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Fille d'alcoolique, Camilla Gallapia a vécu toute son enfance avec l'addiction de sa mère. Elle raconte sa "chasse à la bouteille" pour limiter sa consommation et les conséquences d'avoir un parent alcoolique : "C'est moi qui m'occupais d'elle et pas l'inverse."

Son livre "Fille d'alcoolo", publié aux éditions Larousse, est disponible en librairie.

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Transcription
00:00 Ma mère était alcoolique.
00:01 Pendant toute mon enfance, j'ai passé une grande partie de mon temps libre à chasser les bouteilles.
00:05 Ça pouvait être dans le réservoir d'eau des toilettes,
00:09 dans le container à poubelle,
00:10 dans un buisson,
00:11 dans la manche d'un pull par exemple,
00:13 ou dans la jambe d'un pantalon.
00:14 Il y avait ma maman que j'aimais vraiment tendrement.
00:17 Et puis il y avait l'autre, cette femme qui avait les yeux vitreux, le regard agarre,
00:21 qui avait la bouche molle, une mauvaise élocution, une mauvaise démarche.
00:25 Et pour moi, ça c'était à chaque fois comme perdre ma mère à nouveau.
00:28 C'était un petit gabarit, elle faisait 1m50, une quarantaine de kilos.
00:31 Elle buvait du pastis et du coup elle tenait pas du tout l'alcool
00:34 et c'est pour ça qu'elle dormait beaucoup.
00:36 Les seules techniques que j'avais trouvées pour essayer de lui venir en aide,
00:39 c'était de limiter sa consommation d'alcool.
00:41 Et c'est là qu'a commencé ce que j'ai appelé la chasse à la bouteille.
00:44 Ma mère était très très imaginative dans les planques qu'elle pouvait avoir.
00:48 La classique, c'était celle sous le matelas.
00:50 Ça pouvait être dans le réservoir d'eau des toilettes,
00:53 dans le container à poubelle,
00:55 dans un buisson.
00:56 Je me souviens qu'elle planquait des bouteilles dans le panier à linge sale.
00:59 C'était très réfléchi parce qu'en fait,
01:01 elle la cachait dans la manche d'un pull par exemple
01:03 ou dans la jambe d'un pantalon.
01:04 Une fois qu'on avait retrouvé la bouteille avec ma sœur,
01:07 on l'ouvrait, on la vidait dans le lévier
01:09 et puis on jetait le cadavre.
01:11 Ce qui était étonnant, c'est que ma mère nous en a jamais parlé.
01:14 C'est-à-dire que forcément, elle se rendait compte en se réveillant
01:16 que la bouteille avait disparu.
01:18 Mais ni elle ni nous, on n'en parlait.
01:19 Les conséquences d'avoir un parent alcoolique,
01:21 c'est qu'on n'a pas vraiment d'enfance en réalité.
01:23 C'est moi qui m'occupais d'elle et pas l'inverse.
01:25 Les autres enfants prennent leur goûter avec leur maman,
01:28 font les devoirs éventuellement avec leur maman.
01:29 Je n'ai pas du tout de souvenir d'avoir un jour fait mes devoirs avec ma mère.
01:32 Probablement que ça l'a été parce que c'était une mère aimante.
01:34 Mais en tout cas, pas suffisamment souvent pour que ça m'ait marquée.
01:37 Il y a d'autres choses comme la vie sociale par exemple,
01:39 qui est complètement bouleversée parce que quand on est enfant,
01:41 on est invité chez les copains, les copines.
01:43 On est invité aux anniversaires.
01:45 Moi, je n'ai jamais pu inviter qui que ce soit chez moi.
01:47 J'avais la hantise que mes amis apprennent que ma mère était alcoolique.
01:50 Et c'était terrible parce que j'avais horriblement honte d'elle.
