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À la question "comment va le français ?" Deux linguistes répondent : "Le français va très bien, merci", dans un texte publié chez Gallimard. La langue "n'a jamais été autant parlée" dans le monde rappelle la professeure Anne Abeillé.

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00:00 Les deux invitées dans le grand entretien ce matin pour parler de la langue française,
00:04 elles font partie du collectif de linguistes atterrés de France, de Suisse, de Belgique,
00:11 du Canada et publient dans la collection « Tract » chez Gallimard un texte court, nerveux,
00:16 polémique aussi, intitulé « Le français va très bien, merci ». Amis auditrices,
00:23 amis auditeurs, intervenez au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:29 Anne Abéyer, Julie Neveu, bonjour.
00:31 Bonjour.
00:32 Anne Abéyer, vous êtes professeure de linguistique à l'université Paris Cité, co-directrice
00:38 de la grande grammaire du français, c'était une coédition Actes Sud d'imprimerie nationale.
00:43 Julie Neveu, maîtresse de conférence en linguistique anglaise à Sorbonne Université, votre dernier
00:50 livre « Le langage de l'amour » chez Grasset.
00:53 Alors, ravie de vous retrouver au micro d'Inter, nous vous avions reçus toutes les deux lors
00:58 de la publication de cette extraordinaire grammaire du français.
01:01 Pourtant, vous écrivez dans le tract, et je vous cite, qu'il est rare que les médias
01:07 donnent la parole à des linguistes, et quand c'est le cas, c'est souvent avec méfiance,
01:12 au mieux on les considère comme bienveillants, tolérants, bref un peu naïfs face au déclin
01:18 de notre belle langue, au pire comme de dangereux gauchistes pour qui tous les usages se valent
01:25 et des complices de ce déclin.
01:27 Alors on verra au terme de cet entretien si cette mauvaise réputation est justifiée.
01:32 Mais blague à part, vous êtes donc atterré, mais atterré par quoi ? Par la petite musique
01:39 qui dit que la langue française est en déclin ? Qu'elle est attaquée par l'anglais ?
01:43 Par les textos ? Par les réseaux sociaux ? Qu'elle est mal parlée, mal écrite, menacée
01:49 par l'écriture inclusive ? C'est ça notamment, Anne Abéyé ?
01:53 Exactement, on est atterré du décalage entre la bonne santé du français qu'on peut mesurer,
02:00 il n'y a jamais eu autant de francophones dans le monde, mais voilà, ce n'est plus
02:05 le privilège de la France de parler français, il n'y a jamais eu autant d'écrits en français,
02:10 on n'a jamais autant produit de textes, de messages, de pages internet, et on a effectivement
02:18 des instruments pour s'approprier cette langue, donc des grandes grammaires, il y a aussi
02:23 la grande grammaire historique du français, des grands dictionnaires, le dictionnaire
02:27 des francophones, presque 400 000 mots, ce sont des dictionnaires collaboratifs en ligne
02:34 qui témoignent de la vitalité du vocabulaire.
02:37 Donc vous voyez un foisonnement et vous entendez un discours décliniste, c'est ça Julie Neveu ?
02:42 Oui c'est tout à fait ça, et puis vous parlez de petite musique, mais ce n'est pas une petite
02:45 musique, c'est une grosse musique, c'est un orchestre symphonique avec des gros flonflons,
02:49 des pompons, des batteries, des percussions, et ça assourdit littéralement le paysage
02:53 des francophones, et donc on se retrouve avec des gens qui pensent qu'ils parlent mal en fait.
02:57 Or, si ces discours sont sans arrêt en train de chercher des coupables, c'est parce qu'ils
03:01 n'arrivent pas à envisager la langue de façon scientifique, ce n'est pas un objet d'étude
03:05 pour eux, c'est littéralement un engouement totalement esthétique et passionné, d'ailleurs
03:09 ils disent tous qu'ils sont amoureux de la langue française, moi j'en peux plus je crois,
03:12 de voir nous amoureux de la langue française, on refuse qu'elle soit piétinée, abîmée,
03:17 etc.
