Pierre-Yves Rougeyron et son invité Benjamin Ferrando vous proposent de redécouvrir la pensée d'Hilaire Belloc, historien, philosophe et journaliste anglais qui voyait dans la Défense de la propriété, le moyen d’échapper tant au marché qu’à l’Etat et dont l’œuvre, pourtant vieille d’un siècle, trouve une résonance particulière en ces temps de Great Reset.
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00:00 Le scandale du fonds Marianne a mis en scène le meilleur et le pire de notre époque.
00:04 S'agissant du pire, un ministre, Marlène Schiappa,
00:07 qui joue avec l'argent des contribuables distribué sous couvert de laïcité.
00:11 Au lendemain de l'assassinat de l'enseignant Samuel Paty par un islamiste,
00:15 ce fonds a été créé pour soutenir les acteurs de la lutte contre la radicalisation en ligne.
00:21 En réalité, les fonds serviront à alimenter des caisses d'associations controversées
00:26 comme l'observatoire du conspirationnisme qui tente de mettre hors jeu et de discréditer
00:31 toute personne qui ne validerait pas le point de vue de ses rédacteurs.
00:35 Deux structures, l'union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire
00:39 et reconstruire le commun ont respectivement perçu 355 000 et 330 000 euros.
00:47 Ce sont les deux plus importants bénéficiaires du fonds.
00:50 Ces deux associations ont éprouvé de lourdes difficultés à justifier l'usage de la manne publique.
00:56 En revanche, l'affaire du fonds Marianne a été largement rendue publique
00:59 grâce à la présence de médias alternatifs indépendants.
01:02 La liberté de ton et de traitement de TV Liberté permet aujourd'hui de pointer du doigt
01:07 des scandales et des manipulations qui seraient sans nous passées sous silence.
01:12 En participant au financement de TV Liberté, vous permettez le maintien et le développement
01:16 d'un média à contre-courant qui a déjà 10 ans et qui s'inscrit résolument dans le temps long.
01:22 On compte sur vous.
01:24 [Musique]
01:48 [Générique]
01:53 Chers amis de TVL, bonjour, je suis content de vous retrouver.
01:58 Aujourd'hui, nous allons parler un peu littérature, mais nous allons surtout parler actualité et futur.
02:05 Je vais me permettre de vous citer un grand menestrel de notre monde,
02:11 grand prince du Forum de Davos qui n'est pas rien.
02:16 Vous ne posséderez rien, mais vous serez heureux.
02:19 Le sympathique Lauschwab, vous l'avez reconnu, et c'est un hasard.
02:25 Il se trouve qu'il n'y a pas si longtemps a commencé à être publié en France
02:30 l'œuvre de celui qu'on pourrait nommer l'anti-Claushwab, un grand auteur anglais,
02:37 dont un des ouvrages vient d'être traduit il n'y a pas longtemps aux éditions Perspectives Libres.
02:42 Je reçois son préfacier et traducteur, Benjamin Ferrando, bonjour.
02:47 – Bonjour Pierre-Yves.
02:49 – Trêve de suspense, l'auteur en question est Hilaire Belloc.
02:53 Hilaire Belloc, malheureusement, ça ne doit plus dire grand chose,
02:58 et c'est peut-être une œuvre à redécouvrir.
03:01 Qui est Hilaire Belloc ?
03:04 – Hilaire Belloc, c'est une figure majeure des lettres anglaises au début du XXème siècle.
03:09 C'est un auteur qui est né en France en 1870, son père était français, sa mère anglaise.
03:16 Lors de l'invasion prussienne de la France cette année-là, sa maison a été ravagée.
03:22 Il a toujours vécu en Angleterre peu après le décès de son père,
03:26 et il a toujours gardé une affection, un amour tout particulier pour la France.
03:31 Hélas, il est très peu connu chez nous, dans nos contrées.
03:34 Auteur de plus de 150 ouvrages, d'une diversité absolument incroyable,
03:38 c'est-à-dire qu'on retrouve des contes pour enfants, des romans satiriques,
03:42 de l'histoire, de la politique, des récits de voyage, de la gastronomie.
03:47 On a un personnage absolument acérablésien, d'une certaine manière.
