Figure majeure de la littérature française, Arthur Rimbaud (1854-1891) est célèbre pour ses poèmes et la brièveté de sa carrière, puisqu'il n'écrivit que de l'âge de 15 à 20 ans.
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00:00 Que voulez-vous ? Je m'entête affreusement à adorer la liberté libre.
00:06 Arthur Rimbaud. Bonjour à tous, ravi de vous accueillir dans cette émission "Les grands destins".
00:12 Une émission qui revient sur ceux qui ont fait l'histoire et vous l'avez compris,
00:16 aujourd'hui nous allons nous arrêter sur le grand destin d'Arthur Rimbaud.
00:21 Rimbaud pour beaucoup le poète, celui dont le portrait est fièrement planté sur le mur des ados.
00:27 Visage d'ange, une poésie céleste et pourtant le poète maudit, l'incarnation de l'insoumission.
00:35 Bonjour Marc Menand, pourquoi choisir Arthur Rimbaud aujourd'hui ?
00:39 Comme vous l'avez dit, regardez, c'est incroyable, il y a quelque chose d'angélique.
00:45 Mais je dois dire que cette photo, elle est trompeuse.
00:49 Car quand on a d'autres clichés en main, la magie ne joue plus.
00:53 En revanche, aujourd'hui encore, les uns et les autres, on est entiché par cette apparition.
01:00 Et puis, cette faculté à dire non au monde, à vouloir s'inscrire dans un principe de vent,
01:09 se laisser aller, porter, choisir la liberté absolue,
01:14 ne pas considérer que la moindre contrainte soit acceptable.
01:19 Toujours dire non, toujours dire non, toujours dire non.
01:22 Alors comment ne pas traiter Rimbaud ?
01:24 Comment ne pas traiter Rimbaud ? Derrière la liberté, quelques souffrances quand même.
01:28 Il y a aussi l'ombre de la liberté.
01:30 Euphémisme.
01:31 Euphémisme. On va commencer par une anecdote pour planter le décor de ce personnage particulier.
01:36 Le scandaleux ? Pourquoi ?
01:44 Si on allait au théâtre, il y a une pièce de glatini, c'est bois, avec Verlaine,
01:52 les voilà qui se rendent dans cet établissement où le tout Paris s'est convié.
01:58 On est au 15 novembre 1871.
02:03 On a connu les agitations de la commune, donc la vie est en train de reprendre.
02:08 Que fait-on ?
02:10 On est dans cette connivence extrême.
02:14 Ils sont là, bras dessus, bras dessous.
02:17 Ils ont osé ?
02:18 Vous vous rendez compte ?
02:19 Alors, prenez le journal le lendemain.
02:21 Le peuple souverain, adolescent, aux yeux d'ange en exil.
02:27 Magique. Mais il n'y a pas que ça.
02:29 Après, on a vu circulant et devisant le poète saturnal, Verlaine,
02:36 donnant le bras à une charmante personne, mademoiselle Rimbaud.
02:42 Ils ont le goût de la satire, eux aussi.
02:45 Ça signifie qu'il perturbe le monde et que c'est intolérable en soi.
02:51 Mais il en est fier, Verlaine.
02:53 Verlaine, qui est en train de sacrifier sa famille,
02:56 avait promis à Rimbaud de le révéler au monde,
03:01 de faire en sorte que sa poésie rayonne.
03:04 Il y parvient, de cette manière-là.
03:07 Mais malheureusement, la chute pour eux sera extrêmement douloureuse.
03:12 Et on verra comment, justement, il est tombé amoureux de Paul Verlaine.
03:17 On veut tout savoir.
03:19 On va commencer par la naissance, sa jeunesse, la jeunesse d'un prodige.
03:28 -Le petit Rimbaud est né le 20 octobre 1854 à Charleville.
03:34 -Papa capitaine, pas n'importe quel capitaine.
03:37 Il a connu la gloire en Algérie.
03:39 Il était à côté de Bugeaud.
03:41 C'est un homme qui a un entrain incroyable, du charisme.
03:45 Et puis aussi, ce n'est pas, vous savez, ces officiers sortis du rang
03:49 qui ont un côté rude, courageux, mais pas spécialement brillant intellectuellement.
03:54 Non, non, non, non, non. Il a même écrit un traité d'éloquence militaire.
03:59 Ça montre que la plume dans la famille, elle est capable de s'agiter avec brio.
04:05 Maman, c'est Vitalie. Elle est beaucoup plus jeune que son époux.
04:09 Elle a eu une jeunesse un peu difficile, déjà orpheline,
04:12 dès l'âge de 6 ans, élevée par son père, et puis les tâches ménagères.
04:17 Et elle est stricte. Oh là là, la morale, on ne rit pas avec ces choses-là.
04:21 Il y a un petit garçon qui a précédé notre Arthur, il s'appelle Frédéric.
04:25 Après, il y aura une Vitalie et puis la petite Isabelle.
04:30 Arthur, très rapidement, à l'école, tout le monde le regarde.
04:35 Ce n'est pas uniquement cet éclat qui le distingue physiquement.
04:41 C'est surtout la capacité à apostrophé les professeurs,
04:47 à faire très rapidement chanter la plume.
04:51 C'est-à-dire qu'on le voit taquiner dans ses cahiers.
04:54 Il recopie Cicéron à l'âge où les autres sont en train de penser à l'heure de la récréation.
05:00 Et les professeurs sont là, le choix, et en disant pour certains,
05:05 mais ce sera un génie, génie du bien ou du mal, écrit le principal.
05:11 Il y en a un autre qui ne se l'est pas trop à voir, c'est M. Boss.
05:15 Ah, le père Boss, il regarde les mômes et quand il le voit,
05:20 oui, forcément, avec tous les premiers prix qu'il collectionne,
05:24 à la fin de l'année, on a l'impression qu'il n'y a que lui pour monter sur le podium,
05:28 sur l'estrade, les félicitations.