03:18 Mais en fait non, la seule façon d'abîmer une langue c'est de ne pas la parler, or
03:20 elle n'a jamais été autant parlée, et il faut arrêter de faire sonner, de pousser
03:24 des cris d'orfraie, alors qu'en fait tout va bien.
03:26 - Alors donc ça n'est pas une déclaration d'amour à la langue française votre livre ?
03:29 - Exactement, si si, mais l'amour de la langue, pour nous, c'est une passion joyeuse, ce n'est
03:35 pas une passion grincheuse, ce n'est pas l'amour d'un français idéalisé, fantasmé, la langue
03:41 de Molière, on croyait que c'était la langue des écrivains, des écrivains vus comme un
03:46 tout homogène, les écrivains eux-mêmes se moquaient de l'orthographe, prenaient toutes
03:50 sortes de libertés et faisaient vivre la langue française.
03:53 Et puis, Chateaubriand ne parlait pas comme il écrit, et dire maintenant à quelqu'un
03:59 « si vous ne parlez pas comme écrivait Chateaubriand il y a plus d'un siècle, vous parlez mal
04:03 », c'est ça cette insécurité linguistique.
04:05 - Vous avez l'amour joyeux, vous n'avez pas l'amour grincheux, alors ça grinche où ? Ça
04:10 grinche du côté de l'académie française à vous lire, je crois, en tout cas il y a
04:14 eu… le texte, votre texte a suscité une tribune avant-hier dans le Figaro, signé
04:21 par de nombreuses personnes, dont des membres de l'académie française.
04:26 Qu'est-ce que vous reprochez à cette institution, pour qu'on sache qui parle et d'où chacun
04:33 parle ? Julie Neveu.
04:34 - L'institution n'a rien contre l'institution en soi, et notamment qu'on ne dévalorise
04:39 pas du tout leurs compétences littéraires.
04:41 On trouve qu'il y a eu un problème d'abord historique, c'est-à-dire qu'elle date
04:44 de 1635 et à l'époque elle était vraiment…
04:46 - Vous n'avez pas eu pour ça ?
04:47 - Non, non, non, pas du tout, mais c'est-à-dire qu'elle était conçue… il n'y avait
04:49 pas de science de la linguistique, il n'y avait pas de linguiste qui s'était constitué
04:52 en discipline et qui pouvait dire « voilà les fruits de notre savoir qui sont plus
04:57 solides que ce que vous dites à propos de la langue française parce que vous la maîtrisez
05:01 bien, parce que vous l'écrivez, parce que vous l'aimez d'une façon esthétique
05:04 et passionnée ». En fait, il y avait des grammairiens surtout, et des grammairiens
05:07 qui ont été de moins en moins nombreux dans cette académie.
05:09 Donc on n'a rien, évidemment, contre les gens merveilleux qui la composent, on n'a
05:12 rien contre les produits littéraires, simplement on a un problème avec les textes qu'ils
05:18 produisent et notamment avec leurs interventions dans le débat médiatique qui sont tout le
05:22 temps sonorisées à gros volumes et qui disent en général des hérésies.
05:27 C'est un tissu assez délirant et à chaque fois qu'il y a eu des prises de position
05:31 récentes, que ce soit à propos du Covid, où tout le monde disait le Covid, il a fallu
05:35 que Madame LE secrétaire perpétuel nous dise qu'il fallait dire LA Covid et la moitié
05:39 de la population s'est retrouvée à hésiter, ce qu'on appelle nous une « insécurité
05:42 linguistique » qui était très désagréable.
05:44 Donc à chaque fois qu'il y a des propositions, elles sont à contre-courant de l'usage.
05:47 Anne Abéyé ?
05:48 Il faut dire que c'est une institution qui bloque l'évolution de la langue depuis
05:52 1835 alors qu'elle était chargée de l'accompagner.