03:54 Un personnage vraiment entier.
03:56 Et 150 bouquins, il a été obligé d'écrire constamment, toute sa vie, toute sa carrière,
04:02 il a écrit constamment pour nourrir les siens.
04:04 C'est-à-dire que tout jeune, lors de ses études d'histoire à Oxford,
04:09 il s'est vu refuser un poste de professeur à cause de sa religion.
04:15 C'était un catholique militant, il est rebelloque, historien, publiciste,
04:22 et donc il est devenu au début du XXe siècle, une des grandes, grandes figures des lettres anglaises.
04:27 Pour vous le situer un petit peu, disons que c'était un type qui ressemblait à un bloc granitique.
04:32 Un type très compact, toujours en mouvement.
04:35 Toujours en mouvement, toujours en train d'écrire.
04:37 Un de ses amis le décrivait, Maurice Baring, le décrivait comme ça,
04:41 il disait "il vous semble à première vue incroyablement borné".
04:44 Vous le retrouvez une deuxième fois, il vous semble toujours très, très borné,
04:47 mais vous lui accordez quelques éléments de bon sens.
04:50 Les années passent, quelques années plus tard, vous vous rendez compte,
04:54 pas forcément qu'il avait toujours raison, mais qu'il était dans le vrai,
04:58 précisément là où vous pensiez qu'il était le plus dans l'erreur.
05:01 C'était quelqu'un qui était en opposition assez frontale,
05:04 avec la plupart des idées en vogue de son temps.
05:07 On parle de l'Angleterre après la mort de la reine Victoria,
05:11 donc au début du XXe siècle, qui était un pays mercantile, aristocratique et protestant.
05:18 Trois traits majeurs de ce pays à ce moment-là.
05:22 Et disons que Bellocq avait des raisons d'être assez contre l'évolution de l'Angleterre de cette époque,
05:36 avec un impérialisme et un système politique qui viraient en plutocratie,
05:43 avec tout ce protestantisme anglais qui était en train de se liquéfier à ce moment-là,
05:50 avec toutes sortes d'idées, toutes sortes d'idéologies à cette époque,
05:53 à la fin du XIXe et début du XXe siècle,
05:56 qui devenaient de plus en plus, disons,
06:01 qui amenaient doucement l'Angleterre vers une espèce de démence commune.
06:05 Orwell parlait de décence commune,
06:07 il serait plus juste de parler au début du XXe siècle d'une espèce de démence commune,
06:11 contre lesquelles justement se battait Chesterton et Bellocq.
06:17 Il faut voir que Bellocq est assez peu connu en France,
06:20 malgré sa stature absolument incroyable en Angleterre,
06:24 il est souvent mis à côté de quelqu'un comme Chesterton,
06:27 qui est un véritable génie des lettres anglaises.
06:30 Pour les téléspectateurs qui ne connaissent pas,
06:32 je ne saurais que trop conseiller la lecture d'un bouquin comme "Orthodoxie" ou "L'homme éternel".
06:38 Quintessence de l'anglais, le gros anglais excentrique,
06:41 qui aime aller au pub, qui rigole tout le temps,
06:43 qui ne se faisait pas trop d'ennemis, quelqu'un de très très rond.
06:46 Bellocq c'est vraiment l'esprit clair, ordonné, méthodique,
06:52 capable de distinguer entre l'important et le dérisoire,
06:55 un sens des proportions absolument remarquable,
06:59 et un sens historique.
07:00 C'était quelqu'un qui était en prise...
07:02 Un grand grand historien.
07:03 Un grand grand historien.
07:04 Il était en prise avec le passé de notre civilisation,
07:09 de manière complètement charnelle.
07:11 C'est stupéfiant de lire certains de ses bouquins d'histoire,
07:13 et de voir quel était son sens du passé.
07:15 Et justement par rapport à cette évolution de l'Angleterre,
07:19 où finalement de plus en plus de gens,
07:21 de plus en plus d'experts, à travers le génisme,
07:24 le socialisme, certaines sociologies,
07:27 amenaient finalement...
07:29 La Fabian Society, tout le monde qui tourne autour de la Fabian
07:32 et de tous ces mondes là.
07:33 Exactement, exactement.