01:53 Et en même temps, j'avais horriblement honte de moi parce que j'avais honte d'elle.
01:57 Toute ma vie, j'ai essayé de cacher la maladie de ma mère.
02:00 Sauf qu'il y a des moments où la situation m'a échappée,
02:02 comme cette fois par exemple, où il y avait une réunion parent-prof au collège
02:05 et ma mère était complètement saoule.
02:07 Je me souviens que je me décomposais sur la route.
02:09 J'avais l'impression que j'allais vivre l'humiliation de ma vie.
02:12 La queue avant de voir le prof est très longue.
02:14 On a tellement attendu que miraculeusement, au moment où ça a été notre tour,
02:17 ma mère avait dessoulé.
02:18 Et pour moi, ça a été un soulagement.
02:20 Mais alors vraiment, je me souviens d'un poids immense qui s'est soulevé.
02:24 Mon père et ma mère se sont connus extrêmement jeunes.
02:26 Et mon père est resté à ses côtés autant qu'il a pu.
02:29 Il a essayé par tous les moyens de l'aider à sortir de l'alcool.
02:32 Mais rien n'a fait qu'elle a pu guérir de sa maladie.
02:35 Ma mère s'est toujours battue contre son alcoolisme.
02:37 Elle a fait beaucoup de cures de désintoxication.
02:40 Et à la fois, c'était très dur parce qu'à chaque fois,
02:42 l'espoir renaissait de la retrouver.
02:43 Pendant 2, 3, 4 semaines, on retrouvait juste ma maman.
02:47 Et puis d'un coup, l'autre revenait.
02:49 Et là, on tombait encore plus profond.
02:51 Par contre, c'est vrai que le fait qu'elle se soit toujours battue,
02:53 ça m'a permis d'apaiser mon histoire avec ma mère.
02:56 Parce que ça veut dire qu'elle ne s'est pas complue dans la maladie,
02:59 qu'elle voulait pour elle et pour nous s'en sortir.
03:02 Et je me dis que ça, c'est quelque chose d'hyper courageux.
03:05 Ma maman est décédée quand elle avait 49 ans.
03:08 Elle est décédée de l'ensemble de ses abus.
03:10 Et ce qui restera pour moi quelque chose de très difficile,
03:13 c'est que jamais je n'aurai la réponse de qui elle était.
03:16 J'aurais aimé savoir qui elle était avant l'alcool.
03:18 J'aurais aimé savoir ce qui la faisait rire,
03:20 ce qui la passionnait, ce qui la mettait en colère.
03:22 Et c'est des réponses que je n'aurai jamais.
03:23 Aujourd'hui, alors que ma maman est décédée il y a près de 20 ans,
03:27 j'ai toujours des conséquences assez marquées de son alcoolisme.
03:30 Par exemple, j'ai une aversion profonde pour les gens sous.
03:33 J'ai un radar alcoolique.
03:34 J'ai vraiment du mal avec tout ce qui est séries ou films
03:38 où il y a un parent alcoolique et encore pire, une mère alcoolique.
03:41 Ce qui me met un peu en colère en plus, c'est que c'est souvent glamourisé.
03:44 C'est toujours Brie Vanderkamp qui boit du chardonnay dans son verre à pied,
03:48 dans sa cuisine bien rangée.
03:49 Alors que l'alcoolisme, ça n'a rien de glamour.
03:51 Ce n'est jamais comme ça.
03:52 C'est quelque chose qui m'a profondément marquée en tant que fille,
03:55 mais qui me marque aussi en tant que mère,
03:57 parce que j'ai deux grands enfants qui ont 13 et 16 ans.
03:59 Ma grosse terreur, ce serait qu'à leur tour, ils deviennent alcooliques
04:01 parce que je n'ai toujours pas la réponse.
04:03 J'ai accompagné une personne alcoolique pendant 20 ans de ma vie,
04:06 plus de 20 ans de ma vie, et aujourd'hui, je ne saurais pas comment les aider.
04:09 [Bruit de démarrage]
04:10 [Musique]

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