05:55 Au contraire, elle fait de l'ombre aux institutions qui en France et hors de France
06:00 travaillent sur la langue, comme la DGLF, l'Office québécois de langue française,
06:06 le Conseil des langues de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la délégation à la
06:13 langue de Suisse.
06:14 Et dans les autres académies, dans les pays d'Europe qui ont des académies, ces académies
06:18 comptent des linguistes.
06:20 Ce n'est pas le cas de l'Académie française.
06:22 L'Académie française représente une vision de la langue réduite à une certaine
06:27 idée de la littérature et réduite à la France.
06:30 L'Académie française ne comporte plus de membres des grands pays francophones.
06:33 Et les signataires du Figaro, qui ne sont pas très nombreux, sont soit des académiciens
06:40 soit des candidats à l'Académie française.
06:42 Ils remercient l'Académie d'avoir mis leur dictionnaire en ligne.
06:44 C'est un dictionnaire qui date de 1935, qui va être mis à jour une fois par an.
06:52 Dans ce dictionnaire, vous ne voulez pas être éclairé sur le sens des mots.
06:56 Vous allez lire que "mariage c'est l'union d'un homme et d'une femme".
06:59 10 ans après le mariage pour tous en France, 20 ans après la légalisation du mariage
07:05 gay en Belgique.
07:06 Et c'est un peu pareil malheureusement pour la rubrique "dire et ne pas dire", qui
07:10 n'est pas rédigée par les académiciens, mais qui vous entretient dans les erreurs.
07:15 Qui vous dit qu'il faut mettre noeud et qu'il faut inverser le sujet.
07:18 Et on se retrouve à dire "comment va ça" plutôt que "comment ça va".
07:22 Mais au fond, vous leur reprochez une approche littéraire de la langue.
07:27 Quand on vous avait reçu pour la grande grammaire à Beyer, vous puisiez vos exemples dans
07:33 la littérature plus récente, celle depuis les années 50, mais aussi dans les journaux,
07:39 les sites internet, même dans les émissions de radio et de télévision.
07:43 Et c'était important pour vous de montrer que la grammaire se jouait là aussi et pas
07:48 simplement dans les grands textes du patrimoine et de l'histoire littéraire.
07:55 On aime tous la littérature et c'est très bien d'enseigner la littérature, mais l'enseignement
08:00 de la langue, c'est aussi l'enseignement de la langue ordinaire.
08:02 On n'apprend pas à écrire pour devenir écrivain, mais pour communiquer avec autrui
08:07 et exercer toutes sortes de professions.
08:10 Alors dans ce tract, vous démontez 10 idées reçues sur la langue.
08:15 Par exemple, le français classique avait atteint la perfection au 17ème siècle.
08:19 Depuis, il ne fait que décliner.
08:21 Le français est menacé par l'anglais.
08:23 Les francophones écrivent de plus en plus mal.
08:25 Internet et les réseaux sociaux annoncent et précipitent le déclin du français.
08:30 On va prendre quelques-unes de ces idées et commencer peut-être par cette idée que
08:37 le français n'est plus la langue de Molière.
08:39 Vous citez un article de BFM TV qui dit que les français « chahutent la langue de Molière
08:45 et font des fautes d'orthographe et de grammaire ». Qu'est-ce qui vous atterre Julie Neveu
08:50 dans cet article de nos confrères de BFM ?
08:52 Il y a plusieurs contresens, et notamment un contresens historique.
08:56 Beaucoup de journalistes nous demandent sans arrêt « est-ce que vous trouvez ça grave
08:59 qu'on abîme la langue de Molière ? ». C'est un présupposé qu'il faut combattre
09:03 puisque ce n'est pas du tout la langue de Molière qu'on parle.
09:05 On voudrait dire d'abord que la langue de Molière ne se parlait pas pareil, qu'elle
09:08 ne s'écrivait pas pareil.
09:09 Pour entendre un peu comment elle se parlait, il suffit d'aller lire des textes là-dessus
09:16 et d'aller voir des reconstitutions du parlé françois qui se parlait avec un « r » roulé.