07:34 Il voyait cette tendance aux réformes graduelles,
07:38 pour finalement adapter l'homme aux conditions matérielles,
07:42 et non pas faire en sorte que ces conditions deviennent humaines.
07:46 Et donc avec Chesterton, il a combattu...
07:49 Il est rare de trouver des combattants aussi drôles,
07:53 avec ce sens de l'humour, aussi talentueux,
07:55 contre justement toutes ces forces d'oppression
07:59 et d'avélissement de l'homme ordinaire.
08:01 On peut résumer vraiment leur carrière et leur...
08:04 C'était Georges Bernard Shaw qui parlait du Chester Beloc,
08:07 ce genre d'espèce de grand monstre à deux têtes où...
08:12 Évidemment, ils étaient très opposés aux idées
08:15 des grands prophètes de l'État mondial, déjà,
08:17 comme H.G. Wells.
08:19 Ils se connaissaient très bien.
08:21 Georges Bernard Shaw également, qui parlait du Chester Beloc.
08:24 Donc c'était vraiment un milieu de gens qui se connaissaient,
08:28 mais dont les idées étaient profondément opposées.
08:30 Et c'était des gens qui défendaient...
08:32 Parce qu'une partie de ces gens sont les grands-pères idéologiques
08:36 d'une partie de nos maîtres.
08:39 - Complètement.
08:40 - Que nos maîtres en soient conscients ou non, d'ailleurs.
08:42 - Bien sûr, et c'est ce qui rend...
08:44 - Parce que le niveau a quand même lourdement baissé.
08:46 - Complètement.
08:47 C'est ce qui rend justement cette période assez fascinante.
08:49 - Tout à fait.
08:50 - Et c'est ce qui permet de faire des ponts,
08:52 justement, par rapport à aujourd'hui et par rapport à notre actualité.
08:54 C'est-à-dire que, pour revenir à Beloc,
08:56 c'est quelqu'un qui a été député libéral à 36 ans, en 1906,
09:00 à l'heure des partis de masse,
09:02 à l'heure de l'organisation générale des partis de masse.
09:04 À ce moment-là, le Parti libéral était un ensemble assez hétéroclite.
09:08 Il y avait beaucoup d'éléments assez différents.
09:12 Beloc était plutôt un libéral à l'ancienne,
09:14 c'est-à-dire celui qui défendait la dignité et la liberté de l'homme ordinaire,
09:19 comme une cellule, disons, politique et économique autonome.
09:22 Il voyait bien que l'évolution et la tendance générale
09:25 allaient vers beaucoup plus d'organisation en dents hauts,
09:28 l'expertise, l'efficacité.
09:30 Et il est élu en 1906.
09:33 Sa période politique va très très mal se passer.
09:36 C'est-à-dire qu'il va voir, disons de près, le simulacre de la démocratie.
09:40 Les deux partis qui s'opposent de manière terrible dans les journaux,
09:45 mais qui sont tout à fait prêts à s'accorder sur des questions importantes
09:52 liées au mandat que leur avaient donné les électeurs.
09:55 Et il voit rapidement que l'argent a une place,
10:00 les forces d'argent ont une place prépondérante
10:02 et que le système parlementaire était, à son sens, un jeu de plus en plus.
10:07 Il va quitter en 1911 le monde politique pour s'intéresser aux questions de fond.
10:12 Et aux questions de fond, c'est-à-dire de voir quelle était l'évolution sociale de l'Angleterre
10:18 à ce moment-là, avec toutes ces idées dont nous avions parlé,
10:21 de saisir le contraste qui était de plus en plus intolérable
10:24 entre des zones qui étaient réputées libres politiquement
10:27 et qui étaient de plus en plus dépourvues de liberté économique.
10:33 Tout le monde sait que l'Angleterre était aux avant-postes du capitalisme industriel.
10:37 Et ce capitalisme industriel reposait sur la concentration des moyens de production
10:44 entre quelques mains, qui faisait qu'il y avait une classe de prolétaires de plus en plus grande.
10:49 Cette classe de prolétaires n'étaient, ne possédait pas leurs moyens de subsistance
10:56 et ils n'avaient aucun contrôle sur leur activité.
11:00 Ils étaient en proie au manque et à l'insécurité.
