Fausse authenticité, concepts absurdes, règne des consultants, des process… bienvenue dans le monde "optimal" et "agile" du bullshit. Entretien avec l’humoriste Karim Duval qui vient de faire paraître Petit précis de culture bullshit (Robert). Par Violaine des Courières, journaliste à Marianne.
Le magazine Marianne est en kiosques chaque jeudi et disponible en ligne.
"Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti". Albert Camus
Marianne TV : https://tv.marianne.net/
Marianne.net : https://www.marianne.net/
Facebook : https://www.facebook.com/Marianne.magazine/
Twitter : https://twitter.com/MarianneleMag
Instagram : https://www.instagram.com/mariannelemag/
Le magazine Marianne est en kiosques chaque jeudi et disponible en ligne.
"Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti". Albert Camus
Marianne TV : https://tv.marianne.net/
Marianne.net : https://www.marianne.net/
Facebook : https://www.facebook.com/Marianne.magazine/
Twitter : https://twitter.com/MarianneleMag
Instagram : https://www.instagram.com/mariannelemag/
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00 *musique*
00:03 Qu'est-ce que c'est un travail qui a du sens ?
00:04 On m'a souvent dit un travail qui a du sens,
00:06 c'est un travail pour lequel je sais pourquoi je me lève le matin,
00:08 pourquoi je fais les choses.
00:09 D'ailleurs on en surnomme la génération "Y" de l'anglais.
00:11 Pourquoi ? Parce qu'il paraît que le Y a cette fâcheuse tendance
00:14 à toujours poser la question "pourquoi".
00:15 En quoi est-ce qu'on lui demande de faire "envoie ce mail",
00:17 "pourquoi", "mets ce mot-clé pour le référencement, pourquoi" ?
00:20 *rires*
00:20 - Bonjour Karim Duval. - Bonjour Violaine.
00:22 - Vous êtes humoriste, vous êtes comédien,
00:25 vous serez à l'Olympia le 7 juin prochain,
00:29 et vous publiez aux éditions Le Robert un petit précis de culture "bullshit".
00:35 Alors, on retrouve l'esprit de vos sketchs dans cet ouvrage,
00:39 des sketchs qui sont hilarants, vous les publiez également sur LinkedIn,
00:44 vous racontez tout ce qui est "bullshit" dans la culture managériale,
00:52 mais aussi dans notre monde, comment cette culture du vide,
00:56 d'une forme de complexification de ce qui est simple,
00:59 arrive dans la gestion du Covid, dans le discours d'Emmanuel Macron,
01:05 dans la façon même d'éduquer ses enfants.
01:08 Et donc, j'aimerais vous poser une première question,
01:11 c'est celle d'Emmanuel Macron, parce que vous le citez dans votre ouvrage,
01:16 et vous faites une espèce de discours factice "bullshit" qu'il aurait pu prononcer.
01:21 Alors, est-ce que vous pouvez me dire si Emmanuel Macron
01:23 est le premier président de la République "bullshit" ?
01:26 Il a donné beaucoup de signaux pour me faire affirmer que oui.
01:32 Oui, non mais ce discours "la France est digitale",
01:34 c'est vraiment une partie d'une publication qu'il a faite sur LinkedIn.
01:40 Avec une anaphore, il me semble "la France est digitale, la France est digitale".
01:44 Et donc, ça m'a bien fait rire, parce que oui, c'est vrai,
01:48 à l'heure du digital, du numérique, il y a quand même une espèce d'énorme fracture
01:52 sociale en France, qui fait que toute la France n'est pas digitale.
01:55 Et donc, affirmer ça comme ça, c'était à l'époque des amis, je crois.
01:58 Et je me suis amusé à pousser le discours, à l'imaginer jusqu'au bout.
02:04 Et c'est un peu l'esprit de ce bouquin, finalement,
02:07 de pousser le concept de "bullshit" à fond, de l'analyser, de le décortiquer,
02:13 de le comprendre qu'est-ce que le "bullshit", finalement, est-ce qu'il existe vraiment ?
02:17 Et qu'est-ce qu'on en fait ? Et de quoi est-ce qu'il est fait ?
02:19 Donc, c'est vraiment décortiquer tout le "bullshit" dans son langage, ses gestes,
02:24 sa culture, ses héros qu'on glorifie, en fait, et la manière de les glorifier
02:28 à travers le storytelling.
02:31 Et puis, justement, la manière d'infuser dans la vie quotidienne,
02:35 notamment, j'allais dire, l'élevage des enfants, l'éducation.
02:39 Oui, parce que, notamment, vous parlez de comment élever son enfant en mode "start-up".