09:20 Et donc le françois se parlait autrement et c'était vraiment très différent.
09:24 C'est comme ça qu'on parlait le Molière à l'époque.
09:26 On parlait Molière comme ça et surtout on parlait différents français au même moment.
09:32 Et donc ça faisait qu'on avait l'habitude d'entendre des variations et qu'on n'avait
09:37 pas du tout cette norme intégrée comme on l'a aujourd'hui qui fait qu'on est
09:41 totalement incapable de penser « ah oui c'est vrai, la variation c'est pas mal ».
09:45 Vous voyez, on est rentré depuis deux siècles dans une standardisation incroyable qui est
09:49 peut-être bonne à certains aspects mais qui nous empêche de penser la variation comme
09:55 un fait.
09:56 Et en fait, ce que vous pointez à travers l'exemple de Molière, c'est quoi ? C'est
10:01 la fétichisation de la langue française du XVIIe siècle, c'est ça ?
10:05 Exactement, c'est le mythe d'un âge d'or.
10:08 Et ce qui est important, au-delà du combat contre les idées reçues, c'est d'avancer
10:13 ces propositions puisque les déclinistes en général n'en proposent pas.
10:17 Donc on propose d'initier à l'histoire de la langue et nous avons un site, donc
10:21 tractlinguist.org, parce que nous sommes un collectif ouvert, donc nous appelons ceux
10:27 et celles qui souhaitent que soient diffusés des savoirs sur la langue plus que des idées
10:33 reçues à nous rejoindre.
10:34 Nous avons déjà depuis hier, le site est ouvert, pas mal de signataires.
10:39 Et donc nous proposons cet enseignement de l'histoire de la langue et nous montrons sur
10:43 le site Molière en graphie originelle.
10:45 Molière en graphie originelle, c'est très différent, ce n'est pas du tout les lettres
10:49 d'aujourd'hui, ce n'est pas du tout la graphie d'aujourd'hui.
10:52 C'est même difficile à comprendre.
10:53 C'est moué avec un Y, voilà.
10:56 Donc il ne faut pas faire comme si la langue n'évoluait pas, il faut accompagner ces
11:00 évolutions.
11:01 Et l'orthographe jusqu'en 1835, les évolutions de l'orthographe accompagnaient ces évolutions
11:07 de prononciation notamment.
11:09 Alors avançons dans le temps, idée reçue numéro 6.
11:12 Là je dois avouer que même moi, j'étais en PLS, le mot est entré au Larousse.
11:18 L'écriture numérique, SMS, post sur les réseaux sociaux ne précipite pas le déclin
11:25 du français.
11:26 Et vous dites carrément que le français sur Internet et les réseaux n'est pas un
11:30 mauvais français, vous dites même que les émojis augmentent l'écriture.
11:35 Vous notez cependant, les émojis ne sont pas à même d'exprimer la pensée complexe
11:40 ni la nuance, ce qui rend peu probable qu'ils remplacent prochainement la communication
11:46 verbale.
11:47 Encore heureux non ?
11:48 Mais bien sûr, en fait ils ne remplacent rien mais ils augmentent parce qu'ils sont
11:53 un nouveau moyen d'expression.
11:55 C'est ça qu'on essaie de dire.
11:56 On essaie de dire, regardez, la façon dont on se parle tous déjà, on se réjouit de
11:59 se parler et de s'écrire autant parce que c'est quand même une écriture même si
12:01 c'est pas de la littérature.
12:02 Et ensuite on fait remarquer que les émojis qui ont été beaucoup décriés, en fait
12:06 on a l'impression qu'on cherche toujours un autre.
12:08 Soit c'est l'anglais, soit c'est l'arabe, soit c'est le jeune, tout ça va pervertir
12:11 notre langue.
12:12 Et donc les émojis, c'est juste une transposition de notre expressivité et de nos émotions
12:17 dans une forme mi-écrite, mi-orale.
12:19 Et c'est juste une compétence en plus.