11:02 Et face à cette instabilité du capitalisme industriel,
11:10 bien sûr la doctrine socialiste et communiste prônait la propriété collective des moyens de production.
11:18 C'est-à-dire d'un côté on a la concentration excessive des moyens de production, de la propriété,
11:24 et de l'autre on garde cette concentration excessive,
11:28 mais on va dire que c'est l'État et les dirigeants de l'État qui vont avoir droit dessus.
11:33 Donc certains types d'esclavage.
11:35 Ce que voyait Belloc à l'époque, c'était qu'on s'acheminait dans une société
11:40 où ce n'était ni le système capitaliste ni le système communiste qui allait prévaloir,
11:46 mais un mélange des deux.
11:48 C'est-à-dire l'une de ses phrases dans son grand bouquin qui s'appelle "L'État servile",
11:52 c'est de dire "l'effet de la doctrine socialiste dans un pays capitaliste
11:56 est donné naissance à une troisième chose différente de celle qui l'ont fait naître,
12:00 ce qu'il appelle l'État servile".
12:02 L'État servile c'est quoi ?
12:04 D'une certaine manière on peut voir aujourd'hui, après coup,
12:06 donc le bouquin date de 1912,
12:08 il a donné la logique et l'aboutissement logique de ce que ce sera la social-démocratie.
12:13 C'est-à-dire des réformes…
12:15 C'est un concept passionnant l'État servile.
12:17 Passionnant et des plus… disons… on peut faire un prolongement.
12:21 C'est-à-dire qu'il écrit ce bouquin dans la situation de l'Angleterre à l'époque
12:25 où on commence à voir les balbutiements de l'État social.
12:28 Un État social déjà très très centralisé,
12:31 où au nom d'un paternalisme l'État se mettait en droit de pouvoir
12:35 distribuer les prébendes aux bons pauvres, aux bons ouvriers,
12:39 à ceux qu'il ne buvait pas, à ceux qui par exemple n'étaient pas syndiqués.
12:44 Il y avait déjà cette tendance et…
12:49 Belloc voyait que cet…
12:55 disons, cet accommodement arrangait tout le monde.
12:58 C'est-à-dire qu'on pouvait assurer la classe des capitalistes,
13:02 de ceux qui détenaient les moyens de production,
13:05 dans leur possession de leurs propriétés et de leurs pouvoirs,
13:08 tout en permettant quelques réformes graduelles pour pallier
13:13 au manque et à l'insécurité des ouvriers.
13:16 Et en retour, le risque était de faire en sorte qu'ils aient un contrôle
13:22 de plus en plus net et accru sur leur quotidien,
13:26 quitte à aller vers une obligation de travail.
13:29 Ça, c'est le contexte en 1912, quand Belloc écrit "L'État servile".
13:35 Évidemment, face à cette évolution, Belloc c'est quelqu'un,
13:40 et c'est important de le dire, c'est… face à toutes les critiques, justement,
13:44 que ce soit en histoire, que ce soit en sciences humaines,
13:47 il y avait un courant qui était… des critiques négateurs,
13:51 dans la négation, dans la critique de ce qui est.
13:56 Belloc Jasterton voulait défendre les choses qu'il voyait détruites
13:59 parce qu'il les aimait. C'est important.
14:01 – Oui, tout à fait. – C'est très très important de rappeler ça.
14:04 Qu'est-ce que c'est que cette question de la propriété ?
14:08 C'est une institution fondamentale et essentielle.
14:12 C'est quelque chose qui se raccorde à tous les éléments de notre existence,
14:17 pas seulement la politique, pas seulement l'histoire,
14:20 mais l'anthropologie et la religion.
14:22 On peut faire cette question et on n'y échappe pas.
14:26 – Tout à fait.
14:27 – Par rapport à la question humaine, on n'y échappe pas.
14:29 Et la propriété, c'est le support essentiel de la liberté
14:34 et de la dignité humaine, de la volonté de pouvoir, disons,
14:37 ne pas dépendre de quelque chose, que ce soit le producteur,
14:42 que ce soit l'État, d'avoir un lieu qui soit propre aux personnes, aux gens.
14:50 Ça, c'est quelque chose qui a toujours existé de tout temps.