02:44 Alors ça, on en parlera.
02:45 Mais pour revenir à Emmanuel Macron, on a entendu que c'était un peu le président
02:51 qui élevait, entre guillemets, la France en mode "start-up".
02:54 Qu'est-ce qui, dans son langage, vient de l'univers de la "start-up" ?
02:58 C'est lui qui a inventé l'expression "start-up nation".
03:02 Après, je pense que déjà, lui-même vient de la banque.
03:06 Donc, il y a un monde où ça "bullshit" pas mal, je pense, au quotidien.
03:09 On sait que, comme tous les autres présidents, mais peut-être un peu plus lui,
03:13 il sait s'entourer de consultants, notamment McKinsey,
03:16 qui sont quand même, je pense, très très hauts.
03:19 J'ai fait ce que j'ai pu dans le livre, mais je ne prétends pas être aussi bon que McKinsey
03:24 en termes de langage, de délivrables.
03:28 Mais oui, en tout cas, on sent qu'il aime s'entourer de ça.
03:31 Puis, de manière générale, sans jeter l'opprobre sur lui en particulier,
03:36 on sent quand même dans les ministères, dans l'administration française ou pas,
03:40 il y a une propension à brasser du vent quand même et à complexifier les choses,
03:45 qui est quand même remarquable.
03:48 Et d'ailleurs, je le souligne dans le livre, le "bullshit", ce n'est pas que le franglais.
03:53 Ce n'est pas que les termes.
03:54 Ça peut être que du français, d'ailleurs.
03:57 C'est ce que j'appelle le "flangage".
03:58 J'ai inventé un terme, c'est le mélange du flan et du langage,
04:01 pour dire que les administrations françaises sont très fortes à ça.
04:06 Et ma théorie, c'est qu'il y a des cabinets de consulting anglais ou américains
04:09 qui ont vu ça, qui se sont dit "Tiens, on va juste allumer la mèche
04:13 et leur dire de plancher sur une réunion sur comment optimiser nos méthodes de travail
04:18 en faisant appel à des consultants qui optimisent nos méthodes de travail
04:22 et on va les laisser parler et on va voir ce que ça va donner.
04:25 Ça va donner des merveilles."
04:26 Et si, ici, quand on voit tous les éléments de langage qui sont inventés
04:32 et souvent pour atténuer des phénomènes d'une énorme violence
04:39 autour du monde du travail, autour de la santé,
04:43 pour dire qu'on fait attention au langage, mais derrière avoir des actes qui vont à l'encontre de ça,
04:48 pour moi c'est du bullshit.
04:50 C'est l'art du bullshit, c'est vraiment de faire en sorte que les mots prennent le dessus sur les faits.
04:54 Et c'est en fait une espèce...
04:56 Ça correspond... C'est pas étonnant que ce soit ce genre de personne qui soit présidente de la France aujourd'hui.
05:02 Il y a une espèce de décrochage global du monde réel et du concret.
05:07 Je veux dire, on a délocalisé l'outil industriel
05:10 et puis on sent, j'en parle dans mon spectacle sur la génération Y,
05:15 on est quand même globalement de moins en moins manuels.
05:17 On a tendance à perdre la main sur le monde concret,
05:21 même si heureusement il y a des gens qui savent encore bricoler,
05:23 mais vraiment c'est une de mes craintes pour demain, c'est qui va construire les maisons ?
05:28 Qui va réparer les lavabo ?
05:30 - On sent en fait cette réflexion derrière l'humour qu'il y a dans ce livre,
05:35 mais aussi dans vos sketchs, puisqu'on va aussi englober vos sketchs dans ces questions.
05:40 Comment vous traduisez ça en humour ?
05:43 Qu'est-ce qui est drôle, notamment dans la gestion du Covid,
05:46 où le monde entier est devenu bullshit quelque part ?
05:49 - Pour le coup, j'en ai fait une vidéo qui s'appelle "Le Covidisme",
05:52 où vraiment c'est devenu une religion, le Covidisme,
05:57 la manière dont on a vécu cette pandémie, qui bien sûr a fait des ravages.
06:04 Mais la gestion elle-même, je pense que personne n'aurait pu faire moins absurde.
06:08 - Est-ce que vous pouvez me donner des exemples de choses qui sont devenues drôles ?
06:12 - Je sais pas, heureusement ça commence à devenir lointain.
06:15 Mais le fait de nous imposer le masque dans le train,
06:19 mais de pouvoir l'enlever pour manger,
06:21 alors on se retrouve avec des gens qui prenaient leur temps pour manger,
06:24 c'est des trucs, c'est vraiment couper les cheveux en quatre.
