L'édito de Mathieu Bock-Côté : «Pourquoi vouloir faire des Français, des immigrés ?», dans Face à l'info.
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00:00 Une question dans la foulée de l'analyse de Marc Menon.
00:04 Cherche-t-on affaire de tous les Français des immigrés ?
00:08 Mais c'est exactement ça.
00:10 Sauf peut-être, je le dis tout de suite, les immigrés les plus récents,
00:12 qui eux doivent toujours, on doit dire, ils sont absolument français,
00:15 n'évoquez jamais leurs origines immigrées,
00:18 n'évoquez jamais le fait que leurs parents étaient immigrés,
00:20 parce qu'alors vous êtes dans la discrimination.
00:22 C'est l'épisode récent.
00:24 Et que les étrangers qui sont des vrais Français.
00:25 Oui, parce qu'ils ont choisi la France.
00:26 C'est l'argument toujours utilisé.
00:28 Vous qui êtes vous, vous êtes nés en France.
00:30 Vous êtes un Français par hasard,
00:32 mais lui, il est venu d'étranger et il a embrassé le pays.
00:34 Lui, c'est un vrai Français. Il devient la norme.
00:36 Alors ça, c'est un peu un argument très canadien.
00:38 Mais reprenons le tout dès le début.
00:40 Alors notre collègue Eugénie Bastien a fait un tweet qui m'a amusé à ce sujet.
00:45 Et on regarde encore, si vous permettez.
00:47 C'est fou, tous ces étrangers qui ont fait l'histoire de France.
00:51 Ce n'est pas une coupe afro ?
00:53 Alors c'est...
00:54 Peut-être Guilms me dit que c'est une coupe afro.
00:56 Alors c'est assez amusant parce que Eugénie Bastien a eu la même réaction qu'elle.
01:00 À ce moment, elle dit qu'on est passé de nos ancêtres les Gaulois
01:03 à nos ancêtres les immigrés.
01:05 Donc un renversement de mythologie.
01:07 Il y avait la mythologie qui consistait à dire...
01:09 Par mythologie, j'entends un mythe qui inspire,
01:11 qui est fédérateur, qui est générateur d'identité.
01:13 Il y avait autrefois cette idée qu'on pouvait venir du pays le plus lointain
01:17 si on prend les mœurs françaises, si on s'imprègne des mœurs françaises,
01:21 si on apprend à dire "nous" avec le pays.
01:23 Le point d'aboutissement de cette intégration, de cette assimilation,
01:26 c'est réclamer la mémoire du pays, s'y fondre,
01:29 ne pas réduire son identité à mon parcours personnel.
01:32 J'arrive dans un pays, m'appropriant ce pays,
01:34 j'ai eu nos ancêtres les Gaulois.
01:35 Donc c'était la fonction de l'histoire,
01:37 parce qu'il y a une fonction identitaire à l'histoire,
01:39 c'était justement d'assimiler.
01:41 Là, on est dans une inversion de mythologie,
01:43 on est dans une mythologie du déracinement.
01:45 Donc l'idée, c'est de remonter le plus loin possible
01:48 pour expliquer qu'en fait,
01:50 c'est chaque fois la logique de l'immigration qui pèse.
01:53 Donc, et c'est ce que disait Carole Delga,
01:55 on n'aura jamais autant parlé d'elle que ces jours-ci,
01:57 qui disait, quand on lui a repris, vous savez,
02:00 elle a dit Mbappé, Yannick Noah, immigrés,
02:03 on avouait que leur mère est française,
02:04 on comprenait l'idée, les origines.
02:06 Eh bien, pour s'excuser, elle a dit, on est tous immigrés,
02:09 qu'on soit de la première, de la deuxième ou de la centième génération.
02:12 Mais si on est un immigré de la centième génération,
02:14 à quel moment s'est-on d'être un immigré?
02:17 La question de base à travers ça,
02:18 c'est que le migrant devient la norme.
02:20 Le migrant devient l'authentique symbole identitaire,
02:23 le migrant devient le symbole de ce qui est véritablement une identité.
02:28 Et inversement, l'enracinement est une pathologie ou un mensonge.
02:31 Mais ce n'est pas que la propagande de ce musée dont on parle ici.
02:35 Premier des grands historiens français...
02:37 - Musée de l'immigration.
02:38 - Musée de l'immigration.
02:39 Premier des grands historiens français aujourd'hui,
02:41 Patrick Boucheron.
02:42 Patrick Boucheron qui a écrit "Histoire mondiale de la France".
02:46 Sous ce titre qui se veut piquant, on était dans la même, même lecture,
02:50 Patrick Boucheron, la version bouchronesque de l'histoire
02:53 ou bouchronisée de l'histoire française.
02:56 Ça consiste à dire qu'il y a un territoire, certes,
02:58 par ailleurs pas nécessairement fixe,
03:00 et il n'y a que des flux qui le traversent.
03:02 Il n'y a pas de substrats, il n'y a pas de culture,
03:04 il n'y a pas de substance, il n'y a pas d'identité.
