Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach nous raconte le destin tragique du cosmonaute russe Vladimir Komarov (1927-1967). Le 23 avril 1967, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la fondation de l’URSS, Komarov part dans l’espace à bord de Soyouz 1. Il n'en reviendra pas vivant.
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00:00 dans l'intimité de l'histoire.
00:02 - Et aujourd'hui Clémentine, on part dans l'espace,
00:04 puisque vous nous racontez le destin, forcément tragique,
00:07 du cosmonaute russe Vladimir Komarov,
00:09 parti dans l'espace à la demande de Léonide Brejnev
00:12 pour le 50e anniversaire de la fondation de l'Union soviétique.
00:15 Et qui y est resté.
00:17 Mais il y est resté, mais il le savait avant de partir.
00:20 - Oui, oui, oui. Oh ben c'est une histoire terrible.
00:23 Ça devait être une grande première.
00:25 Deux capsules devaient être lancées,
00:27 et ça marrait dans l'espace.
00:29 Avec les cosmonautes qui se déplaceraient
00:32 d'un véhicule à l'autre.
00:33 Ça ne s'était jamais fait, jamais produit.
00:36 On lancerait d'abord le Soyuz 1 avec Komarov à son bord,
00:41 et le lendemain, la seconde capsule Soyuz 2
00:44 décollerait avec deux cosmonautes supplémentaires.
00:47 Et si pour une raison X,
00:50 Komarov venait à ne pas pouvoir participer à ce vol,
00:54 eh bien son remplaçant ne serait autre que Yuri Gagarin.
00:58 Komarov, comme Gagarin, savait pertinemment
01:01 que la capsule spatiale n'était pas prête.
01:03 Qu'elle n'était pas sûre à piloter.
01:05 Mais les membres du programme spatial
01:07 étaient terrifiés à l'idée d'annoncer à Brezhnev
01:10 qu'il fallait retarder, voire annuler l'opération.
01:12 Il faut imaginer ce que c'est,
01:14 les années de plomb de l'Union soviétique.
01:17 On ne va pas aller expliquer au leader
01:19 qui a décidé d'organiser cet anniversaire
01:22 qu'on n'allait pas pouvoir le faire.
01:24 Komarov était absolument convaincu d'aller au suicide.
01:27 Pourquoi est-ce qu'il a accepté la mission ?
01:28 Parce qu'il savait que si lui n'y allait pas,
01:31 on allait envoyer Gagarin.
01:33 Or, Gagarin était un véritable héros de l'Union soviétique.
01:37 Il avait déjà participé au premier vol en orbite autour de la Terre.
01:41 Et non seulement ça, c'était un héros,
01:43 mais en plus c'était l'un de ses meilleurs amis.
01:45 Leurs deux familles étaient très proches,
01:46 ils se voyaient très souvent,
01:47 ils allaient notamment chasser, pêcher ensemble.
01:50 Alors Gagarin, qui lui-même est traumatisé
01:53 à l'idée de laisser son ami partir dans cette mission suicide,
01:57 rédige un mémento de dix pages
01:59 pour expliquer à Brezhnev qu'il faut reporter cette mission.
02:02 Alors il fait passer son mémento à l'un de ses copains du KGB,
02:06 mais le document n'a jamais été transmis à Brezhnev.
02:10 Dans les semaines qui ont précédé le lancement,
02:13 les techniciens qui ont inspecté le Soyouz 1
02:15 ont trouvé 203 problèmes structurels.
02:19 Jusqu'à la dernière minute,
02:21 Gagarin a essayé de convaincre l'équipe
02:23 de le laisser piloter à la place de Komarov.
02:25 C'est aussi une histoire d'amitié magnifique,
02:26 mais l'équipe a refusé.
02:30 Et donc la fusée est lancée.
02:31 Avec ces 203 problèmes structurels
02:34 qui ne vont pas tarder à faire parler,
02:37 deux, huit minutes après le décollage,
02:39 Vladimir Komarov est en orbite.
02:41 Et très vite, les ennuis commencent.
02:43 L'un des panneaux solaires du Soyouz
02:45 n'a pas réussi à se déployer,
02:47 privant l'engin d'électricité
02:48 et obscurcissant certains équipements de navigation.
02:51 Puis il est impossible de changer l'orbite du vaisseau
02:54 qui commence à tourner autour de son axe.
02:56 Le système de contrôle thermique déraille.