12:20 Donc le terme qu'on utilise dans le trac, c'est pluricompétent.
12:22 Et les francophones sont tout à fait capables de faire la différence en différents contextes.
12:27 Ça c'est une des notions qu'on propose d'enseigner très tôt.
12:30 C'est-à-dire qu'il y a des contextes d'emploi, il y a des contextes où on va dire « mais
12:33 ça va pas, t'es ouf ou quoi ? ». Et puis il y a des contextes où on va dire « est-ce
12:35 que tu ne serais pas un petit peu fou ? ». Donc selon le contexte, on parle différemment
12:39 et ce n'est pas une question de niveau de langue, ça qui conduit à se culpabiliser,
12:43 mais une notion de registre différent ou de contexte.
12:45 Mais je vais prononcer un gros mot dans le flot de ce qu'on lit sur les réseaux sociaux.
12:49 On lit des fautes de français, de syntaxes, d'orthographe, des choses qui sont parfois
12:53 aussi incompréhensibles.
12:54 D'autres qui sont sublimes.
12:56 Même linguiste, vous pouvez dire « formidable, on n'a jamais autant écrit », mais n'est-ce
13:02 pas Anne Ebéyer un peu court ?
13:03 Il y a quand même un mythe de cet âge d'or où on écrivait à la main, à la plume même,
13:09 et où on ne faisait aucune faute.
13:11 Quand on regarde les lettres qu'écrivaient les poilus en 1914, parce qu'on n'a pas
13:16 beaucoup de traces de ces écrits privés, on voit qu'il y avait des erreurs d'orthographe
13:20 monumentales à toutes les phrases et des grosses erreurs de segmentation comme « ta
13:24 l'apostrophe, e t r e ».
13:26 Ce qui est nouveau avec Internet, c'est que deviennent visibles, apparaissent en public
13:32 ce qui avant était de la sphère privée.
13:34 Nous d'abord on se réjouit que tant de gens écrivent en français alors qu'avant,
13:41 l'écriture, à part à l'école et pour quelques lettres privées, les gens n'écrivaient
13:45 pas.
13:46 Donc on ose écrire et ensuite on étudie la diversité des usages.
13:50 Ce dont on s'aperçoit en général, c'est que ceux qui envoient le plus de SMS, même
13:55 avec leurs graphies tronquées ou abrégées, sont souvent ceux qui par ailleurs maîtrisent
14:00 le mieux le code orthographique.
14:02 Mais ce code orthographique, c'est aussi une idée reçue, il n'est ni immuable ni
14:06 parfait.
14:07 Donc on pense qu'on pourrait aider le français, enfin l'enseignement du français, aider
14:11 les francophones, en rendant l'orthographe un peu plus cohérente, un peu plus rationnelle.
14:18 On va venir à l'orthographe, mais sur les écritures numériques, est-ce qu'on est
14:23 encore dans l'ordre de l'écrit ou est-ce qu'on n'est pas dans une frontière entre
14:28 l'écrit et l'oral ? Dans une forme hybride pour le dire autrement ?
14:33 On est dans une forme de spontanéité.
14:35 C'est une écriture qui n'est pas médiée par celle d'un éditeur, d'un imprimeur.
14:40 Il y a des caractères qui sont en effet ceux qui sont typiques de l'oralité, à savoir
14:46 des formes courtes, des émojis qui remplacent vraiment les mimiques.
14:49 Donc on a une forme de compensation de l'absence de l'interlocuteur par des signes.
14:55 Et ça en fait une forme un peu hybride en effet, et nouvelle.
14:58 C'est assez intéressant d'un point de vue linguistique.
15:01 Anne Ebéyer, votre grand combat, peut-on le dire ainsi, c'est que le français, ça
15:08 n'est pas que l'écrit ?
15:09 Ce n'est pas que l'écrit, ce n'est pas que la France.
15:11 Voilà.
15:12 Ça ouvre…
15:13 Voilà, et donc il faut en tirer les conséquences.