03:07 Cette identité substantielle, il appelle ça l'étrécissement identitaire.
03:11 Et fondamentalement, tout ce qui définirait le pays,
03:13 ce sont les vagues migratoires à répétition,
03:15 les emprunts de l'étranger.
03:17 Donc la France, finalement, n'est plus une substance, un peuple, une nation,
03:21 c'est un territoire, un terrain vague, traversé par des flux,
03:24 et nous nommerons France ce terrain vague traversé par des flux.
03:28 Alors c'est assez intéressant quand même, c'est l'inversion en fait
03:31 de la logique de l'intégration, c'est l'inversion même de l'histoire.
03:34 - Et tout cela, on le devine, n'est pas sans conséquences politiques, selon vous.
03:39 - Ah bien oui. Parce que bien sûr, si nous sommes tous des immigrés,
03:42 depuis la nuit des temps jusqu'à la fin des temps,
03:45 pourquoi s'opposer à l'idée de recevoir de nouveaux immigrés?
03:49 Pourquoi? Dès lors qu'il n'y a pas de peuple,
03:51 dès lors qu'il n'y a pas de nation, dès lors qu'il n'y a pas de culture,
03:54 dès lors qu'il n'y a pas d'identité, si nous sommes tous des immigrés,
03:56 si même Louis XIV était un immigré, si François 1er l'était probablement,
04:01 et Clovis, pourquoi pas, et Général De Gaulle, probablement.
04:04 Mais si nous sommes tous des immigrés,
04:06 où est le problème à l'idée de recevoir de nouveaux?
04:08 Donc il y a une fonction politique explicite dans un tel discours,
04:11 porté par la puissance publique, encore une fois.
04:14 C'est d'expliquer que les frontières doivent tomber
04:17 et que les défenseurs de l'identité nationale
04:19 sont en fait des défenseurs d'une forme de rabougrissement psychique de la France.
04:24 Mais ça va encore plus loin.
04:26 Ça nous dit que pour demeurer fidèle à son identité,
04:29 si le seul point de continuité dans l'histoire française, c'est l'immigration,
04:33 la seule manière de demeurer fidèle à l'identité française,
04:36 c'est de continuer de recevoir massivement des immigrés pour demeurer nous-mêmes.
04:40 Et inversement, si on décidait de stopper l'immigration massive,
04:43 on trahirait l'histoire et l'identité française
04:46 et dès lors on piétinerait l'identité française.
04:48 Encore une fois, Orwell, Orwell, Orwell.
04:51 L'immigration massive, c'est l'identité dans leur esprit
04:54 et inversement, la protection des frontières,
04:56 c'est une trahison de l'identité française.
04:59 La France n'est plus un pays dans cette logique, il faut bien le comprendre.
05:02 La France devient une forme de pays où, puisque nous sommes tous des immigrés,
05:05 qui est un discours qu'on entend en Amérique du Nord, si on est en passant,
05:08 c'est le discours typique du Canada, où le Canada dit
05:12 qu'il n'y a pas d'identité canadienne, il n'y a pas de substrat canadien,
05:14 il n'y a qu'une diversité appelée à toujours s'accroître.
05:17 Et nous sommes tous des immigrés, disent-ils.
05:19 Alors finalement, la France a pour vocation de devenir un Canada européen.
05:23 Je ne vous le souhaite pas, ce serait terrible.
05:26 Non, franchement, je ne vous le souhaite pas.
05:27 Et je vous poserai une question, y a-t-il un seul peuple sur Terre,
05:30 messieurs, mesdames du Musée de l'immigration,
05:32 qui ne soit pas un peuple d'immigrés?
05:34 Est-ce qu'il y a un endroit, est-ce que je peux me présenter en Algérie en disant
05:36 vous êtes tous des immigrés, en un sens, vous, Arabes installés là
05:39 depuis à peu près quelques centaines d'années, plus ou millénaires,
05:41 vous êtes des immigrés.
05:42 Puis-je aller en Afrique noire et dire vous êtes tous des immigrés?
05:46 Puis-je aller en Lituanie dire vous êtes tous des immigrés?
05:49 Puis-je aller en Roumanie dire vous êtes tous des immigrés?
05:51 Puis-je aller partout et dire vous êtes tous des immigrés?
05:53 Non, on va me répondre en me bottant le cul sérieusement et avec raison.
05:57 Le seul endroit où on peut dire ça véritablement,
05:59 c'est essentiellement dans quelques pays occidentaux,
06:01 en France notamment dans le cas présent.
06:03 Et là, c'est une pédagogie permanente du déracinement
06:05 pour effacer l'identité d'un peuple,
06:07 pour neutraliser la capacité qu'il a d'affirmer son identité
06:10 et de défendre ses frontières,
06:11 et en dernière instance, pour légitimer une politique
06:13 d'immigration massive en toutes circonstances.
06:15 Tel est le sens de ce message, je crois.
06:18 Et soudainement, Marc et moi sommes réconciliés.
06:20 [Musique]
06:24 [SILENCE]