05:30 Il dit, mais attention, ce sourire, je ne le trouve pas très sain,
05:34 c'est un sourire sournois, ce gaillard-là, eh bien, il finira mal.
05:41 Vous voyez, il y en a un qui a cet éclair.
05:44 Mais pour autant, au quotidien, que ce soit d'abord dans la pension
05:50 et puis après au collège, l'émerveillement ne fait que penser
05:56 qu'il est l'exemple à donner aux autres.
06:00 Il a deux copains, il a deux larins et puis la barrière.
06:04 Le soir, quand maman laisse aller, maman l'appelle la daronfe.
06:09 Oh là !
06:10 Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, elle a eu une telle éducation,
06:13 elle a souffert.
06:14 Très stricte.
06:15 Plus que stricte.
06:16 Certains disent même mère acariate.
06:18 Voilà, acariate, c'est le terme.
06:20 Par exemple, quand elle lui fait réciter le soir un poème en latin,
06:25 la moindre hésitation, hop, pas de soupe.
06:28 On ne rigole pas avec ces choses-là, il faut être exemplaire.
06:31 Et puis, il y a la piété, il faut s'en remettre à Dieu, incarner la morale.
06:37 Il lit beaucoup la Bible quand il est petit.
06:39 Oui, oui, oui.
06:40 Mais alors, je dirais que c'est ça qui est étonnant.
06:43 Ce gaillard-là accepte de filer en obéissance.
06:48 Et pour autant, en lui, il y a un bouillonnement qui finira par appeler à l'éruption.
06:56 Et au moment de la communion, là, ce n'est pas vraiment encore l'insolence en tant que telle,
07:01 mais ça montre qu'il est en rupture avec les convenances.
07:05 Il se trouve que l'année où il se présente devant Dieu dans l'aube,
07:10 il sait que le prince impérial, le fils de Napoléon III, a le même état que lui.
07:16 Alors, il lui écrit une épître en 60 vers.
07:20 Mais alors, vous savez comment il signe ça ?
07:22 Ça montre qu'il a conscience de sa puissance.
07:25 Il signe ça « Tu vates Iris ».
07:31 Ça signifie « Tu seras poète ».
07:34 Voilà ce que ce gamin de 14 ans ose écrire.
07:39 Néanmoins, quand l'histoire bouscule un peu les choses,
07:44 il écrit « Napoléon III mérite les galères »
07:48 parce que de temps en temps, quand il sort de l'église, quand il n'est pas au collège,
07:52 il voit bien dans les rues le banc des mendiants, il voit bien toutes ces crèves misères.
07:57 Et ça, ça lui est intolérable.
08:00 Après, l'histoire, je vous l'ai dit, elle le cueille.
08:05 C'est-à-dire que la guerre éclate en 1870.
08:11 On va voir justement comment la guerre cueille Arthur Rimbaud.
08:17 19 juillet 1871.
08:26 Et vous savez, Mésière, qui est juste à côté de Charleville,
08:31 alors on passe d'une cité à l'autre,
08:34 surtout qu'avec de l'aé, il y a les grandes balades le soir.
08:39 On refait le monde.
08:40 Malheureusement, très tôt, on prendra l'habitude aussi d'aller lever quelques chopes de bière.
08:44 Ça vous tournicote la tête.
08:46 Mais bon, ce qui est essentiel, c'est d'échapper à ce monde trop structuré.
08:52 On s'aperçoit un jour que tous ces gens qui habituellement fourmillent,
08:58 ils ont de flambants uniformes, ils se sentent patriotes,
09:04 et ils en appellent à monter à Berlin.
09:07 Ils les appellent les patrouillotistes.
09:11 Les patrouillotistes.
09:13 Bah oui, parce que de grande gueule, mais il n'y en a aucun qui osera faire quoi que ce soit.
09:18 Mais quand il a cette image d'une agitation, il se dit "que se passe-t-il à Paris ?"
09:25 Et là, il décide de se rendre dans la cité.
09:29 Il a rencontré un professeur, Isambard.
09:32 Georges Isambard, dont j'ai cité l'extrait d'une petite lettre.
09:37 Voilà. Et Isambard, 21 ans, forcément il a remarqué le gamin.
09:43 Et ensemble, ils ont cette connivence de la pétillance de l'esprit.
09:51 Les livres, les livres, les livres !
09:53 Entre autres, il lui fait découvrir Hugo.
09:55 "Ah Hugo, pour la mer, Hugo, mais c'est quoi ?
09:59 C'est ce socialiste, c'est ce bouffeur de trône,
10:03 c'est celui qui remet en cause l'hôtel, c'est intolérable !"
10:06 Et hop, la punition.
10:08 Donc, avec Isambard, il a des livres, il les vend pour s'acheter un billet de train.
10:16 Monter à Paris !
10:19 Malheureusement, déjà, les voies sont perturbées,
10:22 le trafic ne se fait pas comme il l'entend,
10:25 il est obligé de marcher jusqu'à Charleroi.
10:27 À Charleroi, le billet qu'il prend, il n'a pas assez d'argent pour aller jusqu'à Paris.
10:33 Alors bon, le voilà passager clandestin.
10:35 Mais quand il descend à la gare, on lui demande son ticket,
10:38 le ticket ne le menait pas jusqu'à la capitale.
10:41 Allez hop, en prison, on ne rigole pas en ce temps-là.
10:45 En prison ?
10:46 En prison.
10:47 Parce qu'il n'avait pas le bon billet de train ?
10:48 Parce qu'il n'a pas le bon billet de train.
10:50 Ah oui, ça vous surprend !
10:51 En 2023, c'est une autre époque.
10:54 C'est une autre époque.
10:55 Et là, le voilà qui pleure, et il écrit à Isambard qu'il lui faut le sortir de là.