06:27 C'est-à-dire qu'on prétend proposer des choses qui relèvent du bon sens,
06:31 mais en fait ça devient complètement absurde, ça n'a aucun sens.
06:33 - D'autres exemples comme ça, finalement on a un peu oublié cette période
06:36 où t'as eu un grand moment de bullshit.
06:38 - Bah oui, on interdisait les spectacles, on autorisait les meetings politiques,
06:44 ou les messes, ou je sais plus, c'est tellement loin,
06:50 je sais plus, mais c'était l'absurdité tous les jours.
06:53 Et avec le recul, après c'est difficile de savoir, on peut pas, on saura jamais,
06:57 mais c'est vrai que parfois je me vois faire des trucs,
06:59 à nettoyer toutes les conserves, une par une en rentrant des courses,
07:04 et le gouvernement n'a pas désapprouvé ça.
07:07 Je pense qu'il a encouragé en disant "oui c'est bien",
07:10 en se disant que c'était un acte citoyen fort, que de faire attention.
07:14 Donc on se retrouvait à se dire "je m'occupe de mon prochain
07:17 en m'instiquant une bouteille, une boîte de conserve".
07:20 Donc je pense que quel que soit notre avis politique sur la question,
07:23 avec le recul, ça nous a poussés dans des trucs complètement délirants.
07:28 Donc après, j'ai pas d'exemple.
07:30 - Bien sûr, mais ce qui est assez intéressant dans ce que vous racontez,
07:33 c'est que finalement, comment il y a une inflation de gestes et de paroles
07:36 par rapport à du vide.
07:38 - Par rapport à du vide, et pour revenir sur cette idée de s'occuper de son prochain,
07:43 en fait on a appris à s'occuper de son prochain
07:46 de manière autre que juste d'aller le voir et lui parler en fait,
07:48 et le prendre dans ses bras.
07:50 Donc finalement on a trouvé des nouvelles manières d'exprimer notre affection
07:54 en ne voyant pas quelqu'un.
07:56 Et c'était ça, "si vous aimez les vôtres, restez chez vous".
08:00 Alors bon, les circonstances l'imposent peut-être, je ne veux pas polémiquer là-dessus,
08:05 mais n'empêche que ça a instillé un truc qui a été poussé très très loin,
08:10 même à un moment où ça n'était plus vraiment urgent d'aller voir ses proches.
08:15 Et donc voilà.
08:18 - Cette culture du bullshit dont vous parlez, vous définissez très bien,
08:22 elle vient des entreprises, vous à la base vous ciblez beaucoup les startups,
08:28 vous avez parlé des cabinets de conseil, McKinsey,
08:30 qui ont divulgué cette nouvelle langue et ses process notamment au moment du Covid.
08:37 Qu'est-ce qui vient de la startup ?
08:41 C'est quoi ces éléments de culture bullshit qui viennent de la startup ?
08:48 - La startup a de ça de différent que...
08:51 Déjà une startup ce n'est pas une entreprise comme une autre.
08:53 Une startup c'est un business disruptif,
08:59 c'est-à-dire qui va vraiment changer le monde avec une très forte croissance,
09:03 de manière très rapide et très agile.
09:06 Il faut entendre ma ligne en fait quelque part.
09:08 Et ma ligne pas au sens pervers du terme, mais juste...
09:12 Et donc il y a...
09:13 Moi la startup nation, vraiment je vois une espèce de prétention d'emblée,
09:17 de fait de changer le monde.
09:20 Parce qu'il y a des sociétés, en effet des startups,
09:23 qui sont devenues des scale-up, puis des énormes firmes aujourd'hui comme Uber,
09:27 qui alors c'est bien, c'est mal, je ne sais pas, mais qui ont un peu changé.
09:29 Alors pas le monde, mais la manière dont on fait du commerce aujourd'hui,
09:35 c'est-à-dire d'utiliser le concept de plateforme,
09:37 c'est-à-dire une espèce de coquille vide qui ne fait que connecter des gens
09:39 qui eux travaillent concrètement.
09:40 Mais nous on est cette espèce de frontière entre les deux
09:42 qui ne représente rien si ce n'est des prises, des connecteurs.
09:46 Donc ça c'est une disruption par exemple.
09:49 Mais du coup, juste par envie de ne pas être mis dans la case de l'entrepreneur qui rame
09:54 et qui rame à monter sa boîte, on aimerait être dans la case startup quand même.
09:59 Enfin en tout cas une partie de la population qui généralement fait des études, etc.