14:54 L'esclavage a aussi toujours existé, c'est une institution très antique,
15:00 très ancienne, qu'il voyait donc remise au goût du jour.
15:04 Et le seul moyen, déjà pour Belloc, pour contrer cet État servile
15:09 et cette évolution vers le contrôle de nos vies quotidiennes,
15:13 était la restauration et la diffusion de la propriété.
15:16 C'est-à-dire essayer de faire en sorte que la propriété des moyens productifs…
15:22 Alors, il y a différents éléments. Il y a la propriété des moyens productifs
15:25 et la propriété, finalement, du quotidien, qui nous permet de posséder
15:29 des biens d'usage, le logement.
15:32 Ça, jusqu'à aujourd'hui, c'était quelque chose qui était assez peu attaqué,
15:35 qu'on pouvait maintenir. C'est quelque chose qui, justement,
15:39 aujourd'hui, est sous le coup d'une attaque en règle,
15:42 une guerre contre la petite propriété.
15:44 Mais sur la question de la liberté économique et de la propriété
15:49 des moyens de production, on voit bien que tout le développement
15:53 du capitalisme a été un mouvement de concentration.
15:56 Face à ce mouvement de concentration, l'État a été obligé de composer.
16:02 C'est toute l'histoire de l'État social.
16:05 L'idée, ce n'est pas de dire que l'État servile est l'État social.
16:09 Ce n'est pas du tout d'associer les deux.
16:11 Mais de dire que certaines conditions fondamentales,
16:14 en particulier de diffusion de la propriété,
16:19 disons, on a pu s'en dispenser.
16:21 On a pu faire comme si cette question n'était pas nécessaire,
16:27 on pouvait s'en dispenser.
16:29 La question, c'est que, ce faisant, l'État laisse le capitalisme
16:32 fonctionner à plein et doit gérer les déséquilibres.
16:36 Aujourd'hui, on arrive à un moment donné où ces déséquilibres
16:39 sont absolument faramineux, avec une concentration de la propriété
16:44 qui n'est peut-être jamais vue dans l'histoire.
16:46 – Unique. – Absolument incroyable.
16:49 Et donc, avec cette tentation de plus en plus d'avoir un,
16:55 et on voit bien ce contrôle sur nos vies quotidiennes,
16:58 ce contrôle en surplomb.
17:01 – Qui sont des branches frontières du capitalisme maintenant,
17:03 le capitalisme de surveillance, le data capitalisme, etc.
17:07 Bien sûr, tout ça vient très loin.
17:09 La question, c'est pas de dire que c'est à cause de l'État servile
17:12 qu'on perd nos libertés, ce serait faux de dire que ce serait
17:15 à cause de cette tendance dans laquelle nous sommes aujourd'hui
17:18 et de dénoncer l'État ou l'État servile.
17:21 Non, c'est la question de l'esprit de liberté
17:25 qui tend de plus en plus à être perdu justement,
17:27 avec cette évolution au cours du XXème siècle vers le fait de dire
17:32 "Bon, on va essayer de permettre la prospérité des grands secteurs
17:41 capitalistiques de l'économie, de dispenser aux gens d'avoir
17:45 une propriété ou d'avoir, disons, prise sur leur activité.
17:50 Disons, on vit là-dedans depuis plusieurs générations.
17:56 Et au bout d'un moment, cette condition de propriété
17:59 est nécessaire à la dignité humaine, aux soins qu'on peut avoir
18:04 pour quelque chose pour lequel on travaille, quelque chose qu'on aime,
18:07 quelque chose dont on veut pouvoir contrôler un minimum.
18:11 Tout ça, évidemment, nous ne l'avons plus.
18:14 Le mouvement actuel est un mouvement de dépossession.
18:16 Ce qui est le plus inquiétant, c'est l'habitude de cette dépossession
18:20 chez la plupart de nos concitoyens.
18:22 Le fait de vivre dans cette société où finalement,
18:26 toute la condition matérielle de la démocratie est sapée,
18:31 complètement sapée.
18:33 Donc, je pourrais vous lire par exemple, deux phrases par exemple.