11:01 Et le prof, qui est de plus un ami, lui envoie l'argent nécessaire pour échapper à la Jôle.
11:10 Il regagne Douai.
11:12 C'est ce qu'il lui a dit, parce que Isambard habite Douai.
11:15 Il reste quelques jours en compagnie de cet être lumineux,
11:21 mais il y a la mère qui s'inquiète.
11:24 La daronfe, où est-il passé ?
11:26 Elle finit par apprendre qu'il est avec Isambard,
11:30 et il demande à ce qu'il retourne à la maison.
11:32 Isambard le conduit à Charleville.
11:35 Et là, c'est une paire de gifles qui le cueillent.
11:38 Quelle humiliation !
11:40 C'est très étrange, les rapports de Rimbaud avec sa mère.
11:44 C'est-à-dire que c'est un peu une haine d'amour.
11:47 Oui, parce qu'on a l'impression qu'elle veut tout lui donner,
11:49 que c'est son enfant préféré, et en même temps, mais quelle dureté dans l'éducation.
11:55 Oui, parce qu'il est tellement brillant.
11:57 Elle imagine un jour représenter la réussite.
12:02 Mais malheureusement, ce gaillard n'a jamais l'attitude que l'on peut attendre.
12:08 Il est toujours en rupture.
12:10 Et par conséquent, elle espère finir par le mater, mais rien n'y fait.
12:16 On a cet épisode, mais l'histoire s'emballe,
12:20 et il y a la commune.
12:23 Et là, il n'est pas question.
12:25 Alors certains disent qu'il s'est vanté,
12:29 qu'il n'a pas participé à cet événement incroyable de l'enflammement du peuple parisien.
12:36 Il faut nous dire, vous allez nous dire, parce que vous avez lu beaucoup de livres.
12:40 Ah oui, extraordinaires.
12:41 On va en parler à la fin de l'émission.
12:43 Mais pour savoir effectivement son rôle ou pas dans la commune, on regarde tout de suite.
12:52 On a dit l'incarnation de la soumission.
12:54 Jusqu'à présent, c'est ce qu'on commence à comprendre.
12:57 Mais là, on a envie de savoir ce qui se passe au moment de la commune
13:00 et toutes ces interrogations sur son rôle ou pas justement à cette période de l'histoire.
13:05 Alors le voilà qui arrive à la capitale, vous savez comment ?
13:08 Il est 247 kilomètres à pied.
13:11 Il n'avait plus d'argent.
13:13 Mais il n'était pas question de rater ce rendez-vous avec la liberté que s'accordait le peuple.
13:21 Parce que cette agitation, c'est l'espoir, la folie ultime.
13:26 On échappe à toutes les chaînes.
13:29 Il s'engage dans un corps franc.
13:32 On lui donne même une petite somme.
13:34 Et avec ça, forcément, il arrose les camarades.
13:37 Ah, les camarades, faire bonbonsse, c'est formidable.
13:42 Ça vous enflamme.
13:43 Mais les uns...
13:45 Faire bonbonsse et lever le coude aussi.
13:46 Oui, c'est ça.
13:47 Mais c'est avant tout ça, malheureusement.
13:49 Et la petite somme qui lui avait été donnée est très rapidement dépensée.
13:56 Il finit par s'user dans ce contexte.
13:59 Parce qu'à la fois, ça bouge.
14:01 Mais il a le sentiment que malheureusement, la situation est en train de s'éroder.
14:09 Et que l'espoir des pauvres bougres sera déçu.
14:14 Alors il remonte à Charleville.
14:18 Rencontrera une dernière fois Isambard.
14:21 Et il s'enfermera dans sa chambre.
14:24 Et c'est là qu'il devient ce poète voyant.
14:29 Ce poète qui est dans de véritables trances.
14:32 La plume qui lui échappe littéralement.
14:35 Les mots qui se présentent avec une allégresse
14:41 et en rupture de tout ce qui avait existé précédemment.
14:45 Quand il prend un instant pour se reposer, il y a ses sœurs.
14:49 Et en particulier celle qui s'appelle Vitalie, qui l'admire.
14:54 Et il retrouve forcément Delais.
14:57 Il y a un autre personnage aussi qui s'appelle Bretagne.
15:00 Ah le père Bretagne, avec sa bedaine.
15:03 Le soir, on le voit au bistro.
15:05 Il est là, il a un beau petit rôle à la sucrerie.
15:09 Une sorte de chef.
15:11 Il joue du violon et ce côté anarchiste.
15:15 Alors forcément, ça lui plaît.
15:17 Et il lui parle de Césaire.
15:19 Et les deux s'entichent.
15:21 Et il se trouve que Bretagne a des relations
15:24 avec ceux qui à Paris sont en train de changer complètement
15:29 le monde de la littérature.
15:31 - En parlant des relations, parce que là c'est un moment très important
15:34 dans la vie d'Arthur Rimbaud, il va contacter
15:36 différentes personnalités pour grandir.
15:38 On va s'arrêter et ouvrir une page sur Arthur Rimbaud, le poète.
15:43 Donc vous nous expliquiez comment, après la Commune,
15:52 il a plongé dans cette vie de vers, de mots, de poésie, de son.
15:59 - Et sa sœur, Vitalie, qui malheureusement
16:02 guérira très tôt, elle sera emportée par la maladie à 13 ans.
16:07 Elle le regarde quand il jaillit le soir,
16:11 qu'il descend l'escalier, les yeux fiévreux.
16:15 On a l'impression que ce garçon revient d'un autre monde.
16:19 C'est pour ça qu'il utilisera le terme de voyant.
16:23 C'est comme si la poésie l'agrippait.
16:27 Comme s'il était l'élément porteur
16:30 de quelque chose de supérieur qui le submerge.
16:35 C'est invraisemblable.