15:17 Quelles conséquences ?
15:18 Nous avons un merci qui est un merci ouvert.
15:20 Merci de lire ce qu'écrivent les linguistes plutôt que ce qu'écrivent ceux qui sont
15:27 dans l'émotion.
15:28 Et merci d'en tirer les conséquences.
15:30 Mais c'est qu'on a besoin, on propose, on reprend des propositions qui existent,
15:34 qui sont sur la table, d'une instance panfrancophone.
15:39 Est-ce qu'une institution aussi vénérable soit-elle que l'Académie française qui
15:43 est limitée à la France est légitime pour parler du français ?
15:47 Maintenant qu'on sait qu'il est parlé plus hors de France qu'en France.
15:51 Donc on propose d'appliquer aussi les rectifications de 1990, qui étaient timides.
15:56 On propose d'aller plus loin, puisque des laboratoires du CNRS qui travaillent sur les
16:01 questions proposent d'aller plus loin dans la rationalisation, la mise en cohérence
16:07 de l'orthographe, surtout cette orthographe lexicale où on est prisonnier, contrairement
16:11 à d'autres langues, qui, les autres langues européennes, ont mis à jour leurs orthographes.
16:16 Et en Italie, en Espagnol, on n'a plus les PH, on n'a plus les TH.
16:20 Et on n'oublie pas pour autant l'origine des mots.
16:23 Donc c'est cette conception un peu savante, étymologisante, avec des fausses étymologies
16:31 comme "bonheur avec un H qui ne vient de nulle part", "leg avec un G qui ne vient
16:35 de nulle part".
16:36 Il y a eu des erreurs aussi dans l'orthographe actuelle.
16:38 On voudrait mettre sur la table des propositions.
16:42 On va passer au standard inter et revenir à ces questions d'orthographe.
16:47 Bonjour Claude Michel ! Bonjour !
16:49 Bienvenue, on vous écoute ! Oui, je suis un peu stupéfait d'entendre
16:54 que j'entends des paroles que je ne sais pas écouter.
16:55 Atterré ! Vous êtes atterré ! Atterré, vous aussi !
16:57 Atterré, je suis complètement atterré quand on dit que la langue française n'est pas
17:01 menacée par l'anglais.
17:03 Une de vos intervenantes vient de parler du mariage gay par exemple.
17:08 Pour moi l'adjectif gay c'est un adjectif français qui est en train de disparaître.
17:13 Spoiler, remplacer, je vous demande quel mot français ? Burnout, pitch, casting, etc.
17:21 Tous ces mots disent que les mots français correspondants ne sont plus connus, ne sont
17:26 plus employés.
17:27 Par exemple la France Inter.
17:29 Voilà, donc autre petite chose rapidement.
17:34 La francophonie est très menacée en Afrique par exemple, dans tous les pays d'Afrique
17:40 du Nord, alors que le français était pratiquement obligatoire avant l'enseignement, il est
17:46 remplacé par l'anglais.
17:48 Maroc, Algérie, etc.
17:51 Donc c'est absolument irréaliste de nous faire croire que la langue française se porte
17:57 bien.
17:58 Merci Claude Michel pour cette intervention.
18:00 Je dois dire que sur les anglicismes, moi aussi j'ai sursauté en vous lisant.
18:06 Spoiler, je ne vais pas te spoiler ta série, donc je ne vais pas te révéler ce qui se
18:12 déroule à la fin.
18:13 Vous écrivez, je vous cite, « Spoiler n'est pas un verbe anglais, c'est un verbe français
18:19 du premier groupe terminé par ER ». Non mais, oh si j'ose dire ! Julie Neveuze, oh !
18:28 Non, n'osez pas ! Oh là là, vous réponds ! Non, pas du tout, j'assume.
18:34 Spoiler est un verbe français, je ne te spoilerais pas, on le conjugue, il est francisé.