18:39 Ça pourrait vous surprendre, une phrase de Proudhon qui disait
18:43 "Jamais la liberté ne sera défendue contre le pouvoir
18:46 si elle ne dispose d'un moyen de défense."
18:48 De quoi parlait Proudhon ?
18:50 De la propriété, évidemment.
18:52 Commençant en parlant de la propriété, c'est le vol,
18:55 au début de sa carrière, il arrive à comprendre
18:57 que la propriété est une institution humaine.
18:59 Il faut voir que la propriété est…
19:02 Proudhon est un auteur à phase.
19:04 Il y a le Proudhon jeune et le Proudhon vieux,
19:06 sur la question de la propriété comme sur celle de l'État.
19:08 Sur cette question de la propriété, il faut voir que,
19:10 étant donné qu'elle a été définie hors du contexte humain,
19:14 hors de l'homme, quelle est la définition de l'homme
19:16 qu'ont les avocats de l'État servile aujourd'hui
19:19 ou qu'ont les personnes qui voulaient définir la propriété de manière…
19:25 Vous savez, il y a une manière de défendre la propriété
19:30 qui est de défendre sa négation.
19:32 Ceux qui défendent la propriété absolue,
19:34 qui est comme capacité d'accaparement,
19:36 qui permet justement la concentration capitalistique à l'excès,
19:39 ceux-là ne défendent pas la propriété
19:41 parce qu'ils ne défendent pas les limites naturelles
19:45 et les limites humaines de la propriété.
19:47 C'est dissocier du but final qui est celui de la liberté humaine.
19:50 Donc on arrive à ce stade où, en fait,
19:52 l'histoire de la propriété est dissociée entre deux pôles.
19:56 D'un côté, ce pôle où la propriété est définie de manière absolue,
20:01 c'est celle de Locke au départ, de manière schématique,
20:04 des néolibéraux, ensuite, des continus acteurs,
20:06 Hayek par exemple et d'autres.
20:08 Et de l'autre, on a un autre pôle de la propriété
20:12 qui est disons, qui émane à peu près,
20:19 on pourrait la faire provenir de Rousseau,
20:23 où finalement c'est l'État qui est garant
20:25 ou le propriétaire éminent de toute chose
20:27 et donc qui peut, selon les priorités étatiques,
20:31 restreindre ou pas la propriété.
20:34 Sauf qu'on voit bien aujourd'hui
20:35 qu'il y a une propriété absolument intouchable
20:37 qui est la propriété des grandes structures économiques
20:41 donc de ce côté, en fait, ça permet historiquement
20:45 de s'intéresser à la propriété,
20:47 ça permet de voir dans quel système,
20:48 de manière dynamique nous sommes,
20:50 hors des cadres figés de la science politique.
20:52 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a une propriété
20:55 qui est absolument intouchable des grandes structures économiques,
20:59 avec une espèce d'ultracapitalisme en haut,
21:02 et de l'autre, on a une propriété
21:04 qui est de plus en plus contrainte,
21:06 de plus en plus normalisée,
21:08 et de plus en plus en danger aujourd'hui,
21:11 avec une espèce de...
21:12 on peut parler de guerre à mort
21:14 contre la petite propriété,
21:16 la propriété des gens ordinaires.
21:18 Et donc, voir l'évolution aujourd'hui
21:22 à travers cette question clé de la propriété
21:25 permet de saisir quel est vraiment le système
21:27 ou quelle est notre condition politique,
21:32 de manière assez claire,
21:33 sans sortir dans les artifices oratoires
21:36 d'une science politique un peu hasardeuse, parfois.
21:40 Il y a là-dessus une phrase de Paul Valéry
21:42 que je trouve intéressante,
21:44 c'est "si l'État est fort, il nous écrase,
21:47 si il est faible, nous périssons".
21:50 Aujourd'hui, on note les deux hypothèses,
21:56 on a un État absolument fort
21:58 dans sa capacité à imposer les normes,
22:00 et d'une faiblesse insigne,
22:03 il a ses puissances organisées économiques
22:06 qui prospèrent au détriment du bien commun,
22:09 problème de l'absence de souveraineté.
22:11 Mais d'une certaine manière,
22:12 il est très fort aussi
22:13 avec cette capacité normative et administrative.