16:37 Et alors il va voir Bretagne.
16:39 Et Bretagne, là encore, pantelant devant cette créativité.
16:44 Il connaît, je vous dis, ceux qui à Paris
16:47 sont en train de changer le monde de la littérature.
16:52 Et il connaît un dénommé Verlaine.
16:56 Et il écrit à Verlaine, lui parle de Rimbaud.
17:00 Rimbaud envoie un poème à Verlaine.
17:04 Et là, on sent que quelque chose est en train de se jouer.
17:08 Mais il est dans l'impatience.
17:10 Ce n'est pas possible.
17:12 Que font ces gens ? Qui devraient l'appeler ?
17:15 Et ça tarde, ça tarde, ça tarde.
17:18 Alors heureusement, toujours ses semelles devant.
17:21 Comment essayer de se galvaniser
17:24 en oubliant ce monde trop structuré ?
17:27 Ce monde de lâcheté, ce monde de quotidienneté.
17:31 Ce monde où l'homme n'est qu'élément de grouillement.
17:37 Et c'est surtout ça qu'il faut fuir.
17:40 Il faut s'inscrire dans une sorte de transcendance.
17:43 Il faut casser tout, il faut tout briser.
17:47 Il faut entrer, vous vous rendez compte,
17:49 le mot que je vais formuler, écoutez-le bien,
17:52 il faut entrer en monstruosité.
17:56 C'est-à-dire qu'entrer en monstruosité,
18:01 c'est briser la manière respectable des êtres
18:06 qui ne sont ces êtres en réalité que marionnettes
18:10 et pire que ça, des personnages vivants de petitesse,
18:16 vivants de trahison, vivants de mensonges,
18:20 vivants donc de tout ce qu'il y a de plus odieux.
18:23 Et s'il réfère l'âme, pour être digne de quelque chose de supérieur,
18:29 il faut entrer dans ce principe d'encrapulement.
18:33 Incroyable. Il y a une question que je voudrais vous poser
18:36 par rapport à cette volonté d'Arthur Rimbaud,
18:39 justement de contacter les plus grands, les plus grands écrivains.
18:43 Pourquoi ? Soif de reconnaissance ou bien envie d'équipe ?
18:48 Parce que dans sa vie, finalement, il n'aura pas été vraiment reconnu
18:51 par ses collègues.
18:53 C'est-à-dire qu'à cette époque-là, il espère bien.
18:56 Mais ce n'est pas à Charleville. Il connaît Verlaine.
19:00 Verlaine est déjà célèbre. Il connaît Hugo.
19:04 Alors Hugo est en exil, mais il n'en reste pas moins
19:08 que quand Hugo revient à Paris, il y a cette possibilité
19:13 peut-être de rencontrer le grand maître.
19:16 Il y a Charles Crow, cet homme qui a tous les génies,
19:19 à la fois la littérature, mais qui inventera aussi le phonographe.
19:23 Et ces gens-là, eh bien, il est certain qu'ils ne pourront
19:28 l'accueillir qu'en fraternité.
19:30 Et à un moment, la lettre, enfin, lui arrive.
19:35 Elle est de Verlaine, qui lui dit "Chère grande dame,
19:39 on vous attend. Chère grande dame, on vous attend."
19:44 Incroyable.
19:45 Il va donc monter à Paris avec rien du tout,
19:50 simplement la persuasion que l'avenir est celui d'un grand maître
19:58 en littérature, celui d'une reconnaissance littéraire.
20:03 Et quand il se présente dans la capitale, il pensait
20:07 qu'on l'attendrait, oui, effectivement.
20:10 Verlaine et Charles Crow avaient décidé de l'accueillir à la gare.
20:14 Mais apparemment, soit que le train était en avance,
20:17 on ne peut pas le savoir, toujours est-il qu'il se rate.
20:20 Et voilà Notre-Rimbaud sur le quai, à se dire "Bien maintenant,
20:25 j'ai l'adresse", et il se rendra du côté de Montmartre,
20:29 où habite Verlaine, où il se présente dans un hôtel flambant.
20:35 Notre-Verlaine s'est mariée peu de temps auparavant
20:40 avec une jeune fille de 16 ans qui s'appelle Mathilde.
20:45 Comme il était parti chercher Notre-Rimbaud, qu'il ne l'a pas trouvé,
20:50 forcément cette jeune femme est là, enceinte, avec ses parents,
20:55 qui possèdent cet hôtel particulier.
20:58 Elle savait qu'il y avait un homme qui devait se présenter,
21:01 mais qu'elle était étonnée par la jeunesse, qu'elle était étonnée
21:05 par son visage, mais également par ses terres un peu bizarres.
21:09 Et puis, le manque de considération, ses souliers sont tout crottés,
21:15 il n'a pas la moindre politesse, et dès le départ,
21:20 brise quelques faïences qui se trouvaient sur la commode.
21:24 Voilà l'entrée de Rimbaud dans la vie de Verlaine,
21:28 qui n'est pas encore là.
21:30 - Accueillie par Mathilde, son amoureuse de Paul Verlaine.
21:33 Ça promet pour la deuxième partie, parce qu'on va s'arrêter
21:36 sur cette rencontre foudroyante et poustouflante
21:40 entre Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.
21:43 On parlera du drame qui est arrivé à Arthur Rimbaud,
21:47 on parlera de sa triste fin dans la deuxième partie.
21:50 A tout de suite pour le grand destin d'Arthur Rimbaud.
21:53 Je vous laisse pendant la pause avec cette petite phrase,
21:56 "La morale est la faiblesse de la cervelle".
21:59 Arthur Rimbaud, à tout de suite.
22:02 - J'aime beaucoup.
22:05 - "Si stupide que soit son existence,
22:08 l'homme s'y rattache toujours".
22:11 Quelle belle phrase d'Arthur Rimbaud.