18:40 En plus, spoiler, si on veut jouer à ce petit jeu nationaliste, on peut rappeler que spoiler
18:45 vient de l'anglais, qui venait lui-même de l'ancien français, « Spoiliarer »,
18:49 qui a donné « spoiler », donc on a un autre verbe très proche.
18:52 Et Claude s'interroge, il dit « Tiens, spoiler est venu remplacer je ne sais plus
18:55 quel terme, mais Claude », parce qu'on n'avait pas de terme, et spoiler est en effet arrivé
19:00 avec la culture de la série.
19:01 Et si je peux me permettre, pourquoi il n'y a pas de menace ? Il n'y a pas de menace
19:05 parce que de penser qu'un terme disparaît, en général c'est faux.
19:08 C'est-à-dire que quand on prend un terme qui vient d'une culture anglophone, il va
19:12 se rajouter, il va se spécialiser sémantiquement.
19:14 Donc vous avez « follower », on a « abonné » à côté, ils n'ont pas les mêmes emplois.
19:18 « Follower » sur les réseaux sociaux, « abonné » les magazines, etc.
19:21 On avait « suiveur », mais « suiveur » avait cette connotation de manque d'esprit
19:25 critique en français.
19:26 Donc les mots se spécialisent si on les garde, et après il y a une évolution naturelle
19:30 de la langue.
19:31 Mais donc là, il y a « spoiler », « kokune », « matché », tout ça c'est français.
19:33 Ce sont des verbes français parce qu'ils sont en « er », on n'a pas de verbe en
19:36 « er » en anglais.
19:37 Donc ça suffit, on met « er » à la fin et ça fait un mot français.
19:40 Et alors pourquoi nos amis québécois s'épuisent à inventer d'ivules gâchées ?
19:45 Il y a d'autres enjeux géopolitiques là-bas, sans doute.
19:48 Il y a toujours une politique linguistique plus offensive qui a traduit avec plus de
19:52 réactivité des mots.
19:53 D'ailleurs eux, ils ont l'article féminin très rapidement pour essayer de différencier
19:57 de l'anglais.
19:58 Il y a des guerres culturelles, il y a des guerres économiques, mais il n'y a pas
20:01 vraiment de guerre des langues.
20:02 On voudrait par exemple que les films soient diffusés en VO.
20:07 Le plurilinguisme, les contacts de langues, c'est la réalité des langues depuis toujours.
20:11 Les langues ne sont pas menacées par les contacts, elles s'enrichissent mutuellement.
20:15 Il y a beaucoup de mots français en anglais aussi.
20:17 Question de Bourdin sur l'application d'Inter, est-il normal qu'aujourd'hui, 9 fois sur
20:22 10, vous n'inversiez plus le sujet, le verbe dans les phrases interrogatives ?
20:28 C'est une évolution lente de la grammaire.
20:33 Alors des fois on ne peut pas inverser.
20:35 Par exemple, comment ça va ? On ne peut pas dire comment va ça ? Quand est-ce que je
20:39 sors le chien ? On ne peut pas dire quand sors-je le chien ? Voilà, donc le français
20:43 est riche de sa pluralité de formes de questions.
20:46 Et quand on dit « tu sais quoi ? », c'est pour annoncer ce qui va suivre.
20:49 Ce n'est pas du tout équivalent à « que sais-tu ? ». Donc ça, ça fait partie un
20:53 peu des règles zombies.
20:54 C'est-à-dire qu'au lieu d'enseigner la richesse des formes interrogatives, le fait
20:59 qu'elles ne sont pas équivalentes, qu'elles sont liées à des niveaux de langue que nous
21:02 on appelle « registre », mais aussi à certaines… voilà, décortiquer le fonctionnement des
21:07 langues, ça nous semble plus intéressant de dire « vous êtes en faute parce que vous
21:11 ne dites pas « viens-tu ? ». Voilà, qui dit « viens-tu » aujourd'hui ?
21:14 Nicolas Demorand : ça peut, dans certains contextes, être sympathique.
21:18 Charline Vanhoenacker : c'est un petit peu collé-monté, non ?