10:05 Par besoin de distinction sociale aussi,
10:07 aime bien assez vite glisser dans ce monde de la startup
10:11 et toute la déco qu'il y a autour.
10:13 Donc sans rentrer dans les termes bullshit parce qu'on peut en trouver bien sûr.
10:19 Disruption, leverage, faire du de l'upsell, du gros sacking.
10:25 Il y en a des tartines dans mon livre,
10:26 même si ce n'est pas le but c'est d'en faire un glossaire exhaustif.
10:29 – Ce sont des termes anglais en fait.
10:30 – Des termes anglais oui.
10:31 – Est-ce que ça vient des États-Unis ?
10:32 – Et l'anglais, ça vient des États-Unis bien sûr.
10:34 Ça vient de la Silicon Valley, donc il y a une espèce de souffle permanent
10:37 et on ne fait que reproduire d'ailleurs à petite échelle
10:40 et de manière souvent plus étriquée, c'est ça qui est très drôle.
10:42 C'est-à-dire que déjà la Startup Nation,
10:44 on voit déjà que la Silicon Valley a du mal en ce moment
10:47 avec l'effondrement des crypto-monnaies et du metaverse j'espère.
10:52 Et donc déjà ça c'est drôle,
10:55 c'est-à-dire qu'on a des espèces de grands pontes comme ça
10:59 qui accroissent leur storytelling et qui créent des business sur du vent.
11:04 Comment ça s'appelle ?
11:06 Elizabeth Holmes qui a créé, je ne m'en rappelle plus le nom de la startup,
11:10 mais ça a donné lieu à une série sur Disney qui s'appelle…
11:16 Ah ! En fait, elle a prétendu créer un système
11:20 qui permet de faire des analyses de sang comme ça,
11:23 juste en faisant une petite courbe.
11:24 – Oui, bien sûr, bien sûr, je vois très bien.
11:25 Effectivement, et son business n'était fondé que sur du vent.
11:28 – Que sur du vent.
11:29 – Et elle s'est écroulée en moins de deux.
11:31 – Elle s'est écroulée, pourquoi ?
11:32 Parce qu'elle a subi la pression des financiers.
11:35 Donc au final, on parle des startups etc.
11:37 mais au final c'est toujours la même chose,
11:38 c'est toujours les bons vieux mâles blancs investisseurs qui sont derrière,
11:41 qui sont là depuis le début de l'industrie
11:44 et maintenant des startups qui sont là où il faut
11:46 et qui mettent une pression telle que ça nous fait faire n'importe quoi.
11:49 Donc le bullshit c'est ça, c'est juste le fait de,
11:51 à un moment donné, faire dépasser les mots par rapport à la réalité.
11:54 Et les mots peuvent être dangereux parfois.
11:56 – Est-ce qu'on peut dire qu'on est arrivé à l'ère du fake ?
11:58 Parce qu'à un moment, vous parlez de Luke Cullen,
12:01 vous singez un petit peu ces grands moments d'auto-congratulation
12:06 sur ce réseau social, on peut aussi parler d'Instagram,
12:08 est-ce qu'on est tous devenus des startupeurs du néant ?
12:12 – Quelque part oui, en tout cas on se met en scène beaucoup,
12:14 moi je suis mal placé pour en parler, mais c'est mon travail,
12:17 j'essaie de le faire avec humour mais je singe
12:21 et même à tel point que je n'arrive pas à annoncer une bonne nouvelle
12:26 sans rajouter une petite virgule un peu cynique
12:29 ou pleine d'auto-dérision d'ailleurs sur ce que je fais,
12:31 mais même pour annoncer l'Olympia, il faut que je mette un brin de l'ouze,
12:35 mais ça c'est moi, c'est mon côté imposteur donc bullshitter.
12:38 – Mais qu'est-ce que vous pourriez singer ?
12:42 – Ce qui est marrant, je vais faire allusion à un sociologue que j'aime beaucoup,
12:47 qui s'appelle Jean-Laurent Casselli, vous le connaissez peut-être,
12:50 et qui écrit beaucoup autour de ces thématiques des bullshit jobs,
12:55 génération surdiplômée, etc.
13:00 et la révolte des premiers de la classe.
13:03 Et il a un bouquin qui s'appelle "No fake" où il parle bien sûr de ce phénomène
13:07 où on se met en scène sur des réseaux sociaux, sur Instagram,
13:10 mais ce qui est drôle c'est qu'on essaye de reproduire de l'authentique.
13:14 Donc par exemple avec toute cette vague d'habits "made in France" etc.