22:17 – Dans sa logique d'institution, il est faible,
22:19 dans sa logique d'administration, il est fort.
22:21 C'est ce qu'est le cas de tous les États déclinants.
22:24 – Et donc, la forme de propriété
22:26 qui normalement devrait être le plus libre,
22:28 la petite propriété des gens ordinaires,
22:31 absolument accablée,
22:33 guerre à mort contre la petite propriété.
22:34 – On l'a vu récemment,
22:35 entre le rapport préconisant que l'État devienne copropriétaire,
22:42 mon ami Philippe Meurer en avait parlé il n'y a pas longtemps,
22:45 que l'État devienne copropriétaire des logements,
22:47 ce qui est absolument délirant,
22:49 et c'est la séparation du bâti et du foncier,
22:53 et de l'autre côté, les projets européens
22:55 qui sont encore bien pires,
22:57 parce que là, on est chez les cerveaux malades
22:59 pour parler comme un célèbre animateur de France Télévisions
23:02 qui d'ailleurs, à priori, M. Cohen s'en va,
23:06 ce qui est dommage, il va manquer, on ne sait pas à qui, mais peut-être.
23:09 Et là, il y a un côté glaçant dans certaines des intuitions d'Hilaire Belloc,
23:20 c'est que c'est un ouvrage qui a un siècle,
23:22 qui a plus d'un siècle, "Restauration de la propriété".
23:25 Et on se rend compte que les délires actuels
23:30 sont en réalité les échos des délires antérieurs,
23:33 que leurs auteurs en soient conscients ou pas, peu importe.
23:36 Mais ce n'est pas la première fois que,
23:40 je rappelle que les économies étaient plus concentrées,
23:44 plus interconnectées en 1914 qu'elles ne le seront en 1989,
23:47 c'est d'ailleurs leur interconnection qui enfante la Première Guerre mondiale largement,
23:51 aidée par le panjermanisme,
23:53 et on se retrouve à un siècle des distances
23:59 avec une situation économique parallèle et largement amplifiée,
24:05 et largement amplifiée,
24:07 et qui compense par des délires psychanalytiques tout aussi profonds que les premiers.
24:12 Donc, d'un certain côté, n'est-il pas temps d'actualiser Belloc ?
24:18 Évidemment, surtout que, justement, Belloc ne se cantonne pas au constat.
24:23 Il y a des propositions assez concrètes.
24:26 Par exemple, pour revenir par rapport à aujourd'hui,
24:28 évidemment vous aviez parlé en introduction du Forum économique mondial de Davos,
24:34 et donc de cette phrase "Vous ne posséderez rien et vous serez heureux".
24:38 Ça permet de comprendre que cette question…
24:39 – L'important dans cette phrase étant le "vous".
24:41 Ce n'est pas "Nous ne posséderons rien et nous serons heureux",
24:43 c'est "Vous ne posséderez rien et vous serez heureux".
24:45 – Évidemment, évidemment, cette question vient de très loin.
24:48 Ça permet au moins de comprendre ça, comment cette question vient de loin.
24:51 Aujourd'hui, toute la propriété, disons, productive, des moyens de production,
24:55 est concentrée à l'extrême.
24:56 C'est fait, c'est fini, quasiment fini, quasiment perdu.
24:59 – Nous sommes d'accord.
25:00 – Donc, on s'en prend aujourd'hui à la petite propriété.
25:04 Pourquoi ? Parce que le système économique est dans un état de, disons,
25:10 de prédation, de spéculation et de démence
25:14 qui… d'où l'intérêt… ce qui est très très intéressant avec Belloc,
25:19 c'est que justement, il voit cette situation à son époque,
25:22 donc en 1936, quand il écrit le bouquin,
25:25 et ne s'en contente pas non seulement de critiquer,
25:29 mais il dit "qu'est-ce qu'on peut faire ?"
25:30 D'abord, évidemment, l'état d'esprit.
25:32 Il faut qu'il y ait une volonté, une volonté à un moment donné de vivre,
25:36 de survivre, d'avoir un ordre humain.
25:37 C'est-à-dire que la question, soit on restaure la propriété,
25:40 la question politique fondamentale aujourd'hui,
25:42 soit on restaure la propriété, soit on se dirige vers l'esclavage,
25:46 vers un contrôle de plus en plus lourd et permanent de nos propres existences.