22:14 Nous avons commencé avec Marc Menand dans la première partie
22:17 à vous parler de ce grand destin exceptionnel.
22:20 Il n'a pas écrit longtemps, pendant quelques années de sa vie.
22:23 Ça a été intense. Il meurt jeune.
22:26 On verra dans un instant dans quelles circonstances
22:29 il est mort. Il est pénible.
22:32 Nous nous sommes quittés en parlant de cette rencontre.
22:35 - On vient d'entrer chez Verlaine.
22:38 - On ouvre la porte et on va à la rencontre de Verlaine.
22:41 ...
22:46 - Il arrive, Verlaine.
22:49 - Que se passe-t-il ?
22:52 - Il arrive. Il l'a raté.
22:55 Il n'imaginait pas qu'il aurait cheminé seul
22:58 et qu'il était déjà en terrain conquis.
23:01 - À l'hôtel.
23:04 - Il y a le chien qui s'appelle Gatineau.
23:07 Les premiers mots en présence de Verlaine, c'est de dire
23:10 "les chiens sont comme des libéraux".
23:13 Qu'est-ce qu'il dit là ? Je ne sais pas.
23:16 C'est toujours cette capacité de Rimbaud
23:19 à placer l'expression dans un cercle poétique.
23:22 Il faut chercher un sens supérieur.
23:25 Il commence à échanger.
23:28 Mathilde, la jeune fille qui est enceinte, 16 ans,
23:31 vous imaginez devant cet individu qui a pris des défaillances.
23:34 Elle est mal à l'aise.
23:37 Et les voilà, les deux qui s'en vont.
23:40 On reviendra tout à l'heure.
23:43 Et c'est la première épopée parisienne.
23:46 On va dans les estaminets et hop !
23:49 On se laisse aller aux libations.
23:52 C'est un peu comme si on se tournicote la tête.
23:55 Et en ayant cette capacité
23:58 à utiliser cet état vaporeux
24:01 pour en faire jaillir cette sève inouïe
24:04 qui vient caresser l'âme.
24:07 - Vous parlez d'encrapulement.
24:10 - C'est l'encrapulement.
24:13 C'est le mot que j'ai utilisé tout à l'heure.
24:16 C'est lui qui le dit.
24:19 C'est comme en alchimie, soudain, se transforme en lumière.
24:22 Être le fils du soleil.
24:25 Chez Verlaine, la situation devient vite intenable.
24:28 Forcément.
24:31 Il est tellement rustre.
24:34 Il n'est pas dans la capacité d'avoir le moindre geste de bienveillance.
24:37 Mathilde est terrorisée.
24:40 Mais les parents, en revanche, lui disent maintenant
24:43 qu'il faut qu'il s'en aille.
24:46 Il prend la direction de la demeure de Charles Crow.
24:49 Qui lui a dit "Viens, je t'accueille".
24:52 Il a une grande maison, Charles Crow.
24:55 Il a une sorte de grenier.
24:58 Mais là encore, il se comportera de manière tellement infecte
25:01 que quelques jours plus tard, Charles Crow lui demande
25:04 de quitter les lieux.
25:07 - L'infréquentable.
25:10 - En revanche, ceux qui l'ont adoubé,
25:13 les amis de Verlaine et de Charles Crow
25:16 qui sont dans le cercle que l'on appelle
25:19 les vilains bonshommes.
25:22 On se retrouve toujours les ripailles.
25:25 Toujours cette capacité à échapper au quotidien
25:28 et à faire fleurir le verbe.
25:31 Quand il voit que ce garçon, on ne peut pas l'accueillir
25:34 chez l'un ou chez l'autre, il décide de faire
25:37 une sorte de quête pour qu'il ait une rente
25:40 afin de vivre à Paris et d'avoir
25:43 les instants de création.
25:46 Ils appellent ça, moi je trouve ça bien,
25:49 le nourrisson des muses.
25:52 Voilà comment ils le nomment.
25:55 Reste que rapidement, il a des scènes invraisemblables.
25:58 On le voit avec un ostache.
26:01 Vous savez ce que c'est qu'un ostache ?
26:04 Vous savez, il y a les mauvais garçons à Paris
26:07 et il faut savoir répliquer à celui
26:10 qui n'a pas une bonne tronche devant vous.
26:13 Et hop, on sort sa balle, lui il le sort facilement,
26:16 le stache. Et un jour, alors que Verlaine est là,
26:19 autour de la table des vilains bonshommes,
26:22 pof, il le plante avec le couteau.
26:25 C'est un individu qui est plus qu'abject.
26:28 C'est quelqu'un que l'on fuirait.
26:31 Et pour autant, la fascination
26:34 les laisse en dépendance
26:37 l'un de l'autre
26:40 et Verlaine tombe même en soumission.
26:43 - C'est-à-dire ? Qu'est-ce que vous entendez par là ?
26:46 - C'est-à-dire qu'il envisage de quitter sa femme
26:49 alors qu'elle vient d'accoucher d'un petit garçon,
26:52 Georges, qui lui dit "je ne veux plus être avec toi",
26:55 qu'il doute de faire quoi que ce soit
26:58 en dehors de Rimbaud
27:01 et qu'ensemble, ils deviennent des sortes de clochards
27:04 en errance dans Paris.
27:07 Voilà où on en est, tant et si bien que Mathilde
27:10 finit par demander le divorce. Alors là, ça réveille
27:13 Verlaine qui dit "mais je ne veux surtout pas, je te promets
27:16 je reviendrai, je reviendrai". Non, au contraire,
27:19 ils s'en vont. Ils s'en vont pour un long chemin
27:22 avec un détour par Charleroi,
27:25 Bruxelles, et ils se rendront
27:28 à Londres. - On va voir le voyage à Londres.