13:20 qui ont quelque chose de vertueux bien sûr,
13:21 relocaliser l'outil productif, je ne dis pas, c'est pas mal,
13:25 mais elles sont quand même beaucoup basées sur la com, sur Instagram,
13:29 et sur une espèce de reproduction d'images d'épinales
13:33 qu'on se fait de la France d'avant.
13:35 Donc il y a toujours un petit côté un peu désuet,
13:37 où on reproduit soit des slips, soit des repas plus français que français.
13:47 Et donc c'est du fake dans le pas fake, dans l'authentique,
13:50 c'est devenu une complexité tout ça pour manger un bout de pain avec du fromage dessus.
13:53 - Tout est de la com en fait, et c'est ce que vous dites aussi dans votre sketch,
13:56 alors il y a un sketch très amusant, ça s'appelle "Le slip chinois"
13:59 où vous singez un startuper qui vante les mérites de son slip,
14:05 qui l'a créé mais en fait qui vient de Chine.
14:07 Est-ce que vous pourriez me raconter un petit peu ?
14:09 - C'est un contre-pied au slip français, pour le coup c'est pas une parodie.
14:12 D'ailleurs j'ai eu la chance, le plaisir de rencontrer Guillaume Gibou,
14:15 qui est une personne quand même assez balèze,
14:17 ce qu'il a fait c'est fort avec le slip français,
14:20 donc ça l'a fait marrer parce que c'est vraiment un contre-pied du slip français.
14:25 Le slip chinois c'est un startuper qui un jour
14:27 qui était en mission humanitaire en Afrique,
14:29 et puis qui un jour se dit "allez, qu'est-ce que je fais là ?
14:33 Allez j'abandonne ma bouillie de riz, mon paludisme, mon 4x4
14:39 et ma mission humanitaire parce que moi ce que je veux dans la vie c'est faire du fric".
14:42 Donc il est rentré, c'est souvent des story-telling comme ça
14:44 où des gens se rendent compte qu'ils sont pas du tout à leur place,
14:46 puis qu'ils font le chemin inverse et qu'ils vont vers ce qu'ils veulent.
14:48 Et lui voilà, lui il a créé sa start-up, enfin sa boîte,
14:53 le slip chinois qui est un slip de mauvaise qualité, jetable quasiment,
14:57 où l'élastique pète à la première utilisation, et qu'on fabrique en Chine.
15:02 Et voilà, donc je suis parti en délire là-dessus,
15:05 c'est une des premières vidéos qui a marché d'ailleurs.
15:07 Parce qu'il y a tous les codes de cette quête d'authenticité,
15:12 de marketing un peu mignon qu'on retrouve beaucoup dans la start-up,
15:16 et puis toute la vérité de ce qu'est l'industrie du textile aujourd'hui.
15:22 Shine, ou Shyn, je sais pas comment dire,
15:24 qui installe une boutique à Lyon, ville écolo, s'il en est.
15:28 C'est désespérant, c'est désespérant.
15:32 Il y a aussi un autre sketch, et donc aussi un autre chapitre de votre livre.
15:36 Alors je sais plus si vous dites élever ou éduquer son enfant en mode start-up.
15:40 Élever, oui, parce qu'il faut toujours s'élever, il faut toujours viser haut.
15:46 Voilà, c'est une forme de comment l'esprit de compétition
15:49 aurait gagné si il avait se faire priver,
15:54 et cette façon de communiquer sur soi, sur sa famille.
15:58 J'aimerais que vous me racontiez ça.
16:00 Est-ce que le bullshit est arrivé dans les familles ?
16:04 Eh bien, j'ai bien peur que oui.
16:06 Cette vidéo d'élever son enfant en mode start-up,
16:08 que j'ai un peu retirée dans le livre, c'est vrai, en en faisant plusieurs rubriques,
16:12 enfin en faisant une rubrique avec trois pages dédiées,
16:15 enfin trois chapitres dédiés.
16:18 Je l'ai vue, je l'ai vue parce que moi je travaillais avant dans l'informatique,
16:23 et j'ai vu pas mal de monde, et c'est vrai qu'il y a des gens optimaux dans la vie.
16:29 Alors justement, la vidéo commence en disant
16:32 le but d'élever son enfant en mode start-up, c'est de faire des enfants heureux,
16:34 c'est-à-dire des enfants optimaux et performants.
16:37 Et il y en a beaucoup qui voient le bonheur dans l'optimalité,
16:39 c'est-à-dire une espèce de vie, tout est nickel, tout glisse,
16:44 tout est optimisé, le temps est optimisé.