25:51 Ça, c'est la question politique que posait Belloc dès son époque.
25:55 Ce n'est pas quelqu'un qui écrit il y a un siècle, Belloc,
25:58 c'est quelqu'un qui, voyant la racine des choses,
26:00 est très largement devant nous,
26:02 parce qu'il s'attaque justement à la réalité, à la racine.
26:05 Il ne va pas dans des théories fumeuses, il voit ce qui est.
26:09 Ce qui était se dessinait déjà devant nous.
26:11 Aujourd'hui, la question est quasi évidente.
26:14 Comment peut-on faire pour essayer de restaurer la propriété
26:16 à un ordre à peu près humain ?
26:18 En fait, on peut voir, ce bouquin nous permet de réfléchir
26:22 et de penser aux opportunités.
26:24 Quel programme peut-on mener pour essayer de progressivement
26:29 restaurer la propriété ?
26:31 Alors évidemment, on ne peut pas compter pour le moment sur la puissance publique,
26:34 puisque toute l'architecture, disons, étatique et de la puissance publique
26:39 est raisonnée dans cette logique de, disons, de profit maximal
26:45 pour les grandes structures économiques,
26:48 et en revanche, de lutte ininterrompue contre les indépendants,
26:55 les artisans, les petites structures économiques.
26:58 Sauf qu'on voit, quand on s'intéresse à la vie économique,
27:02 beaucoup sur l'économie et sur beaucoup d'économistes,
27:07 parfois c'est assez difficile à suivre,
27:09 puisqu'on ne sait pas exactement de quoi ils parlent.
27:11 De quoi parle-t-on quand on réfléchit à la vie économique ?
27:15 Je pense qu'un auteur comme Fernand Braudel, l'historien,
27:18 permet de saisir pas mal de choses et permet de situer
27:22 où doit-on porter les premiers jalons pour restaurer la propriété.
27:27 En gros, on lira mon introduction et le bouquin
27:31 pour en avoir quelque chose de plus détaillé,
27:33 mais en gros, disons que ce capitalisme spéculatif et prédateur,
27:38 complètement irréel, qui dépend de chaînes logistiques absolument globales,
27:42 amène à insérer toute l'économie d'un pays
27:46 dans un certain type d'activité qui pourrait être de tertiaire supérieur,
27:49 où il faut être, disons, intégré, connecté.
27:52 La vie économique, c'est aussi la vie matérielle.
27:55 C'est l'agriculture, c'est l'industrie à un petit niveau,
28:00 qui aujourd'hui est complètement sabordée.
28:04 Comment peut-on faire pour essayer de, en tout cas,
28:07 protéger ce qui demeure, ce qui existe,
28:09 et essayer de progressivement avoir un modèle
28:14 qui soit autre chose que le modèle des métropoles,
28:16 puisqu'on parle de capitalisme et autres,
28:19 mais on voit bien que la déclinaison spatiale de tout ça,
28:22 c'est le modèle des métropoles.
28:24 Et on voit que sur l'ensemble du territoire,
28:26 c'est pour ça que la restauration de la propriété
28:28 permet de penser toutes les questions politiques aujourd'hui.
28:31 Et que c'est celle-ci, la question politique, évidente,
28:34 contre l'esclavage et contre l'État servile.
28:37 – C'est là où, malheureusement, on va nous manquer, mon ami,
28:42 mais j'espère que, en tout cas, vous avez fait une présentation
28:46 assez exhaustive de cette ouvrage en tout début,
28:49 en une préface que j'appellerais "robuste".
28:53 – "La propriété pour quoi faire".
28:55 – "La propriété pour quoi faire", un hommage bernanossien.
28:59 – Lisez "La liberté pour quoi faire".
29:02 C'est exactement dans le ton.
29:04 C'est dans le ton de penseurs universels comme Chesterton,
29:07 Belloc, Bernanos.
29:09 – Ce sera le conseil et de la fin.
29:11 Et sincèrement, un auteur à découvrir.
29:13 Bravo pour ce magnifique travail.
29:15 – Merci Pierre-Yves.
29:17 [Musique]