02:58 Les communications avec le sol deviennent irrégulières
03:01 et le manque d'électricité empêche
03:03 le système d'astro-orientation de fonctionner.
03:07 Bon, au sol, là, c'est la panique absolue.
03:09 Évidemment, on annule le départ du second Soyouz.
03:12 C'est plutôt le moment de se concentrer
03:15 sur le retour de Komarov.
03:17 Le malheureux Komarov, pendant cinq heures,
03:19 il va essayer d'orienter le module Soyouz.
03:22 Il y parvient d'ailleurs.
03:24 Il parvient à aligner le vaisseau spatial
03:26 et à tirer lui-même les rétrofusées.
03:28 Mais quand il rentre dans l'atmosphère terrestre,
03:30 il a quand même fait 19 tours de terre en orbite.
03:33 Le parachute principal reste bloqué dans son container.
03:38 Donc le 24 avril 1967, à 7 heures du matin,
03:42 Soyouz 1 s'écrase à très grande vitesse
03:45 dans la steppe d'Orenberg.
03:47 La cabine explose à l'impact
03:49 et lorsque les équipes de récupération
03:51 de l'armée de l'air soviétique arrivent,
03:53 elles ne trouvent rien d'autre ou presque
03:55 que des restes calcinés et du métal en fusion.
03:59 Et comme il est mort lorsque la capsule
04:02 s'est écrasée au sol,
04:03 Komarov n'est pas considéré
04:04 comme le premier décès humain dans l'espace,
04:07 vous allez me dire, vu de son point de vue,
04:09 ça lui fait une belle jambe.
04:11 Lorsque le vaisseau a entamé sa descente fatale,
04:13 les postes d'écoute américains en Turquie
04:15 captaient ce qui se disait à l'intérieur de la capsule.
04:19 Ils ont enregistré et entendu Komarov
04:21 qui maudissait ceux qui l'avaient fait embarquer
04:23 dans ce vaisseau spatial complètement bâclé.
04:26 Il était hors de lui naturellement et impuissant,
04:29 mais il savait que ça allait se passer comme ça.
04:31 Quelques semaines plus tard,
04:32 dans une interview à La Pravda,
04:34 Yuri Gagarin a critiqué évidemment vertement
04:37 les fonctionnaires qui avaient laissé son ami voler.
04:40 Et cette histoire l'a complètement déprimé
04:42 et lui-même d'ailleurs est mort un an après Komarov
04:44 à bord de son avion de chasse.
04:46 Dernier rebondissement tragique,
04:48 morbide de cette tragédie.
04:50 Komarov, comme il savait qu'il ne reviendrait pas
04:53 de cette mission, avant de s'embarquer,
04:55 il a à son tour fait un cadeau empoisonné
04:57 aux autorités soviétiques.
04:59 Il a fait la demande solennelle, s'il mourait,
05:03 d'être exposé cercueil ouvert, comme le veut la tradition.
05:07 Il voulait que ses supérieurs,
05:08 qu'il avait envoyés à la mort,
05:10 soient obligés de regarder en face ce qu'ils avaient fait.
05:14 Et donc, lors de ces funérailles d'Etat à Moscou,
05:17 son cercueil est resté ouvert
05:19 et des officiers sidérés
05:21 contemplent ses restes calcinés.
05:23 C'est une image terrifiante qu'on trouve sur Internet.
05:26 C'est extrêmement frappant.
05:27 Oui, Jean-Luc, je vais vous la montrer.
05:31 Ses cendres ont été enterrées dans la nécropole
05:33 du mur du Kremlin sur la Place Rouge.
05:35 Il a été fait héros de l'Union soviétique à titre posthume.
05:38 Bon, voilà.
05:39 Mais enfin, il reste le premier homme,
05:41 le premier homme mort lors d'une mission spatiale,
05:44 victime de l'impéricide,
05:46 de l'incompétence et de la mégalomanie
05:48 des dirigeants soviétiques.
05:50 Merci beaucoup, Clémentine.
05:52 Bon, vous n'aimez pas les soviétiques, je le sens.
05:56 Vous les avez critiqués vertement
05:59 et c'est vrai qu'ils ont tué ce pauvre Komarov.
06:02 La photo est terrible.
06:04 C'est horrible.
06:04 On a l'impression qu'il regarde une grosse truffe.
06:06 Oh, écoutez Jean-Luc.
06:09 [Rire]
06:11 Pardon.
06:13 Il y avait un cochon truffier.
06:15 Il faut chercher des truffes.