16:47 Et donc, qui dit ça, dit tout de suite une organisation démesurée,
16:52 et pour s'organiser, quoi de mieux que des outils Google par exemple.
16:55 Donc on va commencer à faire des meetings hebdomadaires avec la famille
16:58 pour dire ce qu'on a sur le cœur, nos pensées négatives, nos pensées positives à l'enfant.
17:03 On va commencer à... il y en a ici, j'ai entendu des anciens collègues ingénieurs
17:07 qui parlaient de mesurer certaines choses chez leurs enfants.
17:09 Donc ça allait pas jusqu'à atteindre les trucs que je décris dans le sketch,
17:15 mais il y a un petit peu ça, il y a quand même dans la sphère,
17:19 notamment chez les cadres et notamment dans le digital, ça déteint en fait.
17:24 C'est-à-dire que le digital, c'est un monde froid, ultra optimisé,
17:27 qui est binaire par définition, et qui finit par déteindre sur les gens qui le fabriquent.
17:33 Et donc il y a un moment où ça finit par déteindre sur la manière d'être,
17:36 et il y en a à qui ça convient parce qu'il y en a qui aiment bien être carrés,
17:40 et tout ça, mais c'est cette espèce d'optimalité,
17:42 et pour moi le bonheur, il est en dehors de l'optimalité.
17:44 C'est-à-dire que moi quand je gère des choses, quand je dis je gère mes enfants,
17:47 ou quand je gère ma vie, je travaille,
17:50 on utilise souvent le mot gérer, d'ailleurs gérer les enfants,
17:53 mais le bonheur il est dans ces moments où on ne gère pas, et il n'y en a pas beaucoup.
17:56 Donc quand on sort du temps, quand on est dans ce temps-là, pour moi c'est pas du temps,
17:59 c'est du temps ou c'est pas du temps, ça dépend, mais ce temps qu'il y a de l'argent,
18:03 c'est pas le temps où se trouve le bonheur.
18:05 Et il y en a qui vraiment ont besoin de ça pour se sentir heureux.
18:09 La page d'accueil Google, blanche, clean, et surtout ne rien toucher.
18:17 Dès qu'il y a un petit truc qui ne va pas, parce que bien sûr la vie nous rattrape toujours,
18:20 c'est là que ça devient marrant.
18:22 C'est un petit peu comme si dans la famille on gérait ses enfants entre guillemets
18:26 comme on gère des salariés, parlez même des tableurs Excel, de pourcentages...
18:34 Oui, et puis après le parallèle, on peut facilement trouver des parallèles
18:39 entre élever son enfant en mode startup, enfin la startup et l'enfant.
18:44 Quand on fête l'anniversaire d'une startup et l'anniversaire d'un enfant par exemple,
18:47 il y a des couleurs, il y a des friandises, il y a des boissons, on fait la fête,
18:52 mais à la fin on a mal à la tête.
18:54 Oui, on peut parler aussi de ces fêtes d'anniversaire
18:57 qui deviennent des organisations de séminaire.
18:59 Oui, et à l'inverse, ce qui serait drôle c'est surtout de dire,
19:02 et il faudrait que je le fasse ce sketch, c'est plutôt dire,
19:05 gérer sa boîte comme on gère une école maternelle,
19:07 parce qu'il y a une infantilisation aussi du salarié,
19:12 soit par lien de subordination, ça c'est vieux comme le monde,
19:15 soit par tout cette espèce de décor dont on estime qu'il est nécessaire,
19:20 l'épanouissement des salariés alors que finalement c'est du vernis.
19:23 Ça pourrait être marrant de décrire ça, mais c'est vrai que parfois
19:26 quand il y a des locaux de startup, alors c'est très beau,
19:28 moi j'adore y travailler parce qu'on y est bien,
19:30 il y a tellement de gadgets, de trucs surfaits dont on n'a pas besoin,
19:35 juste pour que le salarié ait envie de venir et poser ses fesses sur une chaise.
19:41 Il s'engage en tout cas.
19:42 Et envoyer des mails quoi, pour l'engager, c'est ce qu'on appelle ça la marque...
19:49 Ah !
19:51 La marque employeuse.
19:54 Et Steve Happiness, l'officeur, si le terme existe encore,
19:58 parce que les termes évoluent tellement vite,
20:00 que j'espère qu'il n'est pas déjà désuet parce qu'il est cité dans le livre,
20:03 mais tout ce décor autour, ouais, fait qu'aujourd'hui,
20:08 on peut élever son enfant en mode startup, mais on peut gérer sa boîte en mode maternel.
20:14 Oui, et puis cette question d'infantilisation,
20:17 on l'a vu aussi au moment du Covid, ce qui a pu provoquer la colère.