27:31 Lorsqu'on pense à Arthur Rimbaud,
27:40 on pense à la poésie, on pense à cette relation amoureuse
27:43 avec Paul Verlaine et on pense au voyage.
27:46 - Vous savez ce qu'il lui dit avant de partir ? J'ai noté
27:49 "je tiens à te rendre à ton état primitif,
27:52 faire de toi le fils du soleil".
27:55 Donc, cet encrapulement
27:58 déstructure et tout. Et pour arriver
28:01 à ce résultat, forcément,
28:04 on a besoin d'abuser d'artifice.
28:07 C'est là où il y a quelque chose. Moi, à la fois,
28:10 il me fascine et puis d'un autre côté,
28:13 il m'est intolérable. Parce que c'est vraiment
28:16 la destruction. On est à la fois
28:19 dans ce rayonnement sublime d'une âme,
28:22 mais d'une âme en souillure.
28:25 Ce sont d'ailleurs des mots qu'il utilise.
28:28 - Par exemple, vous aimez, vous, Marc Menand,
28:31 vous aimez chatoyer les mots, vous aimez la fête de l'esprit,
28:34 mais sans substance, avec la pureté de l'être,
28:37 alors que lui, c'était complètement l'inverse.
28:40 - C'est le contraire. - Il va chercher sa puissance
28:43 dans l'alcool. - Alors, il faut remettre
28:46 peut-être ça dans les logiques d'une époque.
28:49 Il a connu la difficulté d'une existence
28:52 en province extrêmement encagée,
28:55 si je puis utiliser ce néologisme.
28:58 Il y a eu la guerre,
29:01 il y a eu la commune,
29:04 et puis, quand il est avec ses poètes,
29:07 il voit bien qu'ils n'ont pas
29:10 l'envergure qu'il espérait.
29:13 En revanche, avec ce Verlaine malléable,
29:16 il a quelque chose, non pas de toute puissance,
29:19 peut-être un brin de sadisme, mais pas ça qui importe,
29:22 c'est comment ils peuvent s'attiser ensemble,
29:25 mais pour se faire, oui, il n'a pas
29:28 l'état supérieur,
29:31 il lui faut les subsides de l'alcool.
29:34 - Alors, c'est très intéressant, tout ça.
29:37 Donc là, on parlait des voyages, et avant le grand voyage à Londres,
29:40 on sent qu'il cherche toujours la liberté ou la fuite,
29:43 comment expliquer ça ? Que cherche-t-il ?
29:46 - Il cherche simplement à vivre libre.
29:49 Au moment de la commune, d'ailleurs,
29:52 il dit, c'est la folle épopée,
29:55 il dit malheureusement,
29:58 malheureusement, elle est tombée,
30:01 mais on a pu croire au miracle,
30:04 ce miracle d'un homme
30:07 qui serait là, le nez au vent, le vent,
30:10 le vent chez lui, parce que le vent, c'est ce qui vous emporte,
30:13 la notion des grandes enjambées,
30:16 quand il était avec Delahaye, il y a aussi des voyages
30:19 qu'il fait ici et là,
30:22 il va en Europe, il quitte le Giron,
30:25 mais quand il monte à Paris, les 247 km,
30:28 sans être équipé, et puis le souffle,
30:31 c'est quoi ? Le souffle, c'est le verbe,
30:34 c'est cette incandescence, quelque chose
30:37 qui vient et qui fait que l'homme
30:40 est autre chose qu'un simple animal,
30:43 et c'est ça qu'il cherche.
30:46 Malheureusement, il ne le trouve pas assez facilement.
30:49 Il rend la vie tellement insupportable à Verlaine
30:52 qu'à un moment donné, celui-ci dit, je n'en peux plus,
30:55 je vais te quitter, je vais te quitter,
30:58 je vais m'en aller, d'autant que Mathilde
31:01 n'a cessé de le harceler, d'abord pour le rappeler,
31:04 pour lui dire qu'elle allait à tout jamais rompre
31:07 en ayant obtenu le divorce qu'elle a demandé,
31:10 et puis qu'il ne verrait plus son petit garçon.
31:13 Ça, soudain, ça le bouleverse, c'est pas possible.
31:16 Alors il a écrit à sa mère,
31:19 Madame Verlaine, les deux, c'est étonnant d'ailleurs,
31:22 ont leur maman qui ne cesse d'être
31:25 en biberonnage mental, si je puis dire,
31:28 cherche à toujours suppléer
31:31 les défaillances qui sont les leurs.
31:34 Madame Verlaine lui a envoyé de l'argent
31:37 et le voilà qui gagne Bruxelles.
31:40 Notre Rimbaud reste à Londres seul,
31:43 comme s'il était indifférent
31:46 à ce passage à l'autre
31:49 et Verlaine,
31:52 eh bien, finit par lui envoyer
31:55 l'argent nécessaire pour qu'il le rejoigne
31:58 à Bruxelles.
32:01 - On va voir ce qui va se passer à ce moment-là
32:04 dans cette passion destructrice.
32:07 ...
32:10 Je t'aime, moi non plus, je te kiffe,
32:13 non plus, je te rejoins,
32:16 où en es-tu maintenant ?
32:19 - Eh bien... - On a vu Verlaine qui a fui Bruxelles
32:22 et finalement qui lui envoie de l'argent à Rimbaud pour le rejoindre.
32:25 - On a vu Verlaine qui est allé au hôtel Liégeois
32:28 avec sa maman, qui l'accompagne
32:31 et qui voit avec désespoir arriver
32:34 l'énergie humaine, arriver cet ange de malheur.
32:37 Ce sont des mots qui doivent lui venir,
32:40 sans doute, et pour autant,
32:43 il lui faut s'accommoder.
32:46 Et les voilà qui repartent en déambulation nocturne,
32:49 en déambulation abjecte
32:52 où on se laisse là encore
32:55 détruire et on souille l'autre.
