d'euros, c'est 25 fois moins que ce que l'Union européenne
10:36 met chaque année en fonds structurels pour la pêche,
10:40 pour la pêche qui est un secteur microscopique,
10:42 qui ne représente rien par rapport à l'agriculture par exemple.
10:45 Et donc on a des annonces qui disent qu'on crée un fonds de compensation,
10:48 qu'on donne un petit peu d'argent, mais c'est vraiment des miettes.
10:51 Et donc on a besoin de trouver cet argent-là, d'aller le prendre,
10:55 je ne sais pas, dans l'évasion fiscale ou taxer les super profits de Total, etc.
11:00 On en parle, toutes les ONG en parlent et on a l'argent qui existe.
11:04 Il est simplement mal fléché, mais clairement, que ce soit pour
11:08 le réchauffement climatique ou l'exploitation de la haute mer,
11:11 on a besoin d'avoir des compensations pour les pays du sud,
11:14 puisque clairement, ce n'est pas eux qui subissent les changements climatiques
11:19 de plein fouet, on les subit, mais beaucoup moins qu'eux.
11:21 Et ce n'est pas eux qui vont aller s'enrichir avec les ressources génétiques.
11:25 Merci, merci beaucoup Dr Frédéric Le Manac.
11:28 Merci d'avoir été avec nous. Je rappelle que vous êtes
11:30 directeur scientifique de l'association Bloom.
11:32 Merci Fanny Chauvin d'avoir été avec nous depuis New York.
11:36 Merci à vous aussi.
11:37 Merci à vous tous de nous avoir suivis pour ce nouveau numéro
11:40 de Demain à la Une.
11:41 Très bon week-end sur France 24. Au revoir.
11:43 (Générique)

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