20:21 Oui, bien sûr, et puis c'est génial quand on a le pouvoir d'avoir des gosses,
20:25 ce soir, nous sommes en guerre, restez chez vous.
20:29 Ils auraient dû se gratter l'oreille avec le pied gauche, je l'aurais fait moi.
20:32 Vraiment, le premier jour, je savais pas où j'étais.
20:36 Mon fils a pris un bâton dans le parc de la résidence, j'entends.
20:40 Premier jour du confinement, je lui ai dit "arrête, il y a peut-être le Covid dessus".
20:42 Oui, c'est ça.
20:43 C'était complètement dingue.
20:44 Tu t'es fait chanditer.
20:45 J'étais à l'autre extrême, j'étais peut-être presque déraisonnable.
20:51 Oui, mais c'est assez jouissif, je pense, quand on a le pouvoir d'avoir des enfants,
20:55 des gens obéissants, évidemment.
20:58 Dans ce livre, vous parlez beaucoup des start-up, des dérives du managerial,
21:04 vous parlez aussi de l'agilité, la notion de salarié normal,
21:09 toute cette espèce de vision très fluide de la société qui s'étend,
21:13 vous l'avez parlé à la sphère de la famille,
21:17 et qu'on a vu dans la dimension politique, notamment dans la gestion du Covid.
21:21 Est-ce qu'il y a des lieux ou des sphères qui ne sont pas touchés
21:27 par cette invasion du bullshit ?
21:31 Oui, je vous espère.
21:34 L'agriculture, les campagnes ne sont pas encore atteintes par ça.
21:38 Et malheureusement, on le voit comme un signe de paupérisation,
21:41 c'est-à-dire de non-digitalisation.
21:42 Quoique, il y a peut-être des fermes qui sont déjà bien digitalisées,
21:45 et je sais que ça existe aux Etats-Unis en tout cas,
21:50 les indicateurs, les KPI, il ne faut pas croire que tous les agriculteurs
21:54 sont là encore avec leurs arateaux et leurs pioches.
21:59 Mais peut-être qu'il reste encore un peu d'authenticité à la campagne,
22:02 dans l'agriculture, j'espère.
22:04 En tout cas, c'est ce que vont souvent chercher ces anciens start-up
22:07 devenus fromagers.
22:09 Et encore, je ne sais pas s'ils arriveraient à se retenir.
22:11 Il y a un moment où ils vont avoir envie d'optimiser un truc,
22:12 et digitaliser, utiliser un outil numérique.
22:16 Parce qu'après, ça peut relever du bon sens,
22:18 de vouloir se faciliter la vie, c'est vrai.
22:20 Jusqu'à quel point on utilise un outil,
22:24 jusqu'à quel point c'est du progrès et pas juste de l'innovation futile,
22:29 on ne sait pas.
22:30 Mais oui, pour citer cet exemple, il y a ça,
22:33 et après, je ne sais pas, l'armée peut-être.
22:35 L'armée, c'est peut-être pas très agile.
22:37 - Pas encore.
22:39 - Oui, pas encore.
22:40 J'en ai fait un sketch, c'est-à-dire dans mon spectacle,
22:41 j'imagine qu'on horizontalise tout.
22:44 - Il s'appelle comment votre spectacle ?
22:45 - Mon spectacle s'appelle Y,
22:46 et c'est un passage sur la vision horizontale des choses.
22:49 Par opposition à la version verticale, très hiérarchisée des choses,
22:52 notre génération a quand même tendance à vouloir un peu défier les codes
22:55 même de la hiérarchie, et à défier l'autorité en fait.
22:59 A dire, je n'ai pas envie, quand on n'a pas envie de faire un truc,
23:01 ça existe, il y a des salariés,
23:02 et surtout des managers qui sont un peu désemparés face à cette nouvelle génération
23:06 qui, du jour au lendemain, décide de ne pas venir au boulot.
23:09 Parce que j'avais envie de rester à la maison, le Covid est dans.
23:15 Et oui, j'en parle parce que j'imagine qu'un jour,
23:19 l'armée fonctionnera comme ça, en mode horizontal.
23:21 Pas vraiment de chef, on fait des réunions,
23:23 on choisit le mode d'organisation qu'on veut se donner.
23:26 Alors c'est toujours des noms un peu bienveillants,
23:28 en ruche, en tribu.
23:31 Et c'est des termes qui sont employés dans le domaine de la start-up,
23:35 de manière très horizontale.
23:36 Il y a du bon dans ça, parce que la hiérarchie,
23:38 et puis le côté très injonctif.