32:58 La souillure, la souillure, la souillure.
33:01 C'est l'un des mots qui revient souvent dans la bouche
33:04 de Rimbaud.
33:07 Et à un moment, Rimbaud décide
33:10 de s'en aller. Il lui dit
33:13 "Je ne supporte plus". Là, c'est lui qui veut
33:16 la rupture. Verlaine est bouleversé
33:19 quand il entend cela. Il ne veut pas y croire.
33:22 Il se rend dans un magasin où il a repéré
33:25 un revolver. Il achète
33:28 ce revolver. Il rentre
33:31 à l'Hôtel Liégeois. Ensuite, on va changer
33:34 d'établissement.
33:37 Et puis, ils font ripailles.
33:40 Les ripailles d'adieu.
33:43 Ils repartent éméchés
33:46 à la fois joyeux
33:49 et haineux.
33:52 Et Verlaine prend
33:55 quelques pas d'avance, se tourne
33:58 face à Rimbaud et le menace.
34:01 Rimbaud
34:04 ne sourcille pas. Alors, il reprend
34:07 le pas pour se rendre
34:10 à l'hôtel. Et une fois que la porte
34:13 est fermée, dans une fulgurance
34:16 incroyable, Verlaine ferme
34:19 la porte à clé. Il s'assied sur une
34:22 chaise qu'il pose près de la porte.
34:25 Et là, il dit "Ah,
34:28 tu voulais t'en aller.
34:31 Voilà ce que je vais te faire". Et là, il tire.
34:34 La première balle se perd dans
34:37 l'encadrement de la fenêtre et la deuxième
34:40 touche Rimbaud. Madame Verlaine est là.
34:43 Vous imaginez le drame pour cette
34:46 femme qui voit son fils devenir
34:49 meurtrier. Le sang qui coule. Elle se précipite.
34:52 On pense Rimbaud
34:55 et on se rend
34:58 à l'hôpital pour un pansement sans dire
35:01 qu'il y a une balle. Et sur le chemin,
35:04 de nouveau, eh bien,
35:07 il y a notre Verlaine qui menace
35:10 Rimbaud. Alors lui, il dira qu'en réalité, non.
35:13 Il s'était placé devant Rimbaud simplement pour lui dire
35:16 "Je vais me mettre une balle dans le caisson parce que je ne supporterai pas
35:19 ce que nous sommes en train de vivre".
35:22 En revanche, Rimbaud, lui, a cru qu'à nouveau,
35:25 il voulait lui tirer dessus. Il y a un policier qui est là,
35:28 il lui demande d'intervenir. Il dénonce
35:31 le frère, l'ami. Et c'est comme ça
35:34 que notre Verlaine se retrouve
35:37 chez l'amigo. L'amigo, c'est la prison, au commissariat.
35:40 Il est arrêté pour tentative
35:43 d'assassinat.
35:46 Il sera condamné à deux ans de prison.
35:49 Rimbaud est conduit à l'hôpital
35:52 par madame Verlaine car il souffre
35:55 de plus en plus de son poignet. On lui retire la balle
35:58 qui était restée nichée
36:01 dans la chair. Quelques jours de convalescence.
36:04 Ils ne se reverront
36:07 qu'une seule fois à Charleroi
36:10 mais à tout jamais.
36:13 C'est une séparation qui néanmoins
36:16 les rendra en dépendance
36:19 l'un de l'autre de façon épistolaire.
36:22 Notre Verlaine
36:25 étant le plus en souffrance.
36:28 Quant à Rimbaud, il retournera
36:31 à Charleville. On n'a pas le temps d'avoir
36:34 tous les instants de dérive
36:37 qui sont les siens. Il fait une grande tournée en Europe,
36:40 l'Italie, marcher, le vent, le souffle.
36:43 Et puis il entend parler
36:46 d'une expédition coloniale qui se fera à Sumatra
36:49 par les Hollandais. Il y a une révolte là-bas. Il faut mater
36:52 les Hollandais qui ont colonisé Sumatra.
36:55 Il se fait engager. Comme ça, ça lui fait un petit pécule.
36:58 Il n'a rien à dépenser. Et il se dit qu'une fois
37:01 sur place, il désartera.
37:04 Le chemin est long. Et puis, arrivé à Sumatra,
37:07 il y a la formation militaire. Il supporte la vie
37:10 de chambré dans les odeurs les plus épouvantables.
37:13 Il s'échappe.
37:16 Il tient sa parole. Revient
37:19 en France. Revient
37:22 à Charleville. Mais il lui faudra
37:25 à tout jamais quitter
37:28 la ronfle, cette femme
37:31 qu'il aime tant mais qu'il ne supporte pas.
37:34 Et c'est comme ça qu'il gagne Marseille.
37:37 Et de Marseille, l'Afrique, Aden.
37:40 C'est important, cette période de voyage
37:43 chez Arthur Rimbaud, lui qui fuit tout,
37:46 qui court vers la liberté.
37:50 Quelques minutes seulement,
37:53 rapidement, avant de s'arrêter sur la fin d'Arthur Rimbaud,
37:56 sur Rimbaud l'Africain. Et Rimbaud qui s'en va.
37:59 - Il arrive en Afrique.
38:02 Il a décidé de ne plus écrire.
38:05 Il dit que la littérature est une idiotie,
38:08 que c'est quelque chose de dégoûtant.
38:11 - Il a arrêté à 21 ans. - Vous vous rendez compte ?
38:14 Quand on lit Rimbaud aujourd'hui, c'est quelque chose de dégoûtant.
38:17 Il a une soif de savoir.
38:20 Il ne cherche jamais autre chose
38:23 que la vérité dans les livres.
38:26 Ça le bouscule, ça le prend.
38:29 Et sur place, là-bas, c'est pas être ingénieur que faire.
38:32 Mais il va entrer dans le commerce.