21:20 Nicolas Demorand : bah oui, bah voilà, pourquoi pas ?
21:22 Charline Vanhoenacker : voilà, apprendre ces nuances, ça nous semble beaucoup plus
21:26 intéressant que de mettre de côté, comme n'étant pas du français ou comme étant
21:32 du mauvais français, les usages majoritaires actuels.
21:35 Julie Neveu ?
21:36 Charline Vanhoenacker En fait, plus il y a de variations et plus
21:37 il y a de nuances, de contextes, de sémantiques.
21:39 Donc si vous dites « viens-tu ? », oui, c'est joli parce que ça acquiert du sens,
21:42 par différence avec « est-ce que tu viens ? » ou « tu viens ou quoi ? ».
21:45 Nicolas Demorand Le titre de votre tract et le nom de votre
21:50 collectif, c'est « Les économistes atterrés avec un E… »
21:53 Charline Vanhoenacker Les linguistes, les linguistes !
21:55 Nicolas Demorand Pardon, oui, excusez-moi, il fallait que
21:57 je fasse l'erreur.
21:58 Les linguistes atterrés avec un E, le E du féminin grisé, doit-on en conclure que
22:04 vous voyez d'un bon œil l'écriture inclusive ?
22:07 Julie Neveu ?
22:08 Charline Vanhoenacker En fait, on voulait déjà faire une forme
22:10 graphique assez douce qui ne heurte pas, puisqu'on sait que le point médian suscite
22:13 beaucoup trop de débats hors de propos et qui ne concernent pas du tout l'entièreté
22:18 des propositions d'un langage inclusif, qui sont surtout des propositions orales.
22:21 Tout à l'heure, vous avez dit « ami-auditrice », « ami-auditeur ». Il se trouve qu'en
22:24 français, il y a une règle d'alternance de base entre le masculin et le féminin et
22:27 qu'on propose de l'étendre.
22:28 Et donc c'est vrai qu'il y a eu cette proposition de point médian.
22:31 Si elle ne fait pas consensus, il y en a d'autres.
22:32 C'est pour dire « regardez, continuez à explorer avec nous, rejoignez-nous sur
22:35 tract-linguistique.org ».
22:36 Anne Abéyé ?
22:37 Oui, les questions de genre grammatical sont vraiment débattues dans toutes les langues
22:43 européennes.
22:44 Si un ami, on voit un homme et si une amie, on voit une femme, voilà, le genre grammatical
22:48 est interprété comme genre social pour les humains.
22:51 Et c'est d'où la féminisation des noms de métier, à laquelle l'Académie française
22:55 s'est opposée pendant 30 ou 40 ans, alors que la DGLF, dès 1999, publiait ce magnifique
23:01 guide « Femme, j'écris ton nom ».
23:03 Donc il faut quand même se souvenir des combats.
23:06 Et aujourd'hui, le masculin pluriel ne fonctionne plus très bien comme générique dans la
23:12 plupart des langues.
23:13 Si on dit « les promeneurs », on voit moins de femmes que si on dit « les promeneurs
23:16 ou les promeneuses ».
23:17 Et la question de la lisibilité des formes abrégées et du point, c'est un sujet scientifique
23:24 qui est en train d'être étudié dans les laboratoires.
23:26 Est-ce qu'il y a ou non un ralentissement du temps de lecture ?
23:28 Et vous dites dans le livre qu'il faut laisser faire l'usage et voir ce qui en a
23:33 bien ras.
23:34 On n'en prône pas tel usage.
23:36 On essaye d'expliquer pourquoi ces usages apparaissent.
23:39 Le débat et l'usage fera son œuvre.
23:41 Julia De Lyon s'en fait plaisir d'entendre ce discours positif.
23:45 « La langue française est une langue vivante », nous dit-elle.
23:48 Merci Anna Beyer, merci Julie Neveu.
23:50 Les linguistes atterrés nous disent que le français va très bien.
23:55 Merci.
23:56 Tracte.

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