23:41 Injonctif ? Injonction ? Injonctif ?
23:45 Injonction.
23:45 Ah ouais, voilà.
23:46 Toutes ces injonctions venues de d'en haut, c'est pas très bien non plus,
23:48 et ça fait du bien parfois d'avoir un peu de fluidité dans tout ça.
23:53 Mais ce que je moque, encore une fois, c'est pas ça,
23:55 c'est l'abus de ça, et le fait d'en faire des produits,
23:59 dès que l'agilité s'est avérée comme étant une méthode
24:02 qui permettait d'être beaucoup plus efficace,
24:04 eh ben on en a fait des séminaires, on en a fait des livres,
24:07 on en a fait des coachs agiles,
24:09 et vu que c'est un truc plus ou moins objectif, l'agilité,
24:13 en tout cas qu'on perçoit, on comprend.
24:15 Quand on dit agile aujourd'hui, les gens voient à peu près ce que c'est.
24:18 Mais tout le monde l'utilise sans vraiment savoir de quoi il s'agit,
24:20 mais on se regarde en disant "je sais de quoi tu parles".
24:23 Là on parle d'agilité, mais on sait pas vraiment de quoi on parle.
24:25 On a des images, des exemples.
24:27 Oui, tous ces termes, on peut les consumer.
24:30 C'est ça le bullshit.
24:30 Et à un moment, on pense tous maîtriser, mais personne ne maîtrise.
24:34 Vraiment.
24:35 Et pour le mot de la fin par rapport à tout ça,
24:39 quel est selon vous, est-ce qu'il y a une façon de résister à tout ça,
24:42 de ne pas se laisser envahir par le bullshit ?
24:44 Alors il y a l'humour j'imagine ?
24:45 L'humour, moi-même je suis un imposteur fini,
24:48 j'ai écrit un livre sur le bullshit, j'ai écrit 200 pages sur rien.
24:52 Moi qui me moque des gens qui font de la mousse à partir derrière,
24:54 je fais rien.
24:56 Non, j'espère qu'il y a un peu de fond quand même dans le livre
24:58 et que les gens vont se marrer.
24:59 L'humour, non après, je pense qu'il faut...
25:04 Si, il y a des gens qui sont très très loin du bullshit quand même,
25:07 les artisans, ou des ouvriers,
25:10 ou des gens qui ont du mal à joindre le debout,
25:13 il y a beaucoup de gens qui n'ont pas de temps de perdre du temps
25:15 avec des termes surfaits quand même,
25:17 ou de faire des réunions pour trouver le bon acronyme,
25:20 ou la bonne association de mots qui donnera un nom d'un acronyme sympa à retenir.
25:25 Ouais, donc en gros on va l'horisier ceux qui bossent.
25:27 Voilà, parce que je sais pas, il y en a qui vont vouloir appeler un truc,
25:30 je sais pas, qui vont appeler les territoires internationaux de technologie d'outre-mer,
25:38 ils vont inventer un truc comme ça parce que ça se dit Tito,
25:41 ça sonne bien, on marche sur la tête.
25:44 C'est pas factuel, mais j'ai déjà cité des réunions,
25:48 franchement, c'est-à-dire que le fond même est influencé par l'appellation qu'on lui donne,
25:52 qu'il est même influencé par les acronymes auxquels il donne lieu.
25:55 Mais il y a des gens qui sont très loin de ces préoccupations,
25:58 une grande partie du monde en fait détient encore la solution.
26:02 Il y a quand même une grande partie du monde qui n'a pas de quoi manger aujourd'hui,
26:06 mais elle détient la solution au final, au bullshit.
26:10 Mais on l'écoute pas, elle compte pas.
26:12 Donc le bullshit c'est une espèce de manière de s'entretenir dans une bulle,
26:16 la bulle des gens qui comptent.
26:17 Et j'espère à travers ce livre, à travers ce que je fais,
26:21 montrer un peu que ceux qui incarnent le bien et la réussite ne sont pas forcément qu'admirables.
26:28 En tout cas, ça fait beaucoup rire sur LinkedIn, sur les réseaux sociaux.
26:32 J'espère que c'est plus drôle que ce que j'ai dit là.
26:34 Sur les absurdités de ce monde managérial,
26:39 avec tous ces termes complètement fumeux.
26:42 Donc merci beaucoup Karim Duval.
26:45 Je représente un petit précis de culture bullshit,
26:48 et puis vous serez à l'Olympia le 7 juin prochain.
26:51 C'est ça.
26:52 Merci beaucoup.
26:53 Merci.
26:54 [SILENCE]