38:35 Il changera une ou deux fois de patron.
38:38 Il négocie du café. Finira comme trafiquant d'armes aussi.
38:41 Il a un long trajet à faire dans des conditions invraisemblables
38:44 dans le désert avec des nomades
38:47 qui font en même temps du trafic d'esclaves.
38:50 Lui, il ne participe pas au trafic d'esclaves, mais au trafic d'armes.
38:53 Il s'enrichira et puis il montre son propre comptoir,
38:56 comme on dit, avec un jeune garçon de 10 ans
38:59 qui l'accompagne et qui lui sera fidèle.
39:02 Les mois passent, les années passent.
39:05 Et puis, un matin, il sent la douleur.
39:08 Elle le prend d'abord par la jambe.
39:11 Quelque chose qui l'infecte.
39:14 Il a la sensation que des clous lui sont plantés.
39:17 Et puis ça gagne les reins. Il se paralyse.
39:20 Il ne peut plus bouger.
39:23 Il est à Arar. À Arar, il n'y a pas de médecin.
39:26 - En Afrique ? - En Afrique.
39:29 Et là, on fabrique une sorte de civière pour le reconduire à Aden.
39:32 À Aden, il y a l'hôpital
39:35 où son cas est jugé comme extrêmement pénible.
39:38 Il lui faut regagner la France.
39:41 La France en grabataire. C'est terrifiant.
39:44 Et le voilà à Marseille.
39:47 - Il n'a que 37 ans lorsqu'il termine sa vie dans affreuse souffrance.
39:50 ...
39:53 ...
39:56 Racontez-nous.
39:59 - Marseille. L'hôpital.
40:02 Ces instants
40:05 où il a la sensation de n'être plus qu'un tronc.
40:08 Effectivement, il devient un tronc.
40:11 On l'ampute d'une jambe.
40:14 C'est ce qu'il aurait voulu éviter.
40:17 Jusqu'à la dernière seconde,
40:20 il a pensé que c'était un mauvais moment à passer,
40:23 qu'il allait rejaillir.
40:26 37 ans, c'est la jeunesse.
40:29 Il a écrit à sa mère,
40:32 qui est venue pour s'occuper de lui.
40:35 Il remonte à Charleville.
40:38 Repartir là-bas, quelques temps de convalescence.
40:41 Et puis l'Afrique qui lui sera promise.
40:44 Mais au fil des jours, c'est intenable.
40:47 Il n'arrive plus à être
40:50 dans la dignité humaine.
40:53 Sa soeur, qui est à ses côtés,
40:56 celle qui est la plus jeune...
40:59 -Vitalie ? -Non, Vitalie est partie.
41:02 Quand elle avait 13 ans, c'est Isabelle
41:05 qui est là, à ses côtés.
41:08 Notre Rimbaud demande
41:11 à ce que l'on prépare
41:14 un voyage pour Marseille.
41:17 Les messageries maritimes.
41:20 Il écrira même une lettre à la veille de sa mort
41:23 au directeur des messageries maritimes
41:26 Il lui faut partir et qu'on fasse attention à lui
41:29 alors qu'il n'est pas capable de quoi que ce soit.
41:32 Le chemin est long.
41:35 Le train, il est sur la civière.
41:38 À Marseille, de nouveau, l'hôpital.
41:41 Et les semaines qui passent,
41:44 il s'éteint à petit feu
41:47 jusqu'au dernier souffle
41:50 en rêvant d'un autre grand voyage,
41:53 celui qui lui permettrait
41:56 de retrouver cette Afrique
41:59 où il a connu une forme de prospérité.
42:02 Mais sa fuite, cette fois-ci, elle est définitive.
42:05 -Ainsi est parti Arthur Rimbaud
42:08 le 10 novembre 1891
42:11 à l'âge de 37 ans.
42:14 On terminerait avec quelques mots d'Arthur Rimbaud
42:17 juste avant le seul qu'il faut retenir
42:20 -Le petit Arthur collectionne les premiers prix
42:23 n'a qu'un seul désir, échapper à tous les carcans
42:26 on a même dit l'incarnation de l'insoumission
42:29 La poésie est son évasion. Poète précoce,
42:32 il pose sa plume à 20 ans.
42:35 Il a avec Verlaine, qu'il appelle la Vierge Folle
42:38 et vive deux saisons en enfer portées par des semelles de vent.
42:41 Il finit par s'établir commerçant en Afrique de l'Est
42:44 et puis rongé par la maladie.
42:47 Il a une souffrance, se forçant à croire
42:50 qu'il repart en voyage.
42:53 Un livre pour vous, Arthur Rimbaud de même.
42:56 Arthur Rimbaud, une question de présence.
42:59 -C'est formidable, c'est de Jean-Luc Stendmans.
43:02 Vous savez, les biographies qui sont dignes du monde littéraire
43:05 elles sont rares et c'est l'une de ses pépites.
43:08 Je me suis régalé.
43:11 -Et puis un deuxième de votre ami, Jean-Joseph Zoudeau.
43:14 Il vous embarque là avec Rimbaud mais aussi avec Verlaine.
43:17 Ça vous permet de retrouver les uns et les autres.
43:20 -Un peu de hauteur en souvenir d'Arthur Rimbaud.
43:23 -Le bateau ivre, comme je descendais des fleuves impassibles,
43:27 je ne me sentis plus guidé par les haleurs.
43:30 Des peaux rouges criards les avaient pris pour cibles,
43:33 les ayant cloués, nus aux poteaux de couleur.
43:37 -J'étais soucieux de tous les équipages,
43:40 porteurs de blé flamand ou de coton anglais,
43:43 quand, avec mes haleurs, on finit ses tapages,
43:47 les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
43:51 -Ainsi va le grand destin d'Arthur Rimbaud.
43:54 Merci de nous